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Ernst Jünger en 2 livres – Notre sélection

Ernst Jünger (1895-1998) est un écrivain allemand majeur du XXe siècle, témoin et acteur de son temps. À 19 ans, il s’engage dans la Première Guerre mondiale où il se distingue par sa bravoure, recevant la prestigieuse croix « Pour le Mérite » après avoir été blessé quatorze fois. Son récit de guerre « Orages d’acier » (1920) le rend célèbre.

Dans l’entre-deux-guerres, il devient une figure intellectuelle de la révolution conservatrice sous la République de Weimar. Lors de l’avènement du nazisme, il refuse toute collaboration avec le régime. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il sert comme officier d’état-major dans le Paris occupé, où il fréquente les milieux littéraires et artistiques tout en tenant un journal critique du régime nazi. Son roman « Sur les falaises de marbre » (1939) est considéré comme une allégorie contre la barbarie nazie.

Après la guerre, il s’installe à Wilflingen où il poursuit son œuvre littéraire, développant une pensée plus individualiste et anarchisante. Passionné d’entomologie, il voyage à travers le monde pour étudier les coléoptères. Il reçoit le prix Goethe en 1982 malgré la controverse liée à son passé. Se convertissant au catholicisme en 1996, il meurt à 102 ans en 1998, laissant une œuvre considérable comprenant des récits de guerre, des romans, des essais et des journaux intimes.

Voici notre sélection de ses livres majeurs.


1. Orages d’acier (récit autobiographique, 1920)

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En décembre 1914, Ernst Jünger, un jeune Allemand de 19 ans, s’engage volontairement dans l’armée et part pour le front occidental. D’abord simple soldat puis rapidement promu lieutenant, il combat pendant quatre ans dans les tranchées du nord de la France, de la Champagne aux Flandres en passant par la Somme. Ses carnets de guerre, tenus quotidiennement au milieu des combats, constituent la matière première de ce récit autobiographique publié en 1920.

La guerre que découvre le jeune officier n’a rien de l’aventure chevaleresque espérée. Dans la boue des tranchées, sous un déluge permanent d’obus et de balles, les hommes s’enterrent comme des taupes. Les assauts répétés ne gagnent que quelques mètres de terrain, aussitôt reperdus dans des contre-attaques sanglantes. Entre deux offensives, la mort rôde : tireurs embusqués, bombardements aveugles, gaz toxiques. Blessé quatorze fois, Jünger survit miraculeusement à cette boucherie industrielle qui décime ses camarades les uns après les autres.

Ce qui frappe dans ce témoignage, c’est l’absence totale de haine envers l’ennemi. Jünger parle avec respect des soldats anglais et français qu’il affronte. Il décrit sans pathos ni jugement moral la réalité brutale des combats : les corps déchiquetés, l’odeur des cadavres en décomposition, la peur et l’épuisement des hommes. Le jeune lieutenant reste stoïque face à l’horreur, comme anesthésié par la violence quotidienne.

Publié dans une Allemagne humiliée par la défaite, le livre connaît un succès immédiat. André Gide le considère comme « le plus beau livre de guerre » jamais écrit. À rebours des récits pacifistes comme « À l’Ouest rien de nouveau », « Orages d’acier » ne dénonce pas la guerre mais la décrit comme une expérience initiatique, presque mystique. Cette vision singulière, qui mêle fascination esthétique et froide objectivité, en fait un document historique de premier ordre sur la Première Guerre mondiale.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 379 pages.


2. Sur les falaises de marbre (roman, 1939)

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À l’écart du monde, dans une contrée baptisée Marina, deux frères ont trouvé refuge sur des falaises de marbre. Le narrateur et Othon, tous deux vétérans d’une guerre passée, se consacrent désormais à l’étude minutieuse des plantes. Dans leur ermitage où règne une atmosphère monacale, ils constituent un vaste herbier sous le regard bienveillant de leur gouvernante Lampusa et du jeune Erio, fils du narrateur.

Mais cette tranquillité n’est qu’apparente. Au nord du territoire, dans les profondeurs de la forêt, le Grand Forestier étend peu à peu son emprise. Ses hommes sèment le chaos dans la région, détruisant méthodiquement l’ordre ancien. Le prince Sunmyra tente de s’opposer à cette force destructrice, mais son combat s’avère vain. Bientôt, la violence déferle sur Marina : les maisons brûlent, les institutions s’effondrent, la barbarie triomphe. Le narrateur et son frère n’ont d’autre choix que de fuir vers Alta Plana, abandonnant leur précieux herbier aux flammes.

Ce roman paru en 1939 en Allemagne fut immédiatement perçu comme une critique voilée du régime nazi. Philipp Bouhler, responsable de la censure, réclama son interdiction. Goebbels lui-même aurait exigé l’internement de Jünger en camp de concentration. Seule l’admiration d’Hitler pour l’auteur, héros décoré de la Première Guerre mondiale, aurait empêché ces représailles. Paradoxalement, la Wehrmacht fit imprimer 20 000 exemplaires du livre pour ses « bibliothèques du front » en 1942.

L’œuvre transcende pourtant la simple allégorie politique. La figure du Grand Forestier incarne aussi bien Hitler que Staline, ou tout autre tyran. Ce qui importe n’est pas tant l’identité du despote que la description du mécanisme implacable par lequel une civilisation bascule dans la barbarie. Julien Gracq, qui se lia d’amitié avec Jünger, s’en inspira pour son « Rivage des Syrtes ». En 2002, le compositeur Giorgio Battistelli adapta le roman en opéra, preuve de sa résonance durable.

Aux éditions GALLIMARD ; 196 pages.

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