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René Barjavel en 7 romans de science-fiction – Notre sélection

René Barjavel en 7 romans de science-fiction – Notre sélection

René Barjavel naît le 24 janvier 1911 à Nyons, dans la Drôme, dans une famille modeste : son père est boulanger et ses grands-parents sont paysans. Il conservera d’ailleurs toute sa vie l’habitude de pétrir son propre pain. Après ses études aux collèges de Nyons puis de Cusset, il se lance dans le journalisme à l’âge de dix-huit ans au Progrès de l’Allier.

Sa carrière prend un tournant décisif en 1943 avec la publication de son premier roman de science-fiction, « Ravage », qui fait de lui un précurseur du genre en France. Pendant l’Occupation, il rencontre le philosophe G. I. Gurdjieff, dont l’enseignement marque durablement sa pensée.

Après la guerre, Barjavel mène plusieurs activités de front : il est à la fois journaliste, critique, romancier et scénariste. Il participe notamment à l’écriture de la célèbre saga des « Don Camillo ». En 1968, la publication de « La Nuit des temps » marque le début d’une seconde carrière de romancier couronnée de succès.

Il développe des thèmes récurrents au fil de ses œuvres : la critique d’une technologie qui échappe au contrôle humain, les dangers de la guerre, la force indestructible de l’amour. Son style se caractérise par une écriture à la fois poétique et philosophique.

René Barjavel s’éteint le 24 novembre 1985 à Paris, à l’âge de 74 ans, laissant derrière lui une œuvre importante qui influence toujours la science-fiction française. Sa tombe se trouve dans le cimetière du hameau de Tarendol, qui a inspiré l’un de ses romans.

Voici notre sélection de ses romans de science-fiction majeurs.


1. Ravage (1943)

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Résumé

Paris, 2052. François Deschamps, un jeune homme de 22 ans issu du monde rural, attend les résultats du concours d’entrée d’une prestigieuse école de chimie agricole. Dans cette mégalopole hypermoderne où la technologie règne en maître absolu, François retrouve son amie d’enfance, Blanche Rouget, 17 ans, qui débute une carrière d’artiste. Mais leur relation est menacée par Jérôme Seita, puissant directeur de Radio-300, qui convoite la jeune femme. Par ses manœuvres, il fait échouer François au concours et parvient à séduire Blanche.

C’est alors que survient l’impensable : l’électricité disparaît brutalement. Plus aucune machine ne fonctionne. La civilisation s’effondre en quelques heures. Les vingt-cinq millions d’habitants de Paris sombrent dans une folie meurtrière. Sans eau courante, sans moyens de transport, la ville devient un piège mortel. Des incendies gigantesques se déclarent, le choléra se répand. François, qui parvient à retrouver Blanche, prend la tête d’un petit groupe de survivants. Leur seul espoir réside dans une fuite périlleuse vers le sud de la France, à travers un pays ravagé par le chaos et la violence…

Autour du livre

Écrit en 1943 sous l’Occupation allemande, « Ravage » s’impose comme une œuvre visionnaire qui préfigure avec une troublante acuité les angoisses contemporaines. La description du Paris futuriste frappe par sa justesse prophétique : trains à grande vitesse, communications vidéo, agriculture intensive, intelligence artificielle, réchauffement climatique. Cette civilisation hypertechnologique rappelle étrangement notre propre monde, de plus en plus dépendant de l’électricité et déconnecté de la nature.

Le roman transcende largement le simple récit post-apocalyptique pour livrer une profonde réflexion sur la fragilité de la civilisation et les dérives du progrès technologique. Les scènes d’effondrement social sont dépeintes avec une puissance évocatrice saisissante, notamment lors de la description de Notre-Dame en flammes – prémonition stupéfiante de l’incendie de 2019. Le parcours initiatique des survivants à travers la France en ruines prend une dimension quasi biblique.

Les critiques de l’époque ont salué l’audace visionnaire de Barjavel, qui réussit à anticiper de nombreuses évolutions technologiques et sociétales. Certains y ont vu une influence du régime de Vichy dans la vision d’un retour à la terre et aux valeurs traditionnelles, tandis que d’autres soulignent la modernité d’une réflexion écologique avant l’heure. L’ouvrage est aujourd’hui considéré comme un grand classique de la science-fiction française, cité dans toutes les anthologies de référence du genre.

En 2016, « Ravage » a fait l’objet d’une adaptation en bande dessinée aux éditions Glénat par Rey Macutay, Jean-David Morvan et Walter. Un court-métrage s’inspirant du roman a également été réalisé.

Aux éditions FOLIO ; 313 pages.


2. La Nuit des temps (1968)

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Résumé

Durant une mission scientifique en Antarctique, une équipe française capte un mystérieux signal provenant des profondeurs de la banquise. Une expédition internationale se met en place et découvre, sous 900 mètres de glace, une sphère dorée gigantesque datant de 900 000 ans. À l’intérieur reposent les corps cryogénisés d’un homme et d’une femme. La mission, dirigée par le docteur Simon, parvient à réanimer la femme : Éléa, dernière représentante de Gondawa, une civilisation technologiquement supérieure à la nôtre qui maîtrisait jadis l’énergie universelle.

À travers les souvenirs d’Éléa se dessine l’histoire d’un monde disparu où deux nations, Gondawa et Enisoraï, s’affrontent dans une course à l’armement qui menace leur existence même. Pour préserver l’avenir de leur civilisation, le grand savant Coban décide de placer en hibernation deux êtres d’exception : lui-même et Éléa. Mais cette dernière refuse d’être séparée de Païkan, l’homme qu’elle aime d’un amour absolu depuis l’enfance.

Tandis que le Dr Simon tombe éperdument amoureux d’Éléa et que l’équipe scientifique s’apprête à réveiller le second corps, les tensions s’exacerbent entre les nations qui convoitent les secrets technologiques de Gondawa. L’histoire semble se répéter : la découverte qui devait unir l’humanité risque de précipiter sa perte.

Autour du livre

« La Nuit des temps » était initialement destiné à devenir un film réalisé par André Cayatte. Le projet, envisagé comme une superproduction nécessitant d’importants effets spéciaux, n’a pas vu le jour faute de financement dans une période où la production française se montrait réticente à tout projet de science-fiction. Face à cet échec, Barjavel a transformé son scénario en roman, renouant ainsi avec la littérature après une période de découragement.

L’inspiration de l’auteur provient de sources diverses. Il puise notamment dans « Grands Bouleversements Terrestres » d’Immanuel Velikovsky pour expliquer le changement d’axe de la Terre. Le nom « Gondawa » fait écho au super-continent Gondwana. Le récit s’inscrit dans la lignée des grands mythes de civilisations disparues comme l’Atlantide, tout en modernisant les thèmes classiques de la science-fiction : télépathie, sources d’énergie infinie, guerre totale.

Publié en 1968 aux Presses de la Cité après avoir été refusé par Denoël, l’éditeur habituel de Barjavel, « La Nuit des temps » remporte le Prix des Libraires en 1969. Le roman s’ancre sensiblement dans les mentalités et le contexte politique des années 1960. Le conflit entre Gondawa et Enisoraï transpose à peine la guerre froide entre l’Est et l’Ouest. Les révoltes estudiantines contre la guerre évoquent les manifestations pacifistes de San Francisco contre la guerre du Vietnam.

Des controverses ont émergé concernant de possibles emprunts au roman « La Sphère d’or » (1925) d’Erle Cox. Les similitudes sont frappantes : une femme d’une extraordinaire beauté retrouvée sous un continent désert, issue d’une civilisation ancienne très avancée, un savant qu’elle n’aime pas reste endormi, le protagoniste tombe amoureux d’elle, les deux civilisations se nourrissent de pilules, et les deux femmes meurent à la fin en emportant leurs secrets. Ce rapprochement n’a été établi qu’après le décès de Barjavel en 1985.

Deux adaptations ont vu le jour : la bande dessinée « Kebek » (2019) de Philippe Gauckler, qui s’inspire librement du roman, et une autre adaptation en bande dessinée par Christian De Metter parue en 2021 aux éditions Phileas. Le succès commercial ne s’est jamais démenti avec 2,6 millions d’exemplaires vendus en 2018.

Aux éditions POCKET ; 416 pages.


3. Le Grand Secret (1973)

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Résumé

En janvier 1955, un scientifique indien fait une découverte qui pourrait bouleverser l’humanité. Il en informe immédiatement le Premier ministre Nehru qui, comprenant la gravité de la situation, entreprend une tournée mondiale pour alerter les grands dirigeants : Eisenhower, Khrouchtchev, Mao, de Gaulle. Face à cette menace, les puissances mondiales décident de s’unir dans le plus grand secret, transcendant leurs oppositions idéologiques de la guerre froide.

Dans les mois qui suivent, des scientifiques du monde entier disparaissent mystérieusement, souvent dans des incendies de laboratoire. Parmi eux, Roland, un chercheur français qui vit une passion dévorante avec Jeanne, elle-même mariée à un cardiologue. Refusant de croire à la mort de son amant, Jeanne se lance dans une quête obstinée qui durera dix-sept ans.

Son enquête la mène peu à peu vers un mystère d’État qui expliquerait les événements les plus marquants de l’époque : l’assassinat de Kennedy, l’étrange comportement de de Gaulle en mai 68, les voyages diplomatiques de Nixon en URSS et en Chine. Mais surtout : pourquoi les plus hauts dirigeants de la planète, dépassant leurs antagonismes, s’unissent-ils dans une même angoisse ? Quelle découverte peut être assez cruciale pour justifier la disparition de dizaines de scientifiques et mobiliser les services secrets du monde entier ?

Autour du livre

« Le Grand Secret » se démarque dans la bibliographie de Barjavel par sa structure narrative sophistiquée en trois parties. La première met en place l’intrigue en entremêlant habilement deux fils narratifs : d’un côté les négociations diplomatiques au plus haut niveau, de l’autre la quête personnelle de Jeanne. Cette construction en canon crée une tension croissante jusqu’à la révélation du secret, qui n’intervient qu’après une centaine de pages. La deuxième partie dévoile enfin la nature du secret et ses implications vertigineuses pour l’humanité. La troisième, la plus longue, décrit les conséquences de cette découverte sur une société isolée du reste du monde.

L’originalité majeure de ce roman publié en 1973 réside dans son caractère uchronique. Barjavel réussit un tour de force en inscrivant sa fiction au cœur même d’événements historiques réels des années 1950-1970. Il propose une relecture audacieuse de moments clés de la guerre froide, suggérant que derrière les tensions EST-OUEST se cache une réalité bien différente. Cette réécriture de l’Histoire est si habilement menée que le lecteur en vient à douter : et si tout cela était vrai ?

Le roman soulève aussi des questions philosophiques fondamentales sur la condition humaine. À travers son intrigue, il interroge notamment le rapport de l’homme à la mort et à l’immortalité. Comme l’exprime un personnage : « La vie sans la mort rend la vie impossible ». Cette réflexion sur les limites de la science et ses potentielles dérives fait écho à des préoccupations très contemporaines autour du transhumanisme et de la modification du vivant.

Par ailleurs, Barjavel dépeint une société utopique qui révèle peu à peu ses failles, dans la tradition des dystopies du XXe siècle. Il met en scène les tensions entre désirs individuels et bien collectif, entre progrès scientifique et équilibre naturel. Le roman questionne également la légitimité du secret d’État et le droit des dirigeants à décider du destin de l’humanité.

« Le Grand Secret » a suscité des réactions contrastées de la critique lors de sa parution. Dans la revue Fiction, Demètre Ioakimidis lui reproche de réinventer des thèmes déjà traités en science-fiction par des auteurs comme van Vogt ou Sheckley. À l’inverse, Jean-Pierre Andrevon y voit « un roman d’anticipation tout à fait passionnant » qui réussit à fusionner inspiration et maîtrise technique. Serge Bertrand le considère comme « le moins mauvais » des derniers romans de Barjavel, tout en regrettant l’évolution de l’auteur vers un style plus commercial.

« Le Grand Secret » a fait l’objet d’une adaptation télévisée en 1989. Scénarisée par André Cayatte et réalisée par Jacques Trébouta, elle met en scène Claude Rich, Louise Marleau, Peter Sattmann, Fernando Rey et Claude Jade dans les rôles principaux.

Aux éditions POCKET ; 384 pages.


4. Le voyageur imprudent (1944)

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Résumé

L’histoire débute pendant la Seconde Guerre mondiale, dans un village lorrain nommé Vanesse. Pierre Saint-Menoux, professeur de mathématiques mobilisé comme caporal dans le 27e bataillon de chasseurs pyrénéens, rencontre un étrange physicien infirme, Noël Essaillon, qui l’attend avec sa fille Annette. Essaillon a mis au point une substance révolutionnaire, la noëlite, qui permet de se déplacer dans le temps. Cette découverte s’appuie sur les travaux théoriques de Saint-Menoux lui-même.

D’abord sceptique, le mathématicien accepte d’expérimenter la noëlite et commence une série de voyages temporels, notamment dans un futur proche. Enhardi par ses succès, il s’aventure jusqu’en l’an 100 000, où il découvre une humanité qui a subi d’inquiétantes mutations. Les humains, désormais dépourvus d’organes reproducteurs, se sont spécialisés comme dans une ruche d’insectes : certains ne servent qu’à la reproduction, d’autres au travail manuel.

Bouleversé par cette vision cauchemardesque, Saint-Menoux décide d’agir sur le cours de l’Histoire en retournant dans le passé. Cette décision le conduira à une imprudence aux conséquences vertigineuses…

Autour du livre

Paru d’abord en feuilleton en 1943 avant d’être publié en volume l’année suivante, « Le voyageur imprudent » marque une étape cruciale dans l’histoire de la science-fiction française. Barjavel y formule le célèbre paradoxe du grand-père, qui constitue l’un des fondements de la réflexion sur les voyages temporels. Ce paradoxe n’est toutefois explicitement formulé que dans la postface ajoutée à l’édition de 1958, sous la forme d’une méditation qui réécrit la célèbre question d’Hamlet : « Être ET ne pas être, voilà la question. À moins que ce ne soit une réponse… »

Bien que manifestement inspiré par « La Machine à explorer le temps » de H. G. Wells, Barjavel ne se contente pas d’imiter son prédécesseur. Sa vision du futur lointain, peuplé d’êtres humains hyper-spécialisés à la manière des insectes sociaux (hommes-pelles, hommes-ventres, hommes-nez), témoigne d’une imagination débridée qui dépasse largement le cadre wellsien. Cette société future prolonge les thématiques déjà présentes dans « Ravage », son précédent roman, notamment la critique d’une civilisation technologique déshumanisante.

L’ouvrage suscite néanmoins des réserves, notamment concernant sa représentation des femmes, qui reflète des préjugés de son époque. Plusieurs passages ouvertement misogynes émaillent le texte, comme lorsque l’auteur affirme que « la tête était bien la partie de leurs corps dont les femmes avaient le moins besoin pour vivre ». Le personnage d’Annette, cantonnée au rôle d’amoureuse passive, illustre cette vision réductrice.

La réception critique contemporaine souligne l’importance historique du roman dans le développement de la science-fiction française. Pierre Desgraupes, dans « Lecture pour tous », le considère comme « un classique du genre qu’il faut avoir lu, comme il faut avoir lu Jules Verne et H. G. Wells ». En 1944, « Le voyageur imprudent » reçoit, avec « Ravage », le Prix des Dix, une distinction provisoire créée par un groupe d’humoristes et de chansonniers pour pallier l’absence de lauréats du Prix Goncourt pendant l’Occupation.

Le roman a fait l’objet d’une adaptation pour la télévision en 1982 par Pierre Tchernia, avec Thierry Lhermitte dans le rôle principal, accompagné de Jean-Marc Thibault et Anne Caudry.

Aux éditions FOLIO ; 244 pages.


5. Le diable l’emporte (1948)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

« Le diable l’emporte » se déroule dans les années 1960, à l’heure où la technologie nucléaire règne en maître. L’humanité s’élance vers la conquête spatiale, et trois grandes puissances – la Russie, l’Europe de l’Ouest et les États-Unis – se disputent le contrôle de la Lune.

Dans ce climat de tensions croissantes, un milliardaire visionnaire, M. Gé, pressent l’imminence d’une catastrophe mondiale. Il décide de construire une arche souterraine indestructible pour préserver l’humanité. Ses craintes se matérialisent quand un satellite américain confond des manchots avec des envahisseurs au pôle Nord, déclenchant une réaction militaire dévastatrice. Après une période d’accalmie, les tensions resurgissent suite à la disparition mystérieuse d’un savant russe capable de transformer les roches lunaires en or.

M. Gé, plus déterminé que jamais, sélectionne alors deux familles pour peupler son arche : les Collignot et une famille de paysans. Tandis que les grandes puissances s’affrontent avec des armes toujours plus meurtrières, des bombes à virus aux armes à ultrasons, les derniers survivants de l’humanité se retrouvent confrontés à leurs propres démons dans les profondeurs de l’arche. L’avenir de l’espèce repose désormais sur leurs épaules, mais pourront-ils surmonter leurs passions et leurs rivalités ?

Autour du livre

Publié en 1948, « Le diable l’emporte » surgit dans le sillage immédiat de la Seconde Guerre mondiale, au moment où le monde découvre avec effroi la puissance destructrice de l’arme atomique. Barjavel transforme ce traumatisme collectif en une réflexion saisissante sur l’avenir de l’humanité. Sa clairvoyance se manifeste notamment dans ses prédictions technologiques : la conquête spatiale, la guerre froide, la course aux armements nucléaires, les manipulations génétiques.

Le texte alterne entre un humour grinçant et un pessimisme viscéral. L’épisode du poussin mutant, nourri aux hormones de croissance, qui devient une menace continentale, illustre l’absurdité des dérives scientifiques. Cette scène grotesque côtoie des passages d’une noirceur absolue sur la destruction massive des populations par des armes biologiques et chimiques.

Barjavel dénonce avec force la démesure technologique et ses conséquences désastreuses. Il oppose à cette folie scientifique la sagesse des valeurs traditionnelles incarnées par les paysans et les artisans. L’Arche de M. Gé devient ainsi une tentative de préserver non seulement l’espèce humaine, mais aussi ses savoirs ancestraux et sa dimension terrienne.

Le roman transcende la simple critique du progrès technique pour interroger la nature même de l’humanité. Les occupants de l’Arche, censés représenter l’espoir d’un nouveau départ, reproduisent les mêmes schémas de violence et de destruction. La rivalité qui éclate entre les femmes pour le dernier homme survivant révèle la persistance des pulsions primitives sous le vernis de la civilisation.

Le titre du roman prend alors tout son sens : le « diable » qui l’emporte n’est pas tant la technologie elle-même que la propension humaine à l’utiliser pour sa propre destruction. Barjavel suggère que la véritable menace réside dans l’incapacité de l’homme à maîtriser sa soif de pouvoir et ses instincts destructeurs.

Les critiques contemporaines soulignent la dimension visionnaire de l’œuvre. Sa capacité à anticiper les développements technologiques et les enjeux géopolitiques de la seconde moitié du XXe siècle impressionne. Certains saluent particulièrement la manière dont Barjavel parvient à équilibrer l’horreur et l’humour, créant un sentiment de vertige face aux possibles dérives de la science. Quelques voix pointent néanmoins le caractère daté de certaines représentations, notamment dans le traitement des personnages féminins. Cette dimension sexiste, produit de son époque, n’enlève rien à la puissance prophétique du récit et à son message sur les dangers d’une science sans conscience.

« Le diable l’emporte » s’inscrit dans la lignée des grands romans d’anticipation de Barjavel, aux côtés de « Ravage » et du « Voyageur imprudent ». Il constitue l’une des pierres angulaires de la science-fiction française d’après-guerre, et marque durablement l’imaginaire collectif par sa vision cauchemardesque d’un futur où la technologie échappe à tout contrôle.

Aux éditions FOLIO ; 336 pages.


6. Une rose au paradis (1981)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans un monde futuriste où les progrès technologiques ont transformé le quotidien, une nouvelle menace fait trembler l’humanité : la bombe U (universelle). D’une fabrication si simple que n’importe qui peut la produire, cette arme redoutable se répand partout. Nations, entreprises, organisations – même le Vatican – en possèdent. Sa particularité la rend particulièrement dangereuse : l’explosion d’une seule bombe déclenche automatiquement toutes les autres.

Face à cette menace, le mystérieux milliardaire Monsieur Gé élabore un plan radical. Il fait construire une arche souterraine à trois kilomètres de profondeur, y stocke des couples d’animaux cryogénisés et sélectionne soigneusement ses occupants : Henri Jonas, génie de l’électronique, et son épouse Lucie, enceinte de jumeaux. Puis il déclenche volontairement une bombe U, provoquant la destruction de toute vie en surface.

Les jumeaux, Jim et Jif, naissent et grandissent dans l’Arche, un environnement entièrement artificiel où une machine fournit invariablement du poulet rôti pour seule nourriture. Leur éducation se limite à un unique livre : « Les Fables de La Fontaine ». Le plan de Monsieur Gé est simple : attendre vingt ans que les radiations diminuent, puis ressortir pour repeupler la Terre. L’Arche, calculée au millimètre près, maintient un équilibre parfait pour cinq personnes.

Seize ans plus tard, l’équilibre bascule. Les jumeaux, élevés dans une totale innocence et ignorant tout des tabous sociaux, découvrent l’amour physique. La grossesse qui en résulte menace la survie de tous : l’Arche ne peut supporter une sixième personne. Trois options se présentent : sortir prématurément et risquer la mort par radiation, pratiquer un avortement sur Jif, ou prendre une décision plus drastique qui permettrait de maintenir l’équilibre vital de l’Arche…

Autour du livre

René Barjavel, en 1981, signe avec « Une rose au paradis » une œuvre singulière qui revisite les mythes bibliques de l’Arche de Noé et d’Adam et Ève. Les thèmes de prédilection de l’auteur s’y retrouvent : la destruction du monde par la technologie, la survie de l’humanité, la force indestructible de l’amour. Le roman se distingue par son traitement de questions éthiques fondamentales : l’arbitraire du pouvoir financier, la responsabilité parentale, les limites de l’innocence, le prix de la survie de l’espèce.

L’humour insuffle une légèreté bienvenue au récit, notamment à travers les questionnements naïfs de Jim sur un monde qu’il n’a jamais connu. Les dialogues entre les personnages révèlent l’absurdité de leur situation, comme lorsqu’ils débattent du temps nécessaire pour obtenir une mayonnaise dans un environnement totalement artificiel. Le robot Marguerite, création d’Henri dotée de quatre têtes dont l’une manifeste une jalousie comique envers les autres, illustre ce mélange de science-fiction et d’humour caractéristique de Barjavel.

Le roman tire sa force de son ambiguïté morale et de ses questionnements sur la nature humaine. Monsieur Gé, figure quasi divine qui voit et entend tout dans l’Arche, incarne l’ambivalence entre sauveur et tyran. Son pouvoir financier lui permet de jouer à Dieu, soulevant des questions sur la légitimité de ses choix et leur impact sur l’avenir de l’humanité.

La critique souligne la capacité de Barjavel à manier la dystopie avec aisance, mêlant le loufoque et le poétique dans un style caractéristique. Si certains regrettent la brièveté du texte qui limite le développement des personnages, d’autres saluent la fraîcheur du récit et sa portée philosophique.

« Une rose au paradis » a été adapté d’une pièce de théâtre antérieure de Barjavel, « Madame Jonas dans la baleine », créée en 1971 et diffusée notamment dans l’émission « Au théâtre ce soir » en 1977.

Aux éditions POCKET ; 224 pages.


7. La tempête (1982)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

À la fin du XXe siècle, la Chine, sous la pression démographique de ses trois milliards d’habitants, déclenche une guerre mondiale contre les États-Unis. Dans une Europe restée neutre et prospère, Judith, une jeune Américaine de quinze ans, vit à Paris avec ses parents. Sa vie insouciante bascule lorsqu’elle rencontre Olof, un ingénieur polonais qui envisage de l’emmener vers les étoiles. Le conflit planétaire prend fin grâce à la découverte d’une substance révolutionnaire baptisée « Helen » ou « Love Molécule », qui supprime toute agressivité chez l’être humain. La paix s’installe immédiatement sur Terre, inaugurant une ère de prospérité universelle.

Cependant, cette période d’harmonie engendre une consommation effrénée qui provoque une catastrophe écologique majeure : la Terre se retrouve enveloppée d’un épais nuage de pollution qui masque le soleil, tandis que l’oxygène se raréfie, obligeant les habitants à porter des masques respiratoires. Dans ce contexte apocalyptique, Olof, l’un des rares individus résistants à la « Love Molécule », conçoit un plan d’extermination de l’humanité qu’il juge responsable de la destruction de la planète. Il entreprend d’envoyer vers la Terre les dernières bombes nucléaires encore en orbite, vestiges de la course aux armements. Seule Judith, devenue entre-temps une femme mariée et mère, peut tenter d’empêcher cette catastrophe en confrontant cet homme qu’elle avait connu adolescente…

Autour du livre

Publié en 1982, « La tempête » démontre une remarquable prescience des enjeux environnementaux contemporains. Le roman anticipe avec acuité les préoccupations écologiques actuelles : pollution atmosphérique, raréfaction de l’oxygène et dérèglement climatique. Cette dimension visionnaire prend aujourd’hui une résonance particulière, notamment dans la description d’une société de consommation qui, même en temps de paix, continue de détruire son environnement.

Le récit s’articule en trois parties : la première décrit le conflit mondial, la deuxième raconte l’avènement de la paix et la jeunesse de Judith, tandis que la troisième, la plus substantielle, narre l’effondrement de cet équilibre précaire. Cette structure narrative souligne la progression inexorable vers la catastrophe, malgré les tentatives de l’humanité pour créer un monde meilleur.

« La tempête » synthétise les thématiques chères à Barjavel : la menace de l’anéantissement de l’humanité, l’amour comme force salvatrice, la critique du progrès technologique incontrôlé. Le romancier y propose une réflexion sur la nature humaine et sa propension à l’autodestruction, même dans un contexte de paix universelle. L’idée de la « Love Molécule » comme solution miracle aux conflits sert de prétexte pour démontrer que la technologie seule ne peut résoudre les problèmes fondamentaux de l’humanité.

La critique place généralement « La tempête » dans le sillage de « La Nuit des temps », tout en le considérant comme légèrement inférieur à ce chef-d’œuvre de Barjavel. Jean-Pierre Andrevon, dans Fiction 334, souligne la construction relâchée du récit mais reconnaît la verve intacte de l’auteur. Les critiques s’accordent sur la dimension prophétique du roman concernant les questions environnementales, tout en relevant parfois un certain manque de profondeur dans le développement des personnages.

L’originalité de l’œuvre réside notamment dans son ton décalé, particulièrement visible dans les premières scènes où des dirigeants politiques tiennent un conseil de guerre sur une plage nudiste pour échapper aux dispositifs d’espionnage. Cette approche narrative mêlant humour et gravité distingue « La tempête » des autres romans apocalyptiques de l’époque.

Aux éditions FOLIO ; 276 pages.

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