William Shakespeare naît à Stratford-upon-Avon, où il est baptisé le 26 avril 1564. Fils d’un gantier prospère et d’une mère issue d’une riche famille terrienne, il grandit dans cette ville du Warwickshire où il reçoit probablement son éducation à la King’s New School.
À dix-huit ans, il épouse Anne Hathaway, de huit ans son aînée. Le couple a trois enfants : Susanna, née en 1583, puis les jumeaux Hamnet et Judith en 1585. Après la naissance des jumeaux, Shakespeare disparaît des registres pendant sept ans – période connue comme les « années perdues ».
On le retrouve à Londres au début des années 1590, où il entame une brillante carrière d’acteur et de dramaturge. Il rejoint la troupe des Lord Chamberlain’s Men, qui devient plus tard les King’s Men sous le patronage du roi Jacques Ier. La compagnie se produit notamment au théâtre du Globe, dont Shakespeare est actionnaire.
Sa carrière est florissante : il écrit de nombreuses pièces – comédies, tragédies, pièces historiques – qui rencontrent un vif succès. Sa prospérité lui permet d’acquérir New Place, la deuxième plus grande maison de Stratford, en 1597. Tout en poursuivant sa carrière londonienne, il conserve des liens étroits avec sa ville natale.
À partir de 1610, il ralentit son rythme d’écriture et collabore avec d’autres dramaturges. Il partage alors son temps entre Londres et Stratford, où il se retire définitivement dans ses dernières années. Shakespeare meurt le 23 avril 1616 à Stratford-upon-Avon, laissant derrière lui une œuvre monumentale composée de 39 pièces de théâtre, 154 sonnets et plusieurs longs poèmes narratifs.
Voici notre sélection de ses pièces de théâtre majeures.
1. Hamlet (1599-1601)
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Résumé
Au château d’Elseneur, le prince Hamlet sombre dans la mélancolie après la mort brutale de son père, le roi du Danemark. Son oncle Claudius s’empare du trône et épouse précipitamment Gertrude, la reine veuve. Une nuit, le fantôme du défunt roi révèle à son fils qu’il a été assassiné par Claudius, qui lui a versé du poison dans l’oreille pendant son sommeil. Déchiré entre son désir de vengeance et ses doutes sur la véracité de cette apparition, Hamlet simule la folie pour démasquer le meurtrier. Il monte une représentation théâtrale reproduisant le crime et observe la réaction de son oncle. La réaction de Claudius confirme sa culpabilité. Dans un moment de rage, Hamlet tue accidentellement Polonius, le père de sa bien-aimée Ophélie, qu’il confond avec son oncle, déclenchant une spirale tragique qui conduira à la mort de tous les protagonistes.
Autour de la pièce
Entre 1599 et 1601, Shakespeare compose « Hamlet », qui est sa plus longue pièce avec près de 30 000 mots. Cette tragédie tire ses origines de légendes scandinaves médiévales, notamment l’histoire d’Amleth relatée par Saxo Grammaticus au XIIIe siècle. La genèse du texte demeure complexe : trois versions coexistent, chacune présentant des variantes significatives. Le Premier Quarto (Q1) de 1603, découvert en 1823, se distingue par sa brièveté tandis que le Second Quarto (Q2) de 1604 offre la version la plus étoffée. Le Premier Folio de 1623 constitue la troisième source majeure.
Les débats sur les sources d’inspiration se poursuivent. L’hypothèse d’un « Ur-Hamlet » antérieur, possiblement écrit par Thomas Kyd vers 1589, nourrit les discussions. Shakespeare puise aussi dans la tradition des tragédies de vengeance, populaires dans l’Angleterre élisabéthaine. Le personnage de Polonius pourrait s’inspirer de William Cecil, conseiller d’Elizabeth Ière, comme le suggèrent les similitudes entre leurs rôles à la cour.
Les interprétations de la pièce ont considérablement évolué à travers les siècles. Au XVIIe siècle, la critique souligne la dimension spectaculaire du fantôme et le traitement de la mélancolie. Le XVIIIe siècle perçoit Hamlet comme un héros noble confronté à l’adversité. Le XIXe siècle met l’accent sur les conflits intérieurs du personnage, tandis que le XXe siècle voit émerger des lectures psychanalytiques, politiques et féministes.
Les représentations théâtrales témoignent de cette multiplicité d’approches. Richard Burbage crée le rôle, suivi par des interprètes marquants comme David Garrick au XVIIIe siècle ou Sarah Bernhardt, qui bouleverse les conventions en incarnant Hamlet en 1899. Au cinéma, les adaptations de Laurence Olivier (1948) et Kenneth Branagh (1996) constituent des jalons majeurs, tout comme la version soviétique de Grigori Kozintsev (1964).
La postérité de « Hamlet » s’avère considérable. James Joyce dans « Ulysse », Tom Stoppard avec « Rosencrantz et Guildenstern sont morts » ou Heiner Müller dans « Hamlet-Machine » réinventent la matière shakespearienne. Les répliques célèbres comme « Être ou ne pas être » ou « Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark » ont intégré le langage courant. Cette tragédie continue d’interroger les thèmes universels du pouvoir, de la justice et de la conscience à travers le prisme d’une crise existentielle et politique.
Aux éditions FOLIO ; 288 pages.
2. Roméo et Juliette (1595)
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Résumé
Dans l’Italie du XVIe siècle, la ville de Vérone est le théâtre d’une vendetta féroce entre deux grandes familles patriciennes, les Montaigu et les Capulet. Lors d’un bal masqué chez ses ennemis, le jeune Roméo Montaigu rencontre Juliette Capulet. Les deux adolescents succombent à un coup de foudre immédiat et décident de s’unir clandestinement, avec l’aide du Frère Laurent qui espère ainsi réconcilier les deux clans. Le bonheur est de courte durée : après avoir tué en duel Tybalt, cousin de Juliette, Roméo est condamné à l’exil. Pour échapper au mariage arrangé par ses parents avec le Comte Pâris, Juliette simule sa mort grâce à un puissant somnifère. Mal informé, Roméo croit sa bien-aimée morte et s’empoisonne sur sa tombe. À son réveil, Juliette découvre le corps de son époux et se poignarde à son tour.
Autour de la pièce
L’histoire des amants de Vérone prend racine dans une longue tradition littéraire : des « Métamorphoses » d’Ovide au XIIIe siècle jusqu’aux nouvelles italiennes de la Renaissance. La mention des familles Montaigu et Capulet apparaît d’abord dans « La Divine Comédie » de Dante, où elles incarnent la violence des querelles politiques en Lombardie. En 1476, Masuccio Salernitano esquisse les premiers contours de l’intrigue dans son « Novellino », transposée à Sienne. Luigi da Porto déplace ensuite l’action à Vérone en 1530, établissant les noms définitifs des protagonistes et ajoutant des personnages clés comme Mercutio et Paris.
La première représentation documentée remonte à 1597 à Londres, probablement par la troupe des Lord Chamberlain’s Men. Le succès est immédiat : la pièce fait l’objet de multiples éditions et devient l’une des plus jouées du répertoire shakespearien. Les premières adaptations ne tardent pas – dès 1604, une version allemande voit le jour à Nördlingen. Au XVIIIe siècle, David Garrick révolutionne la mise en scène en supprimant le personnage de Rosaline pour renforcer la fidélité des amants.
L’innovation majeure réside dans le traitement du langage poétique. Chaque personnage s’exprime selon un registre qui lui est propre : les jeux de mots grivois de Mercutio contrastent avec les sonnets pétrarquistes des amants. Lors de leur première rencontre, Roméo et Juliette dialoguent en composant spontanément un sonnet à deux voix, suivant les codes de la poésie amoureuse de l’époque.
La postérité de l’œuvre s’avère exceptionnelle. Plus de vingt-quatre opéras s’en inspirent, dont ceux de Bellini (« I Capuleti e i Montecchi », 1830) et Gounod (« Roméo et Juliette », 1867). Le ballet de Prokofiev (1935) marque également l’histoire de la danse. Au cinéma, les adaptations de Cukor (1936), Zeffirelli (1968) et Luhrmann (1996) renouvellent chacune l’interprétation du texte. La transposition la plus audacieuse reste « West Side Story » (1957), qui transpose le conflit des familles dans le New York des gangs.
La pièce suscite aussi de nombreuses analyses critiques. Samuel Johnson la considère comme « l’une des plus plaisantes » du répertoire shakespearien. Les débats portent notamment sur la part respective du destin et de la responsabilité des personnages dans la tragédie. Le texte oscille entre la vision médiévale d’un sort prédéterminé par les astres et une conception plus moderne où les choix individuels précipitent le dénouement fatal.
La ville de Vérone perpétue aujourd’hui le mythe à travers la « maison de Juliette », édifice du XIIIe siècle attribué à la famille Cappello. Des millions de visiteurs s’y pressent chaque année, témoignant de la permanence de cette histoire dans l’imaginaire collectif.
Aux éditions FOLIO ; 224 pages.
3. Macbeth (1606)
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Résumé
En Écosse, le général victorieux Macbeth croise sur une lande trois sorcières qui prophétisent son accession au trône. Cette prédiction, conjuguée à l’ambition dévorante de Lady Macbeth, le pousse à assassiner le roi Duncan dans son sommeil. Devenu roi, Macbeth fait éliminer son ami Banquo, craignant la prophétie selon laquelle les descendants de ce dernier régneront. Hanté par le fantôme de sa victime lors d’un banquet, Macbeth consulte à nouveau les sorcières qui lui donnent des prophéties énigmatiques sur sa chute. Lady Macbeth, rongée par la culpabilité, perd la raison et se suicide. Macduff, dont la famille a été massacrée sur ordre de Macbeth, mène la rébellion qui aboutit à la mort du tyran et au couronnement de Malcolm, fils de Duncan.
Autour de la pièce
La tragédie de Shakespeare prend racine dans les « Chronicles of England, Scotland and Ireland » de Raphael Holinshed, publiées en 1587, mais s’en écarte significativement. Tandis qu’Holinshed dépeint Duncan comme un roi faible et Macbeth comme un souverain juste pendant dix ans avant sa dérive tyrannique, Shakespeare condense l’action et accentue le contraste moral entre les personnages. Le dramaturge modifie également le rôle de Banquo, complice du meurtre chez Holinshed, pour en faire une victime innocente – choix politique judicieux puisque le roi Jacques Ier se considérait comme son descendant.
Les circonstances de création de « Macbeth » reflètent les tensions politiques de 1606. La Conspiration des Poudres, tentative d’assassinat de Jacques Ier, résonne dans plusieurs scènes, notamment le monologue du portier qui fait référence à l’équivocation, pratique des jésuites accusés dans le complot. Le choix d’un sujet écossais et le traitement positif de Banquo témoignent d’une volonté de séduire le nouveau monarque, lui-même auteur d’un traité sur la sorcellerie, « Daemonologie » (1597).
La dimension surnaturelle de la pièce nourrit une légende tenace dans le monde du théâtre : prononcer son titre en coulisses porterait malheur. Les acteurs lui préfèrent le surnom « The Scottish Play ». Cette superstition s’enracine dans la croyance que Shakespeare aurait incorporé d’authentiques formules de sorcellerie dans le texte.
La brièveté de « Macbeth », plus courte des tragédies shakespeariennes, ne nuit pas à sa puissance dramatique. Les scènes de sorcellerie alternent avec les rituels de cour, les apparitions spectrales avec les batailles. La pièce suscite des interprétations multiples à travers les siècles : en 1936, Orson Welles transpose l’action en Haïti dans son « Voodoo Macbeth » avec une distribution afro-américaine. En 1957, Akira Kurosawa l’adapte dans « Le Château de l’araignée », situant l’intrigue dans le Japon médiéval.
Les mises en scène notables se succèdent : Laurence Olivier en 1955, Ian McKellen en 1976 et Antony Sher en 1999 marquent l’histoire des représentations à Stratford-upon-Avon. La pièce inspire également de nombreuses adaptations musicales, dont l’opéra de Giuseppe Verdi (1847) demeure la plus célèbre.
Aux éditions FOLIO ; 176 pages.
4. Othello (1603-1604)
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Résumé
Sur fond de guerre contre les Turcs, Shakespeare met en scène la tragédie d’Othello, général maure au service de Venise. Son mariage secret avec Desdémone, fille du sénateur Brabantio, déclenche l’hostilité de la bonne société vénitienne. Mais c’est surtout la haine de son enseigne Iago qui causera sa perte. Ce dernier, furieux de s’être vu préférer Cassio comme lieutenant, élabore un plan machiavélique. Par d’habiles insinuations et la mise en scène d’un faux adultère, il persuade progressivement Othello de l’infidélité de Desdémone avec Cassio. Dans un accès de jalousie meurtrière, Othello étouffe son épouse avant de se suicider en apprenant la vérité.
Autour de la pièce
« Othello » puise sa source dans une nouvelle italienne de Giovanni Battista Giraldi (Cinthio), « Un Capitano Moro », publiée dans son recueil « Gli Hecatommithi » (1565). Shakespeare remanie considérablement cette matière première : il ajoute notamment les personnages de Brabantio et Roderigo, modifie le rôle d’Emilia dans l’intrigue du mouchoir, et transforme radicalement la mort de l’héroïne. Alors que chez Cinthio, le Maure fait tuer sa femme à coups de sac de sable par son enseigne avant de simuler un accident, Shakespeare opte pour une scène d’étouffement plus intime et dramatique.
La représentation d’un protagoniste noir dans un rôle noble constitue une innovation majeure pour l’époque élisabéthaine. La visite d’une délégation marocaine à Londres en 1600 pourrait avoir inspiré ce personnage. Le traitement de la question raciale dans la pièce suscite encore aujourd’hui de vifs débats : certains y voient une dénonciation du racisme, d’autres y décèlent une confirmation des préjugés de l’époque.
L’interprétation du rôle-titre marque l’histoire du théâtre. Si les premiers acteurs se noircissaient le visage, Ira Aldridge brise cette tradition en 1825 au Royal Coburg Theatre de Londres en devenant le premier acteur noir à incarner Othello. Paul Robeson reprend le flambeau dans les années 1930, donnant une dimension politique nouvelle à cette interprétation en pleine ségrégation.
La pièce connaît un succès immédiat qui ne se dément pas. La première représentation documentée se tient le 1er novembre 1604 au palais de Whitehall devant le roi Jacques Ier. Les adaptations se multiplient : deux opéras célèbres voient le jour, l’ « Otello » de Rossini en 1816 puis celui de Verdi en 1887. Le cinéma s’empare aussi du texte, d’Orson Welles en 1952 à Kenneth Branagh en 1995.
Le personnage d’Iago mérite une attention particulière : avec 1097 répliques, il constitue l’un des rôles les plus longs du répertoire shakespearien, dépassé seulement par Hamlet et Richard III. Ses motivations demeurent volontairement obscures : haine raciale envers Othello, jalousie professionnelle vis-à-vis de Cassio, soupçons d’adultère… Cette ambiguïté psychologique renforce la dimension machiavélique du personnage.
Aux éditions LIBRIO ; 128 pages.
5. Le Songe d’une nuit d’été (1595-1596)
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Résumé
Dans l’Athènes antique, Thésée, duc de la cité, s’apprête à épouser Hippolyta, reine des Amazones. Parallèlement, le noble Égée demande justice : sa fille Hermia refuse d’épouser Demetrius, qu’il a choisi pour elle, car elle aime Lysandre. Selon la loi athénienne, elle doit soit obéir à son père, soit choisir entre la mort et le couvent. Les deux amoureux décident alors de s’enfuir dans la forêt. Helena, amie d’Hermia et amoureuse éconduite de Demetrius, prévient ce dernier qui se lance à leur poursuite.
Dans cette même forêt, le roi et la reine des fées, Obéron et Titania, se disputent la garde d’un jeune page. Pour se venger, Obéron demande à Puck, son esprit facétieux, d’utiliser une fleur magique qui fait tomber amoureux de la première créature aperçue au réveil. S’ensuivent une série de quiproquos et de chassés-croisés amoureux, compliqués par la présence d’artisans répétant une pièce de théâtre, dont l’un se retrouve transformé en âne et devient l’objet de l’amour de Titania.
Autour de la pièce
Composé vers 1595-1596, « Le Songe d’une nuit d’été » se distingue dans le répertoire shakespearien par l’absence de source directe identifiable, contrairement à la majorité des pièces de l’auteur. Shakespeare puise néanmoins dans plusieurs traditions littéraires : les « Vies parallèles » de Plutarque et « Le Conte du chevalier » de Geoffrey Chaucer pour la trame des noces princières, « Arcadia » de Philip Sidney pour les intrigues amoureuses aristocratiques, « La Reine des fées » d’Edmund Spenser et les légendes populaires pour l’univers féerique.
La première représentation attestée date du 1er janvier 1604 à la cour d’Angleterre. Le texte connaît ensuite une histoire mouvementée : Samuel Pepys le juge « insipide et ridicule » en 1662, ce qui entraîne sa disparition des scènes pendant près de trente ans. Au XVIIIe siècle, seules des versions adaptées et raccourcies subsistent, comme l’opéra « The Fairy Queen » de Purcell en 1692. Il faut attendre 1840 et la production de Madame Vestris à Covent Garden pour revoir une version intégrale. Cette mise en scène initie une tradition spectaculaire qui culminera avec les productions fastueuses de Charles Kean en 1856 et Herbert Beerbohm Tree en 1900, mobilisant jusqu’à 90 ballerines pour le final.
Un tournant majeur s’opère en 1914 quand Harley Granville-Barker rompt avec cette démesure. Sa mise en scène épurée, utilisant des rideaux à motifs plutôt que des décors complexes et présentant les fées comme des créatures robotiques inspirées d’idoles cambodgiennes, ouvre la voie à des interprétations plus modernes. Peter Brook poursuit cette révolution en 1970 avec sa production dans un cube blanc où les fées deviennent des acrobates, tandis que le même acteur interprète Théseus/Oberon et la même actrice Hippolyta/Titania.
La pièce inspire de nombreux compositeurs : outre Purcell, Mendelssohn crée entre 1826 et 1842 une musique de scène devenue indissociable de l’œuvre, notamment sa célèbre « Marche nuptiale ». Le cinéma s’en empare dès 1935 avec l’adaptation remarquée de Max Reinhardt et William Dieterle, réunissant James Cagney et Mickey Rooney. Le succès ne se dément pas jusqu’à la version de Michael Hoffman en 1999 avec Michelle Pfeiffer et Kevin Kline.
L’influence du « Songe d’une nuit d’été » s’étend en outre par-delà les arts du spectacle : William Herschel nomme deux satellites d’Uranus Titania et Oberon en 1852, hommage qui se poursuit avec la découverte d’un autre satellite, Puck, par la sonde Voyager 2 en 1985.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 160 pages.
6. Beaucoup de bruit pour rien (1598-1599)
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Résumé
Cette comédie romantique de Shakespeare, écrite en 1598-1599, se déroule à Messine, en Sicile, alors sous domination espagnole. Don Pedro, prince d’Aragon, arrive dans la ville avec ses compagnons d’armes après une victoire militaire. Parmi eux se trouvent le jeune Claudio, qui tombe amoureux de Hero, fille du gouverneur Leonato, et Benedick, dont les joutes verbales avec Beatrice, nièce de Leonato, masquent une attirance mutuelle.
Tandis que le mariage se prépare entre Claudio et Hero, Don John, frère bâtard et maléfique de Don Pedro, orchestre un stratagème pour faire croire à l’infidélité de la jeune femme. Le jour des noces, Claudio humilie publiquement Hero qui s’évanouit. Sur conseil d’un moine, sa famille fait croire à sa mort pour permettre la manifestation de la vérité. Entre-temps, Beatrice et Benedick s’avouent leur amour, et cette dernière demande à Benedick de venger l’honneur de sa cousine. L’intervention providentielle de la garde locale, qui a surpris les complices de Don John, permet de rétablir l’innocence de Hero et de célébrer un double mariage.
Autour de la pièce
Les sources de « Beaucoup de bruit pour rien » puisent dans plusieurs traditions littéraires européennes. Shakespeare s’inspire notamment des « Nouvelles » de Matteo Bandello, particulièrement de l’histoire de Timbreo et Fenicia, ainsi que du « Roland Furieux » de L’Arioste avec les personnages d’Ariodante et Ginevra. La pièce incorpore également des éléments du « Livre du courtisan » de Baldassare Castiglione pour les joutes verbales entre Benedick et Beatrice.
L’originalité de la structure réside dans l’entrelacement de deux intrigues amoureuses aux tonalités opposées. Le couple Hero-Claudio suit les codes traditionnels de la comédie romantique, tandis que Beatrice et Benedick incarnent une modernité plus subversive. Cette dualité se manifeste jusque dans le langage : les nobles s’expriment en vers, alors que les échanges plus mordants privilégient la prose. Le personnage de Don John préfigure déjà les grands antagonistes shakespeariens comme Iago dans « Othello ».
Le titre original lui-même, « Much Ado About Nothing », recèle plusieurs niveaux de lecture : en anglais élisabéthain, « nothing » (rien) et « noting » (noter, observer) se prononcent de façon similaire, soulignant l’importance des observations et des malentendus dans l’intrigue. Une autre interprétation suggère même un jeu de mots grivois, « nothing » pouvant désigner dans l’argot de l’époque les parties intimes féminines.
Les adaptations se succèdent depuis quatre siècles. Hector Berlioz compose en 1862 l’opéra « Béatrice et Bénédict ». Le cinéma s’empare également de l’œuvre : de la première version muette en 1913 à l’adaptation soviétique de 1973, jusqu’aux versions modernes de Kenneth Branagh (1993) avec Emma Thompson et Denzel Washington, puis celle de Joss Whedon (2012) en noir et blanc. Sur scène, des interprètes prestigieux marquent l’histoire de la pièce : David Garrick incarne Benedick pendant dix-huit ans au XVIIIe siècle, suivi plus tard par John Gielgud qui fait du rôle sa signature de 1931 à 1959. Plus récemment, Vanessa Redgrave et James Earl Jones reprennent les rôles de Beatrice et Benedick à l’Old Vic de Londres en 2013, preuve de l’intemporalité de cette comédie.
Aux éditions FLAMMARION ; 352 pages.
7. Le Roi Lear (1605-1606)
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Résumé
Dans la Grande-Bretagne préchrétienne, le roi Lear décide de partager son royaume entre ses trois filles. Avant la répartition, il leur demande de lui prouver leur amour par des déclarations publiques. Les deux aînées, Goneril et Regan, se livrent à une surenchère d’éloges hypocrites, tandis que Cordélia, la cadette et préférée du roi, refuse ce jeu de fausses flatteries. Furieux, Lear la déshérite et la bannit. Le roi de France accepte de l’épouser malgré l’absence de dot. Parallèlement, le comte de Gloucester est victime des machinations de son fils illégitime Edmund qui cherche à éliminer son frère Edgar, l’héritier légitime. Chassé par ses filles aînées qui le dépouillent peu à peu de son escorte et de ses privilèges, Lear erre dans la lande par une nuit de tempête, accompagné de son bouffon et d’un fidèle serviteur. Sa raison vacille tandis que la guerre civile éclate entre les partisans de ses filles.
Autour de la pièce
La genèse du « Roi Lear » s’inscrit dans un contexte politique particulier : l’accession au trône d’Angleterre de Jacques Ier en 1603, qui unifie les royaumes britanniques. Les premières représentations attestées datent de décembre 1606 à la cour de Whitehall, dans une période où le souverain s’oppose au Parlement sur l’étendue de ses prérogatives royales. Les conflits entre Lear et ses filles, tout comme le thème de la division du royaume, font écho aux débats constitutionnels de l’époque.
La pièce existe en deux versions significativement différentes : le Quarto de 1608 et le Folio de 1623. Le Folio supprime près de 300 lignes présentes dans le Quarto, dont la scène cruciale du procès imaginaire, mais ajoute une centaine de vers inédits qui modifient subtilement les relations entre les personnages. Ces variations substantielles divisent encore aujourd’hui les spécialistes sur la question de savoir s’il s’agit de deux versions d’auteur distinctes ou des aléas de la transmission textuelle.
Les représentations théâtrales témoignent d’une évolution radicale dans la réception de l’œuvre. Pendant plus de 150 ans après la Restauration anglaise, le public ne connaît que la version édulcorée de Nahum Tate (1681) où Cordelia survit et épouse Edgar. Le retour au texte original ne s’impose qu’au XIXe siècle. Peter Brook révolutionne l’interprétation en 1962 avec une mise en scène épurée qui souligne l’absurdité métaphysique de la pièce. En 1990, le metteur en scène Robert Wilson bouscule les conventions en confiant le rôle-titre à une femme.
Les adaptations cinématographiques multiplient les lectures : Grigori Kozintsev (1971) met l’accent sur la dimension politique, tandis qu’Akira Kurosawa, dans « Ran » (1985), transpose l’intrigue dans le Japon féodal du XVIe siècle. Plus récemment, les interprétations féministes ont souligné les implications sexuelles troubles de l’œuvre, notamment dans l’adaptation « A Thousand Acres » (1997) de Jocelyn Moorhouse, qui place au premier plan le point de vue des filles aînées.
La postérité littéraire du « Roi Lear » se manifeste dans des œuvres aussi diverses que « Le Père Goriot » de Balzac ou « Le Roi Lear des steppes » de Tourgueniev. Les dramaturges contemporains continuent de dialoguer avec la pièce : Edward Bond la réécrit en 1971 dans une perspective marxiste, tandis que Howard Barker imagine en 1990 les événements antérieurs à l’action shakespearienne.
Aux éditions FOLIO ; 256 pages.
8. Richard III (1591-1592)
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Résumé
Dans l’Angleterre médiévale, le duc de Gloucester ne supporte plus sa difformité physique qui fait de lui un paria. Pour assouvir sa soif de pouvoir, il orchestre la mort de son frère Clarence et parvient à séduire Lady Anne malgré le meurtre de son époux. À la mort du roi Édouard IV, Richard devient le protecteur des jeunes héritiers qu’il fait assassiner. Multipliant meurtres et trahisons, il accède au trône mais son règne sera bref. Le comte de Richmond, futur Henri VII, le défie à Bosworth où Richard, désarçonné, lance son célèbre cri : « Mon royaume pour un cheval ! ». Sa mort marque la fin de la guerre des Deux-Roses.
Autour de la pièce
Composée entre 1591 et 1592, « Richard III » clôt la première tétralogie historique de Shakespeare. Cette pièce, la plus longue après « Hamlet », puise ses sources principales dans les « Chroniques » de Raphael Holinshed et les écrits de Thomas More. La vision profondément négative du personnage s’explique par le contexte politique : sous le règne d’Élisabeth I, petite-fille d’Henri VII, il fallait justifier la prise de pouvoir des Tudor en noircissant le dernier roi Plantagenêt.
Le texte s’écarte considérablement de la réalité historique. Contrairement au portrait shakespearien d’un monstre difforme et sanguinaire, le véritable Richard III ne présentait qu’une légère scoliose, comme l’ont révélé les fouilles de 2012. Son règne de deux ans ne se distinguait pas particulièrement par sa cruauté. La pièce accumule les inexactitudes : Richard n’a pas tué le prince Édouard de Westminster ni le comte de Warwick, et rien ne prouve son implication dans la mort d’Henri VI ou la disparition des princes de la Tour.
L’innovation majeure tient à la relation entre le protagoniste et les spectateurs. À travers de nombreux apartés, Richard transforme le public en confident de ses machinations. Cette complicité ambiguë atteint son apogée dans les premiers actes, puis s’estompe progressivement à mesure que le personnage s’enfonce dans la tyrannie. Le changement de ton marque sa transformation : d’anti-héros séduisant maniant l’humour noir, il devient un être tourmenté que les fantômes de ses victimes viennent hanter.
La popularité de la pièce ne s’est jamais démentie depuis sa création en 1633. De David Garrick au XVIIIe siècle à Kevin Spacey en 2011, les plus grands acteurs se sont mesurés à ce rôle emblématique. Les adaptations cinématographiques témoignent de sa modernité politique : Laurence Olivier en donne une version classique en 1955, tandis que Richard Loncraine transpose l’action dans une Angleterre fasciste des années 1930. Le documentaire d’Al Pacino « Looking for Richard » (1996) confronte le texte aux enjeux contemporains, soulignant sa résonance actuelle sur les mécanismes du pouvoir.
La puissance dramatique transparaît notamment dans les répliques devenues cultes, comme « Mon royaume pour un cheval ! » Cette exclamation désespérée inspire de nombreuses parodies : dans « Astérix en Hispanie », Cétautomatix hurle « Un poisson ! Mon règne pour un poisson ! », tandis que le jeu « Worms Armageddon » détourne la citation en « Mon royaume pour un âne ».
Aux éditions LIBRIO ; 128 pages.
9. La Tempête (1610-1611)
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Résumé
Sur une île isolée règne Prospero, ancien duc de Milan dépossédé de son titre par son frère Antonio douze ans plus tôt. Accompagné de sa fille Miranda, il y cultive ses talents de magicien et domine deux serviteurs : l’esprit aérien Ariel et la créature terrestre Caliban. Quand le destin fait passer près de ses côtes un navire transportant ses ennemis – dont son frère usurpateur et le roi de Naples Alonso – Prospero provoque une tempête pour les faire échouer sur l’île. Par ses sortilèges, il sépare les naufragés : Ferdinand, le fils du roi, découvre Miranda et en tombe amoureux ; deux ivrognes, Stephano et Trinculo, s’allient à Caliban pour tenter de renverser le maître de l’île ; tandis qu’Alonso et sa suite errent, hantés par leurs crimes passés. À travers illusions et enchantements, le magicien orchestrera les retrouvailles et la réconciliation finale.
Autour de la pièce
Composée vers 1610-1611, « La Tempête » est l’ultime pièce écrite en solo par Shakespeare. La première représentation attestée se déroule le 1er novembre 1611 au palais de Whitehall devant le roi Jacques Ier, avant d’être reprise lors des festivités du mariage de la princesse Élisabeth Stuart avec l’électeur palatin Frédéric V en 1612-1613.
Contrairement à la majorité des pièces shakespeariennes, « La Tempête » ne puise pas dans une source unique mais amalgame plusieurs influences. Les récits de voyage vers le Nouveau Monde nourrissent particulièrement l’imaginaire du dramaturge, notamment le compte-rendu du naufrage du Sea Venture aux Bermudes en 1609 par William Strachey. Les réflexions sur les sociétés préservées des influences européennes, tirées de l’essai « Des cannibales » de Montaigne, transparaissent dans les discours de Gonzalo sur l’utopie. La renonciation finale de Prospero à la magie reprend quant à elle presque mot pour mot un passage des « Métamorphoses » d’Ovide.
La musique occupe une place prépondérante dans « La Tempête », plus que dans toute autre pièce de Shakespeare. Deux compositions originales de Robert Johnson, « Full Fathom Five » et « Where The Bee Sucks There Suck I », accompagnaient probablement les représentations du vivant de l’auteur. Cette dimension musicale a inspiré de nombreux compositeurs au fil des siècles, de Henry Purcell à Jean Sibelius.
Les interprétations de l’œuvre ont considérablement évolué. Au XIXe siècle, Prospero incarne un autoportrait de Shakespeare renonçant à son art. La lecture postcoloniale s’impose dans les années 1950, transformant Caliban en symbole des peuples colonisés. Cette multiplicité des lectures a généré d’innombrables adaptations : du film de science-fiction « Forbidden Planet » (1956) à la version anticolonialiste d’Aimé Césaire « Une Tempête » (1969), en passant par plus de quarante adaptations lyriques.
La mise en scène de l’œuvre a également connu des mutations significatives. Si les productions victoriennes privilégiaient le spectaculaire avec des effets spéciaux élaborés, comme Ariel descendant dans une boule de feu, les approches contemporaines mettent l’accent sur les tensions coloniales et sexuelles entre les personnages. Le rôle de Caliban, traditionnellement joué comme une créature simiesque, est désormais régulièrement interprété par des acteurs noirs, soulignant la dimension postcoloniale de l’œuvre.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 192 pages.
10. La Nuit des Rois (1601-1602)
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Résumé
Viola, une jeune aristocrate, échoue sur les côtes d’Illyrie après un naufrage qui l’a séparée de son frère jumeau Sebastian. Pour assurer sa sécurité dans ce pays étranger, elle se déguise en homme sous le nom de Cesario et entre au service du Duc Orsino. Ce dernier, éperdument amoureux de la comtesse Olivia qui le repousse, charge Cesario de plaider sa cause auprès d’elle. La situation se complique lorsqu’Olivia s’éprend de Cesario, ignorant qu’il s’agit d’une femme, tandis que Viola développe des sentiments pour Orsino. L’arrivée inattendue de Sebastian, le frère jumeau que l’on croyait mort, déclenche une série de quiproquos avant que les véritables identités ne soient révélées, permettant aux couples de se former selon leurs véritables inclinations.
En parallèle se déroule une intrigue secondaire centrée sur Malvolio, l’austère intendant d’Olivia. Victime d’une farce orchestrée par l’oncle d’Olivia, Sir Toby Belch, et la servante Maria, il est amené à croire qu’Olivia est amoureuse de lui. Son comportement excentrique qui en résulte le conduit à être enfermé comme fou.
Autour de la pièce
La genèse de « La Nuit des Rois » s’inscrit dans le contexte festif de l’Épiphanie élisabéthaine. Les sources historiques attestent d’une première représentation le 2 février 1602 au Middle Temple de Londres, documentée par le journal de l’étudiant John Manningham. Certains chercheurs suggèrent toutefois une création antérieure, le 6 janvier 1601, en l’honneur du duc de Bracciano Virginio Orsino – hypothèse renforcée par la présence d’un personnage éponyme dans la pièce.
L’intrigue principale puise ses racines dans plusieurs traditions littéraires. La comédie italienne « Gl’ingannati » (1531) fournit la trame narrative centrale, tandis que le récit « Apolonius and Silla » de Barnabe Rich apporte des éléments nouveaux comme le naufrage initial. Le cadre géographique de l’Illyrie, région des Balkans réputée pour sa piraterie, confère à la pièce une dimension exotique tout en justifiant l’insécurité ressentie par Viola.
La pièce se distingue par sa structure dramaturgique sophistiquée, alternant registres nobles et populaires. Elle se déploie sur trois journées distinctes, ponctuées d’ellipses temporelles qui accélèrent la narration sans rompre la cohérence dramatique. Les scènes oscillent entre la cour d’Orsino et celle d’Olivia, créant un mouvement pendulaire qui culmine dans la scène finale de reconnaissance.
La dimension métathéâtrale constitue l’une des forces majeures de « La Nuit des Rois ». Les conventions du théâtre élisabéthain, où les rôles féminins étaient tenus par de jeunes hommes, ajoutent une couche supplémentaire de sens au travestissement de Viola. Cette ambiguïté identitaire trouve son expression dans plusieurs répliques autoréférentielles, comme lorsqu’Olivia demande à Cesario : « Are you a comedian? ».
Du cinéma muet des années 1910 aux productions contemporaines, la pièce n’a cessé d’inspirer metteurs en scène et artistes. La version de Trevor Nunn (1996) avec Helena Bonham Carter marque un moment important dans cette histoire des adaptations, tandis que les productions du Globe Theatre perpétuent la tradition élisabéthaine avec des distributions entièrement masculines.
Aux éditions FLAMMARION ; 320 pages.
11. Jules César (1599)
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Résumé
Shakespeare compose en 1599 une tragédie politique où s’affronte la vision de deux Rome : celle des républicains, attachés aux institutions séculaires, et celle des partisans de César, séduits par l’homme providentiel. Au cœur de ce dilemme se trouve Brutus, ami intime de César, que les sénateurs cherchent à rallier à leur complot contre le dictateur. Les conspirateurs, menés par l’inflexible Cassius, redoutent que César ne transforme la République en monarchie. Malgré les avertissements d’un devin et les pressentiments de son épouse Calpurnia, César se rend au Sénat où il est poignardé par les conjurés. Marc Antoine retourne alors la situation par un discours magistral qui enflamme le peuple contre les meurtriers. La guerre civile éclate, opposant les forces d’Antoine et d’Octave à celles de Brutus et Cassius. Ces derniers, vaincus à Philippes, choisissent le suicide plutôt que la capture.
Autour de la pièce
La première représentation attestée de « Jules César » a lieu au Globe Theatre de Londres le 21 septembre 1599, comme en témoigne le journal du médecin bâlois Thomas Platter. La pièce marque la transition entre les drames historiques et les grandes tragédies de Shakespeare. Elle puise sa source principale dans les « Vies parallèles » de Plutarque, traduites en anglais par Thomas North en 1579. Shakespeare condense habilement les événements historiques qui s’étendent sur plusieurs mois en une action dramatique resserrée sur quelques jours.
La structure dramatique de la pièce se démarque par son architecture originale à double foyer : César meurt au milieu de l’action mais son influence s’intensifie après sa disparition physique. Le célèbre « Et tu, Brute? » (« Toi aussi, Brutus ? ») résonne bien au-delà de la scène de l’assassinat. Son fantôme revient hanter Brutus, tandis que son nom est prononcé 219 fois au fil du texte, contre seulement 134 mentions pour Brutus. La pièce culmine avec le discours magistral de Marc Antoine devant le peuple romain, considéré comme l’un des plus grands morceaux d’éloquence politique du théâtre mondial.
Les adaptations de « Jules César » jalonnent l’histoire du théâtre et du cinéma. La production d’Orson Welles au Mercury Theatre en 1937 fait date en établissant des parallèles avec l’Italie fasciste. En 1953, Joseph L. Mankiewicz réalise une version cinématographique mémorable avec Marlon Brando dans le rôle de Marc Antoine. Plus récemment, la mise en scène new-yorkaise de 2017 suscite la polémique en présentant César sous les traits de Donald Trump, conduisant plusieurs sponsors à retirer leur soutien financier.
L’ambiguïté morale des personnages nourrit des interprétations contradictoires depuis quatre siècles. Ni César ni ses assassins ne se réduisent à des héros ou des scélérats sans nuances. Cette complexité psychologique, servie par une dramaturgie efficace qui mêle tensions politiques et conflits intimes, confère à la pièce une dimension universelle sur les mécanismes du pouvoir. En 1599, le contexte de sa création fait écho aux inquiétudes de l’Angleterre élisabéthaine sur la succession au trône, la reine refusant de désigner un héritier.
Aux éditions FOLIO ; 226 pages.
12. La Mégère apprivoisée (1593-1594)
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Résumé
Dans la ville italienne de Padoue, le riche Baptista Minola décrète qu’il ne mariera pas sa cadette Bianca, douce et courtisée, avant d’avoir trouvé un époux pour son aînée Katherina, redoutée pour son tempérament impossible. Cette situation désespère les prétendants de Bianca, notamment le jeune Lucentio, fraîchement arrivé de Pise. L’arrivée providentielle de Petruchio de Vérone, en quête d’une épouse fortunée, change la donne : peu lui importe la réputation de mégère de Katherina pourvu que la dot soit conséquente. S’engage alors un duel verbal et psychologique entre ces deux fortes têtes. Après un mariage rocambolesque où Petruchio se présente en haillons, il entreprend de « dresser » son épouse en la privant de nourriture et de sommeil, jusqu’à ce qu’elle se plie à ses exigences les plus absurdes.
Autour de la pièce
La genèse de « La Mégère apprivoisée » remonte probablement à 1592, à une période où les lois britanniques commencent à restreindre la violence conjugale, sans pour autant remettre en question la domination masculine. Shakespeare transforme alors un motif populaire médiéval, celui de l’épouse rebelle, en abandonnant les châtiments physiques au profit d’une domination psychologique plus subtile.
Les thématiques de l’argent et du langage imprègnent le texte. Les personnages masculins évaluent constamment la valeur marchande des femmes : Petruchio cherche explicitement une épouse fortunée, tandis que Gremio et Tranio enchérissent littéralement pour obtenir Bianca. Le pouvoir des mots constitue également un enjeu majeur, notamment dans l’affrontement entre Katherina et Petruchio. Ce dernier déstabilise systématiquement le langage de son épouse, allant jusqu’à lui faire nier l’évidence – comme lorsqu’elle doit accepter de voir la lune en plein jour.
La pièce suscite depuis des siècles des interprétations contradictoires. Le monologue final de Katherina sur l’obéissance divise particulièrement : soumission authentique pour certains, triomphe de l’ironie pour d’autres. Cette ambiguïté fondamentale nourrit la modernité de l’œuvre. George Bernard Shaw la qualifie en 1897 « d’insulte ignoble à la féminité », tandis que le metteur en scène Conall Morrison y décèle en 2008 une satire du patriarcat.
Les multiples adaptations témoignent de cette richesse interprétative. Au cinéma, Sam Taylor (1929) fait cligner de l’œil Mary Pickford pendant son discours final, suggérant la duplicité de Katherina. Franco Zeffirelli (1967) montre Elizabeth Taylor quittant la scène après sa tirade, forçant Richard Burton à la poursuivre. La comédie musicale « Kiss Me Kate » de Cole Porter (1948) remporte cinq Tony Awards en transposant l’intrigue dans les coulisses d’une troupe de théâtre. Le film « Dix bonnes raisons de te larguer » (1999) actualise brillamment les enjeux de la pièce dans un lycée américain.
L’influence persistante de « La Mégère apprivoisée » se manifeste également dans d’autres arts. Le ballet de John Cranko (1969) reste au répertoire du Ballet de Stuttgart. L’opéra « Sly » d’Ermanno Wolf-Ferrari (1927) développe le prologue en une tragédie autonome, tandis que la zarzuela « Las bravías » (1896) de Ruperto Chapí transpose l’action dans le Madrid populaire avec un succès retentissant.
Aux éditions FLAMMARION ; 228 pages.
13. Comme il vous plaira (1599-1600)
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Résumé
Dans cette comédie pastorale écrite vers 1599, Shakespeare met en scène une jeune femme, Rosalinde, fille du duc légitime détrôné par son frère cadet. Bien qu’initialement autorisée à demeurer à la cour auprès de sa cousine Célia, Rosalinde se voit contrainte à l’exil par son oncle tyrannique. Les deux cousines décident alors de fuir ensemble, accompagnées du bouffon Touchstone. Pour assurer leur sécurité, Rosalinde se déguise en homme sous le nom de Ganymède, tandis que Célia prend l’identité d’une humble bergère du nom d’Aliena. Leur périple les mène dans la forêt d’Arden, où s’est réfugié le duc banni avec ses fidèles.
Dans ces bois enchantés survient Orlando, un jeune gentilhomme persécuté par son frère aîné Oliver, qui a lui aussi trouvé refuge dans la forêt. Orlando et Rosalinde, qui s’étaient brièvement rencontrés et épris l’un de l’autre avant leur exil, se retrouvent sans qu’Orlando ne reconnaisse sa bien-aimée sous son déguisement masculin. S’ensuit alors un jeu de séduction où Rosalinde, toujours travestie, propose à Orlando de lui servir de substitut de sa bien-aimée pour l’aider à guérir de sa mélancolie amoureuse.
Autour de la pièce
La genèse de « Comme il vous plaira » remonte à 1599, alors que le Globe Theatre ouvrait ses portes à Londres. Cette comédie pastorale puise son inspiration dans « Rosalynde, or Euphues’ Golden Legacie » de Thomas Lodge, publié en 1590, lui-même influencé par « The Tale of Gamelyn », un conte médiéval du XIVe siècle.
Le cadre de l’action, la forêt d’Arden, revêt une double signification géographique et symbolique. Ce lieu évoque à la fois les Ardennes françaises et une région boisée du Warwickshire, proche de Stratford-upon-Avon, ville natale de Shakespeare. Cette dualité se reflète jusque dans le nom même du lieu, qui résonne avec celui de la mère du dramaturge, Mary Arden, dont la famille était enracinée dans cette région depuis plusieurs générations.
La musicalité constitue l’une des caractéristiques majeures de la pièce, qui contient plus de chansons qu’aucune autre œuvre de Shakespeare. Thomas Morley, contemporain du dramaturge et habitant de la même paroisse, a composé la musique de « It was a lover and his lass », l’une des plus célèbres mélodies de la pièce. Cette dimension musicale a inspiré de nombreux compositeurs à travers les siècles, de Gerald Finzi à Hans Werner Henze.
Les adaptations cinématographiques se succèdent depuis 1908, avec des interprétations qui renouvellent constamment la lecture de l’œuvre. La version de 1936 de Paul Czinner marque les débuts de Laurence Olivier dans Shakespeare à l’écran. Plus récemment, Kenneth Branagh transpose l’action dans le Japon du XIXe siècle dans son adaptation de 2006, avec Kevin Kline dans le rôle de Jacques.
La réception critique de la pièce suscite des débats passionnés. George Bernard Shaw y voit une œuvre de commande destinée à satisfaire le public, tandis que Léon Tolstoï critique l’immoralité des personnages. Harold Bloom, en revanche, considère Rosalinde comme l’un des personnages féminins les plus accomplis du théâtre shakespearien. Le jeu complexe des travestissements – un homme jouant une femme déguisée en homme qui prétend être une femme – continue d’interpeller la critique moderne, notamment dans le champ des études de genre.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 186 pages.
14. Antoine et Cléopâtre (1606-1607)
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Résumé
Marc Antoine, membre du triumvirat romain aux côtés d’Octave et Lépide, délaisse ses obligations politiques pour vivre une passion dévorante avec Cléopâtre, reine d’Égypte. Malgré un mariage stratégique avec Octavie, sœur d’Octave, il retourne auprès de sa maîtresse alexandrine. Cette décision déclenche un conflit avec Rome qui culmine lors de la bataille navale d’Actium. La fuite de Cléopâtre pendant l’affrontement entraîne la désertion d’Antoine, scellant sa défaite militaire. Croyant à tort que Cléopâtre s’est donné la mort, Antoine se suicide. La reine, refusant d’être exhibée en captive dans les rues de Rome, choisit de périr par le venin d’un aspic, rejoignant son amant dans la mort tandis qu’Octave s’impose comme premier empereur de Rome.
Autour de la pièce
L’entrée dans le « Stationers’ Register » (Registre des Libraires) de Londres en mai 1608 marque la première trace officielle d’ « Antoine et Cléopâtre », bien que la pièce ne soit imprimée qu’en 1623 dans le First Folio. Les spécialistes situent sa composition entre 1606 et 1607, période charnière où l’Angleterre élisabéthaine s’engage dans son expansion coloniale. Cette dimension politique transparaît dans la construction même de l’œuvre qui oppose Rome, symbole de l’ordre et de la raison, à l’Égypte, incarnation du désir et de la sensualité.
Shakespeare puise majoritairement dans la traduction anglaise des « Vies parallèles » de Plutarque par Thomas North, publiée en 1579. Il en tire non seulement la trame mais aussi des passages entiers, comme la célèbre description de la barge de Cléopâtre par Enobarbus. Néanmoins, il s’éloigne de sa source en développant les scènes de vie quotidienne et le personnage d’Enobarbus, tout en modifiant certains faits historiques pour servir la dramaturgie.
La structure monumentale en quarante scènes distinctes constitue une innovation majeure. Ces changements rapides entre Alexandrie, Rome, la Sicile et diverses provinces créent un rythme proche du montage cinématographique, bien avant l’invention du cinéma. Cette construction audacieuse explique en partie pourquoi la pièce reste peu jouée jusqu’au XIXe siècle, les contraintes techniques de l’époque ne permettant pas de rendre justice à cette mobilité géographique.
Le personnage de Cléopâtre suscite des interprétations contradictoires depuis quatre siècles. Les mises en scène oscillent entre la représentation d’une manipulatrice guidée par ses passions et celle d’une souveraine lucide maîtrisant son destin. Les plus grandes actrices s’y sont confrontées : Sarah Bernhardt en 1891, Vivien Leigh en 1951, Helen Mirren en 1982. L’influence de la pièce s’étend jusqu’à l’opéra avec « Antoine et Cléopâtre » de Samuel Barber en 1966, créé pour l’inauguration du nouvel opéra métropolitain de New York.
La dimension politique de l’œuvre résonne avec les débats contemporains sur la nature du pouvoir. Les critiques établissent des parallèles entre Cléopâtre et la reine Elizabeth I, tandis que la représentation d’Octave fait écho aux discussions sur l’absolutisme monarchique. Cette multiplicité des niveaux de lecture explique la pérennité de la pièce, régulièrement montée par les plus prestigieuses institutions théâtrales comme la Royal Shakespeare Company ou le National Theatre de Londres.
Aux éditions FLAMMARION ; 449 pages.
15. Le Conte d’hiver (1610-1611)
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Résumé
Dans la cour sicilienne du roi Leontes, une visite amicale vire au drame. Quand la reine Hermione convainc leur hôte Polixenes, roi de Bohême, de prolonger son séjour, une jalousie maladive s’empare de Leontes. Convaincu que l’enfant qu’attend son épouse est le fruit d’une trahison, il tente d’empoisonner Polixenes qui s’enfuit. Hermione, emprisonnée, donne naissance à une fille que le roi fait abandonner. L’oracle de Delphes proclame l’innocence de la reine mais Leontes, sourd à la vérité, poursuit son procès. À l’annonce de la mort de leur fils Mamillius, Hermione s’écroule et on la croit morte.
L’histoire rebondit seize ans plus tard en Bohême. La petite Perdita, sauvée et élevée par des bergers, s’est épanouie en une ravissante jeune femme. Elle s’éprend du prince Florizel, fils de Polixenes, qui la courtise sous un faux nom. Leur idylle découverte, ils fuient la colère du roi de Bohême et trouvent refuge en Sicile, où Leontes vit dans le remords. Les retrouvailles permettent la reconnaissance de Perdita et la réconciliation des souverains. Le miracle final voit une prétendue statue d’Hermione s’animer : la reine, vivante, accorde son pardon.
Autour de la pièce
Classé parmi les « romances tardives » de Shakespeare, « Le Conte d’hiver » prend sa source dans « Pandosto », un roman pastoral de Robert Greene publié en 1588. La première représentation attestée date du 5 novembre 1611 au Globe Theatre, suivie d’une représentation à la cour le 14 février 1613 pour célébrer le mariage de la princesse Élisabeth avec l’électeur palatin Frédéric V.
Shakespeare conserve la trame principale de « Pandosto » mais transforme radicalement le dénouement. Là où Greene fait mourir la reine et pousse le roi au suicide, Shakespeare choisit la voie de la rédemption et du pardon. Cette modification majeure s’accompagne d’un renversement géographique : l’action qui se déroulait en Bohême dans « Pandosto » se transpose en Sicile, et inversement. Cette transposition géographique suscite d’ailleurs les railleries de Ben Jonson, qui se moque de l’existence d’une côte maritime en Bohême, territoire continental.
La structure de la pièce rompt avec les conventions théâtrales de l’époque. Un saut temporel de seize ans sépare les trois premiers actes, marqués par la tragédie, des deux derniers qui basculent dans la comédie pastorale. Cette rupture s’incarne dans l’apparition allégorique du Temps lui-même sur scène, qui justifie ce bond chronologique. La pièce oscille ainsi entre deux tonalités : la violence de la cour sicilienne contraste avec l’innocence de la Bohême rurale.
Les mises en scène se succèdent depuis quatre siècles. David Garrick propose en 1758 une adaptation intitulée « Florizel et Perdita ». Au XIXe siècle, la production de Charles Kean en 1856 marque les esprits par ses décors et costumes somptueux. Peter Brook monte la pièce en 1951 à Londres avec John Gielgud. Plus récemment, en 2015, Kenneth Branagh met en scène une version avec Judi Dench dans le rôle de Paulina. La pièce inspire également d’autres formes artistiques : Philippe Boesmans compose en 1999 l’opéra « Wintermärchen », et Christopher Wheeldon crée en 2014 un ballet pour le Royal Ballet.
La scène finale, où la statue d’Hermione s’anime, constitue l’un des coups de théâtre les plus audacieux du répertoire élisabéthain. Cette résurrection symbolique fait écho au mythe de Pygmalion et pose la question du pouvoir de l’art à transcender la réalité. Ce dénouement merveilleux répond à la violence initiale et accomplit la transformation d’une tragédie de la jalousie en conte de la réconciliation.
Aux éditions FOLIO ; 227 pages.