Ken Kesey naît le 17 septembre 1935 à La Junta dans le Colorado. Il grandit dans une famille de fermiers puis déménage à Springfield, Oregon, à l’âge de dix ans. Excellent lutteur à l’adolescence puis à l’université, il épouse sa petite amie du lycée, Norma « Faye » Haxby, avec qui il aura trois enfants.
En 1959, alors qu’il étudie à l’université Stanford, Kesey participe à des expériences sur les drogues psychédéliques menées par la CIA dans le cadre du projet MK-ULTRA. Cette expérience, conjuguée à son travail d’aide-soignant de nuit dans un hôpital pour anciens combattants, inspire son premier roman, « Vol au-dessus d’un nid de coucou » (1962), qui connaît un succès immédiat.
Kesey s’installe ensuite à La Honda en Californie où il forme le groupe des Merry Pranksters. Avec ses comparses, il organise des « Acid Tests », des soirées psychédéliques où le LSD circule librement. En 1964, le groupe entreprend un voyage légendaire à travers les États-Unis dans un bus scolaire baptisé « Further », une odyssée qui sera immortalisée par Tom Wolfe dans « Acid Test ».
En 1965, arrêté pour possession de marijuana, Kesey simule son suicide et s’enfuit au Mexique. À son retour aux États-Unis, il est condamné à six mois de prison. Après sa libération, il s’installe avec sa famille à Pleasant Hill, Oregon, où il mène une vie plus tranquille tout en continuant à écrire.
La tragédie frappe en 1984 lorsque son fils Jed, lutteur universitaire, meurt dans un accident de la route. Kesey continue néanmoins à écrire et à se produire occasionnellement avec les Merry Pranksters jusqu’à la fin des années 1990. En 1997, il subit un accident vasculaire cérébral. Affaibli par des problèmes de santé, il meurt le 10 novembre 2001 à Eugene, Oregon, des suites de complications après une opération du foie. Il est enterré près de son fils Jed sur sa ferme familiale.
Figure importante de la contre-culture américaine, Kesey aura créé un pont entre la Beat Generation des années 1950 et le mouvement hippie des années 1960.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Vol au-dessus d’un nid de coucou (1962)
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Résumé
Au début des années 1960, dans un hôpital psychiatrique de l’Oregon, l’infirmière Ratched règne en maîtresse absolue sur son service. Cette femme autoritaire maintient l’ordre grâce à un système de récompenses et de punitions, soutenue par une équipe d’aides-soignants qu’elle a soigneusement sélectionnés pour leur cruauté. Les patients, terrorisés, se soumettent à ses moindres caprices. Seul le « Chef » Bromden, un colosse métis amérindien qui se fait passer pour sourd-muet, observe en silence cette mécanique de l’oppression.
L’équilibre du service bascule avec l’arrivée de Randle Patrick McMurphy, un prisonnier qui simule la folie pour échapper aux travaux forcés. Bagarreur, joueur invétéré, amateur de femmes, McMurphy insuffle un vent de rébellion parmi les patients. Il organise des parties de cartes clandestines, monte une équipe de basket-ball et pousse ses compagnons à réclamer leurs droits, notamment celui de regarder les matchs de baseball à la télévision. Face à ces provocations, l’infirmière Ratched reste d’un calme glacial, sachant que le temps joue en sa faveur : contrairement à la prison, la durée d’internement dépend uniquement de son bon vouloir.
McMurphy comprend tardivement le piège dans lequel il s’est enfermé. Pour redonner espoir à ses camarades, il organise une sortie en mer qui se transforme en véritable bouffée d’oxygène pour les patients. Mais l’administration riposte par des séances d’électrochocs. McMurphy résiste et décide d’organiser une dernière fête dans le service, avec alcool et prostituées. Cette nuit de liberté aura des conséquences dramatiques…
Autour du livre
« Vol au-dessus d’un nid de coucou » naît des expériences de Ken Kesey comme aide-soignant de nuit dans un hôpital psychiatrique de Menlo Park, en Californie. Cette immersion dans l’univers asilaire se double d’une participation au projet gouvernemental MK-ULTRA, au cours duquel Kesey expérimente volontairement des substances psychoactives comme la mescaline et le LSD. Ces substances modifient sa perception et le rapprochent des patients, dont les hallucinations et les comportements irrationnels lui semblent désormais moins étrangers. Cette double expérience nourrit l’écriture du roman, commencée en 1959 et achevée en 1962.
Le titre original du livre, « One Flew Over the Cuckoo’s Nest », provient d’une comptine enfantine dont les derniers vers servent d’épigraphe : « One flew east, one flew west, And one flew over the cuckoo’s nest ». Cette référence suggère la fuite, l’évasion, mais aussi la folie, le terme « cuckoo » désignant familièrement en anglais une personne dérangée. Le texte multiplie les niveaux de lecture : critique des institutions psychiatriques, métaphore de la société américaine d’après-guerre, dénonciation de la discrimination envers les Amérindiens. À travers le personnage du Chef Bromden, Kesey évoque la dépossession des terres tribales au profit de projets gouvernementaux, notamment la construction d’un barrage sur les chutes de Celilo.
La perspective narrative originale constitue l’une des forces du livre. Le récit est livré par le Chef Bromden, dont la prétendue infirmité lui permet d’observer sans être remarqué. Son regard schizophrène transforme l’hôpital en une machine déshumanisante qu’il nomme « la Combine ». Cette métaphore mécanique traduit sa vision d’une société qui broie les individualités. Time Magazine inclut « Vol au-dessus d’un nid de coucou » dans sa liste des 100 meilleurs romans de langue anglaise parus entre 1923 et 2005. The Guardian le classe parmi les 1000 livres incontournables de la littérature mondiale.
Dale Wasserman transpose le roman au théâtre dès 1963, avec Kirk Douglas dans le rôle de McMurphy. La version cinématographique de Miloš Forman (1975), avec Jack Nicholson, remporte cinq Oscars. Plus récemment, la série « Ratched » (2020) imagine les origines du personnage de l’infirmière, interprétée par Sarah Paulson.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 480 pages.
2. Et quelquefois j’ai comme une grande idée (1964)
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Résumé
Au début des années 1960, dans la petite ville de Wakonda sur la côte de l’Oregon, les Stamper, une famille de bûcherons indépendants, s’attire les foudres de toute la communauté. Suite à l’arrivée des tronçonneuses qui réduit le besoin en main-d’œuvre, les travailleurs syndiqués de la région se mettent en grève pour maintenir leurs salaires. Les Stamper, seule entreprise non syndiquée de la ville, refusent de suivre le mouvement et continuent d’approvisionner la scierie régionale en bois, compromettant ainsi l’efficacité de la grève.
L’entreprise familiale est dirigée par Hank Stamper, héritier de l’inflexible devise paternelle « Lâche rien de rien ! ». Son père Henry, patriarche à moitié fou, a forgé l’identité familiale dans cet esprit de résistance opiniâtre, symbolisé par leur maison qui s’accroche à une péninsule dangereuse de la rivière Wakonda Auga.
Alors que les tensions montent avec les grévistes, Leland, le plus jeune fils d’Henry et demi-frère de Hank, revient au bercail après douze ans d’absence. Parti adolescent étudier sur la côte est avec sa mère, ce jeune intellectuel cache derrière son retour un désir brûlant de vengeance envers Hank. Entre la pression croissante des syndicalistes, les vieilles rivalités fraternelles qui ressurgissent et l’instabilité grandissante de Viv, l’épouse de Hank, l’obstination légendaire des Stamper pourrait bien cette fois causer leur perte.
Autour du livre
Ken Kesey rédige ce deuxième roman entre 1962 et 1964, alors qu’il vit au sein des Merry Pranksters, une bande de joyeux lurons californiens qui expérimentent les substances psychédéliques. Cette immersion dans la contre-culture des années 1960 ne transparaît pourtant pas dans ce récit profondément ancré dans l’Amérique rurale traditionnelle. Le titre original, « Sometimes a Great Notion », provient de la chanson folk « Goodnight, Irene » popularisée par Lead Belly, dont les paroles évoquent le désir de se noyer dans une rivière – une référence qui prend tout son sens au fil du récit.
La structure narrative innove radicalement en multipliant les points de vue qui s’entremêlent, parfois au sein d’un même paragraphe, distingués uniquement par des changements typographiques. La maison des Stamper, progressivement rongée par la rivière mais maintenue debout grâce à un bricolage de planches et de câbles, incarne la résistance acharnée de cette famille face aux forces qui menacent de la détruire. La dimension sociale du conflit syndical s’efface progressivement pour laisser place à une méditation plus profonde sur la nature de la force et de la faiblesse, qui questionne la devise familiale des Stamper.
« Et quelquefois j’ai comme une grande idée » s’est progressivement imposé comme un classique de la littérature du Nord-Ouest américain. En 1997, un jury d’écrivains de la région l’a désigné numéro un parmi les « 12 œuvres essentielles du Northwest ». Charles Bowden l’a qualifié « d’un des rares livres fondamentaux ayant été écrit par un Américain au cours des cinquante dernières années ». Kesey lui-même considérait ce livre comme son plus abouti, affirmant qu’il ne pourrait jamais écrire quelque chose d’aussi réussi.
Le roman a connu deux adaptations majeures. En 1971, Paul Newman réalise et joue dans « Le Clan des irréductibles » aux côtés d’Henry Fonda et Lee Remick, un film qui reçoit deux nominations aux Oscars. En 2008, Aaron Posner en propose une adaptation théâtrale au Portland Center Stage.
Aux éditions MONSIEUR TOUSSAINT LOUVERTURE ; 900 pages.