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Maj Sjöwall et Per Wahlöö en 4 polars – Notre sélection

Maj Sjöwall et Per Wahlöö en 4 polars – Notre sélection

Maj Sjöwall naît à Stockholm le 25 septembre 1935. Per Wahlöö vient au monde à Göteborg le 5 août 1926. En 1961, leurs chemins se croisent alors qu’ils travaillent tous deux dans le domaine de l’édition et du journalisme. Ils se marient l’année suivante et commencent à collaborer sur le plan littéraire.

Passionnés de criminologie et animés par de fortes convictions politiques marxistes, ils décident d’investir le genre du roman policier. En 1965, ils publient « Roseanna », premier volet d’une série de dix romans ayant pour protagoniste l’inspecteur Martin Beck. À travers cette saga écrite à quatre mains, Sjöwall et Wahlöö utilisent l’intrigue policière comme un scalpel pour disséquer la société suédoise des années 1960-1970 et en révéler les failles sous la façade du modèle social-démocrate.

Leurs romans se caractérisent par un style concis, une attention au détail et une forte critique sociale. Wahlöö, formé au journalisme, y apporte son expérience de reporter criminel, tandis que Sjöwall contribue avec sa rigueur d’éditrice. Le couple travaille méthodiquement en alternant l’écriture des chapitres et en perfectionnant ensemble chaque page.

Leur collaboration s’achève brutalement avec la mort de Per Wahlöö le 23 juin 1975 à Stockholm, juste après la publication du dernier tome de la série Beck, « Les Terroristes ». Maj Sjöwall poursuit ensuite une carrière plus discrète d’écrivaine et de traductrice jusqu’à son décès à Landskrona le 29 avril 2020.

L’œuvre du couple Sjöwall-Wahlöö, pionnière du polar nordique, influence durablement le genre et ouvre la voie à des auteurs comme Henning Mankell, dont le commissaire Wallander est considéré comme l’héritier direct de Martin Beck.

Voici notre sélection de leurs romans majeurs.


1. Roseanna (Martin Beck #1, 1965)

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Résumé

Dans les environs de Motala, petite ville de Suède, un corps est découvert dans le canal de Göta en juillet 1964. La victime, une jeune femme étranglée après avoir subi des violences sexuelles, ne peut être identifiée. L’inspecteur Martin Beck de la brigade criminelle de Stockholm est appelé en renfort. Méthodique et obstiné, il se heurte à un mur : aucune disparition signalée ne correspond, personne ne réclame le corps.

Après trois mois d’enquête laborieuse, une percée survient : la victime est identifiée sous le nom de Roseanna McGraw, une touriste américaine de 27 ans. Martin Beck, avec ses collègues Kollberg et Melander, reconstitue son parcours et découvre qu’elle voyageait sur le navire Diana qui traverse le canal. Parmi les 85 passagers internationaux présents ce jour-là se trouve probablement le meurtrier.

L’équipe analyse minutieusement les photographies et films amateurs des touristes pour reconstituer les dernières heures de Roseanna. Beck, de plus en plus absorbé par l’affaire, néglige sa vie familiale déjà fragile. Après six mois d’enquête, les soupçons se portent sur un certain Folke Bengtsson. Sans preuves suffisantes, l’équipe monte un piège risqué : une policière ressemblant à Roseanna servira d’appât pour forcer le suspect à se dévoiler…

Autour du livre

« Roseanna » paraît en Suède en 1965, fruit de la collaboration entre Maj Sjöwall et Per Wahlöö. Le couple d’écrivains, unis tant par l’amour que par leurs convictions marxistes, conçoit un ambitieux projet littéraire : une série de dix romans policiers, sobrement intitulée « Roman om ett brott » (« Roman sur un crime »), chacun comportant exactement trente chapitres. Cette structure rigoureuse, totalisant symboliquement trois cents chapitres, leur permet d’utiliser le genre policier comme vecteur de critique sociale. Comme l’expliquent les auteurs : « Le roman policier nous a permis de faire d’une pierre deux coups, en écrivant des livres de divertissement faciles à lire et en y glissant en même temps notre message politique. »

Les romans de Sjöwall et Wahlöö se distinguent par leur réalisme saisissant dans la description du travail policier. Loin des détectives omniscients à la Sherlock Holmes ou des privés américains surarmés, Martin Beck incarne un policier ordinaire avec ses faiblesses, ses doutes et sa mélancolie. Constamment enrhumé, souffrant régulièrement de l’estomac, malheureux dans son mariage, il compense ces défaillances par une obstination remarquable. La résolution du crime dans « Roseanna » s’étale sur plus de six mois, témoignant d’un souci d’authenticité qui tranche avec les enquêtes résolues en quelques jours dans la majorité des polars. Les auteurs décrivent avec précision les contraintes technologiques de l’époque : communications internationales difficiles, délais postaux, développement laborieux des photographies.

Le personnage de Martin Beck, décrit comme « mince mais pas particulièrement grand et un peu voûté », « aux yeux bleus doux et calmes », incarne l’antithèse du héros charismatique. Homme ordinaire auquel « la plupart des femmes ne prêteraient pas attention », il pratique son métier avec une éthique professionnelle irréprochable. Sa méthode repose sur trois qualités essentielles : « Il est têtu, il est logique et il est d’un calme absolu. » Cette approche du personnage principal a profondément influencé le polar scandinave moderne. Comme l’affirme Martin Beck lui-même dans le roman : « Un criminel est un être humain normal à ceci près qu’il est plus malheureux et moins bien adapté que les individus normaux. »

La critique considère unanimement « Roseanna » comme un jalon majeur dans l’histoire du roman policier. Henning Mankell, créateur du célèbre inspecteur Wallander, écrit dans sa préface à l’édition de 2008 : « Aujourd’hui, en relisant le roman, je constate que ma première impression tient toujours. Le livre n’a pratiquement pas vieilli. » Jo Nesbø, autre figure majeure du polar nordique, qualifie Sjöwall et Wahlöö de « Parrains de la fiction criminelle scandinave ». Barry Forshaw, dans son ouvrage « Death in a Cold Climate: a Guide to Scandinavian Crime Fiction », considéré comme la référence en matière de polar nordique, souligne : « Leur influence demeure prodigieuse. »

« Roseanna » a été adapté deux fois au cinéma. La première version, réalisée en 1967 par Hans Abramson, marque la première apparition à l’écran d’un récit de Sjöwall et Wahlöö. Keve Hjelm y interprète Martin Beck aux côtés de Hans Bendrik dans le rôle de Kollberg. Une seconde adaptation, cette fois en coproduction suédo-allemande, voit le jour en 1993 sous la direction de Daniel Alfredson, avec Gösta Ekman dans le rôle-titre. Ce dernier reprendra le personnage de Martin Beck dans plusieurs autres adaptations tirées de la série.

Aux éditions RIVAGES ; 269 pages.


2. L’homme qui partit en fumée (Martin Beck #2, 1966)

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Résumé

En plein cœur de l’été suédois des années 1960, Martin Beck, inspecteur à la brigade criminelle de Stockholm, voit ses vacances familiales brutalement interrompues. À peine arrivé sur l’île où l’attendent sa femme et ses enfants, il est rappelé d’urgence pour une mission délicate. Un journaliste suédois, Alf Matsson, a mystérieusement disparu à Budapest, derrière le rideau de fer. Le ministère des Affaires étrangères, craignant un incident diplomatique, charge Beck de mener l’enquête discrètement.

Arrivé dans la capitale hongroise, l’inspecteur découvre que Matsson s’est volatilisé le jour même de son arrivée, laissant à l’hôtel ses bagages et son passeport. Sans indice concret et ne parlant pas la langue, Beck avance à tâtons dans cette ville étrangère. Il se heurte à une police hongroise peu coopérative et remarque bientôt qu’il est constamment suivi.

Après avoir été agressé au bord du Danube par des inconnus, Beck découvre une piste impliquant un trafic international de drogue. Mais alors que tout semble indiquer une affaire criminelle complexe, l’inspecteur commence à soupçonner que la clé de l’énigme pourrait se trouver ailleurs qu’à Budapest…

Autour du livre

« L’homme qui partit en fumée », publié originalement en suédois sous le titre « Mannen som gick upp i rök » en 1966, constitue le deuxième volet de la célèbre série écrite par le couple Maj Sjöwall et Per Wahlöö. Leur collaboration née d’une vision partagée utilise le roman policier comme « un scalpel pour disséquer le ventre de la société bourgeoise suédoise idéologiquement appauvrie et moralement discutable ». Si Per Wahlöö a lui-même exercé le métier de journaliste pendant plusieurs années, la profession est paradoxalement dépeinte sous un jour peu flatteur dans ce roman, avec des reporters davantage préoccupés par l’alcool que par leur job.

Le récit se déroule à une époque où l’Europe reste scindée par le rideau de fer. Contrairement aux clichés habituels de la guerre froide, Sjöwall et Wahlöö présentent Budapest non comme un enfer communiste oppressant, mais comme une ville aux multiples charmes. L’atmosphère particulière des années 1960 imprègne chaque page : on fume partout sans restriction, les communications internationales nécessitent des standards téléphoniques, les voyages aériens comportent plusieurs escales avec des contrôles rigoureux. Le poids du système communiste se manifeste notamment à travers la constante et menaçante présence de la police politique.

Contrairement aux détectives omniscients traditionnels, Martin Beck apparaît comme « un homme ordinaire, dyspeptique, d’âge moyen, dont le mariage se désintègre lentement au fil de la série ». Il n’est pas un génie solitaire mais fait partie d’une équipe solidaire de policiers professionnels. Son quotidien banal – ses quintes de toux matinales, ses repas solitaires – humanise le personnage. Sa méthode d’enquête repose sur la patience, l’observation minutieuse et la persévérance plutôt que sur des éclairs de génie. Cette ordinarité calculée marque une rupture avec les conventions du genre et influencera sensiblement les futurs auteurs scandinaves, notamment Henning Mankell dont le commissaire Wallander présente d’importantes similitudes avec Beck.

Val McDermid, dans sa préface à l’édition anglaise, souligne que « beaucoup d’éléments devenus des clichés intégraux du roman policier procédural trouvent leur origine dans ces dix romans ». La critique apprécie particulièrement la dimension d’ensemble de « L’homme qui partit en fumée » qui, loin de se focaliser sur un héros solitaire, développe une équipe complète de personnages. Ekkehard Knörer remarque que « le plus grand attrait du roman réside dans la longue phase de latence à Budapest, où presque rien ne semble se produire ». D’autres lecteurs saluent la construction « exquise » des intrigues et « l’écriture proche de la perfection ».

Le roman a été adapté au cinéma en 1980 dans une coproduction germano-hongro-suédoise intitulée « Der Mann, der sich in Luft auflöste ». Réalisé par le cinéaste hongrois Péter Bacsó sur un scénario de Wolfgang Mühlbauer, le film a été principalement tourné en Hongrie. L’acteur britannique Derek Jacobi y incarne Martin Beck, tandis que Lasse Strömstedt joue Lennart Kollberg et Ferenc Bács interprète le major Szluka.

Aux éditions RIVAGES ; 269 pages.


3. L’homme au balcon (Martin Beck #3, 1967)

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Résumé

Stockholm, juin 1967. Un homme passe des heures sur son balcon à observer méticuleusement la rue en contrebas. Sa voisine d’en face, intriguée par ce comportement suspect, alerte la police qui ne prend pas l’appel au sérieux.

Pendant ce temps, le commissaire Martin Beck et son équipe enquêtent sur une série d’agressions violentes perpétrées dans les parcs de la ville. On découvre bientôt dans l’un des parcs le corps d’une fillette de neuf ans, violée et étranglée. Quelques jours plus tard, une seconde enfant subit le même sort selon un schéma identique, semant la panique dans toute la capitale.

L’investigation s’enlise. Les seuls témoins potentiels sont un voleur à l’arraché opérant dans les mêmes parcs et un petit garçon de trois ans. Épuisés par le manque de sommeil et la pression grandissante, Beck et ses collègues multiplient les interrogatoires et les recherches sans résultat tangible.

C’est alors que Beck se remémore cet appel négligé concernant l’homme au balcon. Le signalement correspond étrangement à celui fourni par le voleur qui aurait aperçu le meurtrier. Simple coïncidence ou piste prometteuse ?

Autour du livre

« L’homme au balcon », troisième opus de la série Martin Beck publiée initialement en 1967 sous le titre original « Mannen på balkongen », s’inspire d’un fait divers réel survenu à Stockholm en 1963. Deux fillettes avaient alors été abusées sexuellement et assassinées après avoir été abordées dans le parc où elles jouaient. Le criminel John Ingvar Lövgren, qui reconnut quatre meurtres entre 1958 et 1963, servit de modèle pour construire le personnage du tueur. Comme dans le roman, dans l’un des véritables cas impliquant Lövgren, des camarades de jeu de même âge que la victime constituèrent des témoins clés.

Ce troisième volet marque un tournant dans la série en introduisant plusieurs personnages qui deviendront récurrents : le bourru et arrogant Gunvald Larsson (qui était le personnage favori de Maj Sjöwall), l’inspecteur perpétuellement enrhumé Einar Rönn (le personnage préféré de Per Wahlöö), ainsi que les agents Kristiansson et Kvant qui apporteront une touche comique dans les romans suivants. La structure narrative s’articule autour d’une enquête policière méthodique, sans sensationnalisme, reflet du travail quotidien, parfois fastidieux mais nécessaire, des forces de l’ordre.

Derrière l’intrigue criminelle, Sjöwall et Wahlöö dressent un tableau sans concession de la société suédoise des années 1960, loin de l’image idyllique d’un État-providence parfait. Ils y dépeignent une capitale où cohabitent prospérité et misère sociale : drogue, prostitution infantile, sans-abris et délinquance. Cette critique sociale transparaît notamment lorsque l’inspecteur Kollberg médite sur les causes de la toxicomanie : « La consommation de drogue chez les jeunes était causée par une philosophie catastrophique provoquée par le système en vigueur. »

« L’homme au balcon » a été adapté au cinéma en 1993 par le réalisateur Daniel Alfredson. Le film, porté par Gösta Ekman dans le rôle de Martin Beck et Rolf Lassgård dans celui de Gunvald Larsson, rencontra un immense succès en Suède. Il remporta trois Guldbagge Awards (équivalent suédois des Césars) dans les catégories Meilleur acteur (Gösta Ekman), Meilleur scénario (Daniel Alfredson et Jonas Cornell) et Meilleur film (Hans Lönnerheden, producteur). Une adaptation en bande dessinée a également vu le jour en 1989, publiée par Mats Ekberg aux éditions Alvglans förlag.

Aux éditions RIVAGES ; 270 pages.


4. Le policier qui rit (Martin Beck #4, 1968)

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Résumé

Stockholm, novembre 1967. Par une soirée pluvieuse, un massacre sans précédent secoue la ville : neuf personnes sont abattues dans un bus à impériale. Parmi les victimes se trouve Åke Stenström, jeune inspecteur de la brigade criminelle. Le commissaire Martin Beck et son équipe – Lennart Kollberg, Gunvald Larsson, Fredrik Melander et Einar Rönn – font face à une enquête particulièrement ardue. Aucun témoin, aucun indice tangible, si ce n’est quelques balles tirées d’un pistolet-mitrailleur Suomi.

Tandis que la pression des médias et de la hiérarchie s’intensifie, Beck s’interroge sur la présence de son collègue dans ce bus. Sa fiancée, Åsa Torell, affirme qu’il travaillait beaucoup ces derniers temps – ce qui étonne l’équipe, car la brigade traversait une période étonnamment calme. Peu à peu, les enquêteurs comprennent que ce massacre pourrait n’être qu’une mise en scène pour dissimuler le véritable objectif : l’élimination de Stenström.

Les enquêteurs découvrent que le jeune policier menait secrètement une investigation sur un meurtre non résolu remontant à seize ans. S’était-il rapproché dangereusement de la vérité au point de devoir être éliminé ?

Autour du livre

« Le policier qui rit » (titre original : « Den skrattande polisen ») constitue le quatrième volet des enquêtes de Martin Beck écrites par le duo suédois Maj Sjöwall et Per Wahlöö. Publié en 1968 en Suède, il se démarque par son ancrage sociologique précis et sa dimension politique explicite. Sjöwall et Wahlöö dépeignent une Suède bien éloignée du « paradis social » généralement présenté : une société où la contestation gronde, où les inégalités persistent, et où la police n’échappe pas aux dysfonctionnements. La scène d’ouverture, montrant la répression violente d’une manifestation contre la guerre du Vietnam, établit immédiatement ce ton critique. Les auteurs mettent également en lumière la condition des travailleurs immigrés, la prostitution urbaine, et l’émergence d’une « société de consommation » avec toutes ses contradictions.

Le titre fait référence à une chanson britannique de 1922, « The Laughing Policeman » de Charles Penrose, qui apparaît dans le roman comme cadeau de Noël offert par la fille de Beck à son père. Cette référence prend une dimension ironique dans un récit où Beck, perpétuellement déprimé, constipé et insomniaque, ne trouve pratiquement jamais matière à rire. Cette mélancolie caractéristique du personnage principal préfigure déjà les futurs héros tourmentés du polar nordique, comme le Kurt Wallander de Henning Mankell.

La critique a largement salué « Le policier qui rit », lui décernant en 1971 le prestigieux Prix Edgar Allan Poe du meilleur roman – fait remarquable pour un ouvrage non anglophone. Il est généralement considéré comme l’un des meilleurs opus de la série. Le Los Angeles Book Review affirme que « Sjöwall et Wahlöö font partie de ceux qui montrent que, entre les mains d’écrivains visionnaires et compétents, la fiction policière peut simplement être de la grande littérature ».

Adapté au cinéma en 1973 par Stuart Rosenberg sous le titre « The Laughing Policeman », le film transpose l’action à San Francisco avec Walter Matthau dans le rôle principal. Il conserve certains éléments de l’intrigue mais modifie considérablement le cadre et les personnages. En 2011, le dessinateur français Martin Viot a également adapté le roman en bande dessinée sous le titre « Le policier qui rit », publiée chez Casterman. Plus récemment, le film suédois « Den gråtande polisen » (2022) s’en inspire librement.

Aux éditions RIVAGES ; 327 pages.

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