Avec « American Psycho », Bret Easton Ellis a signé l’un des romans les plus dérangeants des années 1990 : une plongée dans l’esprit d’un yuppie new-yorkais où satire sociale et violence extrême se mêlent jusqu’au malaise. Voici une sélection de livres qui, chacun à leur manière, s’aventurent dans les mêmes zones d’ombre : narrateurs peu fiables, critique corrosive d’une époque, vertige devant la noirceur du monde.
1. Ohio (Stephen Markley, 2018)
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Dans « Ohio », Stephen Markley raconte une nuit d’été à New Canaan, petite ville délaissée du Midwest. Quatre anciens camarades de lycée, désormais trentenaires, y reviennent chacun pour une raison précise : Bill, ancien militant devenu toxicomane, transporte un paquet dont personne ne connaît le contenu ; Stacey retrouve la mère de son ex disparue ; Dan, vétéran de la guerre d’Irak, revoit son amour de jeunesse ; Tina, caissière, veut solder un vieux compte. Au fil des heures, leurs parcours se croisent, se contredisent et révèlent des blessures anciennes, ancrées dans une adolescence marquée par la violence, la désillusion et la perte.
Si « American Psycho » dissèque les excès d’un certain milieu new-yorkais dans les années 80, « Ohio » opère un travail tout aussi implacable sur l’Amérique post-11 septembre, en se concentrant cette fois sur une jeunesse issue de la « Rust Belt ». Comme Bret Easton Ellis, Markley scrute la face sombre d’une société : vide moral, rapports humains faussés, destruction lente des idéaux.
Les deux romans partagent une précision chirurgicale dans la construction des personnages et une capacité à mêler critique sociale et tension narrative. Là où Patrick Bateman incarne l’aliénation par le luxe et la consommation, les habitants de New Canaan expriment celle d’une Amérique oubliée, minée par la guerre, la crise économique et l’addiction.
Le lecteur qui a aimé la noirceur, la lucidité et la densité psychologique de « American Psycho » retrouvera dans « Ohio » une intensité comparable, transposée à un autre paysage et à d’autres fantômes.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 640 pages.
2. Cadavre exquis (Agustina Bazterrica, 2017)
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Dans « Cadavre exquis », Agustina Bazterrica imagine un futur où un virus a éradiqué presque tous les animaux. Pour maintenir la consommation de viande, des scientifiques créent une race issue de génomes humains, élevée et abattue comme du bétail. Marcos, employé dans un abattoir, reçoit un jour une femelle de « première génération » et, en secret, commence à la traiter comme un être humain. Dans un monde où le cannibalisme est institutionnalisé et soigneusement dissimulé derrière une novlangue aseptisée, ce geste est passible de mort.
Ce roman pourrait vous séduire car, comme Bret Easton Ellis, Bazterrica conjugue froideur clinique et atmosphère oppressante pour décrire un univers où la violence est banalisée. Là où Ellis décortique la superficialité et la cruauté du capitalisme à travers un narrateur obsédé par le contrôle et la consommation, Bazterrica met en scène une société entière qui accepte l’inacceptable, portée par la propagande et l’avidité.
Les deux récits partagent cette capacité à immerger le lecteur dans un quotidien où l’horreur se glisse dans la normalité, où le langage et les codes sociaux masquent la barbarie. Marcos, comme Patrick Bateman, oscille entre lucidité et complicité, révélant que dans ces mondes déshumanisés, la frontière entre victime et bourreau reste mouvante.
Aux éditions J’AI LU ; 320 pages.
3. Parfaite (Caroline Kepnes, 2014)
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« Parfaite » de Caroline Kepnes suit Joe Goldberg, libraire new-yorkais, qui tombe fou amoureux de Guinevere Beck, étudiante et aspirante écrivaine. Ce coup de foudre tourne rapidement à l’obsession : Joe s’immisce dans la vie de Beck, espionne ses réseaux sociaux, s’introduit chez elle, anticipe ses désirs et écarte, parfois violemment, toute personne qu’il juge nuisible à leur relation. Le récit, entièrement du point de vue de Joe, révèle un esprit brillant mais dérangé, où amour et contrôle se confondent.
Comme Patrick Bateman chez Bret Easton Ellis, Joe est un narrateur à la fois charismatique et inquiétant, dont l’intériorité monopolise le récit. On retrouve cette immersion dérangeante dans un esprit obsessionnel, avec un mélange de banalité quotidienne et de pensées extrêmes.
Là où Bateman dissèque la superficialité et la violence du New York des années 80, Joe met en lumière un autre visage de la ville : celui des amours toxiques nourries par l’ère numérique, où la surveillance devient aussi simple qu’un clic. Dans les deux cas, le lecteur est partagé entre répulsion et curiosité, pris dans un récit qui brouille la frontière entre séduction et menace, lucidité et folie.
Aux éditions POCKET ; 512 pages.
4. Je ne suis pas un serial killer (Dan Wells, 2009)
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Dans « Je ne suis pas un serial killer », Dan Wells met en scène John Wayne Cleaver, un adolescent de quinze ans diagnostiqué sociopathe. Il vit dans une petite ville américaine et aide régulièrement sa mère et sa tante au funérarium familial. Conscient de ses pulsions violentes et de son attrait pour les tueurs en série, il s’impose des règles strictes pour ne pas passer à l’acte. Mais lorsqu’une série de meurtres particulièrement sordides frappe sa ville, John décide de traquer le coupable, quitte à briser ses propres limites.
Ce roman peut plaire à un lecteur de « American Psycho » pour la façon dont il s’immerge dans l’esprit d’un personnage froid, détaché, lucide sur sa nature. Comme Patrick Bateman, John analyse son environnement avec une distance presque clinique, sans empathie réelle, et nourrit une fascination pour la violence et la mort.
Là où Bret Easton Ellis travaille sur la satire sociale et le consumérisme des années 80, Dan Wells transpose cette froideur et ce cynisme dans un décor plus intime et provincial, avec un humour noir qui allège parfois la tension. Le lecteur retrouve cette même sensation troublante : être attiré par un narrateur inquiétant, suivre ses pensées les plus sombres et guetter le moment où il pourrait franchir la ligne.
Aux éditions SONATINE ; 272 pages.
5. Il faut qu’on parle de Kevin (Lionel Shriver, 2003)
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« Il faut qu’on parle de Kevin » raconte l’histoire d’Eva, qui écrit à son mari dont elle est séparée pour revenir sur leur vie de famille et tenter de comprendre ce qui a pu pousser leur fils, Kevin, à tuer neuf personnes dans son lycée à la veille de ses seize ans. À travers ces lettres, elle évoque son absence d’instinct maternel, la personnalité froide et manipulatrice de Kevin, le déni de son mari, et les tensions familiales qui ont précédé le drame. Ce récit à sens unique mêle souvenirs, introspection et visites au parloir, jusqu’au face-à-face final entre la mère et le fils.
Pour quiconque a aimé « American Psycho », ce roman présente une parenté évidente dans sa manière de sonder la part sombre de l’être humain. Comme chez Bret Easton Ellis, le malaise naît d’une narration qui ne cherche pas à rassurer, mais à confronter. Là où « American Psycho » donne voix à un tueur narcissique, obsédé par le contrôle et l’image, « Il faut qu’on parle de Kevin » met en scène un adolescent tout aussi glacial, vu à travers le regard d’une mère qui oscille entre lucidité et doute.
Les deux livres posent la question dérangeante du mal comme élément constitutif d’une personnalité : est-il le produit d’un environnement ou une donnée immuable ? Enfin, chacun d’eux dépeint une Amérique obsédée par l’apparence et aveugle face à ses propres dérives, en utilisant un style clinique qui installe une tension continue et laisse le lecteur sans réponse confortable.
Aux éditions POCKET ; 688 pages.
6. La Maison des feuilles (Mark Z. Danielewski, 2000)
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« La Maison des feuilles » commence avec Johnny Errand, employé dans un salon de tatouage, qui met la main sur un étrange manuscrit laissé par un vieil aveugle, Zampanò. Ce texte analyse un film, le « Navidson Record », dans lequel une famille découvre que sa maison est plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur et cache un dédale infini, froid et sombre. À travers des récits imbriqués, des notes, des lettres et des pages aux mises en forme déroutantes, le lecteur suit à la fois l’histoire de la famille Navidson et la descente de Johnny vers la paranoïa, sans jamais être certain de ce qui est vrai ou inventé.
Ce roman peut séduire par sa façon de brouiller la frontière entre le réel et la folie, en donnant voix à un narrateur dont la perception se désagrège au fil du récit, comme celle de Patrick Bateman. Les deux livres partagent un goût pour les narrateurs peu fiables, dont l’instabilité mentale colore chaque phrase, et pour les constructions narratives fragmentées qui demandent au lecteur de recomposer le sens.
Comme Ellis, Danielewski mêle des scènes quasi cliniques à des passages où l’angoisse devient presque palpable, et fait surgir la violence au détour de situations banales. Dans les deux cas, la ville, les intérieurs et les objets ne sont pas de simples décors : ils reflètent l’esprit du narrateur et ses dérives, jusqu’à devenir oppressants. Là où « American Psycho » enferme dans la psyché malade d’un golden boy, « La Maison des feuilles » enferme dans une maison-labyrinthe, autre figure du piège mental.
Aux éditions MONSIEUR TOUSSAINT LOUVERTURE ; 694 pages.
7. Le corps exquis (Poppy Z. Brite, 1996)
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« Le corps exquis » de Poppy Z. Brite raconte la rencontre de deux tueurs en série, Andrew Compton et Jay Byrne. Le premier, britannique, s’évade de prison après avoir assassiné et abusé de vingt-trois jeunes hommes. Le second, basé à la Nouvelle-Orléans, est un riche prédateur cannibale. Leur attirance mutuelle scelle une relation faite de meurtres, de sexe et de sang, sur fond de sida, de drogue et de solitude. Autour d’eux gravitent Tran, jeune marginal, et Luke, écrivain séropositif, dont les destins finiront par croiser celui du duo. C’est un récit extrême, à la fois glaçant et hypnotique, qui mêle violence graphique et portraits sans fard.
Les deux romans partagent un point de vue centré sur des personnages amoraux, décrits sans justification ni condamnation morale, et une attention à la mécanique intime de leurs pulsions. Comme chez Bret Easton Ellis, la narration se tient parfois à l’intérieur de l’esprit des tueurs, exposant la froideur clinique avec laquelle ils pensent et agissent.
L’univers, saturé de sexe, de violence et de références à une époque précise — l’Amérique des années 90 dans « Le corps exquis », la décennie yuppie dans « American Psycho » — devient un miroir déformant de la société. Là où Ellis dissèque la vacuité et l’obsession matérielle, Brite met en avant la marginalité, la maladie et la transgression ultime. Dans les deux cas, la lecture confronte à l’horreur brute, mais aussi à une forme d’attraction trouble, qui pousse à tourner les pages malgré le malaise.
Aux éditions AU DIABLE VAUVERT ; 304 pages.
8. Fight Club (Chuck Palahniuk, 1996)
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Dans « Fight Club » de Chuck Palahniuk, le narrateur, un cadre insomniaque désabusé, rencontre Tyler Durden, un personnage charismatique imprévisible. Ensemble, ils fondent un club de combats clandestins où des hommes se frappent pour se libérer de la routine et du vide de leur existence. Le projet prend rapidement de l’ampleur et se transforme en “Projet Chaos”, une organisation aux ambitions destructrices qui remet en cause les fondations mêmes de la société de consommation. Entre affrontements physiques, règles strictes et spirale vers l’autodestruction, le narrateur perd pied dans un univers où réalité et folie se confondent.
Si « American Psycho » dissèque avec froideur et précision le vernis de réussite qui masque la vacuité et la violence latente du yuppie new-yorkais, « Fight Club » s’attaque à la même société mais par un autre angle : celui d’hommes en quête d’identité dans un monde qui les réduit à leur fonction d’employé et à leurs possessions. Là où Patrick Bateman canalise ses pulsions dans le luxe, la superficialité et le meurtre, le narrateur de Palahniuk et Tyler Durden choisissent l’illégalité, la transgression collective et l’anarchie.
Les deux romans mettent en scène un personnage principal au discours instable, parfois peu fiable, et jouent avec la question du double — réel ou fantasmé — pour traduire le malaise profond de l’époque. Le ton de « Fight Club », plus sec et parfois teinté d’humour noir, amplifie la sensation de chaos et d’urgence, offrant au lecteur d’ »American Psycho » une nouvelle plongée dans la noirceur, mais avec une énergie brute, désordonnée.
Aux éditions FOLIO ; 304 pages.
9. Trainspotting (Irvine Welsh, 1993)
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« Trainspotting » raconte la vie de quatre amis de Leith, un quartier pauvre d’Édimbourg, dans les années 1980. Mark, Sick Boy, Spud et Matty tentent de combler le vide de leur existence entre héroïne, combines foireuses, bagarres et beuveries. Tous naviguent dans un environnement marqué par le chômage, la misère et la violence. Certains rêvent de décrocher, d’autres s’enfoncent, mais tous sont pris dans le même engrenage, avec parfois un éclat de lucidité ou l’espoir d’un dernier coup pour s’en sortir.
Si vous avez apprécié « American Psycho », « Trainspotting » présente un terrain familier : une écriture crue, sans filtre, qui ne ménage ni ses personnages ni son lecteur. Là où Bret Easton Ellis dresse le portrait clinique et glaçant d’un yuppie new-yorkais obsédé par le contrôle et la consommation, Irvine Welsh se concentre sur une jeunesse écossaise brisée, dont les addictions dictent les choix et dévorent les illusions.
Les deux romans partagent une intensité brutale, un humour noir qui met mal à l’aise, des personnages moralement ambigus que l’on déteste autant qu’on s’y attache. On y retrouve la même capacité à rendre palpable un contexte social et culturel précis, et à faire ressentir de l’intérieur la spirale destructrice dans laquelle leurs protagonistes s’enferment.
Aux éditions POINTS ; 456 pages.
10. Le Maître des illusions (Donna Tartt, 1992)
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À Hampden, université isolée du Vermont, Richard Papen, étudiant boursier venu de Californie, parvient à intégrer un cercle restreint de six élèves en grec ancien, dirigé par un professeur charismatique. Séduits par l’Antiquité et un certain idéalisme intellectuel, ils s’installent dans un entre-soi qui, sous l’alcool, la drogue et les secrets, va se fissurer. Une nuit, une expérience rituelle tourne au drame : un homme est tué. Lorsqu’un membre du groupe menace de révéler la vérité, ils décident de l’éliminer. Ce meurtre scelle la lente décomposition du clan et précipite chacun dans la culpabilité et la méfiance.
Si « American Psycho » scrute la violence tapie derrière le vernis d’une élite new-yorkaise obsédée par les apparences et la réussite, « Le Maître des illusions » s’attaque à un microcosme différent mais tout aussi refermé sur lui-même : celui d’étudiants privilégiés persuadés d’appartenir à un monde supérieur. Les deux romans partagent un goût pour les portraits acérés, la description d’un milieu qui se croit intouchable, et la montée progressive d’une noirceur morale jusqu’à l’irrémédiable.
Là où Bret Easton Ellis joue la surenchère et la satire sanglante, Donna Tartt installe un malaise plus feutré : le lecteur observe la chute des personnages comme un lent poison, dans un climat de supériorité sociale et de vide affectif qui rappellera bien des échos aux amateurs de « American Psycho ».
Aux éditions POCKET ; 792 pages.
11. Une fille comme les autres (Jack Ketchum, 1989)
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Dans « Une fille comme les autres », Jack Ketchum raconte l’histoire de Meg et de sa sœur Susan, envoyées chez leur tante Ruth dans une petite ville américaine des années 1950 après la mort de leurs parents. D’abord simplement mal à l’aise, Meg devient la cible d’un engrenage de brimades, puis de violences physiques, encouragées et orchestrées par Ruth et ses fils. David, jeune voisin, observe l’escalade, partagé entre fascination, culpabilité et impuissance, jusqu’à ce que l’horreur atteigne son paroxysme.
Ce roman peut frapper par sa manière de plonger dans la banalité du mal et la violence brute sans filtre. Là où Bret Easton Ellis dissèque le consumérisme et le narcissisme à travers la cruauté glaciale de Patrick Bateman, Jack Ketchum s’ancre dans une réalité domestique, inspirée d’un fait divers, et met en lumière la mécanique collective qui transforme des voisins ordinaires en bourreaux.
Dans les deux cas, le récit confronte le lecteur à des actes insoutenables, mais aussi à sa propre position de témoin : on continue de lire malgré le dégoût, happé par l’escalade de la violence. « Une fille comme les autres » ne cherche pas à offrir de rédemption ni de justification psychologique rassurante, tout comme « American Psycho » refuse de moraliser. Ces histoires laissent une trace durable, précisément parce qu’elles ne permettent pas de se réfugier dans la distance ou l’oubli.
Aux éditions FOLIO ; 384 pages.
12. Le Parfum (Patrick Süskind, 1985)
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« Le Parfum » de Patrick Süskind raconte la vie de Jean-Baptiste Grenouille, né dans la crasse et l’indifférence du Paris du XVIIIe siècle. Dépourvu de toute odeur corporelle, mais doté d’un odorat extraordinaire, il développe très tôt une obsession : capturer et conserver les senteurs les plus sublimes. Cette quête le conduit à apprendre l’art de la parfumerie, puis à assassiner des jeunes filles dont il souhaite s’approprier l’essence pour créer le parfum parfait, capable de séduire et de soumettre ceux qui le sentent.
Ce grand classique pourrait vous séduire par la noirceur et l’amoralité glaciale de son protagoniste. Comme Patrick Bateman, Grenouille est un personnage hors norme, obsédé par une idée fixe et prêt à tuer pour l’accomplir. Tous deux sont dénués d’empathie, vivent en marge du monde, et transforment leur obsession — l’esthétique parfaite pour Bateman, l’odeur absolue pour Grenouille — en justification de leurs crimes.
Süskind, comme Bret Easton Ellis, confronte le lecteur à un anti-héros glaçant, dont la logique interne est implacable et qui entraîne dans une spirale de violence méthodique. Là où Ellis dissèque la superficialité et la cruauté du milieu des affaires new-yorkais, Süskind peint un décor historique étouffant, saturé de senteurs, où l’art et le meurtre se confondent. Dans les deux cas, l’intrigue dérange autant qu’elle fascine, et laisse une impression durable par la froide précision avec laquelle le crime est décrit.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 279 pages.
13. Méridien de sang (Cormac McCarthy, 1985)
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Dans « Méridien de sang », un adolescent anonyme, surnommé “le gamin”, quitte le Tennessee vers 1850 et rejoint une bande de mercenaires menés par le capitaine Glanton et le juge Holden. Payés pour rapporter des scalps, ils traversent le Texas, le Mexique et l’Arizona, laissant derrière eux des villages incendiés, des cadavres mutilés et un désert saturé de sang. Inspiré de faits réels, ce récit montre un Ouest sans loi où la survie passe par la brutalité la plus extrême.
Ce bouquin devrait vous intéresser pour une raison simple : il partage avec Bret Easton Ellis le goût d’une violence qui n’est jamais gratuite mais qui sert à sonder ce que l’homme a de plus sombre. Patrick Bateman tue dans les rues de Manhattan avec un détachement glaçant ; les hommes de Glanton massacrent dans les plaines arides avec la même froideur.
Dans les deux livres, il n’y a pas de héros, pas de rédemption, seulement des personnages engloutis par leur propre noirceur. Cormac McCarthy, comme Ellis, mêle cette horreur brute à une écriture travaillée, presque hypnotique, qui crée un contraste troublant entre la beauté de la langue et la cruauté des actes. Là où « American Psycho » dissèque le vide moral d’une élite urbaine, « Méridien de sang » montre la même vacuité morale transposée dans un décor de conquête et d’anarchie, où l’humanité s’efface pour laisser place à la prédation pure.
Aux éditions POINTS ; 480 pages.
14. Retour à Brooklyn (Hubert Selby Jr., 1978)
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« Retour à Brooklyn » de Hubert Selby Jr. raconte la chute de quatre personnages, chacun prisonnier d’un rêve qui se transforme en piège. Harry et Marion veulent ouvrir un café, Tyrone espère quitter la rue, Sara, la mère de Harry, rêve de passer à la télévision. Mais leurs ambitions passent vite au second plan face aux drogues qui prennent le contrôle de leurs vies : héroïne pour les uns, pilules amaigrissantes pour Sara. L’addiction s’installe et, inexorablement, chacun glisse vers un point de non-retour.
Ce bouquin déploie un autre regard sur l’Amérique des illusions et des obsessions destructrices. Comme Ellis, Selby Jr. s’intéresse à des personnages obsédés par une image idéalisée d’eux-mêmes et par un succès qui n’existe que dans leur tête. La violence chez Selby n’est pas celle des meurtres spectaculaires, mais celle, plus insidieuse, de l’autodestruction lente.
On retrouve la même écriture crue, sans filtre, qui refuse toute complaisance et qui met le lecteur face à des vies broyées par leurs propres choix, dans un environnement social indifférent ou hostile. Là où « American Psycho » dissèque la vacuité et la folie consumériste, « Retour à Brooklyn » montre comment un rêve mal orienté peut devenir un instrument de perte. Les deux laissent un goût amer : celui d’un monde où l’aspiration au bonheur se heurte à la brutalité des réalités humaines.
Aux éditions 10/18 ; 304 pages.
15. L’assassin qui est en moi (Jim Thompson, 1952)
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« L’assassin qui est en moi » suit Lou Ford, adjoint du shérif dans une petite ville texane. Aux yeux de tous, il est serviable, aimable, presque naïf. Mais derrière ce masque se cache un esprit violent et calculateur. Marqué par un passé trouble et décidé à se venger d’un puissant local qu’il tient pour responsable de la mort de son frère, Lou se laisse entraîner dans une spirale meurtrière. Sa relation avec une prostituée, ses manipulations et ses alibis savamment construits l’amènent à éliminer tous ceux qui menacent de révéler sa nature. Le récit, mené à la première personne, donne accès à ses pensées froides et à sa logique implacable, jusqu’à un final ambigu où sa chute semble inévitable.
Comme chez Bret Easton Ellis, le narrateur est un tueur qui raconte lui-même ses crimes. On retrouve cette immersion dérangeante dans la psyché d’un personnage qui alterne banalité du quotidien et surgissements de violence extrême. Lou Ford, comme Patrick Bateman, affiche un masque social impeccable et utilise le langage pour manipuler son entourage, tout en laissant transparaître des obsessions sexuelles et un mépris total pour ses victimes.
L’ambiance est tout aussi oppressante : un décor en apparence ordinaire, mais gangrené par l’hypocrisie et la corruption, où la folie du protagoniste reflète la noirceur de la société qui l’entoure. Là où Ellis joue sur la satire du monde yuppie, Jim Thompson vise l’Amérique provinciale et ses faux-semblants, avec la même froideur clinique et la même intensité.
Aux éditions RIVAGES ; 272 pages.