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Elmore Leonard en 7 polars – Notre sélection

Elmore Leonard en 7 polars – Notre sélection

Elmore Leonard naît le 11 octobre 1925 à La Nouvelle-Orléans. Son père, employé chez General Motors, déménage fréquemment avec sa famille à la recherche de sites pour implanter de nouvelles usines. En 1934, les Leonard s’installent définitivement à Detroit, où le jeune Elmore est marqué par deux événements majeurs : les exploits des gangsters Bonnie et Clyde et les succès de l’équipe de baseball des Tigers.

Après des études à l’University of Detroit Jesuit High School, il s’engage dans la Navy pendant la Seconde Guerre mondiale. De retour à la vie civile, il obtient un diplôme d’anglais et de philosophie à l’Université de Detroit en 1950. Tout en travaillant comme publicitaire, il commence à écrire des nouvelles de western pour des magazines.

Dans les années 1950, Leonard publie ses premiers romans western, dont « Hombre » qui connaît un grand succès. À partir des années 1960, il se tourne vers le roman noir et développe un style reconnaissable à ses dialogues percutants et son réalisme sans concession. Son roman « La Brava » lui vaut le prestigieux Prix Edgar en 1984. Nombre de ses œuvres sont adaptées au cinéma et à la télévision, notamment par des réalisateurs comme Quentin Tarantino (« Jackie Brown ») et Steven Soderbergh (« Hors d’atteinte »).

Leonard poursuit l’écriture jusqu’à la fin de sa vie dans le comté d’Oakland, Michigan. Il décède le 20 août 2013 des suites d’un accident vasculaire cérébral, laissant derrière lui une œuvre considérable qui a durablement influencé le roman noir américain.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Paiement cash (1974)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Detroit, années 1970. Harry Mitchell dirige avec succès une entreprise de fabrication de pièces automobiles. À 42 ans, ce vétéran de la Seconde Guerre mondiale jouit d’une vie confortable aux côtés de Barbara, son épouse depuis vingt-deux ans. Leur mariage paisible vole en éclats lorsque Harry entame une liaison avec Cini, une jeune strip-teaseuse à peine plus âgée que sa propre fille. Ce qui n’était qu’une aventure sans lendemain vire bientôt au cauchemar : trois maîtres-chanteurs surgissent avec des vidéos compromettantes de ses ébats. Ils exigent 105 000 dollars par an pour acheter son silence.

Mais Harry refuse catégoriquement de céder au chantage. Sa décision déclenche une spirale de violence : les criminels assassinent Cini avec l’arme de Harry et menacent de le faire accuser du meurtre s’il ne paie pas. Au lieu de plier, Harry choisit de contre-attaquer. Il confesse tout à Barbara et décide d’affronter ses bourreaux. Alan Raimy, propriétaire d’un cinéma pornographique, Leo Frank qui gère un studio de photos équivoques, et Bobby Shy, un tueur sans scrupules, vont découvrir qu’ils ont choisi la mauvaise cible. Car Harry a conservé de ses années de guerre un sang-froid à toute épreuve…

Autour du livre

Publié en 1974, « Paiement cash » marque un virage dans la carrière d’Elmore Leonard. Après s’être fait un nom dans le western, l’écrivain opère une reconversion réussie vers le roman noir urbain. Le choix de Detroit comme toile de fond n’est pas anodin : la ville industrielle en déclin, submergée par le vice, offre un cadre idéal pour cette plongée dans les bas-fonds. Le trio de maîtres-chanteurs gravite autour de l’industrie pornographique : Alan Raimy est un ancien comptable qui dirige un cinéma pour adultes, Leo Frank tient un studio de photos suggestives, Bobby Shy est un tueur à gages impulsif.

La force du roman réside dans la construction du personnage de Harry Mitchell. Loin d’être une victime passive, cet homme pragmatique retourne la situation à son avantage. Son expérience de la guerre lui a appris à garder son sang-froid face au danger. Plutôt que de céder au chantage, il préfère tout avouer à son épouse et élaborer une stratégie pour faire imploser le trio criminel de l’intérieur. La relation entre Harry et Barbara constitue l’une des lignes de force du récit : leur mariage survit à la trahison et se trouve même renforcé par l’épreuve qu’ils traversent ensemble.

Leonard insuffle à son thriller une dose d’humour noir qui allège la noirceur du propos. Les dialogues, particulièrement réussis, restituent avec justesse le parler de la rue. Il évite les longues descriptions au profit d’une narration nerveuse qui privilégie l’action.

La critique salue unanimement ce polar tendu qui inaugure ce qu’on appellera plus tard le « cycle de Detroit » de Leonard, comprenant également « Homme inconnu n° 89 » (1977), « La Joyeuse Kidnappée » (1978) et « La Loi de la cité » (1980). Le roman démontre déjà la maîtrise de l’auteur dans l’art du dialogue et sa capacité à créer des personnages crédibles.

« Paiement cash » a fait l’objet de deux adaptations cinématographiques. La première, « The Ambassador » (1984), prend de grandes libertés avec le matériau original. La seconde, réalisée par John Frankenheimer en 1986 avec Roy Scheider et Ann-Margret dans les rôles principaux, se montre plus fidèle. Le scénario, co-écrit par Leonard lui-même, transpose l’action à Los Angeles mais conserve l’essentiel de l’intrigue et la tension du livre. Le personnage de Barbara y bénéficie d’un développement plus important, se voyant doter d’une carrière politique naissante qui accroît encore les enjeux du chantage.

Aux éditions RIVAGES ; 304 pages.


2. ZigZag Movie (1990)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Miami, 1990. Chili Palmer, prêteur sur gages redoutable au sang-froid légendaire, voit sa vie basculer quand son rival Ray « Bones » Barboni prend le contrôle de ses opérations. Pour sa première mission sous les ordres de son nouvel ennemi, Chili doit retrouver Leo Devoe, un teinturier qui doit 15 000 dollars. Or, Leo aurait péri dans un accident d’avion. En interrogeant sa veuve, Chili découvre la vérité : Leo a simulé sa mort pour empocher 300 000 dollars d’assurance et s’est enfui à Las Vegas.

La traque de Leo conduit Chili à Los Angeles, où un casino lui demande de récupérer au passage une dette auprès de Harry Zimm, producteur de films d’horreur à petit budget. En s’introduisant chez Zimm, qui loge chez son ex-compagne Karen Flores (une actrice célèbre pour ses hurlements), Chili tombe sous le charme d’Hollywood. Il propose à Zimm de devenir son partenaire dans la production d’un film ambitieux qui pourrait séduire la star Michael Weir.

Mais Zimm a déjà des problèmes avec ses investisseurs habituels : Bo Catlett et Ronnie Wingate, propriétaires d’une société de limousines qui sert de façade à leur trafic de drogue. Après avoir perdu leur argent au jeu à Las Vegas, Zimm se retrouve dans une situation délicate. Pendant ce temps, Chili développe sa propre idée de scénario, basée sur sa vie de prêteur sur gages pourchassant un escroc à l’assurance. Le voilà pris entre ses anciens démons – Barboni qui le traque toujours – et ses nouvelles ambitions hollywoodiennes, devant jongler avec des mafieux, des dealers et des égos démesurés du cinéma qui se révèlent parfois plus dangereux que les criminels…

Autour du livre

Cette satire d’Hollywood publiée en 1990 trouve son origine dans la propre expérience d’Elmore Leonard avec l’industrie du cinéma. L’auteur avait traversé une période difficile au milieu des années 1980 en travaillant sur l’adaptation de son roman « La Brava » avec Dustin Hoffman. Après six mois de réécritures non rémunérées à la demande de l’acteur, le projet fut abandonné. « ZigZag Movie » constitue ainsi la vengeance littéraire de Leonard – une vengeance d’autant plus savoureuse que le roman sera lui-même adapté au cinéma.

L’originalité du récit réside dans sa construction métafictionnelle : l’histoire que nous lisons devient progressivement le film que Chili tente de produire. Cette mise en abyme permet à Leonard de livrer une critique acerbe mais non dénuée de tendresse envers Hollywood. À travers le personnage de Chili, il établit un parallèle saisissant entre le monde du crime et celui du cinéma, suggérant que les compétences nécessaires pour réussir dans l’un – charisme, sang-froid, capacité à convaincre les autres d’agir contre leur intérêt – sont identiques à celles requises dans l’autre.

Les dialogues constituent l’une des grandes forces du roman. Leonard déploie un talent particulier pour retranscrire le langage parlé, donnant à chaque personnage une voix distincte qui révèle sa personnalité. Cette maîtrise du dialogue s’accompagne d’un art consommé de la caractérisation : qu’il s’agisse de Harry Zimm, producteur de série B rêvant de reconnaissance artistique, de Karen Flores, ex-reine du hurlement, ou de Michael Weir, star narcissique, chaque personnage s’incarne avec une précision remarquable en quelques traits bien choisis.

Nora Ephron, dans le New York Times, souligne la maîtrise de Leonard dans la construction des personnages et des dialogues, tout en notant que même ses œuvres moins abouties sont rachetées par « des dialogues percutants et parfaitement justes ». Dennis Lehane considère « ZigZag Movie » comme le sommet d’une décennie particulièrement féconde pour Leonard, le qualifiant de « satire la plus impitoyable et la plus réussie d’Hollywood jamais écrite ».

Le roman a donné naissance à une véritable franchise. L’adaptation cinématographique de 1995, réalisée par Barry Sonnenfeld avec John Travolta dans le rôle de Chili Palmer et Gene Hackman dans celui de Harry Zimm, a connu un grand succès critique et commercial. Une suite, « Be Cool », basée sur un autre roman de Leonard, est sortie en 2005. Plus récemment, une série télévisée « Get Shorty » a été diffusée sur Epix de 2017 à 2019, avec Ray Romano et Chris O’Dowd en têtes d’affiche.

Aux éditions RIVAGES ; 304 pages.


3. Maximum Bob (1991)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

« Maximum Bob », vingt-neuvième roman d’Elmore Leonard paru en 1991, nous transporte dans le comté de Palm Beach en Floride, où officie le juge Bob Gibbs. Surnommé « Maximum Bob » pour son inclination à prononcer systématiquement les peines les plus lourdes, ce magistrat peu orthodoxe mène une existence compliquée entre ses fonctions judiciaires et sa vie privée tumultueuse.

L’histoire prend son envol lorsque le juge Gibbs croise le chemin de Kathy Diaz Baker, une séduisante agente de probation cubano-américaine de vingt-sept ans. Celle-ci supervise Dale Crowe Junior, que le juge vient de condamner à cinq ans de prison. Gibbs, qui souhaite se débarrasser de son épouse Leanne, échafaude un plan rocambolesque. Il fait appel à un braconnier pour introduire un alligator dans son jardin, espérant ainsi effrayer suffisamment sa femme pour qu’elle le quitte.

Mais son stratagème tourne mal quand le reptile, censé être mort, se révèle bien vivant. La situation se complique davantage lorsque des coups de feu sont tirés sur sa maison alors que Kathy s’y trouve en visite. Entre Dale Crowe Junior et son oncle Elvin, fraîchement sorti de prison et assoiffé de vengeance, les suspects ne manquent pas. Le sergent Gary Hammond mène l’enquête, tandis que les événements s’enchaînent dangereusement autour du juge…

Autour du livre

La genèse de « Maximum Bob » trouve son origine dans une correspondance entretenue pendant cinq à six ans entre Leonard et le juge Marvin Mounts de la Cour criminelle de Palm Beach. Cette relation épistolaire lui a permis de s’imprégner de l’atmosphère des tribunaux floridiens. Leonard s’est également inspiré de sa découverte surprenante que 80 % des agents de probation en Floride étaient des femmes dans la vingtaine, ce qui a nourri la création du personnage de Kathy Baker.

La Floride, avec sa faune singulière et ses habitants hauts en couleur, sert de cadre à l’intrigue. L’État le plus riche du Sud profond attire un flot constant de personnes en transit, principalement venues d’Alabama et de Géorgie, parmi lesquelles se glissent nombre de fugitifs. Cette réalité sociologique irrigue le roman d’une authenticité remarquable.

La critique a largement salué ce nouveau titre de Leonard. Barry Gifford, dans le New York Times, positionne ce dernier au panthéon des écrivains américains de romans noirs aux côtés de Charles Willeford, Dan J. Marlowe et Jim Thompson. Il loue particulièrement sa capacité inégalée à établir le rythme, l’ambiance et la sonorité d’un récit. Tony Hillerman, autre figure majeure du genre, avoue même sa jalousie : « Elmore Leonard ne cesse de devenir meilleur au fil des ans. Il nous laisse tous – nous les autres auteurs de romans policiers – verts de jalousie. »

« Maximum Bob » a donné naissance à une série télévisée éponyme diffusée sur ABC en 1998. La chaîne a produit six épisodes d’une heure chacun. Fait notable, l’adaptation a parfois été jugée supérieure au roman original, notamment grâce à l’interprétation de Beau Bridges dans le rôle du juge, qui a su insuffler au personnage une dimension à la fois roublarde et attachante.

Aux éditions RIVAGES ; 350 pages.


4. Punch créole (1992)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans les rues ensoleillées de West Palm Beach, Jackie Burke, 44 ans, mène une existence en demi-teinte. Cette hôtesse de l’air, autrefois employée par les prestigieuses TWA et PanAm, se retrouve désormais à servir du punch créole sur les vols d’une modeste compagnie régionale. Son salaire ayant chuté de moitié, elle accepte de convoyer de l’argent des Bahamas vers la Floride pour Ordell Robbie, un trafiquant d’armes aux ambitions démesurées.

L’étau se resserre quand deux agents fédéraux l’interceptent à l’aéroport avec cinquante mille dollars et de la cocaïne dans ses bagages. Les autorités lui proposent un marché : les aider à piéger Ordell en échange de sa liberté. Une proposition délicate, sachant qu’Ordell n’hésite pas à éliminer ceux qui menacent ses intérêts – comme il vient de le faire avec Beaumont, un autre de ses complices.

Pour payer sa caution, Ordell fait appel à Max Cherry, un agent de cautionnement de 57 ans qui commence à douter du sens de son existence. Ce dernier tombe immédiatement sous le charme de Jackie. La situation se complique davantage avec l’arrivée de Louis Gara, ex-détenu et vieil ami d’Ordell, ainsi que de Melanie, la petite amie du trafiquant qui rêve de s’emparer de son argent.

Jackie comprend qu’elle doit jouer finement : les fédéraux veulent Ordell, Ordell veut rapatrier ses 500 000 dollars des Bahamas, et elle veut saisir sa dernière chance d’échapper à une vie médiocre. Avec l’aide de Max Cherry, elle élabore un plan périlleux pour manipuler tout ce petit monde.

Autour du livre

Dans « Punch créole », Leonard construit un récit où s’entremêlent les doubles jeux et les manipulations, porté par des personnages à la psychologie finement ciselée. Au-delà du simple polar, il y aborde la thématique du vieillissement et du désir de réinvention. Jackie, Max et même les criminels se retrouvent tous confrontés à la perspective d’une existence qui stagne, cherchant désespérément une échappatoire.

Les personnages secondaires enrichissent considérablement la trame narrative. Louis Gara, ancien compagnon de cellule d’Ordell récemment sorti de prison, et Melanie, la compagne du trafiquant qui nourrit ses propres ambitions, ajoutent une dimension supplémentaire aux jeux de dupes qui se mettent en place. Ordell et Louis apparaissent d’ailleurs pour la première fois dans un précédent roman de Leonard, « La Joyeuse Kidnappée » (1978), ce qui permet d’observer leur évolution sur le long terme.

La force du récit réside dans sa capacité à maintenir le suspense tout en développant une galerie de protagonistes crédibles, aux motivations complexes. Leonard excelle particulièrement dans l’art du dialogue, créant des échanges naturels qui révèlent subtilement la personnalité et les intentions de chacun. Cette maîtrise du dialogue deviendra d’ailleurs un atout majeur lors de l’adaptation cinématographique.

La critique salue unanimement la construction narrative et la profondeur psychologique des personnages. Le New York Times souligne notamment la qualité de l’intrigue et la force des personnages féminins. Quentin Tarantino adapte le roman en 1997 sous le titre « Jackie Brown », avec Pam Grier dans le rôle-titre. Si le cinéaste prend quelques libertés – notamment en déplaçant l’action à Los Angeles et en transformant Jackie Burke, blonde dans le roman, en Jackie Brown, afro-américaine – il reste globalement fidèle à l’esprit du livre. Leonard lui-même considère cette adaptation comme la meilleure de ses œuvres.

Aux éditions RIVAGES ; 384 pages.


5. Pronto (Raylan Givens #1, 1993)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Miami Beach, années 1990. Harry Arno, bookmaker sexagénaire, travaille pour le compte de Jimmy « Cap » Capotorto, un parrain de la mafia locale. Depuis vingt ans, Harry dissimule une partie de ses gains, si bien qu’il a accumulé près d’un million de dollars sur un compte en Suisse. Son rêve : prendre sa retraite à Rapallo, petite ville italienne où, jeune soldat pendant la Seconde Guerre mondiale, il avait brièvement conversé avec le poète Ezra Pound.

Le département de la Justice, qui cherche à faire tomber Jimmy Cap, précipite les événements. Les agents fédéraux répandent la rumeur qu’Harry détourne de l’argent, espérant ainsi le forcer à demander leur protection et à témoigner contre son patron. Leur stratagème se retourne contre eux : Jimmy Cap mandate Tommy « Le Zip » Bitonti, un tueur sicilien sans pitié, pour éliminer Harry.

Après avoir survécu à une tentative d’assassinat, Harry fausse compagnie au marshal Raylan Givens, chargé de le protéger. Ce n’est pas la première fois qu’Harry échappe à Givens – il l’avait déjà fait cinq ans plus tôt, compromettant la carrière du marshal. Cette fois, Givens prend l’affaire personnellement. Quand Harry s’envole pour Rapallo, Givens pose des congés et le suit, tout comme Joyce, la compagne d’Harry, une ancienne danseuse. Le Zip, flanqué de ses contacts mafieux italiens, ne tarde pas à les rejoindre. La petite cité balnéaire devient alors le théâtre d’un jeu du chat et de la souris, où se croisent bookmaker en cavale, marshal obstiné et tueurs impitoyables.

Autour du livre

Premier roman mettant en scène le personnage de Raylan Givens, « Pronto » marque l’incursion initiale d’Elmore Leonard dans un territoire narratif qui mêle western moderne et roman noir. La particularité du livre réside dans son traitement des personnages de la mafia, dépeints avec une ironie mordante qui démystifie leur image traditionnelle. Les mafieux américains y apparaissent comme des criminels embourgeoisés, en décalage avec leurs homologues siciliens plus rustiques et violents.

L’originalité du récit tient également à son usage inattendu de références littéraires. La fascination d’Harry pour Ezra Pound, dont il mémorise les vers sans les comprendre, ajoute une dimension culturelle singulière à ce personnage de bookmaker vieillissant. Cette obsession pour le poète influencera jusqu’à son choix de refuge en Italie.

L’histoire se distingue aussi par son cadre géographique inhabituel. Pour la première fois dans la bibliographie de Leonard, l’action se déplace hors des États-Unis, permettant une confrontation saisissante entre les cultures criminelles américaine et italienne. Ce changement de décor offre un nouveau relief aux thèmes chers à l’auteur : la loyauté, la vengeance, la justice.

La critique a souligné la maestria avec laquelle Leonard jongle entre les personnages aux motivations complexes. Teresa Carpenter, dans le New York Times, note que si l’intrigue peut parfois sembler se déliter, les personnages « dangereux malgré eux et imprévisiblement hilarants » maintiennent l’intérêt du lecteur. Le journal souligne particulièrement l’humour qui émane des dialogues naturalistes, marque de fabrique de Leonard.

« Pronto » a fait l’objet d’une adaptation télévisée en 1997 avec Peter Falk dans le rôle d’Harry Arno. Plus significativement, le personnage de Raylan Givens est devenu le héros de la série « Justified » (2010-2015) sur FX, où il est incarné par Timothy Olyphant. La scène finale de « Pronto » sert d’ailleurs de point de départ au premier épisode de cette série. Le succès de cette adaptation a conduit Leonard à reprendre le personnage dans plusieurs autres livres, notamment « Beyrouth-Miami » (1995) et « Fire in the Hole » (2001).

Aux éditions RIVAGES ; 320 pages.


6. Beyrouth-Miami (Raylan Givens #2, 1995)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Miami, milieu des années 1990. Le marshal Raylan Givens, reconnaissable à son Stetson et ses bottes de cowboy, s’est fait un nom en abattant un gangster qui avait refusé de quitter la ville malgré son ultimatum. À présent, il partage sa vie avec Joyce, une ex-strip-teaseuse qui fut autrefois la compagne d’Harry Arno, un bookmaker de 67 ans récemment retraité.

Quand Harry disparaît alors qu’il tentait de récupérer une dette auprès d’un client, Joyce implore Raylan de le retrouver. Le débiteur en question, Warren « Chip » Ganz, un quinquagénaire désœuvré qui dilapide la fortune de sa mère atteinte de démence, a orchestré l’enlèvement d’Harry avec deux complices : Bobby Deogracias, un ancien chasseur de primes portoricain au tempérament violent, et Louis Lewis, un ex-détenu originaire des Bahamas. Leur plan ? S’inspirer des prises d’otages de Beyrouth pour forcer Harry à leur céder les millions qu’il aurait amassés au fil des années sur des comptes en Suisse.

Pour piéger Harry, les ravisseurs font appel à Dawn Navarro, une séduisante médium dont les pouvoirs de voyance semblent bien réels. Tandis que Raylan mène son enquête officieuse, les tensions s’exacerbent entre les kidnappeurs, transformant peu à peu leur plan apparemment infaillible en une dangereuse partie de poker menteur où chacun dissimule son jeu.

Autour du livre

Second volet des aventures de Raylan Givens après « Pronto » (1993), « Beyrouth-Miami » constitue une nouvelle incursion d’Elmore Leonard dans l’univers des marshals fédéraux. Le personnage de Raylan, avec son Stetson vissé sur la tête et ses bottes de cowboy, incarne un anachronisme vivant : un homme du Far West égaré dans la Floride contemporaine. Cette dimension est constamment soulignée par les autres protagonistes qui perçoivent en lui la figure mythique du justicier solitaire.

La narration alterne habilement les points de vue, passant d’un personnage à l’autre au sein même des chapitres. Cette construction polyphonique permet de saisir les motivations et les pensées de chaque protagoniste, créant une tension narrative qui ne cesse de monter. Les criminels, loin d’être de simples faire-valoir, possèdent une personnalité complexe qui les rend paradoxalement attachants malgré leur médiocrité morale.

Le personnage de Dawn Navarro apporte une touche d’étrangeté à l’intrigue. Leonard ne tranche jamais sur la réalité de ses dons de voyance, laissant planer une ambiguïté qui ajoute une dimension supplémentaire au récit. Cette fascination pour le personnage pousse d’ailleurs l’auteur à la faire réapparaître plus tard dans son roman « Road Dogs ».

La critique salue unanimement la maîtrise de Leonard dans la construction de ses personnages. Publishers Weekly note que même un Leonard « en pilote automatique » surpasse la majorité des auteurs du genre. Les dialogues ciselés et l’humour grinçant qui émaille le récit constituent sa marque de fabrique.

Le roman connaît une adaptation télévisée dans la série « Justified » (2010-2015), où l’intrigue forme la base du troisième épisode de la première saison, intitulé « Fixer ». Timothy Olyphant y incarne Raylan Givens avec une telle justesse que son interprétation semble faire sortir le personnage directement des pages du livre. La série transpose l’action dans le Kentucky, mais conserve l’essence des dialogues et des situations imaginés par Leonard.

Aux éditions RIVAGES ; 320 pages.


7. Loin des yeux (1996)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Jack Foley, braqueur de banques de légende avec près de deux cents casses à son actif, purge une peine de trente ans dans un pénitencier de Floride. Lorsqu’il apprend qu’un groupe de détenus prépare une évasion par un tunnel, il saisit l’opportunité. Le jour de l’évasion, Karen Sisco, une séduisante marshal fédérale en tailleur Chanel, arrive au pénitencier pour remettre une convocation. Le hasard les met face à face sur le parking. Pour éviter qu’elle ne donne l’alerte, Foley et son complice Buddy la forcent à monter dans le coffre de sa voiture. Foley s’y glisse avec elle. Durant ce trajet improbable, une étrange intimité se crée entre le gentleman cambrioleur et la représentante de la loi, qui partagent une même passion pour les films classiques.

Après leur séparation mouvementée, Foley et Buddy rejoignent Detroit où les attend une dernière opportunité : le cambriolage de Richard Ripley, un ancien codétenu qui cache plusieurs millions de dollars chez lui. Mais l’opération s’annonce périlleuse – ils doivent collaborer avec des criminels violents et instables comme Maurice Miller, un ancien boxeur, et son acolyte psychopathe Kenneth. Pendant ce temps, Karen Sisco se lance sur leurs traces. Chargée officiellement de ramener Foley derrière les barreaux, elle ne peut s’empêcher de penser à leur rencontre dans le coffre.

Autour du livre

Publié en 1996, « Loin des yeux » marque une évolution dans l’œuvre de Leonard. Les criminels ne sont plus simplement des figures monolithiques du mal – Foley incarne une certaine noblesse dans la transgression, un code moral qui le distingue des brutes sans scrupules comme Maurice Miller et Kenneth. Cette complexité morale se manifeste particulièrement dans la relation père-fille entre Karen et Marshall Sisco, ancien agent des forces de l’ordre devenu détective privé, qui comprend mieux que quiconque l’attrait qu’exercent sur sa fille ces hommes qui naviguent entre l’ordre et le chaos. Les scènes d’action, bien que présentes, cèdent le pas aux dialogues cinglants et aux jeux de séduction.

Les critiques ont salué la maîtrise de Leonard dans le maniement des dialogues et la construction des personnages. Le New York Times souligne notamment comment l’auteur « tire les vieux as de ses manches et les mélange d’une nouvelle façon ». Ralph Lombreglia note que le roman dépeint des personnages complexes qui ne sont ni simplement bons ni mauvais, même si certains aspects de l’intrigue peuvent parfois sembler moins crédibles.

L’adaptation cinématographique de 1998 par Steven Soderbergh, avec George Clooney et Jennifer Lopez dans les rôles principaux, a connu un succès considérable. Le film reste remarquablement fidèle au matériau source, reprenant de nombreux dialogues mot pour mot, tout en resserrant certains aspects de l’intrigue. Son succès a même inspiré une série télévisée, « Karen Sisco », avec Carla Gugino dans le rôle-titre. Le personnage de Jack Foley réapparaît dans le roman « Road Dogs » de Leonard en 2009.

Aux éditions RIVAGES ; 301 pages.

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