Jonathan Swift naît le 30 novembre 1667 à Dublin, en Irlande. Son père meurt quelques mois avant sa naissance. Élevé par son oncle Godwin, le jeune Swift reçoit une éducation au Kilkenny College puis au Trinity College de Dublin. En 1689, il quitte l’Irlande pour l’Angleterre où il devient secrétaire de Sir William Temple, un diplomate important.
Au service de Temple, Swift fait la connaissance d’Esther Johnson, surnommée « Stella », qui n’a alors que huit ans. Il devient son tuteur et développe avec elle une relation complexe qui durera toute leur vie. En 1694, il est ordonné diacre et nommé pasteur près de Belfast, mais retourne rapidement auprès de Temple.
Swift commence à écrire et publie ses premières œuvres satiriques importantes, dont « Le Conte du tonneau » en 1704. Sa carrière d’écrivain prend son essor, et il devient un membre influent du cercle littéraire londonien. Il entretient également une relation ambiguë avec une autre femme, Esther Vanhomrigh, qu’il surnomme « Vanessa ».
En 1713, Swift est nommé doyen de la cathédrale Saint-Patrick de Dublin. Il écrit alors de nombreux pamphlets politiques en faveur de la cause irlandaise. Son chef-d’œuvre, « Les Voyages de Gulliver », paraît en 1726 et connaît un succès immédiat.
Les dernières années de sa vie sont marquées par des problèmes de santé. Souffrant de la maladie de Menière depuis longtemps, son état mental se dégrade progressivement. Il meurt le 19 octobre 1745 à Dublin, laissant une grande partie de sa fortune pour la création d’un hôpital psychiatrique. Il est enterré dans sa cathédrale, aux côtés de « Stella », décédée quelques années avant lui. Il reste dans l’histoire comme l’un des plus grands satiristes de langue anglaise, maître de l’ironie, défenseur de la liberté.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. Les Voyages de Gulliver (roman, 1726)
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Résumé
En 1699, Lemuel Gulliver, médecin de formation, s’embarque comme chirurgien sur un navire marchand. Ce premier d’une série de quatre périples le mène, après un naufrage, sur l’île de Lilliput où vivent des êtres humains de quinze centimètres de haut. D’abord prisonnier puis conseiller respecté à la cour, Gulliver découvre une société miniature rongée par des querelles absurdes, notamment sur la bonne manière d’ouvrir un œuf. Sa popularité décline quand il refuse d’asservir l’île rivale de Blefuscu.
Un second naufrage le jette sur les côtes de Brobdingnag, royaume peuplé de géants où il devient une curiosité de foire avant d’être recueilli à la cour. Sa troisième aventure le propulse sur Laputa, une île volante dirigée par des savants obsédés par les mathématiques et la musique, mais incapables d’appliquer leurs connaissances. Leur incompétence pratique a des conséquences désastreuses sur le royaume qu’ils gouvernent.
Son dernier voyage le conduit au pays des Houyhnhnms, des chevaux doués de raison et de vertus qui tiennent en esclavage des créatures humanoïdes appelées les Yahoos. Cette société équine, fondée sur la raison pure et dénuée de mensonge, séduit profondément Gulliver. Mais les Houyhnhnms, qui le considèrent comme un Yahoo évolué, finissent par le chasser. De retour en Angleterre, Gulliver ne supporte plus la compagnie des humains, qu’il assimile désormais aux Yahoos…
Autour du livre
La genèse des « Voyages de Gulliver » s’inscrit dans un contexte particulier : Swift entame la rédaction vers 1720, après le krach financier qui avait secoué l’Angleterre. Cette débâcle, où la valeur des actions de la Compagnie des mers du Sud s’était envolée avant de s’effondrer brutalement, trouve son écho dans les changements d’échelle que subit le protagoniste. Le manuscrit circule de manière confidentielle jusqu’en mars 1726, date à laquelle Swift le confie secrètement à l’éditeur Benjamin Motte. Ce dernier, craignant des poursuites judiciaires, édulcore les passages les plus mordants avant la publication.
La satire de Swift ne connaît aucune limite. À Lilliput, il ridiculise les querelles religieuses entre catholiques et protestants à travers l’absurde conflit des « Gros-boutistes » et des « Petits-boutistes », qui s’entre-déchirent sur la manière correcte d’ouvrir un œuf. Les « Hauts-talons » et les « Bas-talons » parodient la rivalité entre Whigs et Tories, les deux principaux partis politiques britanniques de l’époque. À Laputa, les savants de l’Académie de Lagado, englués dans des recherches sans application pratique, incarnent une critique cinglante de la Royal Society.
Les contemporains de Swift perçoivent immédiatement la puissance subversive de l’œuvre. John Gay note que le livre est « universellement lu, du conseil des ministres jusqu’à la nurserie ». Lord Bolingbroke, pourtant ami de l’auteur, condamne l’excès de misanthropie. Les membres du parti Whig s’offusquent des allusions politiques qu’ils jugent diffamatoires. William Makepeace Thackeray qualifie même certains passages de « blasphématoires ».
L’héritage des « Voyages de Gulliver » s’avère considérable. Ils influencent notamment l’écriture de « Micromégas » de Voltaire. Le terme « yahoo » s’intègre dans le lexique anglais pour désigner une personne brutale ou primitive. En informatique, les termes « big-endian » et « little-endian » proviennent directement de la querelle entre Gros-boutistes et Petits-boutistes. Plus surprenant encore : Swift décrit avec une précision troublante les deux lunes de Mars, cent cinquante ans avant leur découverte officielle.
Les adaptations cinématographiques privilégient généralement les deux premiers voyages, plus accessibles au grand public. L’adaptation animée de Max Fleischer en 1939 remporte un succès considérable et obtient deux nominations aux Oscars. En 1960, « Les Trois Mondes de Gulliver » bénéficie des effets spéciaux novateurs de Ray Harryhausen. Plus récemment, la version de 2010 avec Jack Black modernise l’histoire en la recentrant sur l’épisode de Lilliput. Georg Philipp Telemann s’en inspire également pour composer en 1728 une suite pour deux violons qui retranscrit musicalement les différentes atmosphères du roman.
Aux éditions FOLIO ; 443 pages.
2. Modeste proposition (pamphlet, 1729)
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Résumé
Dublin, 1729. L’Irlande suffoque sous le joug de la domination anglaise. Dans les rues de la capitale, des milliers de mendiants et leurs enfants luttent pour survivre, tandis que les propriétaires terriens anglais prospèrent. C’est dans ce contexte qu’un narrateur, se présentant comme un économiste pragmatique, rédige un traité pour résoudre la misère du pays. Sa solution ? Transformer les enfants des pauvres en denrée alimentaire pour les riches.
Le narrateur développe son macabre projet avec le plus grand sérieux, chiffres à l’appui. Un enfant bien nourri d’un an constituerait selon lui « l’aliment le plus délicieux et nutritif qui soit, qu’il soit mijoté, rôti, cuit au four ou bouilli ». Il établit un plan commercial minutieux : les familles indigentes vendraient leurs nourrissons aux nantis, s’assurant ainsi un revenu, pendant que les acheteurs bénéficieraient d’une nouvelle source de viande. Il recommande même d’utiliser la peau des enfants pour la confection d’articles de luxe comme des gants pour dames et des bottes d’été pour messieurs. Ses calculs prévoient qu’environ mille familles de Dublin pourraient consommer régulièrement cette « viande », un marché annuel évalué à vingt mille « pièces ».
Autour du livre
Ce pamphlet naît dans un contexte dramatique : l’Irlande de 1728-1729 subit l’une des pires famines du XVIIIe siècle. Plus de 34 000 mendiants errent dans les rues, et certaines familles en sont réduites à mutiler leurs enfants pour susciter la pitié des passants. Le gouvernement anglais, loin de porter secours au pays, maintient des politiques qui entravent le développement agricole irlandais, craignant une potentielle concurrence.
Swift construit son pamphlet comme une parodie des traités économiques de son époque. Il en reprend scrupuleusement la structure argumentative et le style, selon la méthode du rhétoricien latin Quintilien. Cette approche scientifique rationnelle sert à dénoncer plusieurs cibles : la domination anglaise qui a précipité l’Irlande dans le chaos économique, les économistes qui sacrifient le peuple sur l’autel du profit, les propriétaires terriens sans scrupules, et les préjugés sur les Irlandais, qualifiés de « sauvages » par opposition aux « colons » anglais.
Le texte tire sa force de l’écart vertigineux entre son ton posé et l’horreur de sa proposition. Swift utilise le « vocabulaire de l’élevage » pour décrire les Irlandais. Il transforme progressivement les êtres humains en bétail, puis en viande, et enfin en marchandise tarifée à la livre. Cette déshumanisation méthodique met en lumière l’absurdité des politiques qui traitent les citoyens comme de simples ressources économiques.
Nombre de contemporains de Swift n’ont pas saisi la dimension satirique du texte, l’accusant d’avoir produit une œuvre de « mauvais goût ». Isaac Asimov l’a depuis désigné comme la « pierre angulaire de l’humour noir », tandis qu’André Breton considère Swift comme « le véritable initiateur » du genre. L’expression « a modest proposal » est devenue en anglais une référence canonique pour évoquer ce type de satire.
L’influence de « Modeste proposition » perdure jusqu’à nos jours. En 1999, Brice Reveney l’adapte en court-métrage dans « Proposition de manger les enfants ». Le texte inspire également plusieurs pièces de théâtre, notamment « Modestes propositions » d’Agnès Larroque. Plus récemment, en 2023, la chaîne britannique Channel 4 produit un documentaire parodique, « Gregg Wallace: The British Miracle Meat », qui transpose la satire de Swift dans le contexte de la crise du coût de la vie au Royaume-Uni.
Aux éditions FOLIO ; 96 pages.