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Nino Haratischwili en 3 romans – Notre sélection

Nino Haratischwili en 3 romans – Notre sélection

Née le 8 juin 1983 à Tbilissi en Géorgie soviétique, Nino Haratischwili grandit dans un pays marqué par l’effondrement de l’URSS. Au début des années 1990, elle fuit avec sa mère le chaos politique et social de la Géorgie pour s’installer pendant deux ans en Allemagne. De retour à Tbilissi, elle fréquente une école germanophone et, adolescente, fonde le « Fliedertheater », une troupe de théâtre germano-géorgienne pour laquelle elle écrit et met en scène des pièces.

Après des études de réalisation cinématographique à Tbilissi, elle part étudier la mise en scène théâtrale à Hambourg en 2003. Elle devient citoyenne allemande en 2012 et s’établit à Berlin où elle poursuit une carrière prolifique d’écrivaine et de metteuse en scène. Son œuvre comprend une trentaine de pièces de théâtre et plusieurs romans acclamés, dont « La huitième vie » (2014) qui connaît un succès international.

Récompensée par de nombreux prix littéraires prestigieux, dont le prix Adelbert-von-Chamisso et le prix Bertolt-Brecht, Nino Haratischwili s’impose comme une voix majeure de la littérature allemande contemporaine. En 2022, elle prend position contre l’invasion russe de l’Ukraine tout en s’opposant au boycott des artistes russes qui ne soutiennent pas le régime de Poutine.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. La huitième vie (2014)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Un chocolat chaud aux pouvoirs mystérieux, une malédiction qui se transmet de mère en fille, sept femmes marquées par l’Histoire : ainsi commence la saga des Iachi dans la Géorgie du début du XXe siècle. En 1900, le patriarche de la famille met au point une recette de chocolat chaud qui fait sa fortune, jusqu’à ce que la révolution bolchévique de 1917 ne renverse l’ordre établi. Sa fille Stasia, héritière de la formule, voit ses rêves de danse contrariés par les bouleversements politiques et un mariage précipité avec un officier.

L’histoire se déploie ensuite sur cent ans. On y suit le destin de six générations de femmes confrontées aux tourments de l’ère soviétique. Du règne de Staline à la chute du mur de Berlin, des purges sanglantes aux espoirs de liberté, chaque membre de la famille doit choisir son camp : Kostia embrasse la cause communiste tandis que sa sœur Kitty s’exile à Londres. À travers les yeux de Niza, qui en 2006 raconte cette histoire à sa jeune nièce Brilka, se dessine une fresque où les drames intimes se mêlent aux grands bouleversements du siècle.

Autour du livre

Une double perspective souffle dans « La huitième vie » : celle du grand angle historique, qui embrasse un siècle d’histoire géorgienne et soviétique, et celle de l’intime, qui sonde les destins individuels. Cette dualité trouve son origine dans le parcours même de Nino Haratischwili qui, à douze ans, quitte la Géorgie pour l’Allemagne avec sa mère. Elle y retourne plus tard pour ses études, avant de s’y installer définitivement à vingt ans. C’est dans sa langue d’adoption, l’allemand, qu’elle choisit d’écrire cette saga monumentale de 1200 pages.

La genèse du texte s’étend sur deux ans, pendant lesquels Haratischwili, grâce à une bourse de la Fondation Robert Bosch, sillonne la Géorgie et la Russie. Elle y recueille des témoignages qui nourrissent sa trame narrative. Une découverte la frappe particulièrement : la coexistence paradoxale du bien et du mal dans les périodes les plus sombres de l’Histoire. Cette observation innerve toute la construction du récit, structuré en huit parties – sept vies narrées et une huitième, celle de Brilka, qui reste à écrire.

Le succès ne se fait pas attendre : salué par la critique allemande, « La huitième vie » multiplie les traductions et les récompenses. Le Bertolt-Brecht-Literaturpreis couronne en 2018 l’ensemble de l’œuvre théâtrale et romanesque d’Haratischwili. En 2020, la traduction anglaise de Charlotte Collins et Ruth Martin se hisse jusqu’à la sélection du prestigieux International Booker Prize.

L’œuvre trouve aussi un prolongement sur scène : en 2017, le Théâtre Thalia de Hambourg en propose une adaptation de près de cinq heures, divisée en deux parties. Cette version scénique, signée Julia Loke et Emilia Linda Heinrich, prouve la puissance dramatique de cette fresque qui mêle l’histoire collective aux drames intimes. Thomas Andre, dans Spiegel Online, n’hésite pas à qualifier « La huitième vie » de « véritable roman de l’année », saluant la maestria avec laquelle Haratischwili peuple son immense tableau de personnages et de scènes mémorables.

Aux éditions FOLIO ; 1200 pages.


2. La lumière vacillante (2022)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

À Tbilissi, en 1987, quatre adolescentes scellent une amitié qui marquera leurs destinées. Keto, la narratrice observatrice, Dina l’intrépide photographe, Nene la romantique et Ira l’intellectuelle partagent leurs rêves et leurs espoirs dans la cour commune de leur immeuble, rue des Vignes. Dans cette Géorgie encore soviétique, leurs jeux d’enfants et leurs premiers émois amoureux se déroulent sous le regard bienveillant de leurs familles : le père scientifique de Keto absorbé par ses formules, ses deux grands-mères passionnées de littérature, la mère bohème de Dina, et les clans plus troubles dont sont issues Nene et Ira.

Mais l’effondrement de l’URSS précipite leur pays dans le chaos. Les années 1990 voient Tbilissi sombrer dans la violence des guerres civiles, la corruption et les règlements de comptes entre gangs rivaux. Le frère de Keto, Rati, s’engage dans ces luttes de territoire tandis que Dina documente avec son appareil photo la brutalité qui gangrène leur quotidien. Les quatre amies se retrouvent prises dans un engrenage tragique où leurs choix, dictés par la loyauté ou la passion, auront des conséquences irrémédiables. Leur pacte d’amitié sera mis à l’épreuve des trahisons et des drames.

Trente-deux ans plus tard, en 2019, trois des amies se retrouvent à Bruxelles pour l’exposition posthume des photographies de Dina. Face aux clichés en noir et blanc qui immortalisent leur jeunesse perdue, Keto replonge dans ses souvenirs et tente de comprendre ce qui a mené à la destruction de leur groupe et à la mort de son amie.

Autour du livre

Nino Haratischwili s’empare d’une période historique qu’elle n’a connue qu’en partie : ayant quitté la Géorgie pour l’Allemagne à l’âge de dix ans, elle puise dans la mémoire collective pour reconstituer les années 1990, marquées par une violence exacerbée. La chute de l’URSS a précipité Tbilissi dans une spirale infernale : obscurité, froid, faim, drogue, règne des mafias. Cette époque s’est révélée particulièrement éprouvante pour les femmes, confrontées à une masculinité pervertie et à une tolérance généralisée envers la violence. Beaucoup se sont retrouvées seules pour nourrir leur famille et lutter contre le froid, pendant que les hommes partaient à la guerre ou peinaient à se réinsérer dans la société à leur retour.

Le quatuor féminin au cœur du récit incarne différentes facettes de cette période trouble : la force de caractère de Dina s’oppose à la sensibilité de Keto, tandis que le romantisme de Nene contraste avec l’intellect d’Ira. Leurs chemins divergents illustrent les possibilités qui s’offraient alors aux femmes géorgiennes : l’art comme échappatoire pour Keto, le témoignage photographique pour Dina, les études comme planche de salut pour Ira, et la révolte pour Nene.

Cette sororité mise à l’épreuve résonne avec « L’amie prodigieuse » d’Elena Ferrante, tout en s’ancrant dans un contexte historique méconnu. Les photographies de Dina, fil conducteur du récit, questionnent la place du témoin et sa capacité à saisir la réalité d’une époque. La construction en miroir, alternant entre le présent aseptisé d’une exposition bruxelloise et le chaos de Tbilissi, souligne le fossé entre deux mondes.

Vingt-cinq ans après les faits relatés, alors que la nouvelle génération peine à imaginer cette période où « les gens se massacraient encore en pleine rue », Haratischwili pose un regard mélancolique sur sa ville natale. Si Tbilissi s’enlaidit de « constructions hideuses », le roman rappelle qu’au cœur du chaos, certains ont su préserver leur humanité, « non seulement parce que l’occasion ne leur en avait pas été donnée, mais parce qu’ils défendaient cette décision par tous les moyens et contre toutes les résistances. »

« La lumière vacillante » paraît dans un contexte particulier, alors que la Géorgie continue de négocier son rapport complexe avec son passé soviétique et sa relation tumultueuse avec la Russie. Cette fresque de 720 pages s’inscrit dans la continuité de « La huitième vie », confirmant la capacité d’Haratischwili à entrelacer destins individuels et bouleversements historiques.

Aux éditions GALLIMARD ; 720 pages.


3. Le Chat, le Général et la Corneille (2018)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

L’histoire débute en 1994 dans les montagnes tchétchènes, où la jeune Nura aspire à s’affranchir du carcan des traditions. Dans ce village bientôt occupé par l’armée russe, elle noue des liens avec deux soldats, dont Malich, un jeune homme cultivé qui s’est enrôlé pour fuir un chagrin d’amour. Une nuit, Nura est violentée et assassinée par des militaires, un crime qui ne sera jamais jugé.

En 2016 à Berlin, ce drame ressurgit à travers trois personnages. Sesili, dite « le Chat », actrice géorgienne déracinée, reçoit une étrange proposition : contre une forte somme d’argent, elle devra jouer dans une vidéo le rôle d’une femme morte dont elle est le parfait sosie. Cette proposition émane d’Alexander Orlov, surnommé « le Général », un ancien soldat reconverti en oligarque russe, dévasté par le suicide de sa fille Ada. Pour mener à bien son projet, il manipule Onno Brender, alias « la Corneille », un journaliste berlinois qui enquêtait sur les zones d’ombre de son passé avant de succomber aux charmes d’Ada et de la perdre tragiquement.

Autour du livre

« Le Chat, le Général et la Corneille » s’inspire d’un fait réel, lu par Nino Haratischwili dans un ouvrage d’Anna Politkovskaïa – cette journaliste russe assassinée en 2006 qui chroniquait le conflit tchétchène. Il concerne l’ancien colonel Yuri Boudanov, condamné en 2003 à 10 ans de prison pour l’enlèvement et le meurtre d’Elza Koungaeva, une Tchétchène de 18 ans.

Cette source authentique nourrit une méditation sur la responsabilité morale en temps de guerre, à travers le prisme des bouleversements qui ont secoué l’ex-URSS. Les deux périodes choisies – 1994 avec la première guerre de Tchétchénie, puis 2016 – permettent de mesurer les métamorphoses d’une société : l’effondrement du bloc soviétique, l’émergence des oligarques, la montée en puissance d’anciens agents du KGB, jusqu’à l’installation d’un dictateur à Grozny.

La construction narrative emprunte au Rubik’s cube, objet qui apparaît de façon récurrente dans le texte : les chapitres s’alternent entre les personnages et les époques, telles les faces colorées du casse-tête, jusqu’à ce que tout s’aligne dans un dénouement aussi imprévu qu’inéluctable. Cette architecture complexe sert un questionnement sur la culpabilité, la vengeance et la possibilité d’une rédemption.

Les figures féminines occupent une place centrale : Nura et Ada, victimes sacrificielles, mais aussi Sesili/Chat dont la généalogie féminine transcende les traumatismes de l’Histoire. À travers elles transparaît quelque chose de l’expérience personnelle de Nino Haratischwili, née à Tbilissi en 1983 et installée à Berlin en 2003. Cette double culture irrigue « La huitième vie », son précédent roman qui a marqué son entrée remarquée dans les lettres allemandes. Traduite en de nombreuses langues, couronnée de prix prestigieux en Allemagne et en Géorgie, elle s’inscrit désormais dans la lignée des grandes fresques romanesques d’Europe de l’Est.

Aux éditions 10/18 ; 744 pages.

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