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John Fante en 6 romans – Notre sélection

John Fante en 6 romans – Notre sélection

John Fante naît le 8 avril 1909 à Denver, Colorado, dans une famille d’immigrants italiens. Son père, Nicola, est maçon, originaire de Torricella Peligna, et sa mère, Mary Capolungo, est une Italo-américaine catholique.

Élevé dans une école jésuite, il découvre tôt sa passion pour l’écriture. Après plusieurs tentatives infructueuses à l’université, il part pour Los Angeles en 1929. Il y exerce divers petits métiers tout en se nourrissant des œuvres de Knut Hamsun, Dostoïevski et Nietzsche. Ses premières nouvelles attirent l’attention de H. L. Mencken, qui le publie dans The American Mercury dès 1932.

Son premier roman publié, « Bandini », paraît en 1938, suivi de « Demande à la poussière » en 1939, inaugurant le cycle autobiographique d’Arturo Bandini. Son mariage avec Joyce Smart en 1937 lui permet de se consacrer à l’écriture et au golf. Le succès de « Pleins de vie » (1952) lui ouvre les portes d’Hollywood, où il devient un scénariste reconnu dans les années 1950.

Tombé dans un relatif oubli, il est redécouvert grâce à Charles Bukowski qui le considère comme son « dieu littéraire » et œuvre à sa réédition. Atteint de diabète, il perd progressivement la vue et l’usage de ses jambes, mais continue d’écrire en dictant ses textes à sa femme. Il achève ainsi « Rêves de Bunker Hill » peu avant sa mort le 8 mai 1983 à Los Angeles.

Aujourd’hui considéré comme un précurseur de la Beat Generation, Fante laisse une œuvre marquée par ses origines italiennes, la pauvreté, le catholicisme et une écriture à la fois sensible et provocatrice. Son roman « Demande à la poussière » est salué comme l’un des plus grands romans sur Los Angeles, ville qui honore sa mémoire en donnant son nom à une place en 2010.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Bandini (Arturo Bandini #1, 1938)

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Résumé

À Rocklin, une petite ville du Colorado, les Bandini tentent de survivre pendant l’hiver 1928. Cette famille d’immigrés italiens compte cinq membres : Svevo, le père maçon au tempérament ombrageux, Maria, son épouse profondément catholique, et leurs trois fils – Arturo (14 ans), August (10 ans) et Federico (8 ans). L’hiver paralyse les chantiers de construction, privant Svevo de travail. Les dettes s’accumulent chez les commerçants du quartier tandis que le père dilapide au jeu le peu d’argent du foyer.

Arturo, personnage central du récit, vit douloureusement sa condition d’adolescent pauvre et d’Italien dans une Amérique qui le rejette. Il est amoureux de Rosa, sa camarade de classe, qui le méprise, et oscille entre colère et culpabilité religieuse. La situation familiale déjà précaire bascule le jour où Svevo, pour échapper à une visite de sa belle-mère qu’il exècre, trouve refuge chez une veuve fortunée, Mrs Hildegarde.

Son absence prolongée plonge Maria dans une grave dépression. Témoin de cet éclatement familial, Arturo nourrit des sentiments contradictoires : il admire son père pour avoir séduit une femme de la haute société, mais souffre de voir sa mère sombrer dans le désespoir. Ce n’est que lorsque Mrs. Hildegarde humilie le jeune Arturo que Svevo prend conscience de sa dérive et décide de revenir auprès des siens.

Autour du livre

Premier volet d’une tétralogie autour d’Arturo Bandini, ce roman largement autobiographique se lit comme une chronique saisissante de l’immigration italienne aux États-Unis. John Fante puise dans ses souvenirs d’enfance pour brosser le portrait d’une famille prise entre deux cultures, tiraillée par la pauvreté et les contradictions. L’adolescent Arturo incarne cette dualité : fier de ses origines tout en aspirant à devenir un véritable Américain, il se débat entre son amour et sa haine pour des parents qu’il juge tour à tour admirables et pitoyables.

La dimension religieuse imprègne sensiblement les pages. Maria trouve refuge dans une dévotion excessive, tandis qu’Arturo est constamment tourmenté par la notion de péché. Ses menus larcins et ses accès de violence sont systématiquement suivis de remords qui le conduisent au confessionnal. Cette omniprésence du catholicisme traduit l’emprise de la culture italienne sur ces immigrés tentant de s’intégrer dans la société américaine.

La construction narrative alterne habilement les points de vue entre le père et le fils, permettant de saisir toute la complexité de leur relation. Le personnage de Svevo, avec ses faiblesses et sa fierté blessée, transcende le simple portrait du père indigne. Quant à Arturo, sa lucidité d’adolescent révèle sans complaisance les failles de sa famille tout en manifestant une tendresse dissimulée sous la révolte.

Charles Bukowski, qui contribua grandement à faire redécouvrir Fante dans les années 1980, évoque sa découverte de l’écrivain en des termes élogieux : « Voilà enfin un homme qui n’avait pas peur de l’émotion. L’humour et la douleur mélangés avec une superbe simplicité […] Un homme qui avait changé l’écriture. » D’autres critiques soulignent comment ce roman capte magistralement l’essence de la vie des immigrés italiens, entre espoirs déçus et dignité préservée.

« Bandini » a fait l’objet d’une adaptation cinématographique en 1989. Le réalisateur belge Dominique Deruddere a dirigé Joe Mantegna dans le rôle de Svevo, Ornella Muti dans celui de Maria et Faye Dunaway en Mrs. Hildegarde.

Aux éditions 10/18 ; 272 pages.


2. La route de Los Angeles (Arturo Bandini #2, 1985)

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Résumé

Dans les années 1930, Arturo Bandini, fils d’immigrés italiens âgé de 18 ans, vit avec sa mère pieuse et sa sœur Mona à Wilmington, près du port de Los Angeles. Après la mort de son père, il se retrouve malgré lui à devoir subvenir aux besoins de la famille. Mais Arturo se rêve en grand écrivain, non en simple ouvrier. Il lit Nietzsche et Schopenhauer à la bibliothèque municipale, cite leurs concepts sans les comprendre et affirme à qui veut l’entendre qu’il deviendra le plus grand auteur de tous les temps.

L’histoire décrit son quotidien entre ses emplois précaires qu’il perd systématiquement à cause de son arrogance et ses rêveries grandioses où il s’imagine en génie incompris. Son oncle Frank finit par lui trouver un poste à la conserverie de poisson. Mais, incapable de supporter les moqueries de ses collègues mexicains et philippins quand il vomit à cause de l’odeur, Arturo réplique par des insultes racistes. Le soir, il s’enferme dans un placard pour fantasmer sur des photos de femmes découpées dans des magazines, faute d’oser aborder celles qu’il croise.

Ses échecs s’accumulant, son comportement devient de plus en plus erratique : il massacre des crabes sur la plage en se rêvant dictateur, invente des histoires délirantes sur sa vie et maltraite sa famille qu’il tient responsable de sa condition. Quand il écrit enfin son premier roman, sa sœur le juge « niais ». Cette ultime humiliation le pousse à voler les bijoux de famille et à quitter définitivement son foyer pour Los Angeles, persuadé que seul l’éloignement lui permettra de concrétiser ses ambitions littéraires.

Autour du livre

Premier roman écrit par John Fante en 1933, « La route de Los Angeles » n’est publié qu’en 1985, deux ans après sa mort. Les éditeurs de l’époque refusent le manuscrit, jugeant son contenu trop provocant pour l’Amérique puritaine des années 1930. C’est Joyce Fante, sa veuve, qui découvre le manuscrit et le confie aux éditions Black Sparrow Press, la même maison qui publie Charles Bukowski.

Ce texte marque la première apparition d’Arturo Bandini, personnage semi-autobiographique qui deviendra le protagoniste de quatre romans formant la « saga Bandini ». Dans la chronologie de l’histoire, il se situe après « Bandini » (qui raconte l’enfance du héros) et avant « Demande à la poussière » (qui décrit ses débuts d’écrivain à Los Angeles). Des incohérences subsistent entre les romans : dans « Bandini », Arturo a deux frères, alors qu’ici il n’a qu’une sœur.

L’importance du roman tient à sa dimension sociologique : Fante y décrit sans complaisance la condition des immigrés dans l’Amérique des années 1930. Arturo Bandini incarne le désir désespéré d’intégration à la société américaine. Son racisme envers les Mexicains et les Philippins traduit paradoxalement sa propre souffrance d’Italien discriminé. Sa misogynie et son anticléricalisme reflètent sa révolte contre l’éducation catholique stricte reçue dans sa famille.

John Fante préfigure ici le mouvement de la Beat Generation par son style oral et son écriture sans filtre. Pourtant, contrairement aux héros beat qui fuient l’American way of life, Arturo cherche désespérément à y trouver sa place. Son caractère insupportable – violent, mythomane, prétentieux – n’empêche pas une certaine empathie du lecteur, tant ses délires grandiloquents masquent mal sa fragilité et sa solitude.

Le regard de la critique s’avère contrasté. Si certains saluent l’audace et l’énergie de ce premier roman qui annonce déjà les qualités de « Demande à la poussière », d’autres pointent ses défauts de construction et son personnage principal parfois caricatural. L’admiration de Charles Bukowski pour Fante contribue néanmoins à sa reconnaissance posthume : « Un jour j’ai saisi un livre, je l’ai ouvert et c’était ça. Je restais planté un moment, comme un homme qui a trouvé de l’or à la décharge publique », écrit-il à propos de sa découverte de l’auteur.

Aux éditions 10/18 ; 272 pages.


3. Demande à la poussière (Arturo Bandini #3, 1939)

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Résumé

Los Angeles, années 1930. Arturo Bandini, jeune écrivain de vingt ans d’origine italienne, quitte son Colorado natal pour conquérir la Cité des Anges. Il n’a qu’une seule publication à son actif : une nouvelle intitulée « Le petit chien qui riait ». Installé dans une chambre miteuse de l’hôtel Alta Loma, il survit tant bien que mal grâce aux rares chèques de son éditeur J. C. Hackmuth, qu’il vénère comme un dieu, et les oranges chapardées aux marchands du coin.

Sa vie bascule lorsqu’il rencontre Camilla Lopez, une serveuse mexicaine dans un bar miteux. Entre eux naît une relation aussi passionnée que destructrice. Bandini, déchiré entre son désir et ses inhibitions catholiques, alterne déclarations enflammées et insultes racistes. Camilla, elle, voue un amour sans espoir à Sammy, un barman mourant qui la méprise. Cette impossibilité à s’aimer convenablement les précipite tous deux dans une spirale d’autodestruction.

Après une liaison avec Vera Rivken, une femme plus âgée qui lui inspire son premier roman, Bandini connaît enfin le succès littéraire. Il tente alors de sauver Camilla, qui sombre dans la drogue et la folie. Il l’installe dans une maison en bord de mer, lui offre un chiot, mais rien n’y fait : elle s’enfuit dans le désert de Mojave. Le roman s’achève sur un geste symbolique de Bandini qui lance un exemplaire dédicacé de son livre dans les dunes où Camilla s’est perdue.

Autour du livre

Premier grand succès populaire de John Fante, « Demande à la poussière » constitue le troisième volet de ce qui deviendra « La saga Arturo Bandini » ou « Le quatuor Bandini ». Les autres tomes comprennent « Bandini » (1938), « La route de Los Angeles » (écrit en premier mais publié en 1985) et « Rêves de Bunker Hill » (1982). Le personnage d’Arturo Bandini, alter ego transparent de l’auteur, traverse l’ensemble de ces ouvrages semi-autobiographiques.

Le roman dépeint les affres de la création artistique et la quête identitaire d’un jeune homme tiraillé entre ses origines italiennes et son désir d’intégration dans la société américaine. Cette dualité se manifeste notamment dans sa relation avec Camilla, où les insultes racistes alternent avec les élans passionnés. La culpabilité catholique imprègne également le récit, Bandini oscillant constamment entre désir charnel et inhibitions religieuses.

Los Angeles apparaît comme un personnage à part entière, ville tentaculaire cernée par le désert, où la poussière du Mojave recouvre inexorablement les rêves et les ambitions. Cette omniprésence du sable et de la poussière, qui donne son titre au roman, symbolise la précarité de l’existence et l’inexorable marche vers la mort. La ville incarne les contradictions du rêve américain : terre promise pour les migrants mais aussi lieu de désillusion et de solitude.

Les thèmes récurrents de l’œuvre de Fante s’y déploient : la pauvreté, le catholicisme, la vie familiale, l’identité italo-américaine et bien sûr la vocation d’écrivain. Certains passages évoquent directement « La Faim » (1890) de Knut Hamsun, dont Fante était un fervent admirateur. Le titre lui-même provient du roman « Pan » (1894) du même auteur.

Initialement publié en 1939, « Demande à la poussière » n’a connu qu’un succès modeste avant de sombrer dans l’oubli. Sa redécouverte doit beaucoup à Charles Bukowski qui, bouleversé par sa lecture dans une bibliothèque publique, a convaincu son éditeur Black Sparrow Press de le rééditer en 1980 avec une préface de sa main. Bukowski y déclare notamment : « Je compris bien avant de le terminer qu’il y avait là un homme qui avait changé l’écriture […] Il allait toute ma vie m’influencer dans mon travail. » Le roman figure désormais régulièrement dans les programmes universitaires de littérature américaine.

Le scénariste Robert Towne, qui s’en était déjà inspiré pour les dialogues de « Chinatown », l’a adapté au cinéma en 2006. Le film, avec Colin Farrell dans le rôle de Bandini et Salma Hayek dans celui de Camilla, s’efforce de rester fidèle au roman mais n’a pas rencontré le succès escompté.

Aux éditions 10/18 ; 272 pages.


4. Rêves de Bunker Hill (Arturo Bandini #4, 1982)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Los Angeles, 1934. Âgé de vingt-et-un ans, Arturo Bandini est un jeune écrivain d’origine italienne qui sert dans un restaurant minable tout en nourrissant ses ambitions littéraires. La publication d’une de ses nouvelles dans le magazine American Phoenix lui apporte ses premiers émoluments : cent cinquante dollars, une petite fortune qui lui permet d’abandonner son tablier pour se consacrer à l’écriture. Son ascension est lancée lorsqu’un agent littéraire l’embauche pour réviser des manuscrits. Mais sa tendance à sabrer les textes et ses maladresses avec les femmes, notamment sa tentative ratée de séduire une riche héritière dont il massacre le manuscrit, le poussent rapidement vers la sortie.

Il semble trouver le salut à Hollywood où un studio l’engage comme scénariste avec un salaire mirobolant de trois cents dollars par semaine. Mais le rêve tourne à l’absurde : on le paye grassement à ne rien faire, sinon attendre une commande qui ne vient jamais. Mais quand enfin on lui confie l’écriture d’un western en collaboration avec une célèbre scénariste, celle-ci transfigure son travail au point de le rendre méconnaissable.

Cette expérience, ajoutée à ses déboires sentimentaux avec la secrétaire du studio (qui s’avère être l’épouse du patron) et à sa relation compliquée avec sa logeuse Helen, pousse Bandini à fuir Los Angeles pour retrouver sa famille dans le Colorado. Mais ni le froid polaire de Boulder ni l’accueil mitigé des siens lui permettent de trouver sa place. Il retourne alors à Los Angeles où il apprend la mort d’Helen. Le roman s’achève alors que Bandini est seul face à sa machine à écrire, dans une chambre du centre-ville.

Autour du livre

« Rêves de Bunker Hill » est le dernier volet de la saga Bandini. John Fante, devenu aveugle et diminué par le diabète, dicte le roman à sa femme Joyce en 1982, un an avant sa mort. Cette genèse exceptionnelle transparaît dans la construction du récit : la narration, plus mature que dans les précédents opus, teinte l’humour caractéristique de Fante d’une douce mélancolie.

Le livre parachève le portrait d’Arturo Bandini, alter ego de l’auteur. Ce personnage complexe incarne les contradictions inhérentes à la quête artistique : il oscille entre une confiance démesurée en son talent et des moments de doute profond, entre l’aspiration à la reconnaissance et le refus des compromissions qu’elle implique. Sa maladresse sociale, particulièrement avec les femmes, contraste avec son ambition démesurée.

John Fante y propose une satire mordante d’Hollywood et de ses absurdités. Le système des studios, où les scénaristes touchent des salaires confortables pour ne rien écrire, symbolise la vacuité d’une industrie qui broie les aspirations artistiques. Les personnages excentriques qui peuplent cet univers – la scénariste obsédée par ses relations avec les célébrités, le catcheur italien qui se fait appeler Duc de Sardaigne – accentuent cette dimension satirique.

Charles Bukowski considérait « Demande à la poussière », le précédent volet de la saga Bandini, comme « un immense miracle sauvage ». Cette admiration a joué un rôle clé dans la redécouverte de Fante : c’est grâce à Bukowski que Black Sparrow Press a réédité ses écrits au début des années 1980. L’historien Carey McWilliams salue la capacité de l’auteur à saisir l’essence de la Californie du Sud.

« Rêves de Bunker Hill » a été adapté au cinéma en 2006 avec Colin Farrell dans le rôle d’Arturo Bandini. Le film transpose l’action dans l’univers de « Demande à la poussière » en fusionnant les deux romans.

Aux éditions 10/18 ; 192 pages.


5. Pleins de vie (1952)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Los Angeles, années 1950. John Fante mène une vie confortable grâce à son travail de scénariste pour les studios hollywoodiens. Avec sa femme Joyce, enceinte de leur premier enfant, il emménage dans une grande maison qui symbolise leur réussite sociale. Mais ce bonheur domestique vole rapidement en éclats : le plancher de leur cuisine, infesté de termites, s’effondre sous les pieds de Joyce. Pour effectuer les réparations sans compromettre leurs finances, John fait appel à son père Nick, un maçon italien immigré reconnu comme le meilleur artisan de Californie.

L’arrivée de Nick trouble toutefois l’équilibre du couple. Au lieu de réparer le plancher, il entreprend la construction d’une cheminée. Plus préoccupant encore, Joyce traverse une crise spirituelle qui la pousse à se convertir au catholicisme, sous l’influence du père Gondalfo. John se retrouve alors pris en étau entre deux personnalités fortes : son père, autoritaire et attaché aux traditions du vieux pays, et sa femme, dont la grossesse exacerbe la sensibilité. Ces deux êtres qui lui sont chers forment bientôt une alliance insoupçonnée contre lui, qui remet en question ses certitudes quant à son rôle d’époux et de futur père.

Autour du livre

Cette chronique familiale semi-autobiographique, parue en 1952, s’inscrit dans un moment charnière de la carrière de Fante. Après le succès mitigé de ses premiers romans comme « Demande à la poussière », « Pleins de vie » devient son plus grand succès commercial. Le livre marque aussi une pause dans son écriture : Fante ne publiera plus pendant un quart de siècle après cette parution.

Le romancier y mêle plusieurs thématiques : la paternité imminente avec ses angoisses, le poids des traditions italiennes incarnées par le père Nick, la conversion religieuse de Joyce, les tensions entre modernité américaine et valeurs traditionnelles. À travers le personnage du père, Fante dresse le portrait saisissant d’un immigrant italien : homme de métier fier et obstiné, attaché à ses superstitions, amateur de vin rouge et de salami, capable de provoquer aussi bien l’exaspération que l’admiration de son fils.

La force du récit réside dans sa capacité à transformer des situations quotidiennes en scènes tantôt cocasses, tantôt émouvantes. Les descriptions du ventre de Joyce, que Fante compare à « une butte » ou « un monticule agité de mouvements doux, telle une boule de serpents qui se lovent et frémissent », témoignent de ce regard à la fois tendre et décalé sur la réalité. L’humour surgit des situations les plus banales : les crises hormonales de Joyce, les superstitions du père pour s’assurer que l’enfant sera un garçon, ou encore le voyage en train où Nick embarrasse son fils par ses manières rustiques.

Fante propose également une méditation sur la transmission entre générations. La relation père-fils occupe une place centrale : John, tout en voulant s’émanciper du modèle paternel, ne peut s’empêcher d’admirer la force de caractère de Nick. Cette ambivalence transparaît dans leurs échanges où l’agacement le dispute à l’affection. La scène finale, où le père pleure sur l’épaule de son fils à la naissance du bébé, cristallise cette complexité émotionnelle : « Je sentais les os de ses épaules, les vieux muscles tendres ; je respirais l’odeur de mon père, la sueur de mon père, l’origine de ma vie. »

La critique salue unanimement la justesse du ton et l’équilibre entre humour et émotion. Le Los Angeles Times souligne notamment comment Fante parvient à transformer une simple histoire de grossesse en une réflexion sur la famille et la transmission. Charles Bukowski, qui considérait Fante comme son « dieu littéraire », loue particulièrement sa capacité à mêler humour et mélancolie dans une prose authentique.

« Pleins de vie » connaît une adaptation cinématographique en 1956, avec Richard Conte et Judy Holliday dans les rôles principaux. Le film, réalisé par Richard Quine, obtient une nomination aux Oscars pour son scénario, écrit par Fante lui-même. Cette version néo-réaliste reste considérée comme une réussite, fidèle à l’esprit du roman tout en y apportant sa propre sensibilité.

Aux éditions 10/18 ; 224 pages.


6. Les compagnons de la grappe (1977)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

À San Elmo, une petite ville du Colorado, un drame familial se joue au sein de la famille Molise. Henry, écrivain quinquagénaire vivant à Redondo Beach en Californie, reçoit un appel alarmant de son frère Mario : leurs parents, Nick et Maria, mariés depuis plus de cinquante ans, menacent de divorcer. Malgré son scepticisme, car sa mère catholique a maintes fois brandi la menace sans jamais passer à l’acte, Henry se rend dans sa ville natale.

Sur place, il retrouve un père de 76 ans qui n’est plus que l’ombre de lui-même. Nick Molise, maçon italien à la retraite, règne encore en tyran sur sa famille malgré son âge avancé. Alcoolique invétéré, il passe ses journées au bar à boire du vin avec ses amis, « ses compagnons de la grappe », et à dilapider sa pension au jeu de cartes.

Manipulé par sa mère qui excelle derrière les fourneaux et dans le chantage affectif, Henry se retrouve embarqué dans un projet insensé : aider son père à construire un fumoir à viande dans les montagnes. Cette dernière entreprise commune entre le père et le fils, aussi bancale que leur relation, marque les derniers moments qu’ils passent ensemble avant la mort de Nick.

Autour du livre

Cette histoire de famille italo-américaine s’inscrit dans la veine autobiographique caractéristique de l’œuvre de Fante. Publié en 1977, « Les compagnons de la grappe » marque son retour à l’écriture après vingt-cinq ans de silence éditorial. La relation père-fils constitue l’axe central du récit, incarnée par le conflit perpétuel entre Nick Molise, ce bâtisseur obstiné qui aurait voulu faire de ses fils des maçons, et Henry, l’écrivain qui a fui cette destinée grâce à sa découverte de Dostoïevski : « Un soir, tandis que la pluie battait sur le toit de la cuisine, un grand esprit s’est glissé à jamais dans ma vie […] Il s’appelait Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski. Personne n’en savait autant que lui sur les pères et les fils. »

La figure paternelle émerge comme un monument de contradictions – tour à tour despotique et pathétique, violent et vulnérable. Nick Molise incarne l’archétype de l’immigrant italien aux États-Unis : travailleur acharné mais joueur invétéré, mari infidèle hanté par ses démons, père autoritaire incapable d’accepter les choix de vie de ses enfants. Fante tisse une réflexion sur l’héritage familial et culturel, où l’amour et la haine s’entremêlent inextricablement. « Ses enfants étaient les clous qui le crucifiaient à ma mère. Sans eux, il aurait été libre comme l’air. »

La construction du fumoir dans les montagnes se lit comme une métaphore de cette relation père-fils dysfonctionnelle. Cette dernière œuvre commune, bancale et vouée à l’échec, symbolise l’impossibilité d’une véritable réconciliation. Pourtant, à travers ce projet insensé, Henry parvient à une forme de compréhension et d’acceptation de son père vieillissant.

L’humour noir et l’ironie mordante tempèrent toutefois la gravité des thèmes abordés. Les scènes de beuverie avec les « compagnons de la grappe » offrent des moments de pure comédie qui contrebalancent le drame familial. La mère, figure discrète mais omniprésente, règne sur ce chaos domestique grâce à ses talents culinaires, utilisant la nourriture comme instrument de manipulation affective.

« Les compagnons de la grappe » a failli connaître deux adaptations cinématographiques : l’une devait être réalisée par Francis Ford Coppola sur un scénario de Robert Towne, l’autre par Curtis Hanson avec Burt Lancaster dans le rôle principal. Aucun de ces projets n’a abouti. En revanche, le livre a inspiré la chanson « L’accolita dei rancorosi » de l’album « Il ballo di San Vito » de Vinicio Capossela, ainsi que le nom d’une compagnie théâtrale italienne.

Aux éditions 10/18 ; 256 pages.

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