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Eric Ambler en 3 romans d'espionnage – Notre sélection

Eric Ambler en 3 romans d’espionnage – Notre sélection

Eric Ambler naît le 28 juin 1909 à Londres dans une famille d’artistes de music-hall. Après des études d’ingénieur à l’Université de Londres en 1928, il se tourne vers la publicité avant de se lancer dans l’écriture. Dans les années 1930, il publie ses romans d’espionnage les plus célèbres, notamment « Je ne suis pas un héros » (1938) et « Le masque de Dimitrios » (1939), qui renouvellent le genre en mettant en scène des antihéros ordinaires plutôt que des espions professionnels.

La Seconde Guerre mondiale interrompt sa carrière littéraire. Il sert dans l’artillerie puis au Service cinématographique, ce qui l’amène naturellement vers le cinéma. Il devient scénariste pour les studios Rank en 1944 et écrit de nombreux scénarios, dont celui de « La Mer cruelle » (1953) qui lui vaut une nomination aux Oscars.

Après une pause dans l’écriture romanesque entre 1940 et 1951, il revient avec « L’affaire Deltchev » (1951) et poursuit avec des succès comme « Topkapi » (1962). Il publie sous son nom ses meilleures œuvres tandis qu’il réserve ses romans de moindre qualité au pseudonyme d’Eliot Reed.

Après avoir vécu à Hollywood avec sa deuxième épouse Joan Harrison, il s’installe en Suisse en 1968 avant de retourner en Angleterre. Son dernier roman, « Le Brochet », paraît en 1981, suivi de son autobiographie « Here Lies » en 1985. Il s’éteint à Londres en 1998, laissant derrière lui un héritage influent sur le thriller moderne.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Je ne suis pas un héros (1938)

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Résumé

En 1938, Nicholas Marlow, un ingénieur anglais récemment fiancé, perd son emploi. La Grande Dépression sévit et les opportunités se raréfient. Acculé par les circonstances, il accepte un poste de représentant pour la Spartacus Machine Tool Company à Milan. Cette entreprise britannique fabrique des machines utilisées dans la production d’obus. Marlow se promet intérieurement de quitter ce poste dès que possible pour retourner en Angleterre et se marier.

Dès son arrivée à Milan, Marlow découvre un bureau submergé de travail en retard et un assistant personnel, Bellinetti, d’une inefficacité notoire. Les autorités italiennes confisquent son passeport. Il remarque que son courrier est systématiquement décacheté avant qu’il ne le reçoive. Il se lie bientôt d’amitié avec Andreas Zaleshoff, un mystérieux voisin de bureau qui s’avère être un espion russe. Marlow apprend que son prédécesseur a été assassiné et que Bellinetti travaille pour l’OVRA, la police secrète fasciste.

Un certain général Vagas, Yougoslave d’origine allemande, contacte Marlow pour qu’il espionne pour lui. Zaleshoff révèle que Vagas est en réalité un agent allemand et encourage Marlow à accepter l’offre pour lui transmettre de fausses informations. L’objectif : semer la discorde dans l’alliance italo-allemande. Après avoir été agressé dans la rue, Marlow décide d’entrer dans le jeu.

Mais la situation s’envenime rapidement. L’épouse de Vagas le dénonce aux autorités italiennes, qui émettent un mandat d’arrêt contre Marlow. Ce dernier, aidé par Zaleshoff et sa sœur Tamara, doit maintenant fuir Milan et traverser l’Italie pour rejoindre la frontière yougoslave. S’engage alors une course-poursuite haletante à travers le nord du pays, entre trains bondés, postes de contrôle et traversées nocturnes des montagnes enneigées, où chaque rencontre peut signifier la capture ou la mort…

Autour du livre

Publié en 1938 quelques mois avant l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale, « Je ne suis pas un héros » s’inscrit dans la première période créative d’Eric Ambler. Il y déploie une remarquable compréhension des tensions géopolitiques européennes et de la montée des régimes totalitaires. Ancien ingénieur devenu publicitaire, puis dramaturge, Ambler transpose ses connaissances techniques et sa sensibilité politique dans ce récit qui rompt avec les conventions du genre. Contrairement aux romans d’espionnage de l’époque peuplés de héros patriotiques à la Richard Hannay de John Buchan, Ambler met en scène un protagoniste ordinaire, vulnérable, pris dans l’engrenage de forces qui le dépassent.

« Je ne suis pas un héros » propose une description saisissante de l’Italie mussolinienne, avec ses mécanismes répressifs, sa corruption systémique et sa relation ambivalente avec l’Allemagne nazie. Ambler saisit admirablement la nature de « l’axe Rome-Berlin prêt à se briser ». La présence oppressante de l’OVRA, les filatures, l’ouverture du courrier privé, les disparitions suspectes composent un tableau glaçant du totalitarisme ordinaire. Le romancier britannique signe ici une œuvre prémonitoire : un an après sa publication, le pacte germano-soviétique bouleversera l’échiquier géopolitique européen. Cette lucidité politique, teintée de sympathies pour les agents soviétiques luttant contre le fascisme, reflète les débats intellectuels de l’époque sur les moyens de contrer la menace hitlérienne.

Le schéma narratif établi par Ambler – un homme ordinaire plongé dans une situation extraordinaire – constituera la matrice de nombreux thrillers d’espionnage ultérieurs. La structure bifide du récit distingue une première partie consacrée à l’enlisement progressif du protagoniste dans les filets de l’espionnage et une seconde dédiée à la fuite palpitante à travers l’Italie du Nord. L’épisode mémorable de la rencontre nocturne avec le mathématicien qui croit avoir découvert le mouvement perpétuel offre une méditation surprenante sur la folie comme refuge contre l’absurdité du monde : « Beronelli est devenu fou parce qu’il le devait, parce que ça lui faisait trop mal de rester sain d’esprit dans un monde de fous. »

La critique reconnaît l’influence déterminante d’Ambler sur le genre du thriller d’espionnage. Graham Greene le définit comme « sans aucun doute le meilleur écrivain de thrillers », tandis que John Le Carré le considère comme « la source à laquelle nous puisons tous ». Alfred Hitchcock compte parmi ses admirateurs, tout comme Orson Welles. Les commentateurs contemporains apprécient particulièrement sa « description de l’Italie fasciste, violente et répressive, corrompue et pourrie » et son style « tranchant » dans le portrait des personnages.

Aux éditions DE L’OLIVIER ; 368 pages.


2. Le masque de Dimitrios (1939)

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Résumé

En 1938, Charles Latimer, un écrivain anglais de romans policiers, séjourne à Istanbul où il fait la connaissance du colonel Haki, chef de la police secrète turque. Haki lui montre le cadavre de Dimitrios Makropoulos, un criminel notoire retrouvé dans le Bosphore. Fasciné par cette figure du mal, Latimer entreprend de reconstituer le parcours criminel de Dimitrios comme matériau pour son prochain livre.

Son enquête le mène d’Istanbul à Smyrne, puis à Athènes, Sofia, Genève et finalement Paris. À chaque étape, il découvre une nouvelle facette de Dimitrios : meurtrier à Smyrne en 1922, espion à Belgrade en 1926, trafiquant de drogue et proxénète à Paris dans les années 1930. Dimitrios apparaît comme un opportuniste sans scrupules qui a su prospérer dans une Europe instable entre les deux guerres.

Dans le train vers Sofia, Latimer rencontre un mystérieux homme d’affaires, un certain Peters. Ce dernier le surprend plus tard dans sa chambre d’hôtel, arme au poing, et lui révèle qu’il s’intéresse également à Dimitrios. Peters dévoile alors une vérité stupéfiante : Dimitrios n’est pas mort. Il a simulé son décès pour échapper à ses ennemis et vit désormais sous une nouvelle identité comme respectable directeur d’une banque internationale.

Peters propose à Latimer de l’aider à faire chanter Dimitrios. Tiraillé entre sa curiosité d’écrivain et ses principes moraux, Latimer se retrouve bientôt impliqué dans un dangereux jeu d’extorsion, confronté à un véritable criminel dont la capacité de nuisance dépasse largement celle des vilains de ses romans.

Autour du livre

« Le masque de Dimitrios », publié en 1939, s’inscrit dans le contexte troublé de l’Europe à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Sans avoir lui-même visité les Balkans, Eric Ambler parvient à créer une atmosphère authentique en s’appuyant sur les récits de réfugiés grecs, russes et d’autres nationalités qu’il a rencontrés à Montparnasse et dans des cafés turcs de Nice.

Contrairement aux récits d’aventures héroïques de la Belle Époque, Ambler choisit de mettre en scène un protagoniste ordinaire, non préparé au monde périlleux dans lequel il s’aventure. Cette approche, qui deviendra sa marque de fabrique, transforme radicalement le thriller d’espionnage en y insufflant un réalisme cynique hérité des traumatismes de la Première Guerre mondiale.

Le récit d’Ambler offre un panorama saisissant de l’Europe des années 1920-1930, traversée par des courants nationalistes violents et des crises politiques majeures. Le romancier ancre son intrigue fictionnelle dans des événements historiques réels : l’incendie de Smyrne en 1922 et le massacre des Grecs par les Turcs, l’assassinat du Premier ministre bulgare Alexandre Stamboliyski en 1923, ou encore l’attentat manqué contre Mustafa Kemal en 1926.

À travers le personnage de Dimitrios, Ambler illustre comment les soubresauts géopolitiques et la montée des totalitarismes créent un terreau fertile pour l’émergence de figures criminelles transnationales. Le personnage incarne la figure de l’entrepreneur amoral qui prospère dans les interstices d’un système international en déliquescence. Le roman se lit ainsi comme un avertissement prémonitoire sur la situation européenne. Publié alors que les nazis envahissaient la Tchécoslovaquie, il dépeint une Europe fantomatique où « des choses terribles se préparent ».

« Le masque de Dimitrios » a reçu un accueil critique exceptionnel dès sa parution et continue d’être considéré comme l’un des chefs-d’œuvre du genre. Le Wall Street Journal l’a qualifié de « chef-d’œuvre de fiction d’espionnage ». Il occupe la 17ème place au classement des cent meilleurs livres policiers de tous les temps établi en 1995 par l’association des Mystery Writers of America, et la 24ème place au classement des cent meilleurs romans policiers établi en 1990 par la Crime Writers’ Association. Ian Fleming lui rend même hommage dans « Bons baisers de Russie », quand James Bond lit « Le masque de Dimitrios » durant un vol vers Istanbul.

L’adaptation la plus notable reste le film noir américain réalisé par Jean Negulesco en 1944, avec Peter Lorre dans le rôle de Charles Latimer (rebaptisé Cornelius Leyden pour le film) et Sydney Greenstreet dans celui de Peters. Cette adaptation, fidèle au matériau original malgré quelques modifications (notamment la nationalité du protagoniste devenu néerlandais pour s’accommoder de l’accent de Peter Lorre), a contribué à la renommée du roman.

Aux éditions POINTS ; 288 pages.


3. Les trafiquants d’armes (1959)

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Résumé

Malaisie, fin des années 1950. Girija Krishnan, comptable indien dans une plantation de caoutchouc, rêve d’établir sa propre compagnie de bus. Son destin bascule lorsqu’il découvre par hasard un stock d’armes abandonnées par des rebelles communistes éliminés par l’armée britannique. Au lieu de signaler sa trouvaille aux autorités, Krishnan décide de monnayer ces armes pour financer son projet.

Après des années d’attente prudente, il contacte la famille Tan, de puissants négociants chinois établis à Singapour. Ces derniers conçoivent un plan : revendre l’arsenal à des insurgés musulmans anticommunistes de Sumatra. Mais pour contourner les contrôles coloniaux, ils ont besoin d’un intermédiaire occidental comme prête-nom.

L’occasion se présente avec Greg et Dorothy Nilsen, des touristes américains en croisière. Lassé par la monotonie du voyage et flatté qu’on lui propose de « combattre le communisme », Greg accepte de signer quelques documents contre rémunération. Mais l’enthousiasme du couple s’évapore quand ils découvrent qu’ils doivent se rendre en personne à Labuanga, sur l’île de Sumatra, pour finaliser la transaction. La situation se complique sérieusement lorsque les Nilsen tombent aux mains des autorités locales, alliées aux communistes…

Autour du livre

Publié en 1959, « Les trafiquants d’armes » s’inscrit dans le contexte des mouvements d’indépendance qui secouent l’Asie du Sud-Est après la Seconde Guerre mondiale. Eric Ambler, après avoir situé ses premiers romans en Turquie et dans les Balkans puis en Europe de l’Est communiste, s’intéresse désormais à cette région du monde en pleine mutation. Second récit consacré à l’Asie du Sud-Est après « Les visiteurs du crépuscule », il témoigne d’une curiosité constante pour les zones géopolitiques instables. Le titre original, « Passage of Arms », est un jeu de mots faisant référence à la fois au commerce d’armes et à l’expression « passage of arms » (échange de coups).

« Les trafiquants d’armes » est remarquable par sa représentation minutieuse de l’Asie du Sud-Est postcoloniale. Ambler y dépeint avec acuité la situation politique complexe de la région : l’insurrection communiste en Malaisie (connue sous le nom de « Malayan Emergency »), les tensions à Sumatra après l’indépendance de l’Indonésie, l’influence persistante des anciennes puissances coloniales. Il y déploie une analyse pénétrante des mécanismes du trafic d’armes international et des motivations diverses qui animent ses protagonistes.

La force du récit réside aussi dans son portrait nuancé des personnages asiatiques. Contrairement à nombre de ses contemporains, Ambler leur confère une profondeur psychologique notable. Girija Krishnan incarne l’ambition modeste mais tenace ; les frères Tan représentent différentes facettes de l’entrepreneuriat chinois diasporique ; quant aux insurgés indonésiens, ils échappent aux clichés habituels. Cette humanisation des personnages non-occidentaux constitue l’une des marques distinctives d’Ambler, qui s’intéresse particulièrement aux identités métissées.

Le récit s’inscrit dans une thématique récurrente chez Ambler : celle des « innocents à l’étranger » (« innocents abroad »). Les Nilsen, touristes américains typiques, se retrouvent impliqués malgré eux dans une intrigue internationale dont ils ne maîtrisent ni les codes ni les enjeux. Cette figure de l’occidental naïf pris dans les rouages d’un monde qu’il méconnaît trouve ici sa parfaite incarnation. Greg Nilsen, initialement convaincu d’agir pour une noble cause anticommuniste, découvre progressivement les ambiguïtés morales de son engagement. Sa femme Dorothy, plus lucide, apparaît comme l’un des personnages les plus sensés et éthiques du roman.

Le roman a suscité des réactions enthousiastes dès sa parution. James M. Cain, lui-même auteur de polars reconnu, évoque dans le New York Times « une peinture de l’Asie du Sud-Est, dans toute sa couleur et la sauvagerie de ses troubles actuels… Du grand art, qui va à l’essentiel. » « Les trafiquants d’armes » fut consacré par l’obtention du Gold Dagger Award en 1959 (alors appelé Crossed Red Herring Award).

Aux éditions DE L’OLIVIER ; 320 pages.

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