Sorj Chalandon est un journaliste et écrivain français né le 16 mai 1952 à Tunis. Son prénom de naissance est Georges, qu’il modifie pour Sorj, surnom donné par sa grand-mère. Marqué par une enfance difficile sous l’emprise d’un père violent et mythomane, il s’émancipe à 17 ans.
Sa carrière journalistique débute dans les années 1970 à Libération où il travaille jusqu’en 2007, notamment comme grand reporter et rédacteur en chef adjoint. Ses reportages sur l’Irlande du Nord et le procès Klaus Barbie lui valent le prestigieux prix Albert-Londres en 1988. Depuis 2009, il est journaliste au Canard enchaîné.
En parallèle, Sorj Chalandon mène une brillante carrière d’écrivain. Il reçoit plusieurs distinctions majeures : le prix Médicis en 2006 pour « Une promesse », le Grand Prix du roman de l’Académie française en 2011 pour « Retour à Killybegs » et le prix Goncourt des lycéens en 2013 pour « Le Quatrième mur ».
Son œuvre s’inspire souvent de son histoire personnelle, comme dans « Profession du père » (2015) qui évoque son enfance, ou d’événements historiques comme dans « Le Jour d’avant » (2017) sur la catastrophe minière de Liévin-Lens.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. L’enragé (2023)
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À Belle-Île-en-Mer, dans les années 1920, se dresse une « maison d’éducation surveillée » – en réalité un bagne pour enfants. Jules Bonneau y débarque à 13 ans, petit voleur de la Mayenne dont plus personne ne veut. Dans cet univers de violence où règnent coups, humiliations et travail forcé, le gamin abandonné se forge une carapace. Il devient « La Teigne », redouté pour sa férocité.
Une soirée d’août 1934, l’étincelle jaillit : un gamin est sauvagement battu pour avoir mangé son fromage avant sa soupe. La révolte gronde, cinquante-six jeunes forcent les murs. Sur l’île, la traque s’organise, habitants et estivants se lancent dans une sinistre « chasse à l’enfant » pour vingt francs la prise. Tous sont repris sauf Jules. Recueilli par un couple de pêcheurs communistes, il découvre qu’une autre vie est possible, alors que monte la menace du fascisme en Europe.
Ces enfants brisés de Belle-Île, que Jacques Prévert immortalisa dans son poème « La chasse à l’enfant », revivent sous nos yeux sans pathos ni artifices. Les phrases courtes claquent comme les coups reçus. La violence physique et morale suinte de chaque page sans jamais tomber dans le sensationnalisme. Cette histoire vraie entre en résonance avec la propre enfance meurtrie de Sorj Chalandon. Un hymne à la résilience et à la fraternité.
Aux éditions GRASSET ; 416 pages.
2. Mon traître (2008)
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« Mon traître » (2008) et « Retour à Killybegs » (2011) forment un diptyque qui aborde la même histoire sous deux angles différents. Dans « Mon traître », nous suivons le point de vue d’Antoine, alter ego de Sorj Chalandon, qui découvre la trahison de son ami Tyrone Meehan. « Retour à Killybegs » adopte la perspective opposée, celle du traître lui-même. Tyrone Meehan y raconte son histoire, les raisons qui l’ont poussé à collaborer avec les services secrets britanniques pendant 25 ans.
En 1977, Antoine mène une existence tranquille de luthier à Paris quand un client lui parle de l’Irlande du Nord. Quelques mois plus tard, il pose le pied à Belfast et sa vie bascule. Dans cette ville déchirée par la guerre civile, il se lie d’amitié avec des militants catholiques de l’IRA, notamment Tyrone Meehan, un vétéran respecté qui devient son mentor et l’appelle « fils ».
Pendant vingt-cinq ans, Antoine partage leurs combats contre l’occupant britannique. Il vit au rythme des manifestations, des attentats, des emprisonnements. Belfast devient sa seconde patrie, ses amis irlandais sa famille de cœur. Jusqu’au jour où Tyrone avoue avoir été un agent double au service des Anglais durant toutes ces années. Pour Antoine, c’est l’effondrement d’un monde bâti sur la confiance et la fraternité.
Ce récit tire sa sève d’une histoire vraie : celle de l’amitié entre Sorj Chalandon et Denis Donaldson, membre éminent de l’IRA démasqué comme informateur en 2005. La trame oscille entre passé et présent, construisant pierre à pierre le portrait d’une amitié trahie qui continue pourtant de hanter celui qui l’a vécue.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 224 pages.
3. Retour à Killybegs (2011)
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« Mon traître » (2008) et « Retour à Killybegs » (2011) forment un diptyque qui aborde la même histoire sous deux angles différents. Dans « Mon traître », nous suivons le point de vue d’Antoine, alter ego de Sorj Chalandon, qui découvre la trahison de son ami Tyrone Meehan. « Retour à Killybegs » adopte la perspective opposée, celle du traître lui-même. Tyrone Meehan y raconte son histoire, les raisons qui l’ont poussé à collaborer avec les services secrets britanniques pendant 25 ans.
En décembre 2006, Tyrone Meehan, figure respectée de l’IRA, avoue avoir trahi son camp pendant vingt-cinq ans. À 81 ans, il retourne dans sa maison natale de Killybegs, un village irlandais, pour y attendre la mort qu’il sait inévitable. Dans ce refuge désolé, il entreprend de coucher sur papier sa vérité, avant que d’autres ne parlent à sa place.
Son récit remonte aux années 1930, dans une Irlande meurtrie par la pauvreté. Fils d’un patriote alcoolique et violent, Tyrone grandit dans la haine des Britanniques. À Belfast, il rejoint rapidement les rangs de l’IRA et devient un combattant exemplaire. Prison, torture, grèves de la faim – rien n’entame sa détermination. Jusqu’au jour où un événement imprévu le pousse dans les filets des services secrets britanniques. Commence alors une double vie qui durera plus de deux décennies.
Ce livre a valu à Sorj Chalandon le Grand Prix du roman de l’Académie française en 2011. L’histoire s’inspire de faits réels : Denis Donaldson, ami proche de l’auteur et figure historique de l’IRA, fut assassiné en 2006 après avoir révélé sa collaboration avec les Britanniques. Les scènes de prison, notamment celles décrivant la grève de l’hygiène où les détenus barbouillent les murs de leurs excréments, frappent par leur crudité. Entre chronique politique et drame intime, le texte interroge la complexité des choix individuels face aux idéaux collectifs.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 336 pages.
4. Le quatrième mur (2013)
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Paris, 1974. Georges, étudiant militant d’extrême-gauche, rencontre Samuel Akounis, un metteur en scène juif grec qui a fui la dictature des colonels. Les deux hommes se lient d’une profonde amitié, unis par leur passion du théâtre et leurs convictions politiques. Huit ans plus tard, Samuel, atteint d’un cancer en phase terminale, confie à Georges une mission insensée : monter l’Antigone d’Anouilh à Beyrouth, en pleine guerre civile, avec des acteurs issus de tous les camps en conflit.
Georges quitte sa femme et sa petite fille pour tenir sa promesse. À Beyrouth, il tente l’impossible : réunir sur scène une Palestinienne, un Druze, un Maronite, des Chiites et une Chaldéenne. Le temps des répétitions, les ennemis doivent oublier leurs haines pour incarner les personnages d’Anouilh. Mais dans une ville déchirée par les bombardements et les massacres, le rêve de paix se heurte à la brutale réalité de la guerre.
Prix Goncourt des lycéens 2013, « Le quatrième mur » puise sa force dans l’expérience de grand reporter de Sorj Chalandon au Liban. Les scènes de guerre, d’une violence insoutenable, s’entrechoquent avec la grâce éphémère du théâtre. La prose nerveuse frappe comme une rafale, tandis que l’histoire d’amitié entre Georges et Samuel irradie le texte de sa lumière tragique. Un livre qui laisse des traces indélébiles.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 336 pages.
5. Le Jour d’avant (2017)
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En décembre 1974, un coup de grisou ravage la fosse Saint-Amé de Liévin dans le Nord de la France, tuant quarante-deux mineurs. Pour Michel Flavent, seize ans, c’est le début d’un long calvaire : son frère Joseph, mineur comme tant d’autres dans cette région, succombe à ses blessures quelques jours après la catastrophe. Son père, incapable de surmonter le deuil, se suicide en laissant un mot à son fils cadet : « Venge-nous de la mine. »
Quarante ans plus tard, Michel n’a jamais oublié. Installé en région parisienne où il exerce le métier de routier, il accumule dans son garage tout ce qui se rapporte à la mine : coupures de presse, objets, témoignages. À la mort de sa femme Cécile, il décide de retourner dans le Nord pour accomplir sa vengeance. Sa cible : Lucien Dravelle, l’ancien contremaître responsable de la sécurité qu’il tient pour responsable du drame.
Cette histoire de vengeance se mue peu à peu en une réflexion sur la culpabilité, le déni et le poids du mensonge. Sorj Chalandon s’est inspiré de son expérience de jeune journaliste à Libération, marqué à vie par ce drame qu’il avait couvert à l’époque. Les mots sonnent juste, sans pathos ni artifices, pour décrire la dureté du quotidien des mineurs, la fraternité qui les unit et l’indifférence d’une société qui les a sacrifiés au nom du profit.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 360 pages.
6. Profession du père (2015)
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Lyon, début des années 1960. Le jeune Émile grandit dans un huis clos étouffant avec des parents qui ne reçoivent jamais personne. Son père affirme avoir été l’ami personnel du général de Gaulle avant de rejoindre l’OAS pour le combattre. Ce mythomane à l’imagination débordante prétend également avoir été chanteur, champion de judo, pasteur ou encore agent secret. Mais derrière ses fabulations se cache un homme violent qui martyrise son fils à coups de ceinture et l’enferme des nuits entières dans une armoire.
Sous la coupe d’un père délirant qui le forme au métier d’espion et d’une mère murée dans un silence complice, l’adolescent fermente dans cette folie familiale. Il accepte les missions insensées confiées par son père : surveiller les « ennemis », transmettre des messages codés, préparer l’assassinat de de Gaulle. Jusqu’au jour où, à force de reproduire ce schéma sur un camarade de classe, il provoque un drame qui le confronte brutalement à la réalité.
Cette autofiction bouleversante de Sorj Chalandon a attendu la mort du père pour voir le jour. Les phrases brèves claquent comme des gifles tandis qu’un humour noir vient parfois alléger le récit des délires paternels. Le texte oscille en permanence entre l’effroi face à la cruauté et le rire jaune devant l’absurdité des situations.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 288 pages.
7. Enfant de salaud (2021)
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« Ton père portait l’uniforme allemand. Tu es un enfant de salaud. » Cette phrase, prononcée par son grand-père en 1962, hantera Sorj Chalandon toute sa vie. Lui qui admirait ce père aux récits héroïques de résistant découvre qu’il était « du mauvais côté » pendant la guerre. En 1987, alors qu’il couvre le procès de Klaus Barbie pour le journal Libération, il accède enfin au dossier judiciaire de son père.
Les documents révèlent un opportuniste qui a changé de camp comme on change de chemise : tour à tour soldat français, légionnaire vichyste, auxiliaire allemand, maquisard et même membre des forces américaines. Mythomane invétéré, ce père violent s’est inventé une épopée glorieuse, allant jusqu’à prétendre avoir combattu dans le bunker d’Hitler. Dans la salle d’audience où défilent les victimes de Klaus Barbie, le fils scrute ce père vieillissant, guettant un signe de repentir qui ne viendra jamais.
La force du livre tient dans ce double mouvement : tandis que se déroule le procès du criminel nazi, un autre procès se joue, plus intime. Les paroles glaçantes des survivants d’Izieu se mêlent aux mensonges d’un père qui refuse obstinément la vérité. Cette superposition – en réalité fictive puisque Chalandon n’a découvert le dossier qu’en 2020 – donne au texte sa puissance singulière, celle d’un fils qui cherche moins à condamner qu’à comprendre.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 336 pages.
8. La légende de nos pères (2009)
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Marcel Frémaux exerce le métier de biographe familial à Lille. Il rédige sur commande les souvenirs de gens ordinaires qui souhaitent laisser une trace écrite à leurs proches. Fils d’un ancien résistant mort sans lui avoir vraiment parlé de son passé, il accepte en 2003 la proposition de Lupuline Beuzaboc : écrire l’histoire de son père, lui aussi résistant pendant l’Occupation.
Les rencontres avec le vieil homme de 84 ans débutent dans la chaleur étouffante de l’été. Mais très vite, le doute s’installe. Les récits de Beuzaboc, ces histoires de sabotages et d’actes héroïques qu’il racontait jadis à sa fille, sonnent faux. Le biographe se retrouve alors face à un dilemme moral : révéler la supercherie au risque de briser une relation filiale, ou perpétuer le mythe d’un héros imaginaire.
Les grandes thématiques de la Résistance et de la Seconde Guerre mondiale s’effacent ici devant une question plus intime : que transmettons-nous à nos enfants ? Deux figures paternelles s’opposent : le résistant authentique qui s’est tu jusqu’à sa mort, et l’imposteur qui a brodé des légendes pour sa fille. Le texte décortique avec une précision clinique les mécanismes du mensonge et de la mythologie familiale, sans jamais juger ses personnages. La canicule de 2003 sert de toile de fond étouffante à ces face-à-face où la vérité peine à émerger.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 256 pages.
9. Une promesse (2006)
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Dans un petit village de Mayenne, sept amis se relaient chaque jour pour visiter la maison de Ker Ael. Chacun y accomplit un rituel précis : l’un ouvre les volets, l’autre dispose des fleurs, un troisième lit des poèmes à voix haute. Tous se retrouvent ensuite au café du Bosco pour boire le verre de la promesse. Cette étrange routine dure depuis dix mois, orchestrée par Lucien Pradon dit le Bosco, tenancier du bar et frère cadet d’Étienne, l’ancien propriétaire de Ker Ael.
Car Étienne et sa femme Fauvette ne sont plus. Mais la promesse, que le Bosco a arrachée à ses amis, vacille peu à peu. Les gestes rituels perdent leur sens, l’usure guette. Le temps est-il venu de laisser les morts rejoindre leur royaume ?
Ce roman couronné par le Médicis 2006 touche au plus profond car il parle de l’essentiel : l’amour qui survit à la mort, l’amitié qui défie le temps. La puissance du texte tient dans sa retenue même. Pas de grands gestes, pas d’effets de manche : juste une bande d’amis qui tentent de retenir leurs morts un peu plus longtemps. La magie surgit du quotidien le plus banal : une cloche qui tinte, des volets qu’on ouvre, des fleurs qu’on dispose.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 224 pages.
10. Une joie féroce (2019)
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Paris, 2017. Jeanne, une libraire de 39 ans, apprend qu’elle a un cancer du sein. Cette femme effacée doit faire face non seulement à la maladie, mais aussi à la lâcheté de son mari Matt qui, ne supportant pas de la voir souffrir, l’abandonne. Déjà fragilisée par la perte de leur fils Jules quelques années plus tôt, Jeanne se retrouve seule face à la maladie.
C’est lors d’une séance de chimiothérapie à l’hôpital qu’elle rencontre Brigitte, puis Assia et Melody. Ces trois femmes, elles aussi marquées par la vie et la maladie, l’accueillent dans leur appartement et deviennent ses « sœurs d’armes ». Ensemble, elles décident de braver l’impossible : organiser le braquage d’une grande bijouterie parisienne pour réunir la somme nécessaire à la libération de la fille de Melody, retenue en otage en Russie par son père.
Le cancer comme moteur de métamorphose, tel est le pari audacieux de ce livre né de l’expérience personnelle de l’auteur : Sorj Chalandon l’a écrit alors que sa femme et lui luttaient simultanément contre le cancer. Pour la première fois, il adopte un point de vue féminin et délaisse les thèmes historiques ou politiques qui ont fait sa renommée. Le texte oscille entre la description réaliste et poignante du quotidien des malades et une intrigue plus romanesque qui célèbre l’aventure collective avec quatre femmes qui décident de prendre leur revanche sur la vie.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 320 pages.