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Marcel Proust en 7 romans – Notre sélection

Marcel Proust en 7 romans – Notre sélection

Marcel Proust naît le 10 juillet 1871 à Paris, dans une famille aisée. Fils d’un médecin catholique et d’une mère issue de la bourgeoisie juive, il souffre dès l’enfance d’un asthme qui marquera toute son existence.

Après des études au lycée Condorcet, il fréquente les salons aristocratiques parisiens où il rencontre artistes et écrivains. Sa première œuvre, « Les Plaisirs et les Jours », paraît en 1896 mais passe presque inaperçue. Il entreprend ensuite la traduction des textes de John Ruskin et voyage en Italie sur les traces de l’écrivain anglais.

C’est en 1907 que Proust commence l’écriture de son chef-d’œuvre, « À la recherche du temps perdu ». Après la mort de ses parents, il s’installe boulevard Haussmann où il vit en reclus, écrivant la nuit dans sa chambre tapissée de liège. Le premier tome, « Du côté de chez Swann », est refusé par Gallimard en 1913 et paraît à compte d’auteur chez Grasset. La reconnaissance vient en 1919 avec le Prix Goncourt pour « À l’ombre des jeunes filles en fleurs ».

Épuisé par son travail d’écriture et miné par la maladie, Proust meurt le 18 novembre 1922 d’une bronchite mal soignée. La publication de son œuvre monumentale se poursuit après sa mort, jusqu’en 1927. Les derniers volumes de « La Recherche », notamment « Le Temps retrouvé », paraissent de manière posthume, complétant ainsi cette vaste fresque sociale et cette méditation sur le temps, la mémoire et l’art qui révolutionnent la littérature du XXe siècle.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Du côté de chez Swann (À la recherche du temps perdu #1, 1913)

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Résumé

Dans le Paris de la Belle Époque, un narrateur se remémore son enfance à Combray, petite ville de province où sa famille passait ses vacances. Enfant hypersensible, il souffre chaque soir de ne pouvoir obtenir le baiser maternel tant désiré, en particulier lorsque la présence d’un certain Charles Swann, ami de la famille, retarde l’heure du coucher. Le jeune garçon grandit dans ce monde provincial aux codes sociaux rigides, entre les promenades du dimanche qui empruntent tantôt le chemin de Méséglise – dit aussi du côté de chez Swann – tantôt celui des Guermantes, les visites à sa tante Léonie et les observations minutieuses de son entourage.

Dans la deuxième partie, le récit fait un bond dans le passé pour narrer la passion dévorante de Charles Swann pour Odette de Crécy, une demi-mondaine qu’il rencontre dans le salon bourgeois des Verdurin. Bien qu’elle ne lui plaise guère au début, Swann développe une obsession maladive pour cette femme, submergé par une jalousie qui le torture.

De retour au présent dans la dernière partie, le narrateur adolescent tombe amoureux de Gilberte, la fille de Charles Swann et d’Odette, qu’il aperçoit dans un jardin. Entre rêveries de voyage et premiers émois amoureux, il découvre que la réalité ne correspond jamais tout à fait aux images idéalisées que l’on s’en fait.

Autour du livre

Marcel Proust commence à rédiger « Du côté de chez Swann » fin mai 1909. Quatre extraits de la première partie, « Combray », paraissent dans Le Figaro entre mars 1912 et mars 1913. Le manuscrit est refusé par plusieurs éditeurs, dont les Éditions de la Nouvelle Revue française. Proust finit par le publier à compte d’auteur chez Bernard Grasset en novembre 1913, dans une édition malheureusement criblée de coquilles. En 1919, Proust passe chez Gallimard qui rachète le reliquat de l’édition Grasset et fait paraître une version révisée et corrigée.

Ce premier volume de « À la recherche du temps perdu » se distingue par sa structure tripartite singulière. La première partie, « Combray », met en scène l’enfance du narrateur et contient le célèbre épisode de la madeleine, où la simple dégustation d’un gâteau trempé dans le thé déclenche un flot de souvenirs. La deuxième partie, « Un amour de Swann », constitue une sorte de roman dans le roman – c’est d’ailleurs la seule partie de toute « La Recherche » narrée à la troisième personne. La dernière partie, plus brève, « Noms de pays : le nom », établit un pont entre les deux premières en évoquant les rêveries du narrateur sur les lieux qu’il désire visiter.

Proust innove dans sa manière de traiter le temps et la mémoire. La chronologie linéaire est délibérément éclatée au profit d’une temporalité subjective et psychologique. Les dates précises sont quasi absentes, remplacées par des sensations qui ralentissent ou accélèrent l’écoulement du temps tel que perçu par le narrateur. Cette technique narrative révolutionnaire influencera durablement la littérature du XXe siècle.

La satire sociale teinte l’ensemble du texte d’une ironie subtile. Proust décortique avec finesse les codes et les travers de la bourgeoisie et de l’aristocratie parisiennes de la fin du XIXe siècle, notamment à travers le salon des Verdurin et leurs « fidèles ». Les personnages sont disséqués avec une précision chirurgicale qui n’exclut pas l’humour, comme en témoigne le portrait de Madame Verdurin, « gourou d’une secte assez fermée » dont l’auteur « se délecte à énumérer le ridicule ».

Les critiques de l’époque se montrent d’abord sceptiques face à ce style novateur. André Gide, alors lecteur chez Gallimard, rejette initialement le manuscrit, le considérant « mal écrit ». La reconnaissance vient progressivement, si bien que « Du côté de chez Swann » est aujourd’hui considéré comme l’un des sommets de la littérature française. Virginia Woolf saluera plus tard l’audace de Proust, qui publie son roman la même année que paraît pour la première fois l’intégralité de l’ « Ulysse » de James Joyce.

La deuxième partie du livre, « Un amour de Swann », a été adaptée au cinéma en 1984 par le réalisateur allemand Volker Schlöndorff. Jeremy Irons et Ornella Muti y interprètent respectivement Charles Swann et Odette de Crécy. Le roman a également fait l’objet de plusieurs adaptations en bande dessinée, notamment par Stéphane Heuet aux éditions Delcourt.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 864 pages.


2. À l’ombre des jeunes filles en fleurs (À la recherche du temps perdu #2, 1919)

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Résumé

Dans le Paris de la Belle Époque, un jeune homme de la haute bourgeoisie vit ses premiers émois amoureux. Épris de Gilberte Swann, fille d’un couple mondain, il multiplie les stratagèmes pour la séduire et se faire accepter dans son cercle familial. Sa passion le conduit à fréquenter assidûment les Swann : Charles, le père, collectionneur d’art raffiné, et Odette, son épouse d’une élégance troublante. Mais la froideur croissante de Gilberte finit par éteindre ses sentiments.

Deux ans plus tard, sa santé fragile l’amène à séjourner dans la station balnéaire normande de Balbec avec sa grand-mère protectrice. Il y découvre un univers social nouveau, notamment Robert de Saint-Loup, un jeune aristocrate charismatique qui devient son ami, et Elstir, un peintre dont l’atelier lui ouvre les portes d’une autre perception du monde. Sur la plage, son attention se fixe sur une bande de jeunes filles insouciantes parmi lesquelles se distingue Albertine Simonet. Intrigué par sa personnalité et son charme, il tente de la conquérir en se rapprochant d’une autre jeune fille du groupe, Andrée. Ce stratagème lui permettra-t-il de gagner le cœur d’Albertine, qui semble dissimuler bien des mystères ?

Autour du livre

La genèse d’ « À l’ombre des jeunes filles en fleurs » est intimement liée au séjour de Marcel Proust à Cabourg, qui lui inspira Balbec. En 1908, lors d’une conversation avec son ami Marcel Plantevignes dans cette station balnéaire, celui-ci lui suggéra involontairement le titre du roman en évoquant sa sensation d’être « sous la protection, ou sous l’ombre » des jeunes filles qui l’entouraient. Cette métaphore spontanée marqua profondément Proust qui demanda aussitôt l’autorisation d’utiliser cette « belle formule » pour intituler un futur roman sur « les jeunes filles de Cabourg ».

Le manuscrit, d’abord prévu pour être publié chez Grasset en 1914, vit sa parution retardée par la Première Guerre mondiale. Proust mit à profit ces années pour retravailler considérablement son texte. En 1916, cédant aux sollicitations de Gaston Gallimard, il quitta Grasset pour les Éditions de la Nouvelle Revue Française. L’ouvrage parut finalement en 1918, constituant le deuxième tome d’ « À la recherche du temps perdu ».

La structure du roman, divisée en deux parties – « Autour de Madame Swann » et « Noms de pays : le pays » – prolonge la bipartition de l’univers proustien entre le monde des Swann et celui des Guermantes, déjà présente dans le premier tome. Le cercle des Swann représente la riche bourgeoisie, tandis que les Guermantes incarnent la noblesse. Cette dualité sociale sous-tend toute l’œuvre.

Les thèmes proustiens fondamentaux s’y déploient magistralement : la distinction entre l’art et la vie, la déception face aux événements longtemps attendus, l’emprise du temps sur les êtres, les mécanismes sociaux, la complexité de l’amour. Le narrateur y formule des observations saisissantes, comme celle-ci : « Le temps dont nous disposons chaque jour est élastique ; les passions que nous ressentons le dilatent, celles que nous inspirons le rétrécissent, et l’habitude le remplit. »

La critique accueillit favorablement l’ouvrage. Grâce au soutien de Léon Daudet, il reçut le Prix Goncourt 1919 par six voix contre quatre, l’emportant sur « Les Croix de bois » de Roland Dorgelès. Cette récompense marqua le début de la reconnaissance littéraire pour Proust.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 992 pages.


3. Le Côté de Guermantes (À la recherche du temps perdu #3, 1920-1921)

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Résumé

Paris, début du XXe siècle. Un jeune homme de la bourgeoisie nourrit une fascination pour l’aristocratie, incarnée par la prestigieuse famille des Guermantes. Le destin lui sourit lorsque sa famille emménage dans un appartement attenant à l’hôtel particulier du duc et de la duchesse de Guermantes, dans le très select faubourg Saint-Germain. Ébloui par la beauté et l’esprit de la duchesse Oriane de Guermantes, il met tout en œuvre pour pénétrer son cercle. Son ami Robert de Saint-Loup, neveu de la duchesse, devient son allié dans cette quête d’intégration au monde aristocratique.

Mais deux événements viennent bouleverser ses ambitions mondaines. D’abord, la maladie puis la mort de sa grand-mère adorée le confrontent brutalement à la perte d’un être cher. Ensuite, il retrouve Albertine, une jeune fille rencontrée à Balbec, avec qui il noue une relation complexe. Parallèlement, le mystérieux baron de Charlus, frère du duc de Guermantes, lui propose de le prendre sous son aile. Le narrateur se trouve ainsi tiraillé entre ses aspirations mondaines, son deuil et ses sentiments ambivalents pour Albertine, tandis qu’il découvre peu à peu les dessous moins reluisants de cette aristocratie qu’il avait tant idéalisée.

Autour du livre

Publié entre 1920 et 1921 chez Gallimard, « Le Côté de Guermantes » constitue le troisième tome d’ « À la recherche du temps perdu ». Marcel Proust y transpose sa propre expérience du milieu aristocratique, s’inspirant notamment de la famille Reveillon pour créer les Guermantes. Le choix même du patronyme « Guermantes » n’est pas anodin : il évoque les origines germaniques de la noblesse française médiévale, rappelant ainsi l’ancienneté de cette aristocratie sur le déclin.

Ce volume marque un tournant dans la « Recherche » en délaissant les thèmes de l’enfance et de l’adolescence pour aborder l’entrée dans l’âge adulte. La confrontation entre le rêve et la réalité structure l’ensemble du récit. Le narrateur, qui avait sublimé le nom de Guermantes comme il l’avait fait pour Balbec, se trouve confronté à la banalité du réel. Cette désillusion progressive s’accompagne d’une prise de conscience sociale et politique, notamment à travers l’affaire Dreyfus qui agite les salons aristocratiques et révèle leur antisémitisme latent.

L’écriture de Proust se caractérise par une extraordinaire maîtrise du temps narratif. Les scènes mondaines, qui occupent une place considérable dans le récit, sont décrites avec une précision d’entomologiste. La mort de la grand-mère, au centre exact du livre, constitue une césure dramatique magistrale qui transforme définitivement le narrateur. Les conversations des aristocrates, restituées dans toute leur futilité brillante, alternent avec des moments d’une intensité émotionnelle rare, comme cette scène où le narrateur découvre soudain sa grand-mère malade : « J’étais là, ou plutôt je n’étais pas encore là puisqu’elle ne le savait pas, et, comme une femme qu’on surprend en train de faire un ouvrage qu’elle cachera si on entre, elle était livrée à des pensées qu’elle n’avait jamais montrées devant moi. »

Les critiques de l’époque ont relevé la puissance de l’observation sociale dans ce volume. Certains lui ont reproché de limiter son regard à un milieu restreint de l’aristocratie, mais cette critique méconnaît la dimension universelle que Proust confère à ses observations. Comme l’écrit l’un de ses commentateurs, ce n’est pas tant la description d’un milieu social qui l’intéresse que la manière dont ce milieu sert de révélateur aux mécanismes universels du désir et de la désillusion.

Plus qu’une simple chronique mondaine, « Le Côté de Guermantes » peint le portrait d’une classe sociale qui ne voit pas venir son propre déclin, trop occupée à cultiver ses illusions de grandeur. Le livre annonce déjà les bouleversements qui seront développés dans le tome suivant, « Sodome et Gomorrhe ».

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 1088 pages.


4. Sodome et Gomorrhe (À la recherche du temps perdu #4, 1921-1922)

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Résumé

Paris, début du XXe siècle. Le narrateur, jeune homme de la haute société, surprend un jour une scène intime entre le baron de Charlus et le giletier Jupien. Cette découverte lui révèle soudain l’homosexualité du baron, qu’il n’avait jamais soupçonnée auparavant. À l’aune de cette révélation, il commence à percevoir différemment son entourage et la société mondaine qu’il fréquente, notamment lors d’une soirée chez la princesse de Guermantes où se croisent aristocrates et bourgeois, dreyfusards et antidreyfusards.

De retour à Balbec pour un second séjour, le narrateur retrouve Albertine. Leur relation se fait plus intime mais se complique quand il commence à soupçonner chez elle des penchants saphiques, notamment après l’avoir vue danser de manière équivoque avec son amie Andrée. Sa jalousie s’intensifie lorsqu’il apprend qu’Albertine fréquente Mlle Vinteuil, dont il connaît l’orientation sexuelle. Parallèlement, il observe la relation tumultueuse qui se noue entre le baron de Charlus et le jeune violoniste Morel. Tiraillé entre son désir de rupture et sa crainte de perdre Albertine, le narrateur oscille sans cesse. Alors qu’il s’apprête à mettre fin à leur relation, une révélation le pousse à prendre une décision radicale : il doit absolument l’épouser.

Autour du livre

« Sodome et Gomorrhe » constitue le quatrième volet de « À la recherche du temps perdu ». Publié en deux parties, en 1921 et 1922 chez Gallimard, c’est le dernier tome paru du vivant de Marcel Proust. L’auteur y aborde frontalement la question de l’homosexualité, sujet audacieux pour l’époque, quelques années seulement après le scandale du procès d’Oscar Wilde.

L’homosexualité masculine et féminine structure l’ensemble du récit, comme l’indique le titre biblique référant aux deux cités maudites. La première partie s’ouvre sur une scène saisissante où le narrateur compare la parade amoureuse entre Charlus et Jupien à la fécondation d’une orchidée par un bourdon. Cette métaphore botanique introduit une longue méditation sur la condition des « invertis » dans la société, comparée à celle des Juifs face à l’antisémitisme.

La mondanité constitue le deuxième pilier du roman. D’un salon à l’autre, de Paris à la côte normande, Proust dépeint une société en mutation où les frontières entre aristocratie et bourgeoisie s’estompent. Les Verdurin, enrichis, louent désormais la propriété des Cambremer, tandis que l’affaire Dreyfus continue de diviser la société. Les déplacements en automobile et en petit train traduisent cette mobilité nouvelle.

Au cœur de cette effervescence mondaine surgit brutalement le deuil. Le retour à Balbec provoque chez le narrateur une prise de conscience déchirante de la mort de sa grand-mère, survenue un an plus tôt. Cette réminiscence douloureuse inaugure le célèbre passage des « Intermittences du cœur », où la mémoire involontaire fait resurgir la souffrance enfouie.

André Gide critiqua la représentation « grotesque et abjecte » de l’homosexualité masculine dans le roman, trouvant le portrait de Charlus caricatural. Jacques Rivière partagea cette réserve. Néanmoins, la profondeur de l’analyse psychologique et la virtuosité stylistique furent unanimement saluées. Le philosophe Michel Onfray en souligne la singularité qui rompt avec l’uniformisation et l’aseptisation de la littérature.

Une particularité notable du texte réside dans sa phrase la plus longue, composée de plus de 900 mots, qui évoque la condition des homosexuels.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 992 pages.


5. La Prisonnière (À la recherche du temps perdu #5, 1923)

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Résumé

Paris, début du XXe siècle. Le narrateur, Marcel, installe Albertine dans l’appartement de ses parents temporairement absents. Tourmenté par une jalousie maladive, il soupçonne la jeune femme d’entretenir des relations avec d’autres femmes, notamment son amie Andrée et Mlle Vinteuil. Pour prévenir toute infidélité, il maintient Albertine dans une quasi-réclusion dorée, la comblant de cadeaux somptueux tout en surveillant ses moindres faits et gestes.

Malgré cette surveillance constante, le doute ne cesse de le ronger : les mensonges d’Albertine, ses contradictions et ses secrets alimentent sa paranoïa grandissante. Entre moments de tendresse et interrogatoires inquisiteurs, leur relation oscille perpétuellement. Quand il ne la désire plus, elle se montre docile et soumise ; quand elle manifeste des velléités d’indépendance, sa jalousie se réveille instantanément.

Pendant ce temps, dans le salon des Verdurin, le baron de Charlus organise une soirée musicale pour mettre en valeur son protégé, le violoniste Morel. Mais la maîtresse de maison, vexée d’être négligée par les invités aristocratiques, orchestre une vengeance qui précipitera la rupture entre les deux hommes. De retour chez lui, Marcel hésite entre partir seul à Venise ou rompre définitivement avec Albertine.

Autour du livre

« La Prisonnière », cinquième tome d’ « À la recherche du temps perdu », voit le jour en 1923, peu après la mort de Marcel Proust. Premier volume publié à titre posthume, il témoigne des conditions particulières de sa rédaction. Malade et reclus dans sa chambre, Proust travaille avec acharnement sur son manuscrit jusqu’à ses derniers jours. Cette genèse tourmentée transparaît dans le texte à travers quelques incohérences, comme ces personnages qui réapparaissent après avoir été déclarés morts, ou encore la confusion entre Françoise et Céleste Albaret. Le manuscrit, composé dans l’urgence, n’a pas bénéficié des multiples révisions habituelles de l’auteur.

Ce cinquième opus marque un tournant dans la construction narrative de « La Recherche ». Pour la première fois, le prénom du narrateur est révélé – Marcel – créant une identification troublante avec l’auteur. L’absence de chapitres, contrairement aux tomes précédents, renforce l’impression d’enfermement et d’obsession qui imprègne le récit. La jalousie y atteint des sommets vertigineux, dépassant même celle décrite dans « Un amour de Swann ».

Par-delà le thème central de la possession amoureuse, Proust déploie une vaste réflexion sur l’impossibilité de connaître véritablement l’autre. Les interrogatoires incessants de Marcel, ses tentatives désespérées de percer les secrets d’Albertine, illustrent l’échec inévitable de toute tentative de possession totale d’un être. Cette quête obsessionnelle s’accompagne de pages magistrales sur l’art, notamment lors de l’écoute du septuor de Vinteuil ou de la mort de l’écrivain Bergotte devant la « Vue de Delft » de Vermeer.

La critique salue la profondeur psychologique de ce volume, même si certains lecteurs déplorent son atmosphère étouffante. Nicolas Grimaldi souligne la nécessité pour Proust de transformer le réel en imaginaire pour en saisir l’essence : « Il faut que le réel devienne aussi irréel que s’il était imaginaire pour nous procurer l’intense sensation de réalité que nous en attendions. » Guy Schoeller préconise une lecture mesurée de vingt pages par jour pour mieux savourer la densité du texte.

En 2000, la cinéaste Chantal Akerman adapte librement « La Prisonnière » sous le titre « La Captive », avec Sylvie Testud et Stanislas Merhar. Son style s’inspire de « Sueurs froides » d’Alfred Hitchcock et des mélodrames de Yevgeni Bauer, et parvient à transposer avec justesse l’atmosphère oppressante du roman à l’écran.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 576 pages.


6. Albertine disparue (À la recherche du temps perdu #6, 1925)

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Résumé

« Mademoiselle Albertine est partie ! » : cette annonce de Françoise, la domestique du narrateur, ouvre ce sixième tome de « À la recherche du temps perdu ». Dans le Paris du début du XXe siècle, le narrateur découvre qu’Albertine, qu’il séquestrait presque dans son appartement par jalousie maladive, s’est enfuie chez sa tante en Touraine. Bien qu’il ait souvent songé à rompre avec elle, sa fuite le plonge dans un profond désarroi.

Au lieu de partir lui-même à sa recherche, il envoie son ami Saint-Loup en émissaire, puis tente diverses manœuvres indirectes pour la faire revenir. Mais un télégramme de sa tante annonce soudain la mort accidentelle d’Albertine, désarçonnée par son cheval. Le narrateur reçoit presque simultanément une lettre d’elle dans laquelle elle exprime son désir de revenir.

Commence alors une période de deuil obsessionnel, marquée par une jalousie rétrospective qui pousse le narrateur à enquêter sur le passé d’Albertine, notamment sur ses potentielles relations avec des femmes. Il mandate Aimé, le maître d’hôtel de Balbec, pour mener l’enquête et interroge Andrée, l’amie d’Albertine. Les révélations qui en découlent nourrissent sa souffrance, tandis que l’oubli commence insidieusement son œuvre. Pour se consoler, il part à Venise avec sa mère…

Autour du livre

Publié à titre posthume en 1925, « Albertine disparue » connut une genèse complexe. Le manuscrit original devait initialement s’intituler « La Fugitive », mais la parution en 1922 d’un roman de Rabindranath Tagore portant le même titre contraignit Proust à modifier ses plans. Il envisagea d’abord de publier ce volume avec « La Prisonnière » sous le titre « Sodome et Gomorrhe III et IV », avant d’opter finalement pour « Albertine disparue ». La publication initiale se fit sur la base d’un double de la dactylographie, l’original n’ayant été découvert qu’en 1986 dans les archives de Suzy Mante-Proust, la nièce de l’auteur. Cette version contenait d’importantes modifications que Proust était en train d’apporter au moment de sa mort, notamment une réduction significative du texte avec la suppression de 150 pages.

Le livre déploie une méditation saisissante sur le deuil, l’oubli et la mémoire. La disparition d’Albertine, d’abord physique puis définitive, permet à Proust d’ausculter les mécanismes psychologiques du chagrin amoureux avec une précision chirurgicale. Les phrases serpentines suivent les méandres d’une conscience qui tente de se reconstruire, oscillant entre déni, colère, jalousie et acceptation progressive. La structure même du roman mime ce cheminement : la présence obsédante d’Albertine dans les premières pages s’estompe graduellement, laissant place à d’autres figures comme Gilberte ou aux splendeurs de Venise.

Les critiques contemporains ont salué la puissance d’évocation de ce roman où la souffrance amoureuse se mêle à une réflexion plus large sur la nature fugace de nos attachements. Selon Françoise Sagan, « Albertine disparue » constitue même un remède aux chagrins d’amour, tant il décrit avec justesse le lent travail de l’oubli. D’autres commentateurs ont souligné l’importance de ce volume qui, en faisant se rejoindre les deux « côtés » emblématiques de la « Recherche » – celui de Méséglise et celui de Guermantes – prépare magistralement la conclusion de l’œuvre.

Ce volet de « À la recherche du temps perdu » a connu de multiples éditions, certaines conservant le titre « La Fugitive », d’autres optant pour « Albertine disparue ». La découverte du manuscrit original en 1986 a donné lieu à de nouvelles publications intégrant les ultimes corrections de Proust, notamment l’édition de 1992 chez Garnier-Flammarion.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 437 pages.


7. Le Temps retrouvé (À la recherche du temps perdu #7, 1927)

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Résumé

Dans le Paris de la Première Guerre mondiale, le narrateur revient d’un séjour chez Gilberte à Tansonville, près de Combray. La capitale vit au rythme des bombardements allemands, mais les salons mondains continuent de briller, notamment ceux de Mme Verdurin et de Mme Bontemps. Le baron de Charlus s’isole progressivement, affichant une troublante sympathie pour l’Allemagne. Robert de Saint-Loup part au front, tandis que Gilberte voit son château réquisitionné par l’état-major allemand.

Après plusieurs années passées en maison de santé, le narrateur se rend à une matinée chez le prince de Guermantes. En attendant d’être admis dans le salon, des sensations fortuites – le contact avec un pavé inégal, le tintement d’une cuillère contre une assiette – provoquent en lui des réminiscences extraordinaires qui lui rappellent d’autres moments de sa vie. Ces épiphanies lui révèlent soudain sa vocation d’écrivain et la nécessité de se consacrer à une œuvre littéraire qui donnerait forme au temps. Mais parviendra-t-il à l’écrire avant que la mort ne le rattrape ?

Autour du livre

« Le Temps retrouvé », publié en 1927, cinq ans après la mort de Marcel Proust, constitue le septième et dernier tome d’ « À la recherche du temps perdu ». Cette partie finale, bien qu’inachevée faute des relectures minutieuses auxquelles l’auteur soumettait habituellement ses textes, avait été conçue dès les débuts de la « Recherche ». Proust l’explique dans sa correspondance : certaines pages remontent à 1909, rédigées simultanément avec les premiers volumes. Cette genèse particulière s’explique par la nature même du projet : comment raconter la naissance d’une vocation d’écrivain sans en connaître déjà l’aboutissement ?

La guerre de 14-18 occupe une place prépondérante dans ce volume qui offre une description sans complaisance de la vie parisienne. Les soldats qui reviennent du front se trouvent en total décalage avec les civils, tandis que les rumeurs parcourent la ville sous les bombardements quotidiens des Gothas-G. Cette toile de fond historique sert de catalyseur aux transformations sociales : la richissime veuve Verdurin épouse le prince de Guermantes ruiné, symbole d’une société bouleversée où la bourgeoisie fortunée prend le pas sur l’aristocratie.

L’ouvrage se structure en trois mouvements majeurs. Le premier, dans le Paris en guerre, dépeint la déchéance du baron de Charlus et la mort de Saint-Loup. Le deuxième culmine avec l’épiphanie du narrateur dans la cour des Guermantes, moment crucial où il comprend enfin sa vocation d’écrivain. Le troisième, saisissant « Bal des têtes », confronte le narrateur aux ravages du temps sur tous les personnages qu’il a connus, transformés par les années en vieillards méconnaissables.

Les critiques s’accordent à voir dans ce volume l’apothéose de la « Recherche ». Pour beaucoup, il représente l’aboutissement magistral d’une œuvre monumentale, donnant enfin son sens à l’ensemble du cycle romanesque. La manière dont Proust parvient à boucler la boucle, faisant tomber en place chaque élément du puzzle narratif tout en formulant sa théorie esthétique, suscite l’admiration. Les pages consacrées à la mémoire involontaire et à la vocation artistique comptent parmi les plus marquantes de la littérature française.

Le cinéaste chilien Raoul Ruiz a adapté « Le Temps retrouvé » au cinéma en 1999, avec Catherine Deneuve, Emmanuelle Béart et John Malkovich dans les rôles principaux. Malgré la complexité de l’entreprise, ce film ambitieux parvient à rendre hommage à l’œuvre de Proust grâce à une distribution prestigieuse et une mise en scène qui traduit la fluidité temporelle caractéristique du roman.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 561 pages.

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