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Jean Amila en 8 polars – Notre sélection

Jean Amila en 8 polars – Notre sélection

Jean Meckert naît le 24 novembre 1910 dans le 10e arrondissement de Paris, dans un milieu modeste. Son enfance bascule quand son père quitte le foyer familial en 1920. Le jeune Jean se retrouve alors placé dans un orphelinat protestant à Courbevoie, pendant que sa mère est internée et sa sœur envoyée en pension. De cette période, il garde un souvenir amer fait de froid, de faim et d’humiliation.

Après avoir obtenu son certificat d’études avec un an d’avance, il enchaîne les petits boulots : apprenti dans un atelier de moteurs électriques, employé de bureau, vendeur de stylos, photographe dans les foires. Pour échapper à la misère, il s’engage dans l’armée de 1930 à 1932. C’est dans les années 1930 qu’il commence à écrire, d’abord des contes autobiographiques, puis son premier roman, « Les Coups ».

La guerre le rattrape en 1939. Mobilisé dans le Génie, il est capturé par l’armée allemande et interné en Suisse. De retour en France en 1941, il connaît son premier succès littéraire avec « Les Coups », publié chez Gallimard, salué par la critique, notamment par André Gide.

En 1950, sa vie prend un nouveau virage : à la demande de Marcel Duhamel, il commence à écrire des romans noirs pour la Série noire sous le pseudonyme de John Amila, puis Jean Amila. Il devient ainsi le deuxième auteur français de la collection. Sous cette identité, il publie vingt et un polars, avec des personnages mémorables comme le patron de boîte de nuit Riton Godot et le flic contestataire Édouard Magne.

Militant libertaire, antimilitariste convaincu, il dénonce dans ses romans les expérimentations nucléaires françaises (« La Vierge et le Taureau »), les horreurs de la guerre (« Le Boucher des Hurlus », « La lune d’Omaha ») et les abus de pouvoir. En 1975, une mystérieuse agression le laisse partiellement amnésique. Il se retire alors à Lorrez-le-Bocage-Préaux, où il continue d’écrire jusqu’à son dernier roman, « Au balcon d’Hiroshima », qui reçoit le prix Mystère de la critique en 1986.

Jean Meckert s’éteint le 7 mars 1995 à Vaux-sur-Lunain, laissant derrière lui une œuvre riche et engagée, longtemps méconnue mais redécouverte depuis les années 2000 grâce à de nouvelles éditions de ses romans. Son héritage influence toujours les auteurs de polar contemporains, qui voient en lui un précurseur du roman noir social à la française.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Le Boucher des Hurlus (1982)

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Résumé

Dans le Paris de l’immédiat après-guerre, en 1919, le petit Michou, huit ans, vit seul avec sa mère depuis que son père a été fusillé pour mutinerie en 1917. Refusant de participer à l’offensive meurtrière de Perthes-les-Hurlus, ce dernier a payé de sa vie son insoumission. Le quotidien est difficile pour l’enfant et sa mère, constamment harcelés par leurs voisins qui les considèrent comme des traîtres à la patrie.

Suite à une altercation violente avec une voisine particulièrement hostile, la mère de Michou est internée dans un asile psychiatrique tandis que le garçon est placé dans un orphelinat. Là-bas, avec trois autres pensionnaires plus âgés que lui, il décide de s’évader pour accomplir sa vengeance : tuer le général Des Gringues, surnommé « le Boucher des Hurlus », responsable de la mort de son père.

Autour du livre

Ce roman de Jean Amila, paru en 1982 dans la Série noire de Gallimard, puise largement dans l’expérience personnelle de l’auteur. Né Jean Meckert en 1910, il a lui-même passé quatre ans dans un orphelinat protestant à Courbevoie après l’internement de sa mère, tandis que son père avait quitté le foyer familial. Cette dimension autobiographique confère au récit une authenticité poignante dans sa description du Paris populaire et des institutions de l’époque.

À travers le regard d’un enfant confronté aux absurdités de la guerre, Amila dresse un réquisitoire implacable contre le militarisme et dévoile les zones d’ombre de la Grande Guerre, notamment le sort tragique des mutins fusillés pour l’exemple. L’œuvre a marqué durablement le paysage littéraire français, inspirant notamment « Le der des ders » de Didier Daeninckx, et a été adaptée au cinéma en 1996 sous le titre « Sortez des rangs » par Jean-Denis Robert.

Aux éditions FOLIO ; 222 pages.


2. La lune d’Omaha (1964)

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Résumé

Le 6 juin 1944, lors du débarquement à Omaha Beach, le soldat américain George R. Hutchins profite du chaos pour déserter avec l’aide d’un paysan normand, Amédée Delouis. Ce dernier, chargé de s’occuper des dépouilles américaines, lui propose de devenir officiellement son fils Georges Delouis contre une rente mensuelle.

Vingt ans plus tard, en 1963, Georges s’est construit une nouvelle vie en Seine-et-Marne : marié à Janine, une institutrice, il est père de trois enfants. Mais la mort d’Amédée fait ressurgir le passé. Fernand, le fils légitime, comprend rapidement qu’un mystère entoure ce prétendu frère. Lors d’une confrontation, Georges révèle sa véritable identité et menace de se dénoncer, ce qui mettrait fin à la rente tant convoitée par Fernand.

Autour du livre

Publié en 1964, ce roman s’inscrit dans un moment particulier de l’histoire française, alors que le pays peine encore à se reconstruire moralement et économiquement. À travers cette intrigue, Jean Amila dresse un portrait sans concession des années d’après-guerre, où les héros côtoient les profiteurs, où la gloire militaire dissimule des trafics sordides – jusqu’aux dépouilles de vaches enterrées parmi les soldats. Le roman a été adapté en téléfilm par Jean Marbœuf en 1985.

Aux éditions FOLIO ; 229 pages.


3. Jusqu’à plus soif (1962)

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Résumé

Dans la Normandie des années 1960, Marie-Anne, jeune institutrice fraîchement diplômée, prend son poste dans le village de Nomville. Dès son arrivée, elle découvre une communauté entièrement vouée à la distillation clandestine d’eau-de-vie, où même le curé empeste l’alcool. Son refus catégorique de voir ses élèves boire du « café arrosé » pendant les récréations provoque rapidement l’hostilité des villageois.

En parallèle, Pierrot Soulage, fils de fermier tout juste rentré d’Algérie, se lance dans le trafic d’alcool vers Paris. Ses ambitions grandissantes le poussent à vouloir court-circuiter les réseaux établis, l’entraînant dans des situations de plus en plus périlleuses.

Entre Marie-Anne et Pierrot naît une relation improbable, lui le trafiquant, elle l’anti-alcool convaincue. Tandis que le village s’embrase face aux tentatives de perquisition des gendarmes, les tensions montent et les coups de feu éclatent, transformant le bocage normand en théâtre d’affrontements.

Autour du livre

Ce roman de 1962 s’inscrit dans le contexte brûlant de la fin du privilège des bouilleurs de cru, statut napoléonien qui cesse d’être transmissible par héritage en 1959. Jean Amila met en lumière les paradoxes d’une époque où les politiques locaux soutenaient simultanément la lutte contre l’alcoolisme à Paris et les producteurs clandestins dans leurs circonscriptions.

Par-delà le simple polar rural, Amila dépeint les prémices des bouleversements sociaux des années 1960. La confrontation entre Marie-Anne, Suzanne – la fille du sénateur – et Pierrot d’un côté, et l’ordre établi de l’autre, préfigure les contestations de Mai 68. Ce western normand où les fourches remplacent les colts a été adapté au cinéma la même année par Maurice Labro.

Aux éditions FOLIO ; 272 pages.


4. Noces de soufre (1964)

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Résumé

André Letellier, un employé de banque, vole cent vingt-sept millions d’anciens francs après avoir assommé son directeur d’agence. Sa fuite s’achève brutalement près d’Avallon où sa voiture est retrouvée carbonisée. Le commissaire Verdier soupçonne immédiatement Annette, l’épouse du défunt, d’être complice du vol. Cette dernière, en pleine dépression suite aux infidélités de son mari, fait alors alliance avec Thérèse Gerbaut, son ancienne meilleure amie devenue la maîtresse d’André. Les deux femmes, convaincues que l’inspecteur Lentraille a orchestré la mort d’André pour s’emparer du butin, mènent leur propre enquête. Mais un rebondissement inattendu les attend : André est toujours vivant.

Autour du livre

Cette trame criminelle sert de toile de fond à une réflexion sur la condition féminine dans la France des années 1960. Jean Amila y met en lumière deux femmes qui refusent de se soumettre à l’ordre établi, bravant l’hostilité d’une société où les « bourriques » en uniforme traitent encore la gent féminine avec un paternalisme teinté de mépris. La solidarité qui unit Annette et Thérèse, par-delà leur rivalité amoureuse, préfigure les bouleversements sociaux à venir.

Le roman se distingue par sa dimension psychologique et son regard lucide sur les rapports de force au sein du couple. Les personnages évoluent dans un quotidien étouffant, à l’image d’André, cet homme falot qui « était fragile de sentiments comme on est fragile des bronches ». Adapté pour la télévision vingt ans plus tard par Raymond Vouillamoz, « Noces de soufre » marque également la dernière publication d’Amila avant un silence littéraire de cinq ans.

Aux éditions FOLIO ; 240 pages.


5. Y’a pas de Bon Dieu ! (1950)

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Résumé

Au cœur des montagnes américaines, le modeste village de Mowalla se dresse contre un projet de barrage qui menace de l’engloutir. Paul Wiseman, jeune pasteur méthodiste tenant l’épicerie locale, devient le porte-parole des trois cent cinquante habitants opposés à leur expropriation. Face à lui, le puissant industriel John Sorodale déploie ses méthodes d’intimidation. La confrontation bascule dans la violence quand le pasteur reçoit un coup de marteau au genou. Lors d’une embuscade ultérieure, Wiseman abat un des hommes de main en légitime défense. L’arrivée d’un journaliste, un certain, Forster bouleverse la donne en révélant le véritable enjeu : l’exploitation d’un gisement d’uranium.

Autour du livre

Premier roman policier de Jean Meckert publié sous le pseudonyme de John Amila, « Y’a pas de Bon Dieu ! » marque en 1950 l’entrée discrète des auteurs français dans la collection Série noire de Gallimard. Le subterfuge est total : l’ouvrage est présenté comme une traduction de l’américain par Jean Meckert lui-même. Cette supercherie éditoriale témoigne de la domination du polar américain dans la France d’après-guerre.

L’intrigue, qui met en scène une communauté rurale menacée par les intérêts industriels, anticipe les conflits environnementaux des décennies suivantes. La résistance des habitants de Mowalla résonne notamment avec les protestations contre le barrage de Serre-Ponçon. Cette première incursion dans le noir inaugure vingt autres romans d’Amila dans la collection, où sa voix singulière contribuera à forger l’identité du polar français.

Aux éditions GALLIMARD ; 208 pages.


6. Le chien de Montargis (1983)

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Résumé

Au début des années 1980, Francis, surnommé P’tit Ciss, travaille comme « mannequin d’entraînement » dans un chenil à Montargis, où il sert de cible aux chiens de garde en formation. Excédé par les mauvais traitements, l’adolescent de dix-sept ans quitte son emploi pour devenir serveur à Saint-Raphaël, dans le restaurant de sa tante. Mais là encore, les morsures des molosses du restaurant ravivent sa haine envers les chiens.

Sa rencontre avec Lucette, employée chez des vétérinaires chez qui elle se procure du cyanure, marque un tournant : ensemble, ils empoisonnent systématiquement les chiens de la ville. Parallèlement, deux proxénètes locaux repèrent les talents d’acrobate de P’tit Ciss et l’engagent pour cambrioler des villas, après qu’il en ait éliminé les chiens de garde. La situation dégénère quand Lucette disparaît, assassinée par ses patrons qui ont découvert son trafic de cyanure.

Autour du livre

Le titre du roman fait écho à une légende médiévale : au XIVe siècle, sous Charles V, un chien aurait permis de démasquer l’assassin de son maître. Cette référence historique souligne ironiquement le renversement opéré dans le roman, où le chien passe du statut de justicier à celui de victime. La condition des jeunes travailleurs précaires s’y trouve aussi mise en parallèle avec le traitement privilégié accordé aux animaux de compagnie. L’histoire de P’tit Ciss illustre le désarroi d’une jeunesse en quête d’émancipation, coincée entre exploitation professionnelle et délinquance.

Aux éditions GALLIMARD ; 192 pages.


7. La bonne tisane (1955)

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Résumé

Dans le Paris des années 1950, René Le Comte, figure majeure de la pègre, gère un empire criminel comprenant bars, bordels et trafics divers. Après dix-huit mois d’absence en Amérique du Sud, il revient pour reprendre les rênes de ses affaires, jusqu’alors dirigées par sa maîtresse Maine. Lors d’une rencontre avec une bande rivale, Le Comte se fait tirer dessus. Son chauffeur Roger, le croyant mort, élabore rapidement un plan avec Riton Godot, patron d’une boîte de nuit, pour s’emparer de l’empire du « milliardaire ». Mais Le Comte a survécu et s’est réfugié dans l’hôpital voisin.

L’intrigue se déroule sur une seule nuit. Cette soirée mouvementée voit s’entremêler les destins de truands en quête de pouvoir et de trois apprenties infirmières – Thérèse, Sylvie et Adeline – confrontées à leur baptême du feu sous la tutelle d’internes autoritaires. Tandis que Roger et ses complices fouillent le quartier, le personnel hospitalier affronte ses propres problèmes hiérarchiques.

Autour du livre

Publié en 1955 dans la prestigieuse collection Série noire chez Gallimard, « La bonne tisane » précède de huit ans « Les Tontons flingueurs », avec lequel il partage une vision similaire du milieu criminel parisien. Le roman dépeint deux microcosmes régis par des hiérarchies strictes où les jeunes ambitieux – qu’ils soient truands ou internes – tentent de supplanter leurs aînés.

Ce polar se distingue par sa peinture sociale acérée des années 1950, entre description des soins médicaux d’époque et observation des mutations du grand banditisme. La référence à « En attendant Godot » de Beckett, pièce créée deux ans plus tôt, témoigne de l’ancrage culturel du récit. Le critique Claude Mesplède y décèle même « des accents céliniens ». Le roman fut adapté au cinéma par Hervé Bromberger en 1957.

Aux éditions GALLIMARD ; 192 pages.


8. La nef des dingues (1972)

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Résumé

En 1972, dans un Paris en pleine effervescence post-68, un couple improbable tente de survivre : Dorf, artiste hollandais sans le sou, et Brigitte, sa compagne qui subvient à leurs besoins. Une altercation violente avec un routier fait basculer leur existence. Pour s’en sortir, ils échafaudent un plan : acquérir le voilier d’un promoteur immobilier en faillite. L’embarcation, baptisée L’Harmaggedon, a été dérobée par deux jeunes malfrats. L’affaire se complique quand des agents des services secrets s’en mêlent, poussant l’inspecteur Édouard Magne, surnommé Géronimo, à intervenir pour protéger Brigitte, son ex-maîtresse.

Autour du livre

Premier roman mettant en scène l’inspecteur Édouard Magne, « La nef des dingues » marque un tournant dans l’œuvre de Jean Amila. Le personnage de Géronimo, avec ses cheveux longs, ses sandales et son gilet afghan, marque une rupture avec les codes traditionnels du polar français des années 1970. Sa Norton 750 et son refus d’être « au service du pouvoir » en font un protagoniste singulier, préfigurant l’émergence des anti-héros dans la littérature policière.

Aux éditions GALLIMARD ; 190 pages.

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