Richard Matheson (1926-2013) est un écrivain et scénariste américain majeur de science-fiction et d’épouvante. Né de parents norvégiens à Allendale, New Jersey, il développe très tôt un goût pour l’écriture. Il publie sa première nouvelle dès l’âge de huit ans dans le quotidien The Brooklyn Eagle.
Après avoir servi dans l’armée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale, il obtient un diplôme de journalisme et s’installe en Californie en 1949 pour se consacrer à l’écriture. Sa carrière décolle avec la publication de sa nouvelle « Le Journal d’un monstre » (1950), suivie de deux romans devenus des classiques : « Je suis une légende » (1954) et « L’homme qui rétrécit » (1956).
Matheson mène ensuite une brillante carrière parallèle d’écrivain et de scénariste. Il écrit pour des séries télévisées emblématiques comme « La Quatrième Dimension » et « Star Trek », et scénarise « Duel » (1971), le téléfilm qui lance la carrière de Steven Spielberg. Son œuvre comprend plus de 200 nouvelles et de nombreux romans, dont beaucoup ont été adaptés au cinéma.
Reconnu par ses pairs, il a influencé de nombreux artistes, notamment Stephen King et George A. Romero. Il a reçu plusieurs distinctions prestigieuses, dont le Prix Hugo et le Prix World Fantasy. Richard Matheson s’est éteint à Los Angeles le 23 juin 2013, à l’âge de 87 ans, laissant derrière lui un héritage considérable dans les domaines de la science-fiction et du fantastique.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Je suis une légende (1954)
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Résumé
Dans un Los Angeles post-apocalyptique des années 1970, Robert Neville lutte pour sa survie. Une pandémie dévastatrice a décimé l’humanité. Les quelques survivants se sont transformés en vampires qui craignent la lumière du jour. Seul être humain encore en vie, il passe ses journées à chasser méthodiquement ces créatures dans leurs repaires, et ses nuits retranché dans sa maison assiégée par des hordes assoiffées de sang.
Les jours se suivent, se ressemblent. Entre deux verres de whisky, cet homme ordinaire tente de comprendre l’origine du fléau qui lui a arraché sa femme et sa fille. Il dévore les ouvrages scientifiques, multiplie les expériences, cherche désespérément un sens à sa survie solitaire. L’apparition d’un chien errant, puis d’une femme énigmatique, vient rompre son isolement. Mais ces rencontres porteuses d’espoir dissimulent une réalité glaçante.
Autour du livre
Publié en 1954, « Je suis une légende » de Richard Matheson révolutionne le mythe du vampire en lui donnant une explication rationnelle et scientifique. Cette approche novatrice transforme les traditionnelles créatures surnaturelles en victimes d’une épidémie bactérienne, inaugurant ainsi un nouveau sous-genre qui influencera profondément la science-fiction et l’horreur.
La force du récit réside dans son traitement psychologique du protagoniste Robert Neville, dernier homme sur Terre confronté à une solitude écrasante. Son quotidien oscille entre routine obsessionnelle le jour et enfermement angoissant la nuit, ponctué par les assauts des vampires et les appels lancinants de son ancien voisin Ben Cortman. Cette situation extrême pousse Neville vers l’alcoolisme et des crises de folie, tout en maintenant une quête acharnée de compréhension scientifique du phénomène qui a décimé l’humanité.
Stephen King reconnaît ouvertement sa dette envers ce texte qui l’a profondément inspiré. George Romero avoue également que « La Nuit des morts-vivants » trouve son origine dans une relecture du roman de Matheson. Cette influence s’étend jusqu’aux productions contemporaines comme « 28 jours plus tard », qui reprend le concept d’une épidémie transformant brutalement la société.
Le renversement final constitue la véritable puissance du récit : Neville comprend qu’il est devenu lui-même le monstre, celui qui terrorise la nouvelle société émergente : « C’est la majorité qui définit la norme, non les individus isolés ». Cette réflexion sur la normalité et la monstruosité fait écho aux questionnements de l’après-guerre et de la Guerre froide, période durant laquelle le roman a été écrit.
En 2012, l’Horror Writers Association décerne à « Je suis une légende » le prix spécial du « Roman de vampire du siècle », consacrant son statut d’œuvre majeure. Les multiples adaptations cinématographiques, bien que s’éloignant souvent du matériau original, témoignent de la puissance évocatrice du concept initial. Toutefois, seule la version de 1964 avec Vincent Price, « The Last Man on Earth », bénéficie d’un scénario partiellement écrit par Matheson lui-même, sous le pseudonyme de Logan Swanson.
Aux éditions FOLIO ; 240 pages.
2. L’homme qui rétrécit (1956)
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Résumé
Dans les années 1950, Scott Carey mène une vie ordinaire avec sa femme Louise et leur fille Beth. Un jour, lors d’une sortie en bateau, il est exposé à une mystérieuse brume radioactive. Quelques semaines plus tard, il commence à rétrécir inexorablement de quelques millimètres chaque jour.
Le récit s’ouvre alors que Scott ne mesure plus que quelques centimètres et se retrouve piégé dans sa cave, devenue un territoire hostile où une simple araignée ou la moindre goutte d’eau représentent une menace mortelle. À travers une série de flash-backs, on découvre les étapes de sa diminution : la perte progressive de son statut social, l’effritement de ses relations familiales, son impuissance grandissante face à un monde qui le dépasse littéralement.
Autour du livre
Au milieu des années 1950, Richard Matheson rédige « L’homme qui rétrécit » dans le sous-sol de sa maison de Long Island, un lieu qui deviendra emblématique puisqu’il y situe les scènes les plus angoissantes de son récit. L’idée germe dans son esprit après avoir vu une scène de la comédie « Let’s Do It Again », où Ray Milland enfile par mégarde le chapeau trop grand d’Aldo Ray. Cette image banale suffit à déclencher chez Matheson un questionnement : que se passerait-il si un homme mettait son propre chapeau et qu’il lui paraisse soudain trop grand ?
La narration se révèle particulièrement efficace : le récit alterne entre le présent où Scott Carey lutte pour sa survie dans une cave devenue hostile, et des flash-back qui retracent sa lente diminution. Cette structure fragmentée renforce le sentiment de désorientation du protagoniste et accentue la tension dramatique. Les chapitres portent d’ailleurs comme sous-titre la taille du personnage (1m73, 90cm, 18cm…), marquant ainsi inexorablement sa régression physique.
Matheson transcende les frontières de la simple histoire fantastique pour dépeindre une allégorie sociale de l’Amérique des années 1950. La perte progressive de stature de Scott symbolise la fragilisation du statut de l’homme blanc de classe moyenne dans la société d’après-guerre. Sa relation avec sa femme Lou se détériore à mesure qu’il rapetisse : d’époux respecté, il devient un être infantilisé puis un objet de pitié. Les médias le transforment en bête de foire, sa fille ne le considère plus comme une figure paternelle.
Stephen King, dans son essai « Anatomie de l’horreur », souligne la dimension psychologique du roman : Scott incarne selon lui « l’un des symboles les plus inspirés de la dévaluation des valeurs humaines dans la société moderne ». La puissance du texte réside dans sa capacité à transformer des objets quotidiens en menaces mortelles : une araignée devient un monstre terrifiant, un chat se mue en prédateur redoutable, une simple cave se change en territoire hostile peuplé de dangers.
Si Matheson reconnaît lui-même que certains aspects scientifiques de son roman ne tiennent pas la route (comme la peur des chutes qui ne devraient pas être mortelles pour un être si petit), il parvient néanmoins à créer une œuvre qui dépasse les limites du genre. Il conjugue habilement aventure et réflexion métaphysique, notamment dans sa conclusion où Scott comprend que sa diminution ne signifie pas sa disparition mais son accès à un autre niveau de réalité.
L’impact culturel de « L’homme qui rétrécit » s’avère considérable : adapté dès 1957 au cinéma par Jack Arnold avec un scénario du romancier lui-même, il inspire également une version au féminin en 1981, « The Incredible Shrinking Woman ». Stephen King dans sa nouvelle « Élévation » (2018) rend explicitement hommage à Matheson en nommant son protagoniste Scott Carey.
Aux éditions FOLIO ; 272 pages.
3. La maison des damnés (1971)
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Résumé
1970. Un richissime vieillard propose 100 000 dollars à quatre personnes pour séjourner une semaine dans la maison Belasco, surnommée « la Maison des damnés ». Sa motivation ? Découvrir si la vie continue après la mort. Cette demeure du Maine traîne une réputation sinistre : son ancien propriétaire, Emeric Belasco, y organisait des festivités qui viraient à l’orgie et au meurtre. La demeure est désormais réputée pour être la plus hantée d’Amérique. Deux expéditions précédentes s’y sont soldées par des suicides et des internements.
L’équipe se compose du Dr Barrett, un parapsychologue cartésien convaincu de pouvoir expliquer scientifiquement les phénomènes paranormaux, de son épouse Edith, de Florence Tanner, une médium spiritualiste, et de Benjamin Fischer, seul survivant d’une précédente expédition qui avait tourné au drame trente ans plus tôt.
Très vite, des manifestations inquiétantes surviennent. La maison semble exploiter les failles psychologiques de chacun : le scepticisme borné de Barrett, la sensibilité exacerbée de Florence, les traumatismes de Fischer, les peurs refoulées d’Edith. L’expérience scientifique vire au cauchemar.
Autour du livre
Publié en 1971, « La maison des damnés » s’inscrit dans la lignée des grands classiques du roman de maison hantée tout en renouvelant considérablement le genre. Richard Matheson y confronte science et surnaturel à travers une approche novatrice qui mêle parapsychologie et horreur viscérale. La structure narrative, découpée en journées puis en heures précises, installe une tension croissante qui culmine dans des scènes d’une rare intensité.
Les personnages incarnent différentes visions du paranormal : le Dr Barrett représente le rationalisme scientifique poussé à l’extrême, tandis que Florence Tanner incarne une approche spiritualiste et mystique. Entre les deux, Benjamin Fischer, seul survivant d’une précédente tentative d’investigation, apporte une dimension traumatique qui ajoute à la complexité psychologique du récit. Cette confrontation d’approches antagonistes enrichit considérablement la dynamique du groupe et pose la question fondamentale de la nature des phénomènes observés.
L’atmosphère oppressante de la maison Belasco, avec ses fenêtres murées et son passé sulfureux, devient un personnage à part entière. Les descriptions des orgies et atrocités qui s’y sont déroulées sous l’égide d’Emeric Belasco contribuent à créer un sentiment de malaise qui va bien au-delà des simples manifestations surnaturelles. Stephen King considère d’ailleurs cet ouvrage comme « la plus terrifiante histoire de maison hantée jamais écrite ».
Le roman frappe par son audace pour l’époque, abordant frontalement des thèmes comme la sexualité déviante et la violence psychologique. Les scènes de possession et d’attaques surnaturelles se teintent souvent de connotations érotiques, reflétant peut-être les tabous d’une société américaine encore profondément puritaine au début des années 70.
Deux adaptations majeures ont contribué à la postérité de l’œuvre : un film en 1973, dont Matheson lui-même signe le scénario, et une série de comics publiée par IDW Publishing en 2004. Plus récemment, Mike Flanagan envisageait d’en faire une saison de son anthologie « The Haunting », mais n’a pu obtenir les droits. L’influence de « La maison des damnés » se ressent dans de nombreuses œuvres ultérieures du genre, ayant établi plusieurs codes devenus des standards du récit de maison hantée. La confrontation entre approche scientifique et spirituelle des phénomènes paranormaux, en particulier, ouvre une voie qui sera largement reprise par la suite.
Aux éditions J’AI LU ; 352 pages.
4. Le jeune homme, la mort et le temps (1975)
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Résumé
En 1971, Richard Collier, un scénariste de 36 ans, apprend qu’une tumeur au cerveau ne lui laisse que quelques mois à vivre. Il décide alors de quitter Los Angeles pour un dernier périple qui le mène à l’Hotel del Coronado, un palace historique de San Diego. Dans le petit musée de l’établissement, il découvre le portrait d’Elise McKenna, une célèbre comédienne de théâtre de la fin du XIXe siècle, et en tombe éperdument amoureux.
Obsédé par cette femme disparue depuis des décennies, Richard se plonge dans des recherches sur sa vie et découvre qu’elle n’a jamais été mariée. Un mystérieux événement survenu en novembre 1896 dans ce même hôtel aurait marqué un tournant dans sa carrière. Convaincu qu’il doit la rejoindre dans le passé, Richard développe une méthode d’auto-hypnose pour remonter le temps jusqu’à cette date fatidique.
Autour du livre
La genèse de ce roman publié en 1975 trouve son origine dans une expérience de l’auteur : lors d’un séjour familial dans le Nevada, Matheson tombe sous le charme du portrait de l’actrice américaine Maude Adams (1872-1953) exposé au Piper’s Opera House de Virginia City. Cette rencontre photographique devient le point de départ d’une réflexion qui nourrit la trame narrative : et si un homme pouvait remonter le temps par amour ? Pour donner corps à son projet, Matheson s’installe plusieurs semaines à l’Hotel del Coronado de San Diego, lieu central de l’intrigue. Il y enregistre ses impressions sur un dictaphone, s’immergeant lui-même dans le rôle de son personnage principal.
La structure narrative laisse planer une ambiguïté constante sur la nature des événements relatés : le voyage dans le temps est-il réel ou s’agit-il des hallucinations d’un homme mourant ? Cette indétermination, maintenue jusqu’au bout, contribue à la dimension fantastique du récit. La présentation sous forme de journal intime publié post-mortem par le frère du protagoniste renforce cet effet.
Le titre original « Bid Time Return », emprunté à une réplique de « Richard II » de Shakespeare, traduit déjà l’ambition poétique de cette œuvre qui se distingue dans la bibliographie de Matheson. Connu pour « Je suis une légende » ou « L’homme qui rétrécit », l’auteur s’aventure ici sur un terrain différent en mariant science-fiction et romance. Cette alliance inhabituelle divise d’ailleurs les critiques : certains saluent l’audace d’un tel mélange quand d’autres regrettent un romantisme parfois appuyé.
La méthode de voyage temporel choisie par Matheson s’inspire des théories de John Boynton Priestley exposées dans « L’Homme et le Temps » (1964). Point de machine sophistiquée : le passage vers le passé s’opère par la seule force de l’auto-hypnose et de la conviction mentale. Cette approche psychologique du voyage dans le temps rappelle celle utilisée par Jack Finney dans « Le Voyage de Simon Morley », paru cinq ans plus tôt.
« Le jeune homme, la mort et le temps » remporte en 1976 le World Fantasy Award du meilleur roman. En 1980, il est adapté au cinéma sous le titre « Quelque part dans le temps » par Jeannot Szwarc, avec Christopher Reeve et Jane Seymour dans les rôles principaux. Le film suscite un tel engouement que des admirateurs organisent des pèlerinages vers l’Hotel del Coronado, transformant les lieux en sanctuaire romantique.
Aux éditions FOLIO ; 336 pages.