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Evelyn Waugh en 7 romans – Notre sélection

Evelyn Waugh en 7 romans – Notre sélection

Evelyn Waugh naît à Londres le 28 octobre 1903 dans une famille de la bourgeoisie aisée. Second fils du critique littéraire Arthur Waugh, il fait ses études au Lancing College puis à Oxford, où il mène une vie mondaine intense et s’intéresse davantage aux cercles aristocratiques qu’à ses études. Après avoir obtenu des résultats modestes, il devient professeur et exerce divers métiers avant de publier son premier roman, « Grandeur et décadence », en 1928.

Son mariage avec Evelyn Gardner en 1928 se termine rapidement par une séparation. Cette période coïncide avec sa conversion au catholicisme en 1930, qui influencera sensiblement son œuvre. Il se remarie en 1937 avec Laura Herbert, avec qui il aura sept enfants.

Les années 1930 sont marquées par de nombreux voyages en Afrique et en Amérique latine, qui nourrissent ses écrits. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il sert dans les Royal Marines puis dans les commandos. Cette expérience inspire sa trilogie « Sword of Honour ». En 1945, la publication de « Retour à Brideshead » lui apporte une immense reconnaissance.

Dans l’après-guerre, Waugh s’établit à Piers Court puis à Combe Florey. Son style devient plus acerbe, son conservatisme plus marqué. Il s’oppose fermement aux réformes de l’Église catholique dans les années 1960. Sa santé se dégrade, en partie à cause de sa consommation d’alcool et de médicaments. En 1957, il publie « L’Épreuve de Gilbert Pinfold », roman semi-autobiographique inspiré par un épisode de délire qu’il a vécu.

Reconnu comme l’un des plus grands prosateurs anglais du XXe siècle, célèbre pour son style élégant et son humour satirique, Waugh meurt d’une crise cardiaque le 10 avril 1966, après avoir assisté à une messe en latin. Son œuvre continue d’exercer une importante influence sur la littérature anglaise.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Grandeur et décadence (1928)

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Résumé

Angleterre, années 1920. Paul Pennyfeather mène une existence paisible d’étudiant en théologie à Oxford jusqu’au soir où il croise la route du Bollinger Club, une association étudiante élitiste connue pour ses excès. Victime d’un bizutage qui le force à traverser la cour du collège sans pantalon, il se retrouve expulsé de l’université pour « conduite indécente ».

Cette mésaventure le prive de son héritage et le contraint à accepter un poste de professeur dans une obscure école privée du Pays de Galles, Llanabba, dirigée par l’excentrique Dr Fagan. Paul découvre rapidement que ses collègues sont tous des « ratés » aux parcours chaotiques. Lors d’une désastreuse fête sportive de l’école, il fait la connaissance de l’Honorable Margot Beste-Chetwynde, une riche veuve dont il devient le précepteur du fils pendant les vacances.

Séduit par cette femme du monde, Paul s’éprend d’elle sans réaliser que sa fortune provient d’un réseau de maisons closes haut de gamme en Amérique latine. Margot décide de l’épouser mais l’envoie d’abord à Marseille pour une mystérieuse mission impliquant des pots-de-vin à verser à la police. À son retour à Londres, le matin de son mariage, Paul est arrêté…

Autour du livre

Premier roman d’Evelyn Waugh, « Grandeur et décadence » paraît en 1928 après la destruction d’une tentative précédente intitulée « The Temple at Thatch ». Le livre puise son inspiration dans les propres expériences de l’auteur : ses années d’études au Hertford College d’Oxford et son passage comme enseignant dans une école du nord du Pays de Galles. Le titre fait référence à deux œuvres que Waugh lit pendant la rédaction : « Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain » d’Edward Gibbon et « Le Déclin de l’Occident » d’Oswald Spengler, paru en traduction anglaise en 1926.

Cette satire sociale déploie un humour noir caractéristique pour tourner en dérision les institutions britanniques des années 1920. L’éducation, la religion, la bureaucratie, le système pénitentiaire, le mariage et l’honneur – tous ces piliers de la société se trouvent impitoyablement moqués. Le roman pousse la satire jusqu’à la farce, créant un effet comique ravageur qui ne s’embarrasse d’aucune limite. Dans sa note d’auteur pour la première édition, Waugh insiste d’ailleurs sur ce point : « Gardez à l’esprit que C’EST CENSÉ ÊTRE DRÔLE. »

Les similitudes entre les établissements d’enseignement et les prisons constituent l’un des fils conducteurs du récit. Le portier d’Oxford ne s’y trompe pas quand il lance à Paul au moment de son expulsion : « Je suppose que vous allez devenir professeur, monsieur. C’est ce que font la plupart des messieurs qui sont renvoyés pour conduite indécente. » Cette équivalence trouve son point culminant lorsque Paul retrouve plusieurs de ses anciens collègues de Llanabba derrière les barreaux.

Le Bollinger Club, qui précipite la chute de Paul, s’inspire directement du Bullingdon Club, une association estudiantine d’Oxford réservée aux héritiers fortunés. Cette référence prend un relief particulier quand on sait que deux anciens Premiers ministres britanniques, David Cameron et Boris Johnson, en furent membres. Les excès alcoolisés et le vandalisme systématique de ce club constituent une cible de choix pour la plume acérée de Waugh.

La critique accueille triomphalement ce premier roman. The Guardian salue en 1928 « une grande farce » portée par « un sens plaisant de la comédie et de la caractérisation ». Arnold Bennett y voit « une satire intransigeante et brillamment malveillante ». Le journaliste Christopher Sykes raconte dans sa biographie de Waugh : « J’étais dans une maison de repos quand ‘Decline and Fall’ est sorti. Tom Driberg m’a rendu visite avec un exemplaire. Il a commencé à lire certains passages mais s’est trouvé littéralement incapable d’aller jusqu’au bout tant nous étions submergés par le rire. » Plus récemment, l’acteur David Mitchell a désigné ce livre comme celui qu’il emporterait sur une île déserte, le qualifiant « d’un des livres les plus drôles » qu’il ait lus.

En 1969, John Krish le porte à l’écran sous le titre « Decline and Fall… of a Birdwatcher » avec Robin Phillips et Geneviève Page. En 2017, la BBC en propose une série en trois épisodes avec Jack Whitehall dans le rôle de Paul Pennyfeather, David Suchet en Dr Fagan et Eva Longoria en Margot Beste-Chetwynde. Cette première adaptation télévisée reçoit un accueil critique enthousiaste, l’Evening Standard saluant une production « délicatement construite et d’une justesse parfaite ».

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 336 pages.


2. Ces corps vils (1930)

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Résumé

Londres, fin des années 1920. Adam Fenwick-Symes, jeune écrivain désargenté, vient de terminer son premier manuscrit. La vente de ce livre autobiographique doit lui permettre d’épouser enfin Nina Blount, une aristocrate qu’il courtise depuis des mois. Mais à son retour de Paris, les douaniers confisquent et brûlent son manuscrit, jugé « obscène ». Le voilà contraint de rendre des comptes à son éditeur et d’abandonner ses projets de mariage.

Un coup du sort semble pourtant lui sourire : Adam gagne 1000 livres aux courses. Dans l’euphorie du moment, il confie cette somme à un major ivre pour parier sur un cheval prometteur. Le major disparaît avec l’argent. Commence alors une succession de tentatives désespérées pour obtenir les fonds nécessaires à son mariage. Il sollicite le père excentrique de Nina, un ancien colonel cinéaste amateur, qui lui signe un chèque… avec la signature de Charlie Chaplin. Pour survivre, Adam devient chroniqueur mondain sous le pseudonyme de Mr. Chatterbox, inventant de toutes pièces potins et scandales sur la haute société londonienne.

Dans ce monde superficiel peuplé de jeunes désœuvrés – les « Bright Young Things » – chacun cherche frénétiquement le prochain divertissement. Les soirées s’enchaînent : bals costumés chez Mrs Metroland, prêches endiablés de la prédicatrice américaine Mrs Melrose Ape et sa chorale d’ « anges », courses automobiles qui virent au drame. Au milieu de cette agitation, Nina annonce soudain ses fiançailles avec un autre homme. Adam parviendra-t-il à réunir l’argent nécessaire pour reconquérir celle qu’il aime, ou sera-t-il emporté par le tourbillon de frivolité qui caractérise son époque ?

Autour du livre

Publié en 1930, « Ces corps vils » s’inscrit dans une période charnière de la vie d’Evelyn Waugh. Il rédige la première moitié du roman très rapidement, dans un style léger inspiré de Ronald Firbank et P. G. Wodehouse. Mais la rupture de son premier mariage en pleine écriture infléchit radicalement le ton de la seconde partie, qui vire à la désolation. Ce changement brutal de registre, loin d’être un défaut, renforce la dimension satirique de l’œuvre.

Le titre initial, « Bright Young Things », est abandonné car jugé trop galvaudé. Waugh opte pour « Vile Bodies », qui fait écho à un commentaire du narrateur sur « cette succession et répétition d’humanité massifiée… Ces corps vils ». L’expression latine « corpora vilia » désigne traditionnellement des corps destinés à l’expérimentation. Les personnages sont effectivement traités comme des cobayes soumis aux caprices de leur créateur, à l’image de l’humanité face aux desseins divins selon la tradition biblique.

L’influence du cinéma et du style fragmenté de T. S. Eliot fait de « Ces corps vils » le roman le plus résolument moderniste de Waugh. Les dialogues télégraphiques et les changements de scène rapides sont reliés par un narrateur à la fois détaché et subtilement pervers. Waugh innove en faisant se dérouler une grande partie des conversations au téléphone, une première dans la littérature britannique.

La critique salue unanimement la puissance satirique du roman. David Lodge y voit « l’apogée du Waugh expérimental et original ». Malcolm Bradbury, dans le Sunday Times, le qualifie de « guide difficile et nerveux du tournant de la décennie ». Le cinéaste Stephen Fry va jusqu’à le comparer au « Gatsby » britannique. Certains lecteurs relèvent néanmoins la noirceur du propos, qui ne s’embarrasse d’aucune complaisance envers ses personnages.

« Ces corps vils » a fait l’objet de deux adaptations : un téléfilm britannique en 1970 par Alan Cooke, puis en 2003 un long-métrage de Stephen Fry intitulé « Bright Young Things », avec Stephen Campbell Moore, Emily Mortimer et James McAvoy. Le roman a également inspiré David Bowie pour sa composition « Aladdin Sane ».

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 352 pages.


3. Diablerie (1932)

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Résumé

Dans les années 1930, Seth, jeune diplômé d’Oxford, devient empereur d’Azania, une île fictive au large de la côte est de l’Afrique, après une guerre civile qui s’achève par la mort de son père. Imprégné des idéaux occidentaux, Seth proclame sa volonté de faire entrer son pays dans la modernité : « Je suis l’Âge Nouveau. Je suis l’Avenir ». Pour l’aider dans cette mission, il nomme ministre de la Modernisation son ancien camarade d’université, Basil Seal, un aristocrate anglais désœuvré qui a fui Londres après avoir dérobé les bijoux de sa mère.

Dans la capitale Debra Dowa, Seth et Basil multiplient les réformes extravagantes : création d’une monnaie nationale, instauration de l’espéranto comme langue officielle, campagne pour le contrôle des naissances… Ces initiatives se heurtent à l’incompréhension de la population et aux manœuvres du consul français Ballon. Ce dernier, persuadé que les Britanniques conspirent contre les intérêts français, organise un coup d’État pour renverser Seth. Il prévoit d’installer sur le trône l’oncle sénile de l’empereur, emprisonné depuis cinquante ans. Une grande parade en faveur du contrôle des naissances servira de couverture à cette révolution qui précipitera le pays dans le chaos…

Autour du livre

Pendant l’hiver 1930-1931, Waugh voyage en Afrique de l’Est et centrale comme correspondant pour le Times et le Daily Express. Sa mission : couvrir le couronnement de Ras Tafari comme empereur Haile Selassie d’Abyssinie. Cette expérience, relatée dans son récit de voyage « Hiver africain », nourrit directement l’écriture de « Diablerie ». Le roman prend forme dans la nursery reconvertie en bureau de Madresfield Court, dans le Worcestershire, où Waugh séjourne comme invité. Il dédie l’œuvre aux sœurs Lygon, qui règnent sur la demeure depuis l’exil de leur père, le 7e comte Beauchamp, menacé de poursuites pour son homosexualité.

La dimension satirique du roman ne vise pas uniquement le projet modernisateur de Seth. Les diplomates européens font l’objet d’une caricature féroce : l’envoyé britannique Sir Samson Courteney, plus préoccupé par son jardin que par ses responsabilités officielles, le consul français Ballon, paranoïaque et complotiste, ou encore les représentants de la RSPCA, dont la mission de protection des animaux est interprétée à contresens par les Azaniens. Waugh dépeint une société coloniale sclérosée, où l’incompétence le dispute à la corruption.

Les critiques contemporaines du roman sont contrastées. Ernest Oldmeadow, rédacteur en chef de la revue catholique The Tablet, lance une violente attaque contre le livre et son auteur, le jugeant « scandaleux » et indigne d’un écrivain catholique. À l’inverse, d’autres saluent la virtuosité satirique de Waugh. Le Times Literary Supplement loue particulièrement la première partie du roman, qualifiée de « chef-d’œuvre d’esprit mordant ». Andrew Davies, célèbre adaptateur pour la télévision, le décrit comme « ridiculement somptueux et complaisant, mais qui vous prend aux tripes à chaque fois ».

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 352 pages.


4. Une poignée de cendres (1934)

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Résumé

Angleterre, années 1930. Tony Last mène une existence paisible dans sa demeure ancestrale de Hetton Abbey, un manoir néo-gothique victorien qu’il chérit par-dessus tout. Il y vit avec son épouse Brenda et leur fils de huit ans, John Andrew. Si Tony se satisfait pleinement de cette vie campagnarde, Brenda s’ennuie profondément.

Lorsque John Beaver, un jeune homme désœuvré de la haute société londonienne, s’invite un week-end à Hetton Abbey, Brenda commence une liaison avec lui, malgré sa personnalité plutôt insignifiante. Elle prend un appartement à Londres, prétextant suivre des cours d’économie, et fréquente assidûment la société mondaine de la capitale. Tandis que leur cercle d’amis est au courant de cette relation extra-conjugale, Tony reste dans l’ignorance totale.

Un drame survient : leur fils meurt dans un accident d’équitation. Cette tragédie pousse Brenda à demander le divorce pour épouser Beaver. Tony accepte d’abord de protéger la réputation de son épouse en se faisant passer pour l’infidèle, mais lorsque Brenda exige une pension qui l’obligerait à vendre Hetton Abbey, il refuse. Pour échapper à cette situation, il rejoint une expédition en Amazonie à la recherche d’une cité perdue. Cette quête le mène au cœur de la jungle brésilienne où l’attend un destin extraordinaire…

Autour du livre

La genèse du roman s’enracine dans la propre expérience d’Evelyn Waugh. En 1932, l’écrivain embarque pour un long voyage en Amérique du Sud, possiblement pour s’éloigner d’une vie sentimentale compliquée : sa passion non partagée pour Teresa Jungman et diverses liaisons insatisfaisantes. Le choix de l’Amérique du Sud est influencé par Peter Fleming, éditeur littéraire du Spectator, qui revenait d’une expédition au Brésil sur les traces du Colonel Percy Fawcett, disparu en 1925 alors qu’il recherchait une ville légendaire. Lors de son périple, Waugh rencontre Mr Christie, un métis âgé qui l’accueille en lui déclarant avoir eu une vision de son arrivée. Cette rencontre inspire le personnage de Mr Todd dans le roman.

« Une poignée de cendres » marque une rupture avec ses premières œuvres comiques pour adopter un ton plus grave et une satire plus mordante. Le titre, emprunté au poème « La Terre vaine » de T. S. Eliot, présage cette noirceur. L’histoire transpose de manière à peine voilée le traumatisme du divorce de Waugh – sa première épouse l’ayant quitté pour leur ami commun John Heygate. David Wykes décrit d’ailleurs le roman comme « un acte courageux et habile d’autobiographie fictive, entraîné par le traumatisme du divorce de l’auteur, sans lequel le livre n’aurait pas été écrit ».

La satire sociale se double d’une dimension religieuse. Converti au catholicisme en 1930, Waugh utilise le roman pour démontrer la futilité des valeurs humanistes face aux valeurs religieuses, particulièrement catholiques. Le personnage de Tony Last incarne cette quête spirituelle : son attachement à Hetton Abbey représente une forme de dévotion mal placée, tandis que son périple en Amazonie prend des allures de quête biblique. La référence à « La Terre vaine » d’Eliot souligne cette dimension spirituelle, le poème dépeignant un monde privé de transcendance.

Les critiques de l’époque ont réservé un accueil mitigé au roman, même si le public l’a immédiatement adopté. The Times Literary Supplement y voit « une étude de la futilité », tandis que Peter Quennell dans le New Statesman salue « la plus mature et la mieux écrite des œuvres de Waugh ». En 2010, le magazine Time l’inclut dans sa liste des cent meilleurs romans de langue anglaise publiés depuis 1923. La Modern Library le classe au 34ème rang de sa liste des 100 meilleurs romans du XXe siècle.

La BBC Radio 4 en propose une première version radiophonique le 8 avril 1968, avec Jack Watling et Stephanie Beacham dans les rôles de Tony et Brenda Last. Une nouvelle adaptation radiophonique est diffusée en mai 1996, avec Jonathan Cullen et Tara Fitzgerald. En novembre 1982, une version scénique est montée au Lyric Theatre à Hammersmith. Enfin, Charles Sturridge réalise en 1988 une adaptation cinématographique avec James Wilby, Kristin Scott Thomas, Judi Dench et Alec Guinness.

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 416 pages.


5. Hissez le grand pavois (1942)

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Résumé

Angleterre, automne 1939. À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, trois femmes fortunées s’inquiètent du sort de Basil Seal : sa sœur Barbara, sa mère Lady Seal et sa maîtresse Angela Lyne. Ce dilettante de trente-six ans, habitué à vivre d’expédients et de combines, refuse de s’engager dans l’armée malgré les pressions de sa mère qui tente de lui obtenir une commission d’officier dans un régiment prestigieux.

Barbara, devenue responsable du logement des évacués dans la région de Malfrey, accueille son frère qui met rapidement en place une escroquerie lucrative : il place des enfants évacués particulièrement turbulents, les Connolly, chez des notables qui finissent par le payer pour s’en débarrasser. Pendant ce temps, son ami Ambrose Silk, intellectuel juif homosexuel, cherche un poste au ministère de l’Information, tandis qu’Angela Lyne, délaissée par son mari Cedric, sombre dans l’alcoolisme.

Quand son stratagème avec les enfants évacués s’essouffle, Basil obtient un poste aux services de contre-espionnage. Il monte alors une machination contre son ami Ambrose en le faisant passer pour un sympathisant nazi, avant de l’aider à s’enfuir en Irlande déguisé en prêtre jésuite. Le destin de ces personnages bascule au printemps 1940, alors que la « drôle de guerre » laisse place aux véritables hostilités.

Autour du livre

Publié en 1942, « Hissez le grand pavois » prend forme dans des circonstances singulières. Waugh le rédige à bord d’un navire qui contourne l’Afrique pour éviter la Méditerranée, alors qu’il rentre d’une mission en Afrique du Nord. Il confie d’ailleurs que c’est « le seul livre qu’il ait écrit uniquement pour le plaisir ». Le titre original, « Put Out More Flags », provient d’un proverbe chinois cité par Lin Yutang dans « L’importance de vivre » (1937) : « and a drunk military man should order gallons and put out more flags in order to increase his military splendour ».

La particularité de ce sixième roman de Waugh réside dans sa capacité à faire réapparaître des personnages de ses œuvres antérieures. Les lecteurs de « Grandeur et décadence », « Ces corps vils » et « Diablerie » retrouvent ainsi des figures familières confrontées aux bouleversements de la guerre. Cette continuité narrative permet à l’auteur d’observer l’évolution de la société britannique huppée, passant d’une époque de frivolité insouciante à une période où la réalité du conflit s’impose progressivement.

Le roman se distingue par son traitement novateur de certains thèmes pour l’époque. Le personnage d’Ambrose Silk, homosexuel assumé, bénéficie d’un portrait nuancé qui tranche avec les caricatures habituelles. Son histoire d’amour avec un membre des Chemises brunes, désormais interné dans un camp de concentration, révèle une sensibilité inattendue dans le traitement de l’homosexualité et de l’antisémitisme.

Jonathan Raban compare la construction du roman à « une fugue baroque, construite point par contrepoint ». L. E. Sissman y décèle un moment charnière dans la carrière de l’auteur, où « Waugh parvient à fusionner la comédie mordante et meurtrière de ses premiers livres avec le sérieux menaçant de ses œuvres ultérieures ». John Chamberlain, dans le New York Times, note que le livre « commence comme une satire cinglante dans la manière bien connue de Waugh et se termine comme une pièce de moralité ».

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 368 pages.


6. Retour à Brideshead (1945)

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Résumé

En 1943, le capitaine Charles Ryder et son bataillon sont stationnés à Brideshead, un manoir aristocratique anglais qui a marqué sa jeunesse. Cet endroit le replonge vingt ans en arrière, à l’époque où, jeune étudiant issu de la classe moyenne, il rencontre à Oxford le charismatique Lord Sebastian Flyte. Une amitié intense naît entre les deux hommes. Sebastian, qui ne se sépare jamais de son ours en peluche Aloysius, emmène Charles dans sa demeure familiale de Brideshead, où règne sa mère, Lady Marchmain, fervente catholique, qui tente de contrôler ses enfants d’une main de fer. Son père, Lord Marchmain, s’est exilé à Venise avec sa maîtresse pour échapper à cette atmosphère étouffante.

Au fil des années, Charles s’attache profondément aux Marchmain, notamment à Julia, la sœur de Sebastian, tandis que ce dernier sombre dans l’alcoolisme pour fuir l’emprise familiale. Une décennie plus tard, Charles, devenu un peintre d’architecture reconnu mais malheureux en ménage, retrouve Julia sur un paquebot. Elle-même prisonnière d’un mariage sans amour avec un politicien ambitieux, elle entame avec Charles une liaison passionnée. Les deux amants projettent de divorcer pour se marier, mais le catholicisme et les conventions sociales qui imprègnent l’univers des Marchmain menacent leur bonheur. Alors que la guerre approche et que Lord Marchmain rentre mourir à Brideshead, Charles et Julia devront choisir entre leur amour et leurs convictions.

Autour du livre

Evelyn Waugh rédige « Retour à Brideshead » pendant un congé militaire de six mois, entre décembre 1943 et juin 1944, après un accident de parachute sans gravité. Le contexte de privation et d’austérité de la guerre teinte l’écriture du roman. Waugh confie dans sa préface à l’édition révisée de 1959 que ces circonstances ont insufflé au texte « une sorte de gloutonnerie pour la nourriture et le vin, les splendeurs du passé récent, et un langage rhétorique et ornemental » qu’il juge plus tard avec sévérité.

La dimension autobiographique transparaît dans plusieurs aspects du récit. Les scènes d’Oxford s’inspirent des années estudiantines de Waugh, tandis que la famille Flyte trouve son modèle dans les Lygon, aristocrates chez qui l’auteur séjourna fréquemment. Le personnage de Sebastian emprunte certains traits à Hugh Lygon, dont Waugh fut proche. La présence de l’ours en peluche Aloysius fait écho à Archibald Ormsby-Gore, l’ourson que John Betjeman emportait à Oxford.

L’homosexualité occupe une place notable dans le roman, fait remarquable pour l’époque de sa publication en 1945, alors que ces relations étaient illégales au Royaume-Uni. La nature de l’amitié entre Charles et Sebastian a suscité de nombreux débats critiques, certains y voyant une relation platonique dans la tradition victorienne des amitiés masculines intimes, d’autres une romance homosexuelle à peine voilée.

Le magazine Time classe « Retour à Brideshead » parmi les cent meilleurs romans de langue anglaise parus entre 1923 et 2005. L’écrivain Saul Bellow, tout en critiquant le snobisme de Waugh, reconnaît la puissance de l’œuvre. Pour Michael Schmidt, la conclusion religieuse peut dérouter tant les croyants que les non-croyants, mais la qualité d’écriture demeure indéniable.

Granada Television adapte le roman en 1981 dans une série en onze épisodes avec Jeremy Irons dans le rôle de Charles Ryder. Saluée pour sa fidélité au texte, elle remporte sept BAFTA Awards. En 2008, Julian Jarrold réalise une adaptation cinématographique avec Emma Thompson et Matthew Goode. Une nouvelle adaptation pour HBO est annoncée en 2020, avec Andrew Garfield, Joe Alwyn et Rooney Mara, mais la production reste en suspens. Le roman inspire également d’autres œuvres : la pièce « Arcadia » de Tom Stoppard y fait référence, tout comme le film « Saltburn » d’Emerald Fennell sorti en 2023.

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 624 pages.


7. Le cher disparu (1948)

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Résumé

Dans le Los Angeles des années 1940, Dennis Barlow, jeune poète britannique déchu, travaille dans un cimetière pour animaux du nom de « Happier Hunting Ground ». Son compatriote et colocataire Sir Francis Hinsley, scénariste vieillissant, se suicide après avoir été licencié des studios Megalopolitan Pictures.

Chargé d’organiser les funérailles, Dennis découvre « Whispering Glades », un luxueux complexe funéraire où l’élite hollywoodienne prépare ses défunts pour l’éternité. Il y rencontre Aimée Thanatogenos, une esthéticienne mortuaire dont il tombe amoureux. Pour la séduire, il lui récite des poèmes classiques qu’il fait passer pour siens.

Mais Aimée est également courtisée par M. Joyboy, l’embaumeur en chef de l’établissement, qui exprime ses sentiments à travers les expressions qu’il donne aux visages des défunts. Tiraillée entre ces deux prétendants, Aimée sollicite les conseils du « Guru Brahmin », un chroniqueur de presse spécialisé dans les conseils sentimentaux…

Autour du livre

« Le cher disparu » naît d’un séjour d’Evelyn Waugh à Hollywood en 1947. La Metro-Goldwyn-Mayer s’intéresse alors aux droits d’adaptation de son roman « Retour à Brideshead ». Bien que Waugh n’ait aucune intention de céder ces droits, il accepte l’invitation du studio qui lui verse 2000 dollars par semaine pendant les négociations. Ce séjour californien s’avère pénible pour l’écrivain britannique qui supporte mal le style de vie américain, mais lui inspire néanmoins ce roman satirique après sa découverte du cimetière Forest Lawn. Le fondateur de l’établissement, le Dr Hubert Eaton, lui fait visiter les lieux et lui offre même son manuel d’embaumement, que Waugh annote méticuleusement.

La satire mord à pleines dents dans trois univers : l’industrie funéraire américaine, Hollywood et la communauté des expatriés britanniques. Le cimetière « Whispering Glades », calqué sur le véritable Forest Lawn Memorial Park de Glendale, incarne une Amérique obsédée par les apparences, où même la mort devient un spectacle grandiloquent. Les expatriés britanniques, menés par Sir Ambrose Abercrombie, se raccrochent désespérément à leur identité nationale en cultivant un snobisme désuet. Quant à Hollywood, ses studios apparaissent comme des machines à broyer les talents, capables de transformer une actrice en « colleen irlandaise » en lui faisant arracher toutes les dents.

La réception critique s’avère enthousiaste dès la publication du roman en 1948. Le New York Times salue une œuvre « diaboliquement intelligente, malicieusement amusante », tout en notant que « rarement dans la fiction un tel mauvais goût exécrable et un tel esprit cruel ont été combinés dans un court roman satirique ». The New Yorker émet toutefois quelques réserves, estimant que les thèmes abordés avaient déjà été traités par des auteurs américains comme S. J. Perelman, Sinclair Lewis et Nathanael West.

Le roman est adapté au cinéma en 1965 par Tony Richardson, sur un scénario de Terry Southern et Christopher Isherwood. Le film prend certaines libertés avec l’intrigue originale, notamment dans son dénouement. Isherwood lui-même fait une apparition dans le film en tant que figurant parmi les personnes en deuil.

Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 192 pages.

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