Heinrich Böll (1917-1985) est l’un des plus importants écrivains allemands de l’après-guerre. Né à Cologne dans une famille catholique et pacifiste, il grandit pendant la période troublée de l’entre-deux-guerres. Durant sa jeunesse, il s’oppose au nazisme et parvient à éviter les « Jeunesses hitlériennes ».
Incorporé dans la Wehrmacht en 1939, il sert sur plusieurs fronts pendant la Seconde Guerre mondiale. Il déserte brièvement en 1944 avant d’être capturé par les Américains en 1945. Cette expérience de la guerre marquera profondément son œuvre.
Après la guerre, il devient écrivain à temps plein à partir de 1948. Sa carrière décolle véritablement en 1951 lorsqu’il reçoit le prix du Groupe 47 pour sa nouvelle « Les Brebis galeuses ». Il s’impose rapidement comme une figure majeure de la « littérature des ruines » (Trümmerliteratur), décrivant avec réalisme et compassion l’Allemagne d’après-guerre.
Son œuvre, qui comprend romans, nouvelles et essais, se caractérise par une critique sociale aigüe de la société allemande d’après-guerre, notamment du « miracle économique » et du conformisme religieux. Parmi ses œuvres majeures figurent « La grimace » (1963) et « Portrait de groupe avec dame » (1971).
Intellectuel engagé, il prend position sur de nombreux sujets politiques, soutenant notamment le pacifisme et accueillant l’écrivain dissident Soljenitsyne après son expulsion d’URSS. Son engagement lui vaut le prix Nobel de littérature en 1972.
Heinrich Böll meurt le 16 juillet 1985 dans sa maison de Langenbroich. Son héritage perdure notamment à travers la fondation qui porte son nom, créée en 1987 à Cologne.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. L’honneur perdu de Katharina Blum (1974)
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Katharina Blum, gouvernante de 27 ans à Cologne, incarne la droiture et la discrétion jusqu’à cette nuit de carnaval de 1974 où elle succombe au charme de Ludwig Götten. Ce qu’elle ignore alors : l’homme est en fuite, surveillé par la police. Quand les forces de l’ordre investissent son appartement au petit matin, Götten s’est déjà volatilisé grâce à son aide.
Cette nuit marque le début d’une impitoyable chasse à l’homme médiatique. Un journal à sensation s’empare de l’affaire et transforme Katharina en « fiancée de terroriste ». Chaque jour apporte son lot d’articles diffamatoires : sa vie privée est disséquée, ses propos sont déformés, ses proches sont harcelés. Le reporter Werner Tötges pousse le vice jusqu’à tourmenter sa mère sur son lit de mort. En quatre jours, cette femme respectée devient une paria, assaillie d’appels obscènes et de lettres haineuses.
L’issue tragique est annoncée dès l’ouverture du roman : Katharina tue Tötges de sang-froid avant de se livrer aux autorités. Entre ces deux moments, le récit déroule la mécanique qui pousse une femme ordinaire à devenir meurtrière.
Cette histoire, publiée en 1974, résonne comme une vengeance littéraire d’Heinrich Böll contre le journal Bild qui l’avait violemment attaqué pour ses prises de position sur la Fraction Armée Rouge. Le livre s’ouvre d’ailleurs sur un avertissement cinglant : toute ressemblance avec les pratiques du Bild n’est « ni intentionnelle ni fortuite mais tout bonnement inévitable ». Adapté au cinéma dès 1975 par Volker Schlöndorff et Margarethe von Trotta, ce pamphlet contre la presse à sensation s’est vendu à plus de 2,7 millions d’exemplaires dans le monde.
Aux éditions POINTS ; 168 pages.
2. Portrait de groupe avec dame (1971)
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En 1970, un mystérieux enquêteur se lance sur les traces de Léni Pfeiffer, une Allemande de 48 ans qui semble imperméable aux conventions sociales. Son investigation va reconstituer le parcours d’une femme hors du commun, née dans la bourgeoisie colonaise en 1922, et dont la vie bascule pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le destin de Léni prend un tour tragique quand son mari, un sous-officier qu’elle connaît à peine, meurt sur le front trois jours après leur mariage. Sa famille s’effondre : emprisonnement à vie du père, mort de la mère. Pour survivre, elle travaille dans un atelier de confection de couronnes mortuaires. C’est là qu’elle tombe amoureuse de Boris Koltowski, un prisonnier de guerre soviétique. Leur liaison clandestine aboutit à la naissance d’un fils, mais Boris périt dans un accident minier en Lorraine. Vingt ans plus tard, Léni scandalise à nouveau son entourage en s’éprenant de Mehmet, un travailleur turc, et en louant des chambres à prix modique à des immigrés. Sa famille tente alors de l’expulser de la maison familiale.
Cette fresque sociale de l’Allemagne du XXe siècle, publiée en 1971, a directement contribué à l’obtention du prix Nobel de littérature par Heinrich Böll l’année suivante. La construction du récit innove en mêlant enquête journalistique, témoignages et documents d’archives – certains authentiques comme les actes du procès de Nuremberg, d’autres fictifs. Sa singularité tient aussi à l’absence totale de parole du personnage principal : Léni n’existe qu’à travers le regard des autres, ce qui renforce son énigme plutôt que de la dissiper.
Marcel Reich-Ranicki, célèbre critique littéraire allemand, soulignait dans Die Zeit la profusion inédite de sujets et de milieux sociaux dépeints par Böll. En 1977, le roman a connu une adaptation cinématographique avec Romy Schneider.
Aux éditions POINTS ; 480 pages.
3. La grimace (1963)
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Bonn, début des années 1960. Hans Schnier, clown professionnel de 27 ans, vient de donner un spectacle catastrophique. Ivre et le genou en miettes, il regagne son appartement vide depuis que Marie, sa compagne depuis six ans, l’a quitté. Cette fervente catholique n’a pas supporté leur vie de concubins et a rejoint les cercles religieux de la ville, abandonnant Hans à sa solitude.
Le roman se déroule sur quelques heures, pendant lesquelles Hans, alcoolisé et blessé au genou, ressasse son histoire dans son appartement de Bonn. Entre deux verres, il passe des coups de téléphone à ses proches, à la recherche d’argent et d’informations sur Marie. Ces conversations font ressurgir les fantômes du passé, notamment celui de sa sœur Henriette, envoyée à seize ans aux batteries antiaériennes par leur mère fanatisée, où elle trouva la mort dans les derniers jours de la guerre.
À travers le regard acerbe de ce clown désenchanté, le roman dresse le portrait d’une société allemande qui cherche à effacer ses responsabilités d’après-guerre. La mère de Hans, jadis fervente nazie, préside désormais une association pour la réconciliation raciale. Les anciens collaborateurs se reconvertissent dans les œuvres caritatives. L’Église catholique impose sa morale et dicte les comportements.
La publication du roman en 1963 déclencha une violente polémique. Les cercles catholiques et la presse conservatrice s’indignèrent de cette satire de la société ouest-allemande de l’ère Adenauer. Böll s’attaquait frontalement au « catholicisme politique allemand », dénonçant l’influence considérable de l’Église sur la vie publique. Malgré – ou grâce à – ces controverses, « La grimace » connut un immense succès et resta 25 semaines en tête des ventes. Le livre fut adapté au cinéma en 1976 par Vojtěch Jasný, avec Helmut Griem dans le rôle principal.
Aux éditions POINTS ; 288 pages.