Fred Uhlman naît le 19 janvier 1901 à Stuttgart, dans une famille bourgeoise juive. Après des études de droit, il devient avocat. En 1933, la montée du nazisme le force à quitter l’Allemagne pour Paris, où il se consacre à la peinture dans les milieux artistiques. En 1936, lors d’un séjour à Tossa de Mar en Espagne, il rencontre sa future épouse, Diana Joyce Croft, fille d’un parlementaire britannique. La guerre civile espagnole le pousse à s’installer au Royaume-Uni.
En 1938, il crée le Comité des artistes réfugiés à Londres. Pendant la Seconde Guerre mondiale, malgré son mariage avec une Britannique, il est interné sur l’île de Man en 1940 en raison de ses origines allemandes. Cette période lui permet néanmoins de continuer à peindre. Après sa libération, il est naturalisé britannique et poursuit sa carrière artistique, devenant également un important collectionneur d’art africain.
Sa carrière d’écrivain commence véritablement en 1971 avec la publication de « L’ami retrouvé », une œuvre largement autobiographique qui connaît un succès international. Ses parents connaissent un destin tragique : ils sont assassinés en 1943 au ghetto de Theresienstadt. Fred Uhlman meurt à Londres le 11 avril 1985, laissant derrière lui une œuvre littéraire et picturale significative, témoignage de l’exil et de la persécution des Juifs européens.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. L’ami retrouvé (roman, 1971)
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Résumé
Stuttgart, 1932. Hans Schwarz, seize ans, fils d’un médecin juif décoré de la Croix de Fer, fréquente le prestigieux Karl-Alexander-Gymnasium. L’arrivée dans sa classe du jeune comte Conrad von Hohenfels bouleverse la routine du lycéen de seize ans. Solitaire, passionné de littérature, Hans se lie d’une amitié profonde avec ce nouvel élève issu de l’aristocratie. Les deux adolescents partagent leurs secrets, leurs réflexions sur Hölderlin et leurs promenades dans la campagne souabe.
Les premières fissures apparaissent quand Hans réalise que son ami évite systématiquement de l’inviter chez lui en présence de ses parents. Un soir au théâtre, Conrad l’ignore ostensiblement avant de lui avouer, gêné, que sa mère abhorre les Juifs. L’ascension d’Hitler en 1933 précipite la rupture. Les parents de Hans l’envoient à New York, où il poursuit des études de droit à Harvard. Son ami lui écrit une dernière fois pour lui confesser son admiration pour le Führer. Quelques mois plus tard, les parents de Hans se suicident face aux persécutions.
Trois décennies s’écoulent. Devenu avocat à New York, Hans reçoit un courrier de son ancien lycée sollicitant des fonds pour un mémorial aux anciens élèves morts pendant la guerre. Après une longue hésitation, il consulte la liste des disparus et découvre que Conrad a été exécuté pour avoir participé au complot contre Hitler.
Autour du livre
À travers cette histoire d’amitié brisée par la montée du nazisme, « L’ami retrouvé » met en scène les bouleversements de l’Allemagne des années 1930 à l’échelle intime de deux adolescents. La structure narrative joue sur deux temporalités : le récit principal se déroule en 1932-1933 à Stuttgart, tandis que l’épilogue nous propulse trente ans plus tard à New York. Ce choix souligne l’impossibilité du retour et la permanence des traumatismes de l’Histoire.
La dimension autobiographique transparaît dans plusieurs aspects du récit. Fred Uhlman et son personnage Hans Schwarz partagent un même parcours : tous deux sont des avocats juifs contraints à l’exil en 1933. Le cadre du Karl-Alexander-Gymnasium s’inspire directement du Eberhard-Ludwigs-Gymnasium où Uhlman a étudié. Un détail significatif renforce ce parallèle : Hans et Konradin naissent le 19 janvier 1916, exactement quinze ans après la naissance d’Uhlman, le 19 janvier 1901.
Le personnage de Konradin von Hohenfels s’inspire probablement de Claus von Stauffenberg, qu’Uhlman a croisé sur les bancs du lycée. Dans son autobiographie « Il fait beau à Paris aujourd’hui » parue en 1960, il évoque brièvement les frères Stauffenberg, mentionnant celui qui « a presque réussi à tuer Hitler » et fut « exécuté pour cela ». Cette référence historique donne une profondeur supplémentaire au destin tragique de Konradin.
Publié confidentiellement à Londres en 1971 avec un tirage initial de 700 exemplaires, le texte ne connaît le succès qu’après sa réédition en 1977, accompagnée d’une préface d’Arthur Koestler. Ce dernier le qualifie de « chef-d’œuvre mineur », où l’adjectif fait référence tant à la brièveté du texte qu’à sa tonalité nostalgique malgré la noirceur du sujet. Traduit dans une vingtaine de langues, « L’ami retrouvé » reçoit en 1997 le prix du livre du mois de l’Académie pour la littérature jeunesse. En 1989, Jerry Schatzberg l’adapte au cinéma sur un scénario d’Harold Pinter, avec Jason Robards dans le rôle principal.
Aux éditions FOLIO ; 128 pages.
2. La Lettre de Conrad (roman, 1985)
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Résumé
En septembre 1944, Conrad von Hohenfels attend son exécution dans une prison allemande pour avoir participé au complot contre Hitler. Durant ses dernières quarante-huit heures, il rédige une longue lettre à Hans Schwarz, son ami d’enfance juif qu’il n’a pas revu depuis des années. Cette missive constitue l’intégralité du roman « La Lettre de Conrad » de Fred Uhlman, suite de « L’ami retrouvé ».
Le récit remonte aux années 1930, quand Conrad, héritier d’une prestigieuse famille aristocratique allemande, rencontre Hans au lycée Karl Alexander de Stuttgart. Malgré leurs origines différentes – Hans est fils d’un médecin juif – les deux adolescents développent une amitié fusionnelle autour de leur amour partagé pour la littérature et la culture. Mais l’influence toxique de la mère de Conrad, farouchement antisémite, combinée à la montée du nazisme, finit par avoir raison de leur relation. Conrad cède progressivement à l’endoctrinement idéologique avant de prendre conscience, des années plus tard, de l’horreur du régime et de décider d’agir contre Hitler.
À travers cette lettre écrite dans l’urgence de ses derniers instants, Conrad tente d’expliquer à Hans comment il a pu trahir leur amitié. Il y dépeint le carcan familial et social qui l’a poussé à renier ses convictions profondes, tout en implorant le pardon de celui qui fut son seul véritable ami.
Autour du livre
« La Lettre de Conrad » constitue le deuxième volet d’un diptyque avec « L’ami retrouvé », une œuvre qui a connu un succès considérable. Cette suite diffère pourtant du premier opus en adoptant un point de vue opposé : là où « L’ami retrouvé » présentait l’histoire du point de vue de Hans, ce second texte donne la parole à Conrad. Fred Uhlman avait en réalité conçu ces deux récits comme un tout cohérent, pensé comme un dialogue à deux voix.
Le texte abonde en références littéraires, de Balzac à Dostoïevski en passant par Freud, qui témoignent de la culture classique des protagonistes. Cette érudition sert notamment de toile de fond à une réflexion sur la nature même de l’intelligence, illustrée par un épisode où Conrad confronte trois érudits férus de littérature contemporaine mais incapables de répondre à des questions d’histoire générale – une manière de suggérer que « nous sommes tous le savant de quelqu’un et l’idiot d’un autre ».
La dimension psychologique du texte se manifeste particulièrement dans l’analyse des mécanismes qui conduisent Conrad à basculer dans les jeunesses hitlériennes. Le rôle central de sa mère, d’abord idéalisée puis révélée comme figure toxique et manipulatrice, met en lumière le poids de l’éducation dans l’adhésion aux idéologies totalitaires. Cette lecture trouve une résonance particulière dans le parcours de Fred Uhlman lui-même, contraint de quitter l’Allemagne en 1933 pour échapper aux persécutions, avant de connaître l’exil en France, en Espagne puis au Royaume-Uni.
Publié à titre posthume en 1985 selon le souhait explicite de l’auteur, « La Lettre de Conrad » s’inscrit dans un triptyque complété par « Pas de résurrection, s’il vous plaît », même si ce dernier met en scène des personnages différents. Le succès de ces textes tient sans doute à leur capacité à interroger la responsabilité individuelle face aux mouvements de l’Histoire, tout en évitant les jugements manichéens. Une certaine ambiguïté plane d’ailleurs sur la possible homosexualité latente de Conrad, suggérée par ses descriptions admiratives de la beauté masculine, notamment celle d’un jeune nazi – une dimension qui ajoute à la complexité du personnage sans jamais être explicitement confirmée.
Aux éditions MAGNARD ; 144 pages.
3. Il fait beau à Paris aujourd’hui (autobiographie, 1960)
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Résumé
« Il fait beau à Paris aujourd’hui » retrace le parcours extraordinaire de Fred Uhlman, avocat juif allemand contraint de fuir son pays natal en 1933. Issu d’une famille bourgeoise de Stuttgart, Uhlman mène une existence prospère jusqu’à l’avènement du nazisme. Le 23 mars 1933, un appel téléphonique laconique bouleverse sa vie : « Il fait beau à Paris aujourd’hui. Aujourd’hui. » Cette phrase codée l’avertit du péril imminent qui le guette. En quelques heures, il abandonne son cabinet, sa ville et sa famille pour fuir l’Allemagne nazie, où son engagement dans l’opposition social-démocrate et ses origines juives le mettent en danger.
Son périple d’exilé le conduit d’abord en France, où il découvre sa vocation artistique et s’essaie à la peinture, croisant même la route de Picasso. Les circonstances le poussent ensuite vers l’Espagne, à l’aube de la guerre civile, avant de trouver refuge en Angleterre. Dans ce pays qui deviendra sa terre d’adoption, il doit tout recommencer : apprendre la langue, s’adapter aux codes et aux subtilités culturelles britanniques. Paradoxalement, c’est dans cet exil qu’il parvient à s’épanouir comme peintre, réalisant ainsi une aspiration profonde que sa carrière d’avocat avait jusque-là mise en sourdine.
Autour du livre
« Il fait beau à Paris aujourd’hui » s’inscrit dans le sillage de « L’ami retrouvé », le chef-d’œuvre de Fred Uhlman qui a établi sa renommée. Ces deux textes se font écho, l’un dans la fiction, l’autre dans l’autobiographie, pour témoigner des années sombres de l’Allemagne nazie. Le titre original, « The Making of an Englishman », souligne la métamorphose identitaire au cœur de ce récit : comment un avocat juif allemand devient, par la force des événements, un artiste-peintre anglais.
La genèse du texte révèle sa dimension douloureuse. Dix années ont été nécessaires pour écrire le chapitre consacré à la famille, comme le confie Uhlman : « Pendant dix ans, j’ai commencé et recommencé ce chapitre, puis déchiré tout ce que j’avais écrit. Je me suis demandé si je pouvais éviter de l’écrire, mais n’en vois pas la possibilité car il est la clé de ma personnalité ». Cette lente maturation traduit la difficulté à mettre en mots l’indicible de la Shoah.
Arthur Koestler salue dans ces pages une « qualité musicale obsédante et lyrique à la fois », qu’il compare à « Mozart écrivant Le Crépuscule des Dieux ». Cette analogie musicale souligne la tension entre la légèreté apparente du style et la gravité du propos. Uhlman maintient un fragile équilibre entre l’humour – notamment dans les passages sur l’adaptation aux codes sociaux britanniques – et la tragédie familiale.
L’itinéraire géographique se double d’une transformation artistique inattendue. Fred Uhlman reconnaît avec une ironie grinçante que Hitler lui a permis de réaliser son rêve : devenir peintre. Ses toiles, comme « Welsh Village », témoignent de cette vocation tardive née dans l’exil. « Il fait beau à Paris aujourd’hui » dessine ainsi le portrait d’un homme qui, chassé de sa terre natale, a su transformer l’adversité en renaissance créatrice.
Aux éditions STOCK ; 280 pages.