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Tony Hillerman en 8 ethno-polars – Notre sélection

Tony Hillerman en 8 ethno-polars – Notre sélection

Tony Hillerman (27 mai 1925 – 26 octobre 2008) est un auteur américain célèbre pour ses romans policiers mettant en scène les inspecteurs navajos Joe Leaphorn et Jim Chee. Né à Sacred Heart, Oklahoma, d’un père fermier d’origine allemande et d’une mère d’ascendance anglaise, il grandit aux côtés d’enfants Potawatomis, une expérience qui façonnera sa vision respectueuse des Amérindiens.

Vétéran décoré de la Seconde Guerre mondiale, il sert dans la 103e division d’infanterie où il est gravement blessé en 1945, recevant notamment l’Étoile d’Argent et le Purple Heart. Après la guerre, il obtient un diplôme de journalisme à l’Université de l’Oklahoma en 1948, où il rencontre sa future épouse Marie Unzner. Il exerce comme journaliste jusqu’en 1962, puis enseigne le journalisme à l’Université du Nouveau-Mexique de 1966 à 1987.

Ses romans policiers, qui débutent avec « The Blessing Way » (1970), se distinguent par leur profonde compréhension de la culture navajo et leur description minutieuse du Sud-Ouest américain. Hillerman reconnaît s’être inspiré de l’écrivain australien Arthur Upfield pour l’intégration d’éléments ethnologiques dans ses polars. Son œuvre connaît un succès international, particulièrement en France où il reçoit le Grand prix de littérature policière en 1987. Il reçoit de nombreuses autres distinctions, dont le prestigieux Grand Master Award en 1991.

Après sa mort à Albuquerque des suites d’une insuffisance pulmonaire, sa fille Anne poursuit la série des enquêtes de Joe Leaphorn et Jim Chee. Son héritage perdure également à travers la Tony Hillerman Library à Albuquerque et le Tony Hillerman Middle School, témoignant de son importance dans la culture du Nouveau-Mexique.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Jim Chee – Le Peuple des ténèbres (1980)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Au début des années 1980, dans une réserve navajo du Nouveau-Mexique, le sergent Jim Chee enquête sur le vol d’un mystérieux coffret. L’épouse de son propriétaire, le richissime B.J. Vines, soupçonne les adeptes du Peuple de l’Ombre, une secte amérindienne qui pratique des rituels au peyotl. Cette affaire apparemment mineure cache un secret bien plus sombre : trente ans plus tôt, une explosion meurtrière sur un puits de pétrole épargna miraculeusement six ouvriers navajos.

Tandis que Chee creuse le passé, un tueur à gages implacable élimine les témoins gênants. Épaulé par Mary Landon, une institutrice qui s’intéresse à la culture navajo, le policier découvre que les six rescapés sont tous morts de cancer dans les années qui suivirent l’explosion. Cette succession de décès masque une conspiration machiavélique qui semble liée à l’exploitation de l’uranium dans la réserve.

Autour du livre

Publié en 1980, « Le Peuple des ténèbres » marque un tournant dans la série policière de Tony Hillerman avec l’apparition d’un nouveau protagoniste : Jim Chee. Cette transition s’avère nécessaire car Hillerman se trouve alors dans une situation délicate : il a malencontreusement cédé les droits d’adaptation télévisée de son personnage Joe Leaphorn, ce qui l’empêche temporairement de l’utiliser dans ses écrits. Il devra attendre 1985 et débourser 21 000 dollars pour récupérer le droit d’utiliser son personnage fétiche.

Le choix d’un nouveau protagoniste ne relève pas uniquement de contraintes contractuelles. Hillerman confie avoir besoin d’un personnage plus naïf que Joe Leaphorn, trop expérimenté et blasé pour incarner la curiosité culturelle nécessaire à l’intrigue qu’il souhaite développer. Jim Chee se présente comme un être tiraillé entre deux mondes : celui des traditions navajos dont il étudie les rituels pour devenir yataalii (guérisseur), et celui de la modernité où une carrière au FBI l’attend. Cette dualité permet d’interroger les rapports entre la culture navajo et la société américaine.

« Le Peuple des ténèbres » se démarque par son ancrage géographique dans la Checkerboard Reservation, territoire morcelé où les Navajos côtoient quotidiennement d’autres communautés. Cette mosaïque culturelle constitue le terreau idéal pour aborder les conflits entre traditions amérindiennes et convoitises des industriels blancs, notamment autour de l’exploitation des ressources minières.

La réception critique salue la capacité de Hillerman à tisser une intrigue policière sans compromettre l’authenticité de la représentation culturelle navajo. Le Sun Sentinel souligne « un accomplissement incroyable pour un écrivain non-indien » tandis que Kirkus Reviews qualifie le livre de « travail splendide : atmosphérique, complexe sans artifices et convenablement troublant. » La revue Gumshoe Review note, même trente ans après la publication initiale, que « le grand triomphe de l’art de Hillerman réside dans la façon dont il parvient à incorporer le thème amérindien dans l’histoire, avec tout le contexte culturel qui l’accompagne, sans jamais compromettre le mystère. »

La traduction française connaît une histoire particulière. La première version, publiée en 1981 sous le titre « Le Peuple de l’ombre », se trouve rejetée par l’auteur car tronquée. Il faut attendre 1998 pour qu’une nouvelle traduction, jugée satisfaisante par Hillerman, paraisse chez Rivages.

En 2024, « Le Peuple des ténèbres » trouve un nouveau souffle avec son adaptation dans la seconde saison de la série télévisée « Dark Winds » sur AMC. Le personnage de Colton Wolf, tueur méticuleux aux troubles obsessionnels-compulsifs, y occupe une place prépondérante dès le premier épisode, contrairement au roman où sa présence se fait plus progressive.

« Le Peuple des ténèbres » pose les bases d’une nouvelle orientation dans l’œuvre de Hillerman. Jim Chee connaîtra d’abord sa propre trilogie avant de croiser la route de Joe Leaphorn dans les romans ultérieurs, créant ainsi une dynamique enrichie par la confrontation de leurs méthodes d’investigation : Leaphorn privilégie les faits tandis que Chee s’intéresse davantage aux motivations des suspects, fidèle à la conception navajo selon laquelle un bon chasseur doit d’abord atteindre l’harmonie intérieure pour comprendre sa proie.

Aux éditions RIVAGES ; 784 pages.


2. Jim Chee – Le Vent sombre (1982)

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Résumé

Arizona, années 1980. Jim Chee, jeune sergent de la police tribale navajo, se retrouve au cœur d’une affaire complexe. Nouvellement affecté à Tuba City, il doit enquêter sur le sabotage répété d’un moulin à vent situé sur un territoire récemment attribué aux Hopis par décision de justice, au détriment des Navajos. Une nuit de surveillance, il assiste au crash d’un petit avion. Sur place, il découvre trois cadavres, dont l’un présente une blessure par balle. L’affaire prend une tournure inattendue quand la DEA s’en mêle : une importante cargaison de cocaïne a disparu. Parallèlement, Chee doit élucider le vol de bijoux dans un comptoir commercial et identifier un corps mutilé retrouvé sur un sentier. Malgré l’interdiction de son supérieur de s’impliquer dans l’enquête sur le trafic de drogue, il pressent que toutes ces affaires sont liées.

Autour du livre

Publié en 1982, « Le Vent sombre » est le cinquième opus de la série des enquêtes en territoire navajo de Tony Hillerman, et le deuxième centré sur le personnage de Jim Chee. La force du récit réside dans sa capacité à entrelacer plusieurs niveaux de lecture. Le premier, policier, tisse une trame où grand banditisme et délits mineurs s’entremêlent. Le second, anthropologique, dépeint les tensions entre Navajos et Hopis autour de la propriété des terres, héritage d’une décision gouvernementale contraignant des milliers de Navajos à quitter leurs terres ancestrales.

Hillerman confronte deux visions du monde diamétralement opposées. D’un côté, la conception navajo incarnée par Jim Chee, où la notion de vengeance n’existe pas : « Quelqu’un qui violait les règles normales du comportement et qui vous causait du tort était, selon la définition navajo, ‘égaré’. Le ‘vent sombre’ s’était emparé de lui et avait corrompu son jugement. » De l’autre, la justice punitive occidentale, symbolisée par la brutalité de l’agent Johnson de la DEA.

La critique salue unanimement cette approche singulière. Kirkus Reviews souligne « l’atmosphère puissante » du roman, tout en notant son caractère « plus introspectif » que les précédents. Le roman conjugue « une prose d’humeur fine dans toute sa splendeur du Sud-Ouest » avec « quelques rebondissements remarquables », même si « les ténèbres sont parfois plus troubles que glaçantes ».

« Le Vent sombre » est aujourd’hui considéré comme l’un des romans les plus aboutis de la série. Il illustre parfaitement la capacité de Hillerman à transformer un simple polar en une méditation sur la collision entre différentes conceptions du monde et de la justice. Il a fait l’objet d’une adaptation cinématographique en 1991 par Errol Morris, avec Lou Diamond Phillips dans le rôle de Jim Chee. Cependant, le producteur Robert Redford, insatisfait du résultat, considéra cette tentative comme « un faux départ », critiquant notamment des erreurs de casting et une conception inappropriée.

Aux éditions RIVAGES ; 784 pages.


3. Jim Chee – La Voie du fantôme (1984)

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Résumé

Un meurtre secoue la réserve navajo : une fusillade près d’une laverie de Shiprock se solde par la mort d’un homme. L’officier Jim Chee découvre que la victime, Albert Gorman, membre d’un gang de Los Angeles, cherchait son frère Leroy. Le corps d’Albert est retrouvé près du hogan d’Hosteen Begay, préparé selon les rites funéraires traditionnels mais avec des irrégularités significatives. La disparition de Margaret Billy Sosi, petite-fille de Begay, complique l’affaire. Chee poursuit ses recherches jusqu’à Los Angeles, où il affronte un tueur professionnel tout en découvrant une sombre histoire de gang et de témoins protégés.

Autour du livre

« La Voie du fantôme », publié en 1984, est le sixième tome de la série des enquêtes en territoire navajo de Tony Hillerman. Il tranche des précédents par son ampleur géographique, de la réserve navajo jusqu’aux quartiers hostiles de Los Angeles. Le titre fait référence au « Ghostway », une cérémonie de purification destinée aux personnes ayant été en contact avec un « chindi », l’esprit maléfique d’un défunt.

L’intrigue criminelle sert de prétexte à une méditation sur l’identité culturelle. Le protagoniste Jim Chee incarne le conflit entre tradition et modernité. La critique du Kirkus Reviews souligne cette dimension : « La tension entre le mode de vie navajo et le monde blanc tentateur est centrale dans ce récit prenant. » Cette dualité s’illustre notamment dans sa relation avec Mary Landon, qui le pousse à quitter la réserve pour rejoindre le FBI.

Le personnage de Margaret Sosi, adolescente navajo de 17 ans, apporte une dimension supplémentaire au récit. Sa détermination face au danger et son intelligence dans l’adversité en font un personnage remarquablement consistant. Les descriptions des paysages de l’Ouest américain contrastent magistralement avec celles de Los Angeles, décrite comme un territoire hostile aux traditions navajos.

Le New York Times considère d’ailleurs ce volume comme « l’un des meilleurs de la série ». Kirkus Reviews parle « d’un des meilleurs mystères navajos de Hillerman, maintenant suspense, traditions indiennes et personnages dans un équilibre majestueux mais captivant. » Le Chicago Tribune ajoute : « une lecture de choix […] Hillerman entrelace habilement les superstitions navajos dans l’intrigue. »

Cette sixième enquête de la série constitue le dernier volet où Jim Chee opère en solo, avant sa réunion avec Joe Leaphorn dans le tome suivant, « Porteurs-de-peau ».

Aux éditions RIVAGES ; 784 pages.


4. Joe Leaphorn et Jim Chee – Porteurs-de-peau (1986)

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Résumé

Années 1980. Dans la réserve Navajo, entre l’Utah, l’Arizona et le Nouveau-Mexique, trois meurtres inexpliqués bouleversent la routine de la police tribale. Une nuit, le jeune officier Jim Chee échappe de justesse à une tentative d’assassinat dans son mobile-home. Le lieutenant Joe Leaphorn, policier chevronné et pragmatique, est chargé de l’enquête.

Les indices sont minces : quelques perles d’os retrouvées sur les scènes de crime et des rumeurs persistantes de sorcellerie. Les « porteurs-de-peau », ces êtres maléfiques de la mythologie Navajo, seraient-ils impliqués ? Tandis que Leaphorn refuse catégoriquement cette hypothèse, Chee, lui-même apprenti homme-médecine, ne peut l’écarter. Entre croyances ancestrales et méthodes modernes d’investigation, les deux policiers que tout oppose doivent collaborer pour la première fois.

Autour du livre

La parution de « Porteurs-de-peau » en 1986 marque un tournant dans la saga policière de Tony Hillerman. Pour la première fois, les deux figures emblématiques de la police tribale navajo, Joe Leaphorn et Jim Chee, unissent leurs forces dans une enquête où s’entremêlent croyances séculaires et criminalité moderne. Cette rencontre, savamment orchestrée par Hillerman, met en lumière le contraste saisissant entre ces deux personnages : Leaphorn, lieutenant expérimenté au rationalisme affirmé, et Chee, jeune officier profondément ancré dans les traditions navajos.

L’originalité de cet opus réside dans la manière dont Hillerman déploie son intrigue autour de la figure du skinwalker, sorcier maléfique de la mythologie navajo. Cette dimension surnaturelle, qui imprègne l’ensemble du récit, sert de révélateur aux tensions culturelles qui traversent la réserve. Le New York Times souligne d’ailleurs que « Porteurs-de-peau » constitue le véritable livre de la percée pour Hillerman, celui qui a propulsé ses ventes et accru sa reconnaissance.

La construction psychologique des personnages atteint dans ce septième volet une profondeur inédite. Leaphorn, confronté à la maladie d’Alzheimer qui menace son épouse Emma, dévoile une vulnérabilité jusqu’alors inexplorée. Quant à Chee, son dilemme entre tradition et modernité s’incarne dans sa relation avec Mary Landon, une femme blanche du Wisconsin, et ses premiers échanges avec Janet Pete, une avocate qui fait ici son entrée dans la série.

Le Kirkus Reviews salue particulièrement la façon dont Hillerman parvient à réunir ses deux enquêteurs « sans diminuer en rien la puissance austère et l’intégrité sobre qui ont distingué les précédentes aventures de la police tribale navajo ». Cette fusion réussie des deux protagonistes s’accompagne d’une maîtrise narrative confirmée, fruit de seize années d’expérience dans le genre policier.

La réception critique s’avère particulièrement élogieuse. Le roman remporte le Prix Anthony 1988 du meilleur roman et le Prix Spur 1987 du meilleur roman western. Greg Herren, pour Reviewing the Evidence, souligne que « le suspense s’intensifie progressivement jusqu’à ce que le lecteur ne puisse s’empêcher de tourner la page », tandis qu’Alicia Karen Elkins, pour Rambles magazine, loue « une écriture vivante et remarquablement descriptive ». Le Publishers Weekly note que le roman « vibre de l’esprit du peuple navajo du Sud-Ouest ». Cette authenticité culturelle, servie par une intrigue policière méticuleusement construite, fait de « Porteurs-de-peau » une œuvre charnière dans la carrière de Hillerman et dans le genre du polar ethnologique.

L’adaptation télévisuelle de 2002, produite par Robert Redford pour PBS Mystery!, avec Wes Studi dans le rôle de Leaphorn et Adam Beach dans celui de Chee, témoigne de la portée durable de l’œuvre. Le chemin vers cette adaptation s’est néanmoins révélé semé d’embûches, comme le confie Redford lui-même : « Je reconnais avoir été surpris par la difficulté de porter les récits de Hillerman à l’écran […] à cause de la perception selon laquelle les Amérindiens ne constituent pas un territoire commercial ».

Aux éditions RIVAGES ; 320 pages.


5. Joe Leaphorn et Jim Chee – Le Voleur de temps (1988)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans les terres arides du Sud-Ouest américain, le lieutenant Joe Leaphorn de la police tribale navajo s’apprête à prendre sa retraite, rongé par le deuil de sa femme Emma. Une dernière affaire le rattrape : la disparition d’Eleanor Friedman-Bernal, une anthropologue spécialiste des céramiques anciennes. La scientifique semblait sur le point de percer un mystère concernant la civilisation Anasazi, mystérieusement évanouie il y a près d’un millénaire.

En parallèle, l’officier Jim Chee enquête sur le vol d’une pelleteuse et d’un semi-remorque. Sur le site du larcin, il découvre deux cadavres – des pilleurs de tombes professionnels. Les deux policiers unissent leurs forces pour démêler une sombre histoire où s’entremêlent universitaires ambitieux et collectionneurs sans scrupules, tous prêts à tuer pour mettre la main sur les précieux vestiges anasazis.

Autour du livre

Huitième opus de la série publié en 1988, « Le Voleur de temps » consacre définitivement l’association des deux enquêteurs de la police tribale navajo, Joe Leaphorn et Jim Chee, après leur première collaboration dans « Porteurs-de-peau ».

L’intrigue se déroule dans la région des Four Corners, à la frontière de l’Utah, de l’Arizona, du Nouveau-Mexique et du Colorado. La disparition d’une anthropologue spécialiste des poteries anasazis et le vol d’engins de chantier servent de catalyseurs à une réflexion sur le pillage des sites archéologiques. Les « voleurs de temps », surnom donné par les Navajos aux pilleurs de tombes, constituent le cœur thématique d’un récit qui interroge les rapports entre passé et présent, entre traditions amérindiennes et société moderne.

Les personnages principaux connaissent une évolution significative. Leaphorn, endeuillé par la perte de sa femme Emma, trouve dans cette enquête un moyen de surmonter sa douleur. Comme le note Kirkus Reviews, si le roman paraît « moins prenant que les meilleurs Hillerman, il demeure sombre, atmosphérique et puissant ». Le Chicago Tribune souligne quant à lui « qu’il transcende sa classification de polar pour devenir une œuvre littéraire raffinée ».

L’érudition ethnologique de Hillerman transparaît dans sa description minutieuse de la civilisation anasazi, mystérieusement disparue vers 1300. Les pétroglyphes, les poteries et la figure mythique de Kokopelli, le joueur de flûte, imprègnent le récit d’une dimension mystique qui transcende le simple cadre policier. La San Juan River et les canyons escarpés constituent plus qu’un simple décor : ils participent pleinement à l’atmosphère du roman.

« Le Voleur de temps » reçoit en 1989 le Prix Macavity du meilleur roman policier. La Crime Writers’ Association le classe à la 69ème place des cent meilleurs romans policiers de tous les temps en 1990. L’association des Mystery Writers of America le positionne à la 53ème place de son propre classement en 1995.

Une adaptation télévisée voit le jour en 2004 sous la direction de Chris Eyre, avec Wes Studi dans le rôle de Leaphorn et Adam Beach dans celui de Chee. Plus récemment, Anne Hillerman, la fille de l’auteur, s’en inspire pour écrire « La Fille de Femme-araignée », prolongeant ainsi l’héritage de son père.

L’opposition entre le milieu universitaire des anthropologues et celui des collectionneurs sans scrupules permet à Hillerman de dresser un tableau critique des rapports entre la société américaine moderne et le patrimoine amérindien. Mark Harris, dans le Chicago Tribune, met en exergue « la sensation de dépouillement, d’espace, de silence, de pauvreté et l’ancienne présence indienne maussade dans ce pays hanté et sauvage où se déroule l’action. »

Aux éditions RIVAGES ; 336 pages.


6. Joe Leaphorn et Jim Chee – Dieu-qui-parle (1989)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Le corps d’un homme est découvert le long d’une voie ferrée en Arizona, sans aucun document d’identité. La police locale et le FBI restent indifférents, mais le lieutenant Joe Leaphorn de la police tribale Navajo décide de mener l’enquête. Le seul indice : un bout de papier mentionnant une cérémonie Yeibichai et le nom d’une femme âgée.

En parallèle, l’officier Jim Chee doit arrêter Henry Highhawk, un agent du musée Smithsonian qui a profané des tombes dans le Nord-Est pour protester contre la conservation d’ossements amérindiens dans les musées. Son avocate, Janet Pete, ancienne amie de Chee, craint d’être suivie. Les deux enquêtes convergent vers Washington où les policiers navajos se retrouvent plongés dans une affaire impliquant des opposants chiliens en exil, un tueur à gages et un complot terroriste au cœur du musée d’histoire naturelle.

Autour du livre

« Dieu-qui-parle » est le neuvième volet des enquêtes de la police tribale navajo. Pour la troisième fois, le lieutenant Joe Leaphorn et l’officier Jim Chee unissent leurs forces, mais dans un contexte inédit qui les arrache à leur territoire habituel. Washington D.C. se substitue aux paysages désertiques du Sud-Ouest américain.

Le déplacement géographique n’est pas anodin. En transposant l’action dans les couloirs feutrés de la Smithsonian Institution, Tony Hillerman interroge les rapports entre les cultures amérindiennes et les institutions fédérales. La question des ossements indiens conservés dans les musées américains cristallise les tensions identitaires et mémorielles. Le personnage d’Henry Highhawk, conservateur métis revendiquant son appartenance navajo, incarne cette problématique à travers son geste provocateur : l’exhumation de cadavres de « Blancs » en réponse à la rétention de milliers de squelettes amérindiens par les musées.

L’utilisation du masque de Yeibichai (Dieu qui parle) comme élément central illustre la manière dont Hillerman intègre les objets sacrés navajos à ses intrigues. Le masque devient un symbole ambivalent, à la fois objet de vénération traditionnelle et instrument potentiel de destruction, cristallisant les tensions entre préservation culturelle et instrumentalisation politique.

La structure narrative innove en entrelaçant trois fils : l’enquête de Leaphorn sur un cadavre non identifié, celle de Chee sur Highhawk, et l’intrigue politique impliquant des opposants chiliens en exil. Le Publishers Weekly note que cette architecture narrative s’avère « quelque peu artificielle », mais salue néanmoins un « polar merveilleusement lisible ». Kirkus Reviews partage ce sentiment mitigé, jugeant l’ouvrage « mineur pour Hillerman » tout en le situant « bien au-dessus de la moyenne de la fiction criminelle ».

La dimension internationale de l’intrigue, inhabituelle dans la série, permet à Hillerman d’établir des parallèles entre différentes formes d’oppression et de résistance culturelle. Le personnage du tueur à gages Leroy Fleck, décrit par la critique comme « un méchant qui ne se voit pas comme tel », ajoute une couche de complexité psychologique au récit. Sa relation tourmentée avec sa mère malade illustre comment les préjugés et la violence se transmettent d’une génération à l’autre.

L’évolution des protagonistes prend du volume. Leaphorn, endeuillé par la mort récente de sa femme Emma, trouve dans l’enquête un exutoire à sa solitude. Chee poursuit sa quête d’équilibre entre tradition et modernité, notamment à travers ses relations amoureuses tumultueuses avec Mary Landon et Janet Pete. Le Chicago Tribune, sous la plume de Jonathan Kellerman, souligne que ces éléments personnels « enrichissent l’histoire sans l’écraser ».

Le Library Journal met en avant trois caractéristiques : « une histoire qui n’aurait aucun sens sans son ancrage solide dans la culture navajo ; un récit qui évolue au rythme du temps réel ; et une intrigue complexe qui requiert les compétences particulières de ses deux détectives ».

Aux éditions RIVAGES ; 336 pages.


7. Joe Leaphorn et Jim Chee – Coyote attend (1990)

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Résumé

Dans les territoires arides des Four Corners, à la frontière de l’Arizona et du Nouveau-Mexique, le policier navajo Delbert Nez traque depuis plusieurs semaines un mystérieux vandale qui barbouille de peinture blanche les reliefs basaltiques. Un soir, alors qu’il pense enfin tenir son homme, il prévient son collègue Jim Chee par radio, mais quand celui-ci arrive sur les lieux, il découvre le corps de Nez, tué par balle dans sa voiture incendiée. Non loin de là, Chee arrête un vieil homme ivre qui murmure en navajo : « Mon fils, j’ai honte ».

Le suspect, Ashie Pinto, n’est pas n’importe qui : c’est un chaman reconnu, un « homme-qui-lit-dans-le-cristal » sollicité par de nombreux universitaires pour sa connaissance des traditions. Tandis que le FBI considère l’affaire classée, deux policiers mènent l’enquête en parallèle : Jim Chee, rongé par la culpabilité de n’avoir pas secouru son collègue à temps, et le lieutenant Joe Leaphorn, intrigué par les incohérences du dossier. Leurs investigations les conduisent vers une histoire oubliée : celle du dernier braquage de Butch Cassidy en 1909.

Autour du livre

Dixième volet des enquêtes de la police tribale navajo, « Coyote attend » (1990) prend racine dans la mort d’un policier, Delbert Nez, retrouvé carbonisé dans sa voiture de patrouille après avoir été abattu d’une balle. Les deux protagonistes, Joe Leaphorn et Jim Chee, s’attellent à l’enquête selon des chemins distincts et avec des motivations profondément personnelles. Chee, rongé par la culpabilité de n’avoir pas secouru son collègue à temps, cherche à comprendre les circonstances exactes du drame. Leaphorn, lui, s’implique par devoir envers le clan de sa défunte épouse Emma, sollicité par la famille du suspect.

Le New York Times, sous la plume de Robert Gish, souligne la maîtrise avec laquelle Hillerman développe son intrigue : « Les récompenses dans ce croisement entre roman policier et western incluent d’amples descriptions régionales d’Albuquerque, du nord du Nouveau-Mexique et de la réserve Navajo, ainsi que des mythes indiens et de la vilenie. L’auteur continue à prouver qu’il est l’un des interprètes les plus convaincants et authentiques de la culture Navajo. »

Le titre même du roman porte une signification profonde dans la cosmogonie navajo. Coyote n’est pas simplement un animal ou une figure mythologique, mais incarne le chaos qui menace perpétuellement l’harmonie – le hozho – si chère aux Navajos. Cette figure du trickster, souvent édulcorée dans les contes modernes, retrouve ici sa dimension inquiétante originelle : « Coyote est toujours là, dehors, à attendre, et Coyote a toujours faim. »

L’université et ses chercheurs occupent une place centrale dans le récit. Hillerman dépeint avec acuité les tensions qui traversent le milieu académique, où la quête de reconnaissance peut primer sur l’éthique scientifique. Le personnage d’Ashie Pinto cristallise ces enjeux : source précieuse pour les anthropologues, il devient le point focal d’une enquête qui mêle histoire ancienne et convoitises modernes. L’anthropologue Louisa Bourebonette fait d’ailleurs sa première apparition dans ce volume, préfigurant son rôle important dans les romans ultérieurs aux côtés de Joe Leaphorn.

Entertainment Weekly note que si « Coyote attend » présente « l’une des intrigues les moins dramatiques de la série », il demeure « un travail solide d’un artisan incorruptible ». Le Chicago Tribune met en avant la capacité de Hillerman à créer des « personnages convaincants dans un cadre fascinant », permettant aux lecteurs de sentir qu’ils « ne lisent pas seulement une bonne histoire mais apprennent aussi beaucoup sur la culture amérindienne. » Le roman reçoit le Prix Nero en 1991, une distinction qui n’avait pas été attribuée depuis 1987.

PBS adapte « Coyote attend » en téléfilm en 2003, avec Adam Beach dans le rôle de Jim Chee et Wes Studi incarnant Joe Leaphorn. Cette adaptation, diffusée dans le cadre de la série Mystery!, transpose à l’écran l’atmosphère si particulière des Four Corners, cette région où se rejoignent l’Arizona, le Nouveau-Mexique, l’Utah et le Colorado.

Aux éditions RIVAGES ; 336 pages.


8. Joe Leaphorn et Jim Chee – Les Clowns sacrés (1993)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Le duo d’enquêteurs navajos formé par le lieutenant Joe Leaphorn et l’officier Jim Chee se retrouve confronté à une série de crimes énigmatiques. Tout commence avec le meurtre d’Eric Dorsey, un professeur d’atelier respecté de l’école Saint-Bonaventure. L’affaire se corse quand un second homme, Francis Sayesva, est tué pendant qu’il officie comme « koshare » (clown sacré) lors d’une cérémonie au pueblo de Tano.

Nouvellement affecté à l’unité spéciale dirigée par Leaphorn, Chee navigue entre plusieurs dossiers : la recherche d’un jeune fugueur, un délit de fuite et ces deux meurtres qui partagent d’étranges similitudes. Au fil de l’enquête se dessine une histoire de canne cérémonielle, sur fond de tensions politiques et environnementales dans la réserve.

Autour du livre

Onzième volet de la série mettant en scène Joe Leaphorn et Jim Chee, « Les Clowns sacrés » marque en 1993 le grand retour de Tony Hillerman après trois années de silence. Cette interruption, comme il l’explique lors d’une interview accordée à Recorded Books en septembre 1993, trouve son origine dans deux événements personnels : le décès de son frère et sa propre bataille contre le cancer.

La particularité première de ce nouvel opus réside dans l’évolution significative de la dynamique entre les deux protagonistes. Pour la première fois, Jim Chee se retrouve directement sous les ordres de Joe Leaphorn au sein d’une nouvelle unité d’enquêtes spéciales. Cette configuration inédite permet à Hillerman d’approfondir la relation entre ces deux hommes que tout semble opposer : d’un côté Leaphorn, méthodique et cartésien ; de l’autre Chee, impulsif et profondément ancré dans les traditions navajos.

En choisissant de situer une partie de l’action dans le pueblo fictif de Tano, Hillerman prend ses distances avec sa pratique habituelle consistant à ancrer ses récits dans des lieux réels. Ce choix délibéré s’explique par son souci de respecter le caractère sacré et secret des cérémonies pueblos. Dans une interview, il souligne : « Ils sont très discrets sur leur culture, alors j’ai inventé un pueblo pour le roman. » Le cadre géographique s’étend sur soixante-sept lieux réels et fictifs, principalement situés dans la région des Four Corners, cette zone où se rejoignent les frontières de quatre États américains.

La dimension anthropologique atteint ici une nouvelle profondeur en confrontant trois visions amérindiennes distinctes : navajo, hopi et cheyenne. Cette multiplicité des points de vue se cristallise notamment dans une scène remarquable au drive-in, lors de la projection du film « Les Cheyennes » de John Ford. Les personnages découvrent que les figurants « cheyennes » sont en réalité des Navajos qui improvisent des blagues grivoises dans leur langue, créant un décalage savoureux entre le drame à l’écran et l’hilarité du public local.

Hillerman y aborde également des thématiques contemporaines comme le trafic d’objets sacrés amérindiens et la gestion des déchets toxiques sur les terres tribales. Une attention particulière doit être portée aux cannes sacrées, ces objets historiques offerts par le président Abraham Lincoln à dix-neuf tribus Pueblos en reconnaissance de leur neutralité durant la Guerre de Sécession. Ces cannes d’ébène à tête d’argent, qui jouent un rôle central dans l’intrigue, s’inscrivent dans une tradition remontant à l’époque espagnole, comme en attestent les photographies conservées à la Smithsonian Institution montrant des gouverneurs tribaux posant avec leurs cannes.

Le New York Times, sous la plume de Verlyn Klinkenbery, porte un regard mitigé sur l’ouvrage qu’il qualifie de « polar le plus terne de Hillerman ». Il critique notamment une certaine prudence anthropologique qui empêcherait le romancier d’aborder avec légèreté ou irrévérence les relations entre Blancs et Indiens. Le Chicago Tribune, par la voix de Dick Adler, offre une lecture radicalement différente, saluant la capacité de Hillerman à maintenir ses hauts standards : « Chaque fois que je prends un nouveau Hillerman, je me demande si c’est celui qui va décevoir. Eh bien, ce n’est pas encore arrivé. » Publishers Weekly met en avant la résolution « gratifiante » de l’intrigue, tandis que Kirkus Reviews salue « un des récits les plus subtilement construits » de l’auteur. « Les Clowns sacrés » sera d’ailleurs nommé pour le Prix Anthony du meilleur roman en 1994.

Aux éditions RIVAGES ; 368 pages.

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