Née à Moscou en 1896, Elsa Triolet, de son vrai nom Ella Yourievna Kagan, grandit dans une famille d’intellectuels juifs russes. Brillante étudiante, elle maîtrise plusieurs langues et obtient un diplôme d’architecte en 1918. Grâce à sa sœur aînée Lili, elle côtoie les cercles littéraires russes où elle rencontre notamment Vladimir Maïakovski.
En 1919, elle épouse l’officier français André Triolet et quitte la Russie. Après un séjour à Tahiti et la fin de son mariage, elle s’installe à Paris où elle commence à écrire en russe. Sa rencontre avec Louis Aragon en 1928 marque un tournant dans sa vie. Il devient son compagnon, puis son mari en 1939, et l’encourage à écrire en français.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle s’engage dans la Résistance aux côtés d’Aragon. Sous le pseudonyme de Laurent Daniel, elle publie « Les amants d’Avignon » (1943). Son recueil « Le premier accroc coûte deux cents francs » (1944) lui vaut le prix Goncourt en 1945, la première femme à recevoir cette distinction.
Après la guerre, elle poursuit son activité littéraire tout en militant pour la paix. Autrice prolifique, elle écrit romans, nouvelles et essais, tout en traduisant des œuvres entre le russe et le français. Malgré son attachement à l’URSS, elle reste critique envers le stalinisme, comme en témoigne son roman « Le Monument » (1957).
Elsa Triolet décède le 16 juin 1970 à Saint-Arnoult-en-Yvelines. Elle repose aux côtés d’Aragon dans le parc du Moulin de Villeneuve. Son héritage perdure à travers les nombreuses écoles, bibliothèques et rues qui portent aujourd’hui son nom à travers la France.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. Roses à crédit (roman, 1959)
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Résumé
Dans la France des années 1950, Martine Peigner grandit dans une extrême misère, au sein d’une cabane insalubre où elle cohabite avec sa mère aux mœurs légères et ses nombreux frères et sœurs. La chance lui sourit lorsque Madame Donzert, la coiffeuse du village, la prend sous son aile et lui enseigne son métier. Montée à Paris avec sa bienfaitrice, Martine devient manucure dans un institut prestigieux et épouse Daniel Donelle, un rosiériste dont elle est secrètement amoureuse depuis l’enfance.
Mais leur bonheur s’effrite rapidement : tandis que lui poursuit ses recherches horticoles à la campagne, elle s’enferme dans un appartement parisien qu’elle remplit compulsivement d’électroménager et de meubles achetés à crédit. Submergée par les dettes, isolée, Martine sombre peu à peu dans une spirale destructrice qui la ramènera tragiquement à son point de départ.
Autour du livre
Premier volet d’une trilogie intitulée « L’âge de nylon », ce roman d’Elsa Triolet publié en 1959 dépeint avec une lucidité glaçante l’émergence de la société de consommation dans la France d’après-guerre. À travers le destin de Martine, obsédée par la propreté et le confort moderne jusqu’à en perdre la raison, se dessine une critique des mécanismes du crédit et de leurs effets dévastateurs sur les classes populaires.
Elsa Triolet jongle habilement entre le conte de fées et sa désillusion brutale : Cendrillon accède au confort matériel mais succombe aux mirages de la modernité. Cette tension se retrouve jusque dans le titre, qui oppose la beauté éphémère des roses à la froide arithmétique des traites à payer. Adapté pour la télévision par Amos Gitaï en 2011, ce récit prémonitoire n’a rien perdu de sa pertinence face aux dérives consuméristes contemporaines.
Aux éditions FOLIO ; 320 pages.
2. Le cheval blanc (roman, 1943)
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Résumé
Dans la France de l’entre-deux-guerres, Michel Vigaud grandit seul avec sa mère, une ex-cantatrice qui survit en jouant au casino. Cette jeunesse nomade, sans figure paternelle, façonne un homme allergique aux attaches. À seize ans, il s’embarque comme matelot et sillonne les océans, manquant les derniers instants de sa mère. Les années qui suivent le voient multiplier les existences : pianiste dans les bars, pilote d’aviation, compositeur à succès.
Sa beauté et son magnétisme naturel lui ouvrent toutes les portes, mais son incapacité à se fixer le pousse à fuir dès qu’une situation s’installe. Sa rencontre avec la sublime Elisabeth Krüger bouleverse cette mécanique bien huilée. Pourtant, leur histoire d’amour vole en éclats quand Bielenki, un ami proche, épouse Elisabeth. Michel finira par trouver la mort au combat pendant la drôle de guerre.
Autour du livre
Écrit dans la clandestinité niçoise entre 1941 et 1942, « Le cheval blanc » marque l’entrée d’Elsa Triolet dans la grande littérature. Ce roman, qui manque de peu le prix Goncourt en 1943, est celui que l’autrice considère comme le plus autobiographique. Il puise sa substance dans « les braises de tout ce qui a brûlé autour de moi ». Albert Camus salue « un feu d’artifice ininterrompu, une étonnante prodigalité des dons », tandis que Yasmina Khadra y verra plus tard « l’histoire d’un homme dont tout le monde tombe amoureux mais qui est incapable d’aimer ».
À travers le parcours de Michel, se dessine le portrait d’une génération prise entre l’insouciance des années folles et la montée des périls. Son aspiration à devenir « un chevalier » qui pourrait « sauver le monde sur son cheval blanc » traduit les contradictions d’une époque où l’héroïsme individuel se confronte aux bouleversements collectifs. Les cinq parties du récit scandent la métamorphose de ce personnage qui, de dilettante charmeur, se mue progressivement en homme conscient de sa finitude, pressé d’accomplir son œuvre avant que la mort ne le rattrape.
Aux éditions FOLIO ; 544 pages.
3. Le premier accroc coûte deux cent francs (recueil de nouvelles, 1944)
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Résumé
Publié en 1944, « Le premier accroc coûte deux cents francs » rassemble quatre nouvelles d’Elsa Triolet qui dressent le portrait de la France occupée à travers différents protagonistes.
Dans « Les Amants d’Avignon », Juliette Noël, dactylo et mère célibataire à Lyon, est agent de liaison pour la Résistance. La veille de Noël, elle reçoit une mission urgente pour sauver six cheminots. Lors de cette mission, elle rencontre Célestin, avec qui elle partage un bref moment d’intimité, jouant à faire semblant de s’aimer, comme une parenthèse dans la guerre.
« La Vie privée ou Alexis Slavsky » raconte l’histoire d’un peintre et de son épouse Henriette qui fuient Paris pour la région lyonnaise, errant de logement en logement. Paralysé par la guerre qui l’empêche de créer, Alexis sombre dans l’ennui et l’alcool jusqu’à sa rencontre avec Louise Delfort, une journaliste qui ravive son inspiration. Mais Louise est soudainement arrêtée lors d’une rafle.
Dans « Cahiers enterrés sous un pêcher », Louise Delfort, cachée dans un village, écrit ses mémoires dans des cahiers. Elle y raconte son enfance en Russie, sa vie à Paris, son engagement politique, son arrestation, son évasion, ses activités de résistante. Contrainte de fuir précipitamment, elle enterre ses cahiers sous un pêcher, sauf le dernier qui ne rentre pas dans la boîte.
« Le premier accroc coûte deux cents francs » décrit les parachutages d’armes par les Anglais dans la campagne française et l’atmosphère des derniers mois de l’Occupation, entre espoir de libération et violence des représailles allemandes. Le titre fait référence au message codé de Radio Londres annonçant le débarquement en Provence.
Autour du livre
Ces nouvelles s’inspirent directement de l’expérience de l’autrice qui, aux côtés de son mari Louis Aragon, participa à la création du réseau de résistance « Étoiles ». Couronné par le prix Goncourt en 1945, ce recueil marque l’histoire en faisant d’Elsa Triolet la première femme lauréate. Les manuscrits des trois dernières nouvelles furent enterrés près de la maison d’Elsa Triolet pour échapper aux perquisitions, tandis que « Les Amants d’Avignon » parut clandestinement aux Éditions de Minuit en 1943 sous le pseudonyme de Laurent Daniel, en hommage à Laurent et Danielle Casanova, déportée à Auschwitz.
Aux éditions FOLIO ; 448 pages.