Zora Neale Hurston naît le 7 janvier 1891 à Notasulga, Alabama. Cinquième des huit enfants d’un pasteur baptiste et d’une institutrice, elle déménage avec sa famille à Eatonville, Floride, première ville entièrement afro-américaine des États-Unis. Cette ville marque sensiblement son imaginaire et deviendra plus tard le cadre de nombreuses de ses œuvres.
La mort de sa mère en 1904, alors qu’elle n’a que 13 ans, bouleverse sa vie. Son père se remarie rapidement, et les relations familiales se détériorent. Zora quitte le domicile familial et enchaîne divers petits emplois pour survivre. Déterminée à poursuivre ses études, elle reprend sa scolarité à 26 ans en se rajeunissant de dix ans. Elle étudie d’abord à l’université Howard, puis obtient une bourse pour le prestigieux Barnard College où elle devient la première étudiante noire de l’établissement.
Sous la direction de l’anthropologue Franz Boas, elle se passionne pour le folklore afro-américain et les traditions orales. Elle parcourt le Sud des États-Unis et les Caraïbes pour collecter contes, chants et pratiques culturelles. Parallèlement, elle s’impose comme une figure majeure de la Renaissance de Harlem dans les années 1920, publiant nouvelles et essais.
Son roman le plus célèbre, « Mais leurs yeux dardaient sur Dieu » (1937), traduit initialement sous le titre « Une femme noire », témoigne de sa double vocation d’écrivaine et d’anthropologue. Elle y conjugue la richesse du vernaculaire afro-américain à une solide connaissance des traditions populaires. Malgré ces succès, elle finit sa vie dans la pauvreté et meurt oubliée en 1960 dans une maison de retraite de Fort Pierce, Floride.
C’est la romancière Alice Walker qui, dans les années 1970, redécouvre son œuvre et contribue à faire reconnaître Hurston comme l’une des voix majeures de la littérature américaine du XXe siècle. Anthropologue, folkloriste et romancière, Zora Neale Hurston laisse une œuvre originale qui célèbre la culture afro-américaine tout en transcendant les questions raciales de son époque.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. Mais leurs yeux dardaient sur Dieu (roman, 1937)
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Résumé
Floride, début du XXe siècle. Janie Crawford, une femme d’une quarantaine d’années, regagne sa ville d’Eatonville après une mystérieuse absence d’un an. Face aux commérages des habitants, elle confie son histoire à son amie Phoebe.
Sa quête d’amour et de liberté commence durant son adolescence, quand sa grand-mère, une ancienne esclave traumatisée par son passé, la marie de force à Logan Killicks, un fermier âgé. Ce mariage sans amour n’est pour Janie qu’une nouvelle forme d’esclavage : Killicks ne voit en elle qu’une domestique obéissante. Elle s’enfuit alors avec Joe Starks, un homme charismatique qui l’emmène à Eatonville, première ville entièrement administrée par des Noirs. Mais Joe, devenu maire, se révèle un mari tyrannique qui exhibe Janie comme un trophée et lui interdit toute liberté.
Ce n’est qu’après vingt ans de mariage et la mort de Joe que Janie rencontre Tea Cake, un jeune musicien qui bouleverse sa vie. Pour la première fois, elle goûte à une relation égalitaire et fusionnelle. Les deux amants partent s’installer dans les Everglades où ils travaillent comme ouvriers agricoles. Leur bonheur semble parfait jusqu’à ce qu’un terrible ouragan s’abatte sur la région…
Autour du livre
Zora Neale Hurston écrit « Mais leurs yeux dardaient sur Dieu » (initialement traduit en français sous le titre « Une femme noire ») en sept semaines seulement, lors d’un séjour à Haïti où elle mène des recherches anthropologiques. Elle puise son inspiration dans sa propre histoire d’amour tumultueuse avec Percival Punter, qu’elle décrit comme « un saut en parachute ». La violence et la domination sexuelle qui caractérisent leur relation se retrouvent dans le personnage de Tea Cake. L’autrice situe l’action à Eatonville, sa ville natale, première municipalité noire autogérée de Floride où son père fut élu maire. Le terrible ouragan qui marque le climax du roman s’inspire d’un événement réel : en 1928, l’ouragan Okeechobee dévaste la région.
Le roman se démarque par son utilisation novatrice du dialecte afro-américain du Sud, retranscrit phonétiquement dans les dialogues. Cette particularité, qui vaut aujourd’hui au livre sa reconnaissance comme chef-d’œuvre du folklore noir américain, lui attire à l’époque de vives critiques. Richard Wright dénonce un « spectacle de ménestrels destiné à amuser les Blancs ». Ralph Ellison y voit une « caricature calculée ». À l’inverse, les critiques blancs accueillent favorablement l’ouvrage, le New York Times saluant sa capacité à transcender les questions raciales pour toucher à l’universel.
Longtemps oublié, « Mais leurs yeux dardaient sur Dieu » connaît une renaissance dans les années 1970 grâce à l’écrivaine Alice Walker. Elle retrouve la tombe anonyme de Hurston et contribue à faire redécouvrir son œuvre. Le livre devient alors un monument de la littérature féministe et afro-américaine, salué pour sa représentation pionnière d’une femme noire en quête d’autodétermination. En 2005, le magazine Time l’inclut dans sa liste des 100 meilleurs romans de langue anglaise parus depuis 1923.
Le roman a fait l’objet de plusieurs adaptations. En 1983, la pièce « To Gleam It Around, To Show My Shine » est créée au théâtre Hilberry. En 2005, Oprah Winfrey produit un téléfilm avec Halle Berry dans le rôle de Janie. La BBC l’adapte en pièce radiophonique en 2011, suivie d’une nouvelle version radio en 2012 pour célébrer les 75 ans de sa publication.
Aux éditions ZULMA ; 256 pages.
2. Barracoon – L’histoire du dernier esclave américain (récit biographique, 2018)
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Résumé
En 1927, l’anthropologue Zora Neale Hurston se rend à Plateau, dans l’Alabama, pour interviewer Cudjo Lewis, 86 ans, dernier survivant connu de la traite transatlantique des esclaves. De son vrai nom Oluale Kossola, cet homme fut capturé en 1859 par des guerriers du Dahomey lors d’un raid sur son village.
Après trois semaines d’emprisonnement dans un barracoon – une prison destinée aux esclaves – il est vendu à des négriers américains qui le transportent vers l’Alabama à bord du Clotilda, dernier navire négrier à atteindre les côtes américaines. Pendant cinq ans et demi, jusqu’à l’annonce de son émancipation par les soldats de l’Union en 1865, Kossola vit en esclavage.
Une fois libre, avec d’autres anciens esclaves, il participe à la fondation d’Africatown, une communauté autonome près de Mobile. Mais la liberté ne met pas fin à ses épreuves : il perd successivement sa femme et ses six enfants, dont l’un est tué par un policier. À travers ses conversations avec Hurston, Kossola livre un témoignage poignant sur son existence brisée, hanté par le souvenir de sa terre natale qu’il ne reverra jamais.
Autour du livre
Le manuscrit de « Barracoon » connaît un destin singulier. Terminé en 1931, il ne trouve pas d’éditeur du vivant de Hurston. La raison principale : son choix radical de retranscrire fidèlement le dialecte vernaculaire de Kossola, que les éditeurs souhaitent « corriger » en anglais standard. L’autrice refuse catégoriquement cette modification qui dénaturerait selon elle l’authenticité du témoignage. Le texte aborde également un sujet tabou : l’implication d’Africains dans la traite négrière, notamment le rôle du royaume du Dahomey dans la capture et la vente d’autres Africains. Le manuscrit reste ainsi dans les limbes pendant près de 90 ans, conservé dans les archives du Centre de recherche Moorland-Spingarn de l’université Howard.
La publication tardive de « Barracoon » en 2018 comble une lacune majeure dans l’historiographie de l’esclavage. Comme le souligne Hurston elle-même : « Tous ces mots viennent des vendeurs, mais pas un mot de ceux qui ont été vendus ». L’ouvrage se distingue en effet des autres récits d’esclaves par sa rareté : il constitue l’un des seuls témoignages directs d’un Africain ayant vécu la capture, la traversée et l’esclavage. La forme même du texte est novatrice : Hurston s’efface derrière la parole de Kossola, ne conservant que quelques notations sur leurs interactions, comme les pêches et les pastèques qu’elle lui apporte pour gagner sa confiance.
Le témoignage révèle la complexité des relations raciales dans l’Amérique post-esclavagiste. Kossola évoque ainsi le rejet dont les Africains « purs » font l’objet, tant de la part des Blancs que des Noirs américains qui les considèrent comme des « sauvages ». La création d’Africatown apparaît alors comme une tentative de recréer un foyer pour ces déracinés qui ne peuvent retourner en Afrique. Les tragédies intimes de Kossola – la perte de ses enfants, notamment celui tué par un policier – résonnent douloureusement avec les problématiques contemporaines.
La critique salue unanimement la publication de ce document historique majeur. Le New York Times loue la capacité de Hurston à laisser émerger la voix authentique de Kossola, dans « un livre magnifique, bref et déchirant ». Time Magazine souligne la pertinence actuelle du récit, notamment dans sa description des violences policières contre les Noirs. La dimension anthropologique du travail de Hurston est également saluée pour sa contribution à la compréhension des cultures africaines transplantées en Amérique.
L’histoire du Clotilda connaît un prolongement inattendu en 2019 avec la découverte de l’épave du navire dans la baie de Mobile. Ce navire, coulé par son capitaine pour effacer les preuves de son trafic illégal, fait désormais l’objet d’études. Disney+ et Netflix ont produit des documentaires sur cette histoire, tandis qu’Africatown, malgré ses difficultés actuelles, continue d’attirer l’attention en tant que lieu de mémoire. Un musée, l’Africatown Heritage House, y a été construit pour préserver l’héritage de ses fondateurs.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 240 pages.