Fabrice Humbert naît à Saint-Cloud. Après des études au lycée Henri-IV à Paris, il devient agrégé de lettres modernes et soutient une thèse de doctorat sur l’autobiographie chez Louis Calaferte. Il enseigne d’abord la littérature au lycée franco-allemand de Buc dans les Yvelines, puis en classes préparatoires au lycée La Bruyère à Versailles, tout en étant professeur d’écriture à HEC.
Sa carrière littéraire débute en 2001 avec « Autoportraits en noir et blanc » aux éditions Plon. C’est son troisième roman, « L’origine de la violence » (2009), qui le révèle au grand public. Cette œuvre en partie autobiographique, qui raconte l’histoire d’un professeur découvrant un secret familial lors d’une visite à Buchenwald, remporte plusieurs prix prestigieux et est adaptée au cinéma par Élie Chouraqui en 2016.
Humbert continue à publier avec « La fortune de Sila » (2010), une fresque sur la crise financière, « Avant la chute » (2012), « Eden Utopie » (2015), « Comment vivre en héros ? » (2017), « Le monde n’existe pas » (2020), et plus récemment « L’expérience des fantômes » (2023).
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. L’origine de la violence (2009)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Lors d’une visite scolaire au camp de concentration de Buchenwald, près de Weimar, un professeur de français tombe sur une photographie qui le stupéfie : parmi les détenus figure un homme qui est le sosie de son père. Cette découverte le pousse à enquêter sur l’identité du prisonnier. Il apprend qu’il s’agit de David Wagner, un tailleur juif qui eut une liaison avec Virginie Fabre, son aïeule, avant d’être dénoncé et déporté. Cette révélation fait voler en éclats le vernis de respectabilité de sa famille bourgeoise normande : son père Adrien est en réalité le fils de Wagner, mort dans d’atroces conditions en 1942. En quête de réponses, le narrateur s’installe à Berlin comme attaché culturel et noue une relation avec Sophie, descendante d’un nazi. Leur relation amoureuse complexifie sa quête d’identité, tandis qu’il tente de comprendre les mécanismes du Mal à travers l’histoire de sa famille.
Autour du livre
« L’origine de la violence », publié en 2009, s’inscrit dans une réflexion sur la transmission transgénérationnelle des traumatismes. Fabrice Humbert interroge comment la violence de la Shoah continue de résonner dans la troisième génération, celle qui n’a pas directement connu les survivants. Cette approche novatrice distingue son livre des témoignages directs comme ceux de Primo Levi ou Jorge Semprun, qu’il cite abondamment.
Le roman se structure en deux parties distinctes. La première retrace l’enquête historique et familiale, qui culmine avec la découverte de l’identité de David Wagner. La seconde sonde les répercussions de cette révélation sur le narrateur et sa relation avec Sophie, créant un pont symbolique entre descendants de victimes et de bourreaux.
L’originalité de l’œuvre réside dans son traitement de la violence comme héritage. Le narrateur, qui se décrit comme « l’homme le plus gentil du monde » avec ses élèves, est hanté par des accès de violence inexpliqués qu’il relie à ce passé familial occulté. Cette dualité fait écho à celle de l’Allemagne elle-même, où la ville de Weimar, symbole du romantisme goethéen, jouxte le camp de Buchenwald.
Fabrice Humbert tisse ainsi plusieurs fils narratifs : l’histoire d’amour tragique entre David Wagner et Virginie Fabre, la complexité des rapports père-fils sur trois générations, et une réflexion plus large sur la nature du Mal. Les personnages de Marcel Fabre et d’Adrien Fabre incarnent les différentes facettes du silence et de la culpabilité, tandis que la relation du narrateur avec Sophie questionne la possibilité d’une rédemption.
Humbert évite les écueils du genre en refusant tout voyeurisme dans sa description du camp. Il préfère s’attacher aux mécanismes psychologiques qui ont permis l’émergence de la barbarie nazie, notamment à travers les figures d’Erich Wagner, le médecin tortionnaire, et du couple Koch qui dirigeait Buchenwald.
Le livre s’achève sur une ultime révélation concernant la dénonciation de David Wagner, bouclant ainsi la boucle d’une histoire où les destins individuels se trouvent inexorablement liés aux grandes tragédies de l’Histoire.
« L’origine de la violence » a reçu plusieurs distinctions, dont le Prix Orange du Livre 2009, le Prix 2010 des Grandes écoles et le Prix Renaudot 2010 du livre de poche. Il a également fait l’objet d’une adaptation cinématographique.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 352 pages.
2. La fortune de Sila (2010)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Paris, juin 1995. Dans un restaurant huppé, Sila, un jeune serveur d’origine africaine, subit une violente agression de la part d’un client américain, Mark Ruffle, pour avoir simplement tenté de raccompagner son fils turbulent à sa table. Aucun des autres convives ne réagit : ni le couple russe formé par Lev, oligarque du pétrole, et Elena, ni les deux jeunes Français Simon et Matthieu venus fêter une embauche à la City de Londres.
Cette scène inaugurale marque le point de départ d’une fresque sur deux décennies où s’entrecroisent les destins de ces personnages. Dans une société dominée par la course effrénée au profit, chacun poursuit sa trajectoire : Lev dans le pétrole russe, Ruffle dans la spéculation immobilière, Simon dans les salles de marché londoniennes. Face à ces prédateurs de la finance mondialisée, Sila incarne une autre fortune, celle de la dignité.
Autour du livre
« La fortune de Sila » s’inscrit dans la lignée des grandes fresques balzaciennes transposées à l’ère de la mondialisation financière. Publié en 2010 aux éditions Le Passage, le quatrième roman de Fabrice Humbert dépeint les ravages de l’ultracapitalisme à travers les parcours de personnages archétypaux mais finement ciselés.
L’idée du roman est née d’une scène peut-être réelle, peut-être imaginée. Quelques semaines après la publication, un ami banquier de l’auteur lui a raconté qu’une agression similaire s’était effectivement produite dans un grand hôtel parisien. Cette anecdote illustre la méthode de Fabrice Humbert qui mêle documentation minutieuse et expérience personnelle. Pour décrire l’univers des traders, il a ainsi rencontré un « quant » et épluché la littérature spécialisée. Le personnage de Sila s’inspire quant à lui de son expérience de serveur en Grande-Bretagne et de sa fréquentation des milieux de sans-papiers.
Le roman embrasse les bouleversements géopolitiques et économiques qui ont façonné le monde post-1989 : l’effondrement de l’URSS et l’émergence des oligarques, la financiarisation débridée, la crise des subprimes. Mais par-delà sa dimension documentaire, « La fortune de Sila » interroge la nature humaine face à l’appât du gain. Les femmes – Elena, Soshana – tentent vainement de préserver leurs compagnons de la corruption morale. Seul Sila, figure christique venue d’un village africain fantasmagorique, conserve son intégrité.
Couronné par le Grand prix RTL-Lire 2011, « La fortune de Sila » a marqué l’accession de Fabrice Humbert au premier plan de la scène littéraire française, après le succès de « L’origine de la violence » (2009). Les droits d’adaptation cinématographique ont été acquis par Mandarin Cinéma, la maison de production des frères Altmayer, et le projet a été confié au réalisateur Xavier Durringer.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 360 pages.
3. Le monde n’existe pas (2020)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Un soir, Adam Vollmann, journaliste au New Yorker, découvre sur les écrans de Times Square le visage d’Ethan Shaw, son ancien ami de lycée, recherché pour le viol et le meurtre d’une jeune Mexicaine de 16 ans. Refusant de croire à la culpabilité de celui qui fut autrefois la star adulée du lycée de Drysden et son unique ami, Adam décide de retourner dans cette petite ville du Colorado pour mener l’enquête.
Sur place, les témoignages se contredisent, les versions s’entrechoquent. La victime, Clara Montes, semble n’avoir jamais existé. À mesure que son investigation progresse, Adam voit ses certitudes vaciller. La frontière entre réalité et fiction s’estompe dangereusement, jusqu’à le faire douter de tout : de son passé, de ses souvenirs, de son identité même. Et si cette affaire dépassait tout ce qu’il pouvait imaginer ?
Autour du livre
« Le monde n’existe pas » s’inscrit dans une réflexion sur notre société contemporaine où la frontière entre vérité et mensonge s’efface progressivement. Par le prisme d’une enquête policière qui emprunte aux codes du thriller psychologique, Fabrice Humbert interroge la puissance du récit médiatique et sa capacité à façonner la réalité.
L’Amérique dépeinte ici devient une métaphore de notre monde contemporain, un pays où « le récit fondateur est cinématographique et l’Homère s’appelle Hollywood ». Les écrans géants de Times Square, choisis comme point de départ du récit, symbolisent cette société du spectacle permanent où l’information tourne en boucle, créant ce que le narrateur nomme « le ver » – cette machine médiatique qui se nourrit d’elle-même sans jamais rien révéler.
La construction du roman suit cette logique de déstructuration progressive du réel. La première partie, classique dans sa forme, laisse place à une seconde partie plus complexe où les repères s’effacent. Les digressions nombreuses, loin d’être gratuites, participent à cette sensation de vertige qui saisit le lecteur. Les références à Hitchcock, Hemingway, Orwell ou Garcia Marquez tissent un réseau de sens qui renforce la réflexion sur la nature même de la réalité.
Le personnage d’Adam Vollmann incarne cette quête impossible de la vérité. Journaliste « en chambre » plutôt que sur le terrain, il porte en lui une dualité fondamentale : autrefois Christopher Mentel, adolescent fragile et homosexuel, il est devenu Adam Vollmann, journaliste respecté. Cette transformation identitaire fait écho aux questionnements du roman sur l’authenticité et les apparences.
La figure d’Ethan Shaw, personnage aussi insaisissable que central, fonctionne comme un miroir des attentes de la société américaine. Star du lycée devenu monstre présumé, il cristallise les fantasmes collectifs et la façon dont les médias construisent leurs narrations, transformant des êtres réels en personnages de fiction.
L’originalité du roman réside dans sa capacité à mêler enquête policière et réflexion sur les fake news, la manipulation de l’information et la fabrication du consentement à l’ère numérique. Il questionne notre rapport à la vérité dans un monde où les images peuvent être retouchées, où les témoignages peuvent être inventés, où la réalité elle-même semble devenir une fiction parmi d’autres.
Aux éditions FOLIO ; 288 pages.
4. Avant la chute (2012)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
« C’est au moment où les êtres sont enveloppés de lumière qu’ils commencent à chuter. On croit qu’ils brillent alors qu’ils brûlent ». Cette phrase résume parfaitement les trois récits entrelacés qui composent « Avant la chute ». En Colombie, deux adolescentes fuient leur terre natale après l’assassinat de leur père, un cultivateur de coca, et entament un périlleux voyage vers les États-Unis. Au Mexique, le sénateur Urribal voit son pouvoir s’effriter entre une commission anti-drogue de façade et les menaces des cartels qu’il a longtemps protégés. Dans une cité française, le jeune Naadir poursuit ses études avec passion tandis que son frère aîné règne sur le trafic local. Ces trois trajectoires, en apparence distinctes, convergent vers un même point de rupture qui révèle les failles béantes de nos sociétés contemporaines.
Autour du livre
Publié en 2012, « Avant la chute » s’inscrit dans la continuité thématique des précédents romans de Fabrice Humbert, notamment « L’origine de la violence » et « La fortune de Sila ». Cette fresque sociale déploie une construction chorale qui rappelle les films « Babel » ou « Traffic », entremêlant habilement trois récits pour dresser un constat implacable sur la mondialisation du crime organisé.
Fabrice Humbert dépasse la simple dénonciation du trafic de drogue pour mettre en lumière ses ramifications tentaculaires, depuis les champs de coca colombiens jusqu’aux cités françaises. Les personnages incarnent différents maillons de cette chaîne mortifère : les victimes collatérales avec Sonia et Norma, la corruption institutionnelle à travers Urribal, les répercussions urbaines contemporaines via Naadir.
La dimension géopolitique s’articule autour d’une fine analyse des mécanismes de pouvoir. Au Mexique, la commission anti-drogue sert de paravent à un système gangrené où politique et cartels s’entremêlent. En Colombie, l’effondrement des cours agricoles pousse les paysans vers les cultures illicites, les transformant en proies faciles pour les milices armées. Dans les banlieues françaises, la mainmise des trafiquants révèle l’échec des institutions.
Le personnage de Naadir incarne une lueur d’espoir dans ce tableau sombre. Son amour des livres et son excellence scolaire le préservent temporairement de la violence environnante, mais sa lucidité d’observateur en fait le témoin privilégié d’une société qui bascule. Sa position d’équilibriste entre deux mondes – celui de l’éducation et celui du trafic incarné par son frère – symbolise les choix impossibles auxquels sont confrontés les personnages.
La puissance d’ « Avant la chute » réside dans sa capacité à tisser des liens entre des réalités géographiquement éloignées pour révéler leur profonde interconnexion. Sans céder aux clichés, Fabrice Humbert montre comment la violence engendre la violence dans un cycle infernal qui transcende les frontières. Le titre prend alors tout son sens : chaque personnage perçoit les signes avant-coureurs de sa chute sans pouvoir l’empêcher, prisonnier d’un engrenage qui le dépasse.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 312 pages.
5. Comment vivre en héros ? (2017)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
« Comment vivre en héros ? » suit le parcours de Tristan Rivière, adolescent marqué par la figure écrasante d’un père communiste qui rêve de faire de lui un héros. Sa première confrontation avec l’héroïsme se solde par un échec cuisant : à seize ans, il fuit devant trois agresseurs qui s’en prennent à son entraîneur de boxe dans le métro. Cette lâcheté le poursuit jusqu’à l’âge adulte, où le destin lui offre une seconde chance. Dans un train de banlieue, il sauve Marie d’une agression, un acte qui bouleverse sa trajectoire en trente-huit secondes. De ce mariage avec la fille d’un député socialiste naît une ascension sociale et politique : Tristan devient maire. Mais l’héroïsme a un prix, et les failles apparaissent bientôt : infidélité, divorce, mort tragique de son fils Alexandre, rébellion de sa fille Julie.
Autour du livre
« Comment vivre en héros ? » déploie une méditation sur la nature même de l’héroïsme dans notre société contemporaine. Fabrice Humbert tisse un récit qui interroge la transmission des valeurs entre générations, notamment à travers la relation père-fils.
Il y aborde au passage des questions sociétales plus larges : l’évolution de la gauche française, de l’idéal communiste au socialisme libéral des années Mitterrand, la transformation des banlieues, ou encore la possibilité d’incarner des valeurs morales dans un monde désenchanté.
Le parcours de Tristan, de professeur d’histoire-géographie à maire d’une ville de banlieue, illustre les mutations sociales de la France des années 1980 aux années 2000. La boxe, omniprésente dans le récit, devient une métaphore du combat moral que mène le protagoniste.
Les critiques saluent particulièrement la dimension universelle du roman, qui fait écho aux questionnements de chacun sur les bifurcations de l’existence. L’humour et l’ironie ponctuent le récit, apportant une légèreté bienvenue à ces réflexions sur le courage, la lâcheté et la rédemption.
Aux éditions FOLIO ; 432 pages.
6. L’expérience des fantômes (2023)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans l’Angleterre victorienne des années 1840, Lady Jane Franklin refuse d’accepter la disparition de son mari John Franklin, parti en 1845 à la tête d’une expédition de 133 hommes pour cartographier le passage du Nord-Ouest dans l’Arctique canadien. Les navires Erebus et Terror, aux noms prémonitoires, n’ont laissé aucune trace depuis deux ans. Hantée par des visions de son époux et portée par une conviction inébranlable, Jane Franklin remue ciel et terre pour le retrouver. Elle mobilise les plus hautes instances britanniques, sollicite l’aide de Charles Dickens, consulte des voyants et convoque même des fantômes. Sa quête désespérée la conduira à transformer son mari en héros légendaire, « l’homme qui mangea ses bottes ».
Autour du livre
La genèse de « L’expérience des fantômes » témoigne d’une longue maturation : Fabrice Humbert a réécrit six versions avant de trouver l’angle narratif idéal. Le choix de centrer le récit sur Lady Jane Franklin plutôt que sur l’expédition elle-même constitue la clé qui a déverrouillé l’histoire.
La dimension métaphysique imprègne le texte, jouant sur l’ambiguïté entre réel et irréel dans une société victorienne obsédée par l’au-delà et les terres inconnues. Jules Verne et Charles Dickens apparaissent dans le récit, ancrant l’histoire dans son époque tout en soulignant sa portée littéraire. D’ailleurs, Jules Verne s’inspirera de cette aventure pour « Les aventures du capitaine Hatteras ».
Le livre soulève des questions essentielles sur la fabrication des mythes et la nature de l’héroïsme. Jane Franklin, par sa détermination acharnée, réécrit l’histoire de son mari, le transforme en figure légendaire malgré les évidences contraires. Cette manipulation de la vérité historique devient un des enjeux majeurs du récit.
Les faits relatés sont authentiques et documentés, comme en attestent les archives des journaux de l’époque consultables dans les bibliothèques nationales anglaise et canadienne. L’épilogue historique apporte une touche contemporaine : les navires Erebus et Terror ont été retrouvés respectivement en 2014 et 2016.
Le roman se distingue d’autres œuvres traitant du même sujet, notamment « Terreur » de Dan Simmons, en privilégiant l’angle psychologique et spirituel plutôt que l’aventure pure. Cette approche originale permet d’aborder les thèmes de l’obsession, du deuil impossible et de la manipulation de l’opinion publique.
« L’expérience des fantômes » témoigne aussi de la société victorienne en pleine révolution industrielle, tiraillée entre progrès technique et fascination pour l’occulte, entre conquête territoriale et peurs ancestrales. Le « mal du Nord », cette étrange affliction qui s’empare des corps et des âmes dans les contrées arctiques, symbolise cette dualité.
Aux éditions FOLIO ; 272 pages.