Edith Wharton naît le 24 janvier 1862 à New York dans une famille de la haute société. Dès son plus jeune âge, elle voyage beaucoup en Europe avec sa famille et devient parfaitement polyglotte, maîtrisant le français, l’allemand et l’italien. Passionnée de littérature malgré les réticences de sa mère qui lui interdit la lecture de romans, la jeune Edith commence à écrire très tôt des poèmes et des nouvelles.
En 1885, elle épouse Edward Wharton, un homme de douze ans son aîné avec qui elle ne partage que peu d’intérêts intellectuels. Le couple voyage beaucoup mais leur mariage se révèle malheureux et ils divorcent en 1913. Entre-temps, Edith Wharton s’est lancée dans l’écriture, publiant son premier ouvrage important en 1897, « The Decoration of Houses ».
Sa carrière littéraire prend véritablement son envol avec la publication de « Chez les heureux du monde » en 1905. S’installant à Paris en 1907, elle fréquente les cercles littéraires et devient l’amie d’écrivains comme Henry James. Pendant la Première Guerre mondiale, elle s’engage activement dans l’aide aux réfugiés et est décorée de la Légion d’honneur pour ses actions.
En 1920, elle publie « Le Temps de l’innocence » qui lui vaut le prix Pulitzer, la première femme à recevoir cette distinction. Elle continue à beaucoup écrire, produisant romans, nouvelles et essais, tout en partageant sa vie entre Paris et sa villa de Saint-Brice-sous-Forêt. Observatrice acérée de la société de son temps, elle excelle particulièrement dans la description des mœurs de la haute société new-yorkaise.
Edith Wharton s’éteint le 11 août 1937 à Saint-Brice-sous-Forêt, laissant derrière elle une œuvre considérable qui comprend quinze romans, sept nouvelles longues et quatre-vingt-cinq nouvelles courtes, sans compter ses poèmes et ses essais. Elle est enterrée au cimetière des Gonards à Versailles, honorée comme héroïne de guerre et chevalier de la Légion d’honneur.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Ethan Frome (1911)
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Résumé
Starkfield, village du Massachusetts, fin du XIXe. Ethan Frome y survit comme il peut, entre une épouse tyrannique et souffreteuse, Zeena, et une scierie au bord de la faillite. Son salut a un nom : Mattie, la jeune cousine de Zeena, embauchée comme aide à domicile. Gracieuse, enjouée, elle illumine le quotidien d’Ethan. Bientôt, un amour inavouable naît entre eux.
Mais ce semblant de bonheur apparent déplaît à Zeena qui, dévorée de jalousie, manigance pour éloigner Mattie. La tension est à son comble. Ethan, déchiré, se retrouve face à un dilemme insoluble. Fuir avec Mattie ou sacrifier cet amour naissant et rester prisonnier de cette vie conjugale étouffante ?
Autour du livre
À l’origine, « Ethan Frome » naît d’un exercice de composition en français qu’Edith Wharton rédige lors de ses études à Paris. Cette première ébauche se transforme plus tard en un roman complet, nourri par les dix années que l’autrice passe dans sa demeure de The Mount, à Lenox dans le Massachusetts. Cette immersion prolongée dans la région forge sa perception aiguë de la culture et des traditions de la Nouvelle-Angleterre.
Le roman s’inspire d’un fait divers tragique survenu à Lenox en 1904 : cinq jeunes gens, quatre filles et un garçon, percutent un lampadaire en descendant la Colline du palais de justice en luge. L’une des victimes, Emily Hazel Crosby, perd la vie dans l’accident. Une autre rescapée, Kate Spencer, blessée à la hanche et au visage, se lie d’amitié avec Wharton à la bibliothèque de Lenox et lui raconte l’événement. Cette terrible collision devient la métaphore centrale du roman, symbolisant les conséquences dévastatrices d’une passion interdite.
Chaque jour, pendant la rédaction, Wharton lit des passages du manuscrit à son ami Walter Berry, avocat en droit international. Cette collaboration étroite témoigne du soin méticuleux apporté à l’élaboration de l’œuvre. Le New York Times salue « une histoire irrésistible et envoûtante », mais le critique Lionel Trilling pointe l’absence de lien entre la vie morale des personnages et leur destin tragique.
Elizabeth Ammons propose une lecture féministe de « Ethan Frome », y décelant une critique sociale acerbe des conditions de vie imposées aux femmes à cette époque. Pour elle, la paralysie finale de Mattie illustre la cruauté d’une société qui condamne les femmes à l’isolement et à la dépendance. Cette interprétation dépasse la simple tragédie amoureuse pour révéler une dénonciation plus profonde des structures sociales oppressives.
L’environnement hivernal de Starkfield joue un rôle prépondérant dans la narration. La rudesse du climat et l’austérité du paysage reflètent le stoïcisme des habitants, créant un lien indissociable entre la terre et ses occupants. Cette approche naturaliste fait de l’environnement un acteur majeur dans le destin des personnages.
« Ethan Frome » connaît plusieurs adaptations, notamment au cinéma en 1993 sous la direction de John Madden, avec Liam Neeson et Patricia Arquette dans les rôles principaux. Plus récemment, en 2018, Cathy Marston transpose l’histoire en ballet intitulé Snowblind pour le San Francisco Ballet, avec Ulrik Birkkjaer, Sarah Van Patten et Mathilde Froustey dans les rôles principaux.
Aux éditions P.O.L ; 224 pages.
2. Chez les heureux du monde (1905)
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Résumé
États-Unis, 1900. Orpheline de bonne famille mais sans le sou, Lily Bart doit impérativement faire un mariage rentable. À presque 30 ans, la pression monte. Dans l’univers aussi opulent qu’étouffant de la bourgeoisie new-yorkaise, les occasions ne manquent pas pour cette jeune femme à la beauté éblouissante.
Pourtant, quelque chose coince. Une conscience aiguë des conventions, une quête d’absolu mal définie, poussent Lily à saboter ses chances. Partagée entre Lawrence Selden, un homme intègre qui éveille ses sentiments, et la tentation du luxe, elle commet impair sur impair. Bientôt, les langues se délient. Sa réputation vacille.
Autour du livre
À sa parution en 1905, « Chez les heureux du monde » marque un tournant décisif dans la carrière d’Edith Wharton. Le succès commercial immédiat se traduit par des ventes record : 140 000 exemplaires s’écoulent avant la fin de l’année, un chiffre sans précédent pour les éditions Scribner. Les droits d’auteur générés équivalent aujourd’hui à plus d’un demi-million de dollars.
Avant sa publication en volume, l’œuvre paraît en feuilleton dans le Scribner’s Magazine dès janvier 1905. Cette sérialisation influence la structure narrative, marquée par une progression linéaire particulièrement adaptée à ce format. Le roman se divise en deux livres distincts : le premier suit la quête matrimoniale de l’héroïne tandis que le second dépeint son inexorable descente sociale.
Le choix du titre final résulte d’une longue réflexion. Wharton hésite d’abord entre « The Year of the Rose », en référence à la beauté florale de son personnage principal, et « A Moment’s Ornament », extrait d’un poème de Wordsworth décrivant un idéal de beauté féminine. Elle opte finalement pour « The House of Mirth » d’après une citation de L’Ecclésiaste : « Le cœur des sages est dans la maison du deuil, le cœur des insensés dans la maison de la joie. »
À travers le destin tragique de Lily Bart, Wharton dresse un réquisitoire contre la haute société new-yorkaise des années 1890. Cette période charnière voit l’émergence d’une nouvelle élite fortunée qui s’immisce dans les cercles fermés de l’aristocratie traditionnelle. Elle y dévoile les mécanismes implacables d’un milieu où l’argent règne en maître absolu.
La réception critique contemporaine salue la puissance du récit. Le New York Times souligne notamment la véracité des descriptions et la présence salvatrice de l’humour. Des débats passionnés s’ensuivent dans le courrier des lecteurs, certains louant la fidélité du portrait social tandis que d’autres dénoncent une vision trop critique de l’élite new-yorkaise.
« Chez les heureux du monde » connaît de multiples adaptations : théâtre dès 1906, cinéma muet en 1918, radio en 1952, télévision en 1981, et grand écran en 2000 avec Gillian Anderson dans le rôle de Lily Bart. Plus récemment, en 2018, le compositeur Garth Baxter en tire un opéra en deux actes intitulé « Lily ».
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 448 pages.
3. Le Temps de l’innocence (1920)
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Résumé
Fin du XIXe siècle, New York. Newland Archer a tout pour être heureux : il est jeune, riche, bien né et sur le point d’épouser la douce May Welland. Leur mariage semble une évidence. Mais l’arrivée de la comtesse Ellen Olenska, cousine de May à l’aura trouble, remet tout en question. Archer se retrouve écartelé entre les attentes de son milieu et la passion naissante qu’il éprouve pour l’anticonformiste Ellen. Il devra trancher : se plier aux conventions et honorer son engagement auprès de May ou succomber à ses sentiments au risque d’être rejeté.
Autour du livre
En 1920, Edith Wharton achève en sept mois seulement « Le Temps de l’innocence », une œuvre qui s’inscrit dans la lignée thématique de ses précédents romans, notamment « Chez les heureux du monde » (1905). Le titre s’inspire du tableau du peintre anglais Joshua Reynolds représentant une petite fille, initialement intitulé « Little Girl » avant d’être rebaptisé « The Age of Innocence » par le graveur Joseph Grozer en 1794.
« Le Temps de l’innocence » prend sa source dans les souvenirs d’enfance de la romancière au sein de l’aristocratie new-yorkaise, un milieu qu’elle connaît intimement. La période d’écriture coïncide avec la fin de la Première Guerre mondiale, moment charnière où Wharton perçoit la disparition définitive de ce monde qui l’a façonnée. Cette conscience aiguë d’une époque révolue teinte le roman d’une certaine mélancolie.
Les personnages se nourrissent largement de l’entourage familial et amical de Wharton. Sa propre mère, Lucretia, inspire plusieurs figures féminines : Louisa van der Luyden, Mrs Welland et Mrs Archer portent chacune certains de ses traits. Le personnage de Julius Beaufort emprunte quant à lui au financier August Belmont, jusqu’à la mention de sa « voiture jaune canari » qui fit sensation lors de la publication. La figure de Mrs Mingott, grand-mère d’Ellen et May, s’inspire directement de Mary Mason Jones, grand-tante de l’autrice.
L’ironie du titre contraste avec la façade policée de cette société et ses machinations internes. Cette dualité imprègne l’ensemble de l’œuvre, qui dépeint une classe sociale prisonnière de ses propres conventions. Les inégalités entre hommes et femmes y transparaissent nettement : tandis que les premiers jouissent d’une relative liberté, les secondes se voient enseigner dès leur plus jeune âge les règles strictes qui régiront leur existence.
La publication connaît un succès immédiat. Initialement paru en feuilleton dans le Pictorial Review entre juillet et octobre 1920, puis édité par D. Appleton and Company à New York et Londres, le roman se vend à 115 000 exemplaires dès la première année aux États-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne. Le Times Book Review salue « un brillant panorama de New York d’il y a 45 ans ».
En 1921, l’attribution du Prix Pulitzer à Wharton fait d’elle la première femme lauréate. Cette distinction s’accompagne toutefois d’une controverse : le jury avait initialement choisi « Main Street » de Sinclair Lewis, avant de se raviser pour des motifs politiques. Wharton, en désaccord avec l’idée que le prix récompense « l’élévation de la morale américaine », refuse d’assister à la cérémonie.
« Le Temps de l’innocence » inspire rapidement plusieurs adaptations. Dès 1924, Wesley Ruggles en tire un film muet avec Beverly Bayne et Elliott Dexter. En 1928, Margaret Ayer Barnes l’adapte pour Broadway, dans une production mettant en scène Katharine Cornell. Une nouvelle version cinématographique voit le jour en 1934, réalisée par Philip Moeller avec Irene Dunne. La plus célèbre adaptation reste celle de Martin Scorsese en 1993, avec Michelle Pfeiffer, Daniel Day-Lewis et Winona Ryder, qui remporte l’Oscar des meilleurs costumes.
La réception critique évolue au fil des décennies. Les premiers retours soulignent la maîtrise technique de Wharton et son art de l’ironie. Les lectures plus récentes mettent l’accent sur le traitement des questions d’argent et de classe sociale. L’interprétation des personnages féminins se transforme également : May Welland, d’abord perçue comme une héroïne préservant son mariage, apparaît désormais sous un jour plus manipulateur. Ellen Olenska, initialement vue comme une tentatrice égocentrique, incarne maintenant une femme indépendante en avance sur son temps.
Aux éditions FLAMMARION ; 320 pages.
4. Les boucanières (1938)
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Résumé
Amérique, années 1870. Nan, Conchita, Lizzy, Jinny et Mabel, cinq jeunes filles de la bourgeoisie, se morfondent, tenues à l’écart des cercles fermés de l’aristocratie new-yorkaise. Qu’à cela ne tienne ! Flanquées de Miss Testvalley, leur fine mouche de gouvernante, les voilà qui mettent le cap sur l’Angleterre, terre promise des ambitieuses en quête de titres. La rencontre explosive entre ces flamboyantes Américaines, pétries d’idéaux démocratiques et de soif de liberté, et la gentry britannique corsetée, accrochée à son cadre suranné, risque de faire des étincelles.
Autour du livre
« Les boucanières », dernier roman d’Edith Wharton, reste inachevé à sa mort en 1937 et est publié dans cet état en 1938. L’interruption survient au moment où Lizzy invite Nan à une fête à laquelle Guy Thwaite est également convié.
La question de l’inachèvement suscite de vifs débats dans la presse de l’époque. Certains critiques s’interrogent sur la pertinence de sa publication, tandis que d’autres, comme May Lamberton Becker, le considèrent comme l’un des meilleurs ouvrages de Wharton et de son époque. Le magazine Time souligne en 1938 que la mort a interrompu ce qui aurait pu devenir son chef-d’œuvre.
En 1993, Marion Mainwaring, spécialiste de Wharton, entreprend d’achever le roman en s’appuyant sur les notes laissées par l’écrivaine. Cette initiative déclenche une nouvelle controverse. John Updike, dans The New Yorker, déplore l’absence de distinction typographique entre les ajouts de Mainwaring et le texte original. Andrew Delbanco, dans The New Republic, va jusqu’à qualifier cette tentative de « nécrophilie littéraire ». Katherine A. Powers, dans le Boston Globe, note que si certains passages montrent « Wharton au meilleur de sa forme », les additions de Mainwaring font perdre à la narration sa « tension ironique ».
La critique sociale imprègne chaque page du texte. Le titre même, « The Buccaneers », porte une charge ironique : ces jeunes femmes américaines, fortes de leurs richesses, partent « à l’abordage » de l’Europe pour s’approprier œuvres d’art et alliances nobiliaires, tels des pirates. À travers leur quête d’un statut social, Wharton dissèque les conventions et met en lumière la condition féminine dans une société patriarcale où le mariage représente souvent une forme d’emprisonnement.
Le personnage de Laura Testvalley, gouvernante d’origine italo-anglaise et cousine de Dante Gabriel Rossetti, incarne une forme de résistance à ces conventions. Figure éclairée et indépendante, elle guide sa pupille Nan dans les méandres d’une société où seuls l’arrogance ou un solide sens de l’humour permettent de survivre.
Deux adaptations télévisuelles voient le jour : une mini-série BBC en 1995, qui suscite la controverse pour son traitement jugé trop « hollywoodien », et une série Apple TV+ en 2023. La première adaptation fait l’objet de vives critiques, notamment pour sa fin jugée peu fidèle à l’esprit de Wharton, dont les romans se caractérisent habituellement par des conclusions sobres et réalistes.
Aux éditions POINTS ; 528 pages.
5. Les beaux mariages (1913)
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Résumé
Ondine Spragg a soif de conquêtes. Sublime jeune femme fraîchement débarquée à New York avec ses parents, elle n’a qu’une idée en tête : devenir la reine de la haute société. Nous sommes au début du XXe siècle et dans ce microcosme régi par les codes, la belle arriviste compte bien tirer son épingle du jeu.
Mariages arrangés, divorces retentissants, dépenses extravagantes… Aucun obstacle ne résiste à la volonté de fer d’Ondine, prête à toutes les manipulations pour assouvir ses ambitions. Car sous ses airs d’ingénue se cache un esprit affûté, avide de pouvoir et de reconnaissance.
Autour du livre
À travers le prisme de la haute société new-yorkaise du début du XXe siècle, « Les beaux mariages » dépeint l’ascension sociale implacable d’Undine Spragg, personnage dont l’ambition dévorante n’a d’égal que son égoïsme absolu. Publié en 1913, ce roman s’inscrit dans une période charnière de la vie d’Edith Wharton, alors en pleine procédure de divorce – expérience qui teinte indéniablement sa perception acérée des conventions sociales et du mariage.
La protagoniste incarne une nouvelle Amérique en pleine mutation, où l’argent supplante progressivement les valeurs traditionnelles. Son prénom même porte une ironie mordante : baptisée d’après une marque de fer à friser (« UNdoolay »), Undine illustre la superficialité d’une société consumériste naissante. Sa beauté « presque crue » devient une arme redoutable dans sa quête effrénée de reconnaissance sociale.
« Les beaux mariages » frappe par son portrait sans concession d’une anti-héroïne que Julian Fellowes place au même rang que Becky Sharp ou Scarlett O’Hara. Contrairement à ces dernières cependant, Undine ne possède aucune qualité rédemptrice : sa froideur envers son fils Paul et son indifférence face au suicide de Ralph Marvell la situent dans une dimension presque inhumaine de l’ambition.
L’antagonisme entre l’ancienne aristocratie new-yorkaise et les nouveaux riches traverse l’œuvre. Le personnage de Raymond de Chelles formule cette opposition avec une acidité particulière : « Vous venez d’hôtels grands comme des villes, et de villes fragiles comme du papier, où les rues n’ont pas eu le temps d’être nommées ». Cette critique de l’Amérique moderne résonne étonnamment avec nos préoccupations contemporaines sur la perte des valeurs traditionnelles.
Ce récit se distingue des autres romans majeurs de Wharton (« Chez les heureux du monde », « Le Temps de l’innocence ») par son ton plus acerbe. Là où ces derniers enrobent leurs critiques sociales dans la beauté du style, « Les beaux mariages » dissèque sans merci les travers d’une époque. Le titre original lui-même, « The Custom of the Country », provient d’une pièce de Fletcher et Massinger faisant référence au droit de cuissage – métaphore cinglante des privilèges que s’arroge la nouvelle élite américaine. Wharton jongle habilement entre satire sociale et tragédie. Margaret Drabble souligne justement que « Les beaux mariages » compte parmi « les plus plaisants grands romans jamais écrits ». La tension permanente entre le comique des situations et la noirceur des événements crée un malaise délibéré chez le lecteur.
Julian Fellowes avoue s’en être inspiré pour « Downton Abbey ». Une adaptation en mini-série par Sofia Coppola avec Florence Pugh était prévue, avant qu’Apple ne retire son financement en 2024.
Aux éditions LES BELLES LETTRES ; 576 pages.
6. Été (1917)
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Résumé
Été 1917, dans un village reculé de Nouvelle-Angleterre. Charity Royall y mène une vie morne, partagée entre un emploi de bibliothécaire qui l’assomme et la présence écrasante de son tuteur, l’avocat Royall. Cette jeune orpheline, recueillie enfant dans la Montagne – un lieu de pauvreté extrême – rêve d’une existence plus exaltante.
Sa rencontre avec Lucius Harney, un architecte cultivé, change tout. Entre eux naît une passion ardente qui s’épanouit au rythme de balades champêtres et de moments volés. Mais leur liaison se heurte aux ragots et au poids des conventions dans cette communauté étriquée.
Autour du livre
Publié en 1917, « Été » se démarque singulièrement dans l’œuvre d’Edith Wharton. Contrairement à ses romans habituels qui dépeignent l’aristocratie new-yorkaise, l’action se déroule dans une petite ville rurale de Nouvelle-Angleterre. Cette incursion dans un milieu modeste, que l’autrice ne reproduira qu’une seule autre fois avec « Ethan Frome », lui permet d’aborder des thèmes alors controversés comme l’éveil sexuel féminin, la grossesse hors mariage et l’avortement.
Le roman provoque d’ailleurs un scandale à sa sortie. Les bibliothèques des Berkshires, notamment celles de Lenox et Pittsfield, le bannissent de leurs rayons malgré le statut d’administratrice qu’y occupe Wharton. Cette censure pousse la romancière à s’exiler en France.
L’originalité de « Été » réside dans son traitement de la sexualité féminine, sujet encore tabou en 1917. Sans jamais verser dans l’explicite – les relations charnelles sont suggérées par des métaphores comme « la longue flamme qui la brûle de la tête aux pieds » – Wharton aborde frontalement le désir et ses conséquences. La visite de Charity chez une avorteuse illustre avec une franchise inédite pour l’époque les options limitées qui s’offrent aux femmes enceintes hors mariage.
Le roman constitue aussi une réflexion sur le déterminisme social. L’opposition entre la « Montagne » d’où vient Charity et la petite ville de North Dormer symbolise la rigidité des classes sociales. Malgré son adoption par un notable, l’héroïne reste prisonnière de ses origines modestes qui la condamnent à un destin tracé d’avance.
Elizabeth Strout qualifie « Été » de « roman le plus déchirant de Wharton sur les véritables agonies et conséquences de la passion juvénile ». L’autrice elle-même le considérait comme l’un de ses favoris, le surnommant affectueusement « The Hot Ethan » en référence à « Ethan Frome ». Si ce dernier reste plus célèbre, « Été » offre une fin moins sombre : le mariage final de Charity avec son tuteur, bien que conventionnel, laisse entrevoir une possible rédemption.
Longtemps éclipsé par les œuvres majeures de Wharton comme « Le Temps de l’innocence », « Été » connaît une renaissance critique dans les années 1960. Les lecteurs modernes y découvrent une œuvre étonnamment actuelle dans son traitement des questions de genre et de classe sociale.
Aux éditions 10/18 ; 240 pages.
7. Les New-Yorkaises (1927)
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Résumé
Nous sommes à New York dans les années folles. Edith Wharton dissèque la haute société à travers le portrait au vitriol de Pauline Manford, une riche oisive dont les journées s’égrènent dans une ronde étourdissante d’engagements, de thés mondains, de conférences et de rendez-vous avec la fine fleur des guérisseurs en vogue. Sa vie est une fuite en avant.
Nona, sa fille, se débat dans les affres d’un amour impossible. Révoltée, elle promène un regard désabusé sur ce monde futile. Lita, la belle-fille frivole de Pauline, étouffe dans son mariage avec Jim, le fils issu du premier lit. Elle aspire à une existence plus trépidante. Entre tentation de l’adultère et velléités de divorce, son inconséquence trouble les eaux dormantes de la respectabilité familiale. Pauline panique à l’idée du scandale. Jusqu’à l’explosion.
Autour du livre
L’année 1927 marque un tournant dans la carrière d’Edith Wharton avec « Les New-Yorkaises ». D’abord publié en feuilleton dans le Pictorial Review de février à mai, ce roman satirique se hisse rapidement en tête des ventes aux États-Unis. Le succès commercial ne suffit pourtant pas à convaincre la critique de l’époque, qui peine à reconnaître dans cette œuvre la plume acérée de l’autrice d’ « Ethan Frome » et de « Chez les heureux du monde ».
Le titre original, « Twilight Sleep », fait référence à une technique médicale en vogue dans les années 1920 : un mélange de scopolamine et de morphine administré aux parturientes pour leur faire oublier les douleurs de l’accouchement. Cette pratique se mue en métaphore de la société américaine de l’époque, où chacun cherche à fuir la souffrance par des moyens artificiels.
Au cœur de cette satire sociale se trouve Pauline Manford, figure emblématique de la haute société new-yorkaise des années folles. Son agenda surchargé illustre l’obsession moderne pour l’efficacité et l’organisation scientifique, héritée des théories de Frederick Taylor sur le management. Les séances de méditation, les consultations avec des gourous à la mode et les innombrables comités caritatifs remplissent ses journées, sans jamais combler le vide existentiel qui la ronge.
Le roman résonne particulièrement avec « Le meilleur des mondes » d’Aldous Huxley, publié quelques années plus tard. Les deux œuvres partagent une même critique féroce de la modernité et de ses illusions. Huxley lui-même reconnaît sa dette envers Wharton, saluant dans « Les New-Yorkaises » une « description cruellement vraie du présent » plutôt qu’une simple dystopie futuriste.
La dimension moderniste du texte, longtemps négligée, apparaît aujourd’hui comme l’une de ses forces majeures. La narration fragmentée, qui passe d’un personnage à l’autre, reflète la désarticulation d’une société en pleine mutation. Cette technique narrative, que Wharton emploie paradoxalement alors même qu’elle critique Virginia Woolf, traduit les bouleversements d’une époque où les repères traditionnels s’effondrent.
Wharton y aborde des thèmes étonnamment actuels : l’obsession pour l’image corporelle, la quête effrénée du bonheur par des moyens artificiels, la dissolution des liens familiaux. La figure de Lita Wyant, stéréotype de la flapper des années 20, incarne cette modernité inquiétante où le culte de soi prime sur toute autre considération. « Les New-Yorkaises » s’inscrit ainsi dans la généalogie des grands romans critiques de la modernité américaine.
Aux éditions J’AI LU ; 320 pages.
8. La splendeur des Lansing (1922)
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Résumé
Susy Branch et Nick Lansing, couple new-yorkais brillant mais sans le sou, gravitent avec aisance dans les cercles huppés du début du XXe siècle. Pour soutenir leur mode de vie, ils s’appuient sur la prodigalité de leurs relations fortunées, non sans contreparties ambiguës.
Lassés de ces compromissions, ils s’engagent dans un arrangement aussi pragmatique qu’audacieux : s’unir pour un an, jouir des cadeaux somptueux de mariage, puis se séparer afin de trouver chacun un conjoint nanti. Mais cette alliance intéressée se fissure peu à peu, confrontée aux tourments de la conscience et aux élans du cœur.
Autour du livre
Publié en 1922, « La splendeur des Lansing » marque un virage dans l’œuvre d’Edith Wharton : elle y insuffle une légèreté inhabituelle, transformant les thèmes tragiques de « Chez les heureux du monde » en une comédie de mœurs teintée d’ironie.
L’intrigue s’inscrit dans l’effervescence des Années folles, où le mariage devient une institution plus souple, le divorce une option acceptable. Cette modernité naissante permet à Wharton d’imaginer un pacte conjugal insolite entre ses protagonistes. Le roman connaît un succès commercial considérable, avec plus de 100 000 exemplaires vendus en six mois aux États-Unis et en Grande-Bretagne, rapportant à l’autrice 60 000 dollars de droits et redevances.
La genèse du texte s’étale sur plusieurs années : entamé en 1916, le manuscrit est mis de côté en 1919 pendant la rédaction du « Temps de l’innocence », avant d’être achevé en septembre 1921. Le roman paraît d’abord en feuilleton dans The Pictorial Review avant sa publication par Appleton en août 1922.
Les personnages principaux incarnent une nouvelle génération d’Américains expatriés, précurseurs des héros de Fitzgerald. Nick et Susy évoluent dans un monde où l’argent dicte les codes sociaux mais où percent des aspirations modernes. Cette dimension préfigure « Gatsby le Magnifique », comme le soulignent plusieurs critiques littéraires.
Le titre original, « The Glimpses of the Moon », provient d’une réplique d’Hamlet (acte I, scène IV), établissant d’emblée une tension entre apparences et réalité qui structure l’ensemble du récit. Cette dualité se reflète jusque dans l’écriture, où le cynisme caractéristique de Wharton se teinte d’une ironie plus légère.
La romancière interroge la nature même du sentiment amoureux dans une société matérialiste. Comme l’observe Jessie Gaynor dans sa critique d’octobre 2023, même en écrivant une romance d’évasion, Wharton reste fidèle à son regard acéré sur les mœurs des nantis. Son roman devient ainsi un exercice d’équilibriste entre la critique sociale et les codes du genre romantique.
« La splendeur des Lansing » a connu deux adaptations : un film muet en 1923, aujourd’hui perdu, dont les intertitres furent rédigés par F. Scott Fitzgerald lui-même, et une comédie musicale en 2010. Un nouveau projet d’adaptation cinématographique par Francis Ford Coppola serait en gestation.
Aux éditions J’AI LU ; 316 pages.