John Dos Passos naît le 14 janvier 1896 à Chicago. Fils illégitime d’un avocat d’origine portugaise et d’une mère virginienne, il passe son enfance à voyager en Europe avec cette dernière. Il étudie à la prestigieuse Choate School puis à Harvard, dont il sort diplômé en 1916.
La Première Guerre mondiale marque un tournant. Il s’engage comme ambulancier volontaire en France et en Italie avant de rejoindre le Corps médical de l’armée américaine. Cette expérience inspire son premier roman, « L’initiation d’un homme », publié en 1920.
Sa carrière littéraire décolle véritablement avec « Manhattan Transfer » (1925), qui décrit la vie new-yorkaise des premières décennies du XXe siècle. Il atteint la consécration avec sa trilogie « U.S.A. » (1930-1936), œuvre majeure qui mêle techniques expérimentales, coupures de journaux et biographies pour dresser un vaste portrait de la culture américaine.
Initialement proche des idées de gauche et du communisme dans les années 1920, il change radicalement de position après la guerre d’Espagne et l’exécution de son ami José Robles par les staliniens. Il évolue progressivement vers des positions conservatrices.
En 1947, un tragique accident de voiture lui coûte un œil et la vie de sa première épouse. Il se remarie en 1949 avec Elizabeth Holdridge, avec qui il a une fille. Il continue d’écrire jusqu’à sa mort à Baltimore en 1970, laissant derrière lui une œuvre considérable comprenant quarante-deux romans, des poèmes, des essais et plus de quatre cents œuvres d’art.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Manhattan Transfer (1925)
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Résumé
« Manhattan Transfer » se déroule à New York entre les années 1890 et 1920, période où la métropole connaît une transformation fulgurante. L’histoire suit principalement Ellen Thatcher et Jimmy Herf, deux êtres que tout semble opposer mais dont les destins vont s’entrelacer. Ellen naît dans une famille modeste – son père est comptable – et rêve de devenir actrice malgré la désapprobation de ses parents. Déterminée à réussir, elle gravit les échelons du monde du théâtre en enchaînant les liaisons avec des hommes influents. Jimmy, lui, arrive enfant à New York avec sa mère qui meurt peu après. Recueilli par ses oncle et tante, les Merivale, il refuse le destin tout tracé d’homme d’affaires qu’on lui promet et choisit le journalisme par idéalisme.
Leurs chemins se croisent pendant la Première Guerre mondiale. Ils se marient et ont un fils, mais leur union chancelle face aux ambitions d’Ellen et aux désillusions de Jimmy. Autour d’eux gravitent des personnages emblématiques du New York de l’époque : George Baldwin, un avocat arriviste qui bâtit sa fortune sur un procès médiatique retentissant ; Congo Jake, un marin français devenu trafiquant d’alcool pendant la Prohibition ; Joe Harland, un ancien magnat de Wall Street réduit à la mendicité. À travers leurs trajectoires se dessine le portrait d’une ville impitoyable, où règnent l’argent et l’ambition, où les immigrants débarquent chaque jour mû par le rêve américain, où les fortunes se font et se défont à la vitesse de l’éclair. Jimmy et Ellen parviendront-ils à trouver leur place dans cette nouvelle Babylone d’acier et de verre, ou la métropole finira-t-elle par les broyer comme tant d’autres avant eux ?
Autour du livre
Publié en 1925, « Manhattan Transfer » marque un tournant dans l’histoire de la littérature américaine. John Dos Passos y invente une technique narrative révolutionnaire, inspirée du montage cinématographique et particulièrement des expérimentations du réalisateur soviétique Sergueï Eisenstein. Le texte alterne ainsi brusquement entre les personnages et les situations. La narration fragmentée, ponctuée d’extraits de journaux et de publicités, préfigure les innovations que l’auteur développera plus tard dans sa trilogie « U.S.A. ».
La ville émerge comme le véritable protagoniste du récit. Le titre fait référence à la gare de Manhattan Transfer dans le New Jersey, où les voyageurs devaient changer de train avant la construction du tunnel sous l’Hudson. Cette métaphore du transbordement perpétuel incarne la condition des New-Yorkais, pris dans un mouvement incessant. La topographie précise de Manhattan – de Broadway à Battery Park, de l’hôtel Astor à Madison Square Garden – dessine une cartographie sociale où les trajectoires individuelles se heurtent à l’indifférence de la métropole.
Les contemporains saluent immédiatement l’audace formelle et la force du propos. Sinclair Lewis qualifie « Manhattan Transfer » de « roman de la plus haute importance… l’aube d’une école d’écriture entièrement nouvelle ». D. H. Lawrence le considère comme « le meilleur livre sur New York » jamais écrit. Ernest Hemingway, dans une note promotionnelle pour l’édition européenne, souligne que Dos Passos est le seul écrivain américain capable de « montrer aux Européens l’Amérique qu’ils trouveront réellement en arrivant ici ».
Le roman inspire le nom du groupe vocal The Manhattan Transfer, formé en 1969, qui emprunte au livre son évocation du brassage culturel new-yorkais. En 2016, le Südwestrundfunk et le Deutschlandfunk produisent une adaptation radiophonique en quatre parties, basée sur la nouvelle traduction allemande. Cette version sonore mobilise cinquante comédiens et intègre des compositions originales pour restituer l’atmosphère de la métropole. Le roman apparaît également sur la pochette de l’album « Have You Considered Punk Music? » du groupe Self Defense Family.
La première traduction italienne de 1932 subit les coupes de la censure fasciste, notamment les passages évoquant les anarchistes et les références à Errico Malatesta. Ces coupures ont persisté dans toutes les éditions italiennes jusqu’en 2012. En France, la traduction initiale de Maurice-Edgar Coindreau, datant de 1928, a été remplacée en 2022 par une nouvelle version de Philippe Jaworski, qui modernise le vocabulaire.
Aux éditions FOLIO ; 544 pages.
2. Le 42ᵉ parallèle (Trilogie U.S.A. #1, 1930)
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Résumé
États-Unis, début du XXe siècle. Mac McCreary, fils d’une famille ouvrière irlandaise, est typographe de métier. Sa conscience sociale aiguë le pousse à rejoindre les Industrial Workers of the World, un syndicat radical qui lutte pour les droits des travailleurs. En parallèle, J. Ward Moorehouse, un jeune homme opportuniste, s’élève dans la société grâce à son talent pour les relations publiques et la manipulation des médias. Il embauche comme secrétaire particulière Janey Williams, une sténographe de Washington qui cherche à s’émanciper de son milieu modeste. Dans le même temps, Eleanor Stoddard, une jeune femme ambitieuse, quitte sa famille pour se lancer dans une carrière de décoratrice d’intérieur, tandis que Charley Anderson, un mécanicien du Minnesota, sillonne le pays à la recherche d’opportunités.
Ces cinq destinées incarnent les bouleversements d’une nation en pleine transformation. D’un côté, le capitalisme triomphant offre des perspectives d’ascension sociale inédites, de l’autre, les inégalités se creusent et les tensions sociales s’exacerbent. L’entrée imminente des États-Unis dans la Première Guerre mondiale va cristalliser ces contradictions : certains y verront une chance d’enrichissement quand d’autres, fidèles à leurs idéaux, s’y opposeront fermement.
Autour du livre
Fils illégitime d’un avocat d’affaires lié aux grands trusts américains, John Dos Passos publie « Le 42ᵉ parallèle » en 1930, premier volet de la trilogie « U.S.A. ». L’expérience de la guerre, qu’il vit comme ambulancier en Italie aux côtés d’Hemingway, marque durablement sa vision du monde. Ses sympathies de gauche, qui s’estomperont plus tard avec la montée du stalinisme, imprègnent cette œuvre monumentale qui dresse un portrait sans concession de l’Amérique.
La construction narrative brise les codes du roman traditionnel. Quatre modes narratifs s’entrelacent : le récit principal suit les personnages dans leur quête d’identité ; les sections « Actualités » présentent des collages d’articles de presse et de chansons populaires ; « L’Œil de la Caméra » offre des fragments autobiographiques en stream of consciousness (flux de conscience) ; enfin, des biographies de figures marquantes de l’époque, comme Thomas Edison ou Andrew Carnegie, ponctuent le récit. Cette technique novatrice, qui évoque le montage cinématographique, permet à Dos Passos de saisir la complexité et le dynamisme de la société américaine dans toutes ses dimensions.
Le titre fait référence à une théorie climatologique de 1865 selon laquelle les tempêtes nord-américaines suivaient le 42ᵉ parallèle. Cette métaphore météorologique traduit la façon dont Dos Passos suit ses personnages telles des perturbations traversant le continent. Il y transcende le cadre du roman social pour livrer une véritable épopée moderne, où les destins individuels se fondent dans le grand mouvement de l’Histoire.
La critique de l’époque salue l’audace formelle de l’œuvre. Jean-Paul Sartre considère Dos Passos comme « le plus grand écrivain de son temps ». Michael Gold y voit « l’un des premiers romans collectifs ». La trilogie figure d’ailleurs à la 23ème place dans la liste des cent meilleurs romans de langue anglaise du XXe siècle établie par la Modern Library en 1998. L’influence de cette œuvre pionnière se retrouve dans la littérature postérieure, notamment chez le romancier britannique John Brunner et dans la trilogie « Les chemins de la liberté » de Sartre.
Des adaptations ont vu le jour sous diverses formes : Paul Shyre en a tiré une « revue dramatique » en collaboration avec l’auteur, Howard Sackler l’a adaptée pour une production audio chez Caedmon Books en 1968, et le groupe Rush s’en est inspiré pour deux chansons de ses albums « Moving Pictures » (1981) et « Power Windows » (1985). Margaret Bonds a également collaboré avec Dos Passos pour créer une œuvre de théâtre musical en 1959.
Aux éditions FOLIO ; 496 pages.
3. 1919 (Trilogie U.S.A. #2, 1932)
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Résumé
1917. Les États-Unis s’apprêtent à entrer dans la Première Guerre mondiale. Joe Williams, un marin au tempérament rebelle, déserte la marine de guerre pour s’engager dans la marine marchande. Les traversées de l’Atlantique deviennent son quotidien, entre attaques de sous-marins allemands et escales dans les ports européens. Richard Savage, fraîchement diplômé d’Harvard, choisit de servir comme ambulancier, d’abord en France puis en Italie, où il rencontre Eveline Hutchins. Cette fille de pasteur, venue en Europe avec la Croix-Rouge, découvre dans le Paris de l’après-guerre une liberté nouvelle, mais aussi les désillusions amoureuses. À leurs côtés évolue Anne Elizabeth, une jeune Texane fortunée que tous surnomment « La fille à son papa », et dont la vie insouciante se trouve confrontée aux dures réalités du conflit.
Tandis que ces quatre Américains vivent la guerre depuis l’Europe, Ben Compton, un étudiant new-yorkais aux convictions socialistes, refuse de prendre les armes et s’engage dans la lutte syndicale. Son choix le confronte à la violente répression qui s’abat sur les militants pacifistes et les organisations ouvrières aux États-Unis. À travers ces cinq parcours qui parfois se croisent, se dessine le portrait d’une jeunesse américaine prise dans la tourmente d’une époque où l’argent, le pouvoir et la guerre bouleversent l’ordre du monde.
Autour du livre
Deuxième volet de la trilogie « U.S.A. », « 1919 » paraît en 1932, dans un contexte où Dos Passos manifeste encore des sympathies communistes. Son originalité réside dans sa structure narrative novatrice qui entremêle quatre modes de narration. Les parties romanesques traditionnelles alternent avec des « Newsreels », collages de gros titres et de chansons populaires qui restituent l’atmosphère de l’époque. S’y ajoutent des biographies de figures historiques comme Woodrow Wilson ou Theodore Roosevelt, ainsi que des fragments autobiographiques en stream of consciousness (flux de conscience) baptisés « L’Œil de la Caméra ». Cette construction kaléidoscopique traduit la fragmentation et l’accélération caractéristiques de la société moderne.
La guerre constitue la toile de fond de ce second tome, mais Dos Passos choisit délibérément de ne pas décrire les combats. Son regard se porte sur les transformations sociales induites par le conflit : l’émergence des États-Unis comme puissance mondiale, la montée en puissance des trusts et du grand patronat, la répression du mouvement ouvrier. Les personnages, souvent jeunes et immatures, évoluent dans ce contexte historique sans en être les héros, leurs erreurs et leurs hésitations les rendant profondément humains.
La critique salue la modernité de cette œuvre expérimentale. The New Yorker souligne la pertinence intacte de ses procédés narratifs. La trilogie figure à la 23ème place de la liste des cent meilleurs romans de langue anglaise du XXe siècle établie par la Modern Library en 1998. Les critiques sont particulièrement sensibles à la manière dont Dos Passos parvient à faire revivre l’atmosphère de cette période charnière, tout en dressant le portrait d’une « génération perdue » qui évoque les figures d’Ernest Hemingway et de Francis Scott Fitzgerald.
Aux éditions FOLIO ; 560 pages.
4. La grosse galette (Trilogie U.S.A. #3, 1936)
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Résumé
Dans l’Amérique trépidante des années 1920, trois personnages poursuivent leur quête de succès et de reconnaissance. Charley Anderson, as de l’aviation pendant la Première Guerre mondiale, se lance dans l’industrie aéronautique naissante. Doté d’un talent indéniable pour la mécanique et le pilotage, il monte sa propre entreprise avec un associé. Son ascension fulgurante à Wall Street le propulse dans le monde des affaires, mais son penchant pour l’alcool et les femmes menace sa réussite.
Mary French, issue d’un milieu privilégié, tourne le dos au confort bourgeois pour devenir militante syndicale. Son engagement sans compromis auprès des ouvriers lui coûte sa sécurité matérielle et affective, alors qu’elle enchaîne les relations avec des activistes qui la déçoivent. Margo Dowling, rescapée d’une enfance marquée par les abus, se fraye un chemin vers les sommets d’Hollywood. Pragmatique et déterminée, elle use de sa beauté et de son intelligence pour s’extirper de la misère, tout en portant le fardeau d’un mariage secret qui pourrait anéantir sa carrière d’actrice.
Dans cette société en surchauffe où la spéculation boursière bat son plein, chacun risque de tout perdre à tout moment.
Autour du livre
Dernier volet de la trilogie « U.S.A. », « La grosse galette » parait en 1936, en pleine Grande Dépression. Cette date de publication éclaire la tonalité du texte : Dos Passos écrit avec le recul nécessaire pour dépeindre la décennie précédente comme une période d’insouciance et d’excès, tout en sachant que cette euphorie prélude à l’effondrement économique.
L’originalité de l’œuvre réside dans sa structure novatrice qui alterne quatre modes narratifs. Le fil principal suit les personnages fictifs dans leur quête du rêve américain. Des sections intitulées « Actualités » incorporent des manchettes de journaux et des paroles de chansons populaires. Des biographies concises dressent le portrait de figures de l’époque comme Henry Ford ou les frères Wright. Enfin, des fragments baptisés « L’Œil de la Caméra » livrent les impressions personnelles de l’auteur dans un style proche du flux de conscience.
Cette construction kaléidoscopique permet à Dos Passos de brosser un tableau saisissant des États-Unis pendant les « années folles ». La prohibition n’empêche nullement l’alcool de couler à flots, les fortunes se font et se défont à Wall Street, tandis que les conflits sociaux s’exacerbent. Les personnages incarnent les contradictions de cette société : l’aviateur devenu spéculateur, la militante idéaliste confrontée à la répression, l’actrice prête à tout pour réussir.
La critique salue unanimement l’ambition et la réussite de ce projet titanesque. La trilogie « U.S.A. » figure à la 23ème place dans le classement des cent meilleurs romans de langue anglaise du XXe siècle établi par la Modern Library en 1998. Le New York Times souligne la capacité de Dos Passos à dépeindre « toutes sortes de gens différents avec une égale acuité ». Pour Edmund Wilson, ce livre marque « l’achèvement de l’un des projets les plus ambitieux jamais entrepris par un romancier américain ».
Aux éditions FOLIO ; 704 pages.