Né le 27 avril 1949 à Saint-Denis, Didier Daeninckx grandit dans une famille modeste aux traditions militantes. Son arrière-grand-père belge déserte l’armée en 1884, tandis que son grand-père paternel fait de même en 1917. Son grand-père maternel devient maire communiste de Stains en 1935. Cette histoire familiale, entre anarchisme et communisme, marque profondément le futur écrivain.
À seize ans, après des études au lycée technique Le Corbusier, il commence à travailler comme ouvrier imprimeur. Il exerce ensuite les métiers d’animateur culturel et de journaliste localier, découvrant dans les faits divers une matière qui nourrira son œuvre. C’est pendant une période de chômage qu’il écrit son premier roman, « Mort au premier tour » (1982), qui passe inaperçu. La consécration arrive avec « Meurtres pour mémoire » (1983), qui aborde le massacre des Algériens à Paris en 1961.
Écrivain engagé, Daeninckx place au cœur de ses fictions la critique sociale et politique, évoquant les zones d’ombre de l’histoire française : la collaboration, les fusillés pour l’exemple de 14-18, les « zoos humains » de l’époque coloniale. Son œuvre, qui compte romans, nouvelles, livres pour la jeunesse et bandes dessinées, reçoit de nombreuses distinctions, dont le Grand prix de littérature policière et le Prix Goncourt de la nouvelle.
Militant communiste dans sa jeunesse, il quitte le PCF en 1981 et s’engage dans la lutte antiraciste. Il continue aujourd’hui de mener des combats, notamment contre le négationnisme, à travers une œuvre qui mêle enquête policière et devoir de mémoire.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Cannibale (roman historique, 1998)
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Résumé
Dans les années 1990, alors que la Nouvelle-Calédonie est secouée par des troubles indépendantistes, Gocéné, 75 ans, se rend à sa tribu de Tendo accompagné de son ami Francis Caroz. Arrêtés à un barrage tenu par deux jeunes militants kanak, Gocéné entreprend de leur raconter son histoire : celle de l’Exposition coloniale de 1931, où plus d’une centaine de Kanak furent envoyés à Paris pour être exhibés.
Le récit nous transporte alors soixante ans en arrière. Après un voyage éprouvant sur le Ville de Verdun, un paquebot où trois compagnons périssent, Gocéné et les siens débarquent à Paris. Là, contre toutes les promesses faites, ils sont parqués dans un enclos entre les crocodiles et les lions, contraints de jouer les « sauvages » devant les visiteurs. Le cauchemar continue quand Minoé, la promise de Gocéné, fait partie des trente Kanak échangés contre des crocodiles avec un cirque allemand. Accompagné de Badimoin, le cousin de Minoé, Gocéné s’échappe de l’enclos et traverse Paris à leur recherche, guidé par Fofana, un Sénégalais qui les aide à échapper à la police.
Autour du livre
Publié en 1998, quelques mois après la signature de l’Accord de Nouméa qui reconnaît officiellement les « périodes sombres » de la colonisation, « Cannibale » lève le voile sur un épisode méconnu de l’histoire française. L’origine du roman remonte à un séjour de Daeninckx en Nouvelle-Calédonie, où il découvre la culture orale kanak. Plutôt que de s’approprier leur histoire, il choisit de raconter « une partie de l’histoire française à laquelle les Kanak ont été mêlés contre leur gré ». Le livre devient rapidement une référence : dès 2001, il est intégré aux programmes scolaires et adapté pour la jeunesse sous le titre « L’enfant du zoo » en 2004. En 2002, Daeninckx poursuit son travail de mémoire avec « Le retour d’Ataï », où l’on retrouve Gocéné, nonagénaire, parti à la recherche de la tête du chef kanak Ataï, conservée au musée du Trocadéro.
Aux éditions FOLIO ; 107 pages.
2. Meurtres pour mémoire (polar, 1983)
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Résumé
Le 17 octobre 1961, alors qu’une manifestation du FLN se déroule à Paris pour protester contre le couvre-feu imposé aux Algériens, Roger Thiraud, professeur d’histoire, rentre chez lui avec des fleurs et des gâteaux pour son épouse enceinte. Dans le chaos de la répression policière qui s’abat sur les manifestants, un homme en uniforme de CRS l’intercepte et l’exécute froidement d’une balle dans la tête. Sa femme, témoin de la scène depuis son balcon, restera traumatisée à vie.
Vingt ans plus tard, en 1982, Bernard Thiraud, le fils de Roger né après la mort de son père, est à son tour assassiné dans une rue de Toulouse. Étudiant en histoire comme l’était son père, il venait de consulter des archives départementales avant de partir en vacances au Maroc avec sa fiancée Claudine. L’inspecteur Cadin, fraîchement muté dans la ville rose, se voit confier l’enquête.
Au fil de ses investigations, Cadin découvre que père et fils menaient des recherches historiques sur le camp de concentration de Drancy et sur le rôle trouble de certains hauts fonctionnaires français pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces découvertes le mènent jusqu’au préfet André Veillut, personnage aux multiples zones d’ombre, impliqué aussi bien dans la déportation des Juifs que dans la répression sanglante des Algériens.
Autour du livre
Publié en 1983 dans la collection Série noire de Gallimard, ce roman qui mêle habilement polar et histoire a reçu le Grand prix de littérature policière en 1985. En révélant le massacre du 17 octobre 1961, alors largement passé sous silence, et en établissant des liens avec la collaboration pendant l’Occupation, Daeninckx fait œuvre de mémoire. Le livre provoque d’ailleurs une polémique à sa sortie, alors que l’affaire Maurice Papon, dont s’inspire le personnage de Veillut, n’a pas encore éclaté. Traduit dans de nombreux pays et vendu à 400 000 exemplaires, ce deuxième roman marque véritablement le début de la carrière de son auteur.
Aux éditions FOLIO ; 208 pages.
3. La mort n’oublie personne (polar, 1989)
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Résumé
Le 8 mars 1963, dans une école professionnelle des Charbonnages de France, le jeune Lucien Ricouart se noie après avoir écrit dans la boue « Mon père n’est pas un assassin ». Vingt-cinq ans plus tard, Marc Blingel, un historien qui avait connu Lucien au lycée, décide d’enquêter sur sa mort en interrogeant Jean Ricouart, le père de Lucien.
L’histoire remonte alors à l’été 1944, dans le Pas-de-Calais. Jean Ricouart, ouvrier de 17 ans, s’engage presque par hasard dans la Résistance. Il participe à deux actions contre des collaborateurs, trouve refuge chez le facteur Lenglart où il découvre les lettres de dénonciation envoyées aux Allemands, et tombe amoureux de Marie. Mais le 5 juillet, la Milice l’arrête. Torturé puis déporté, il survit aux camps nazis et rentre en 1946, épuisé mais vivant. Il épouse Marie en 1947, pensant tourner la page.
Pourtant, un an plus tard, la justice française l’accuse de complicité de meurtre. Face à un jury composé de notables qui « avaient dormi sur leurs deux oreilles entre 1940 et 1944 », Jean est condamné. Condamnation qui poursuivra son fils Lucien jusqu’à son suicide en 1963.
Autour du livre
Ce roman de 1989 s’inspire de faits réels pour éclairer les zones grises de l’après-guerre, quand l’épuration servit parfois d’instrument de revanche sociale pour les élites compromises avec l’occupant. En mêlant trois temporalités (Occupation, années 1960, années 1980), Daeninckx compose une fresque sociale du Nord ouvrier, entre terrils et cités minières. Récompensé par le prix Ancres Noires en 2005, le livre a été adapté en téléfilm pour France 2 en 2009.
Aux éditions FOLIO ; 224 pages.
4. Le der des ders (roman historique, 1985)
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Résumé
En 1919, dans un Paris qui panse ses plaies, René Griffon, rescapé des tranchées, exerce comme détective privé. Son activité principale consiste à authentifier l’identité de soldats disparus, permettant aux veuves d’obtenir leur pension et de refaire leur vie. « En l’espace de deux ans, j’avais tenté d’oublier le quotidien de la guerre. Je voulais croire que je m’en étais sorti indemne », confie-t-il, avant qu’une affaire ne vienne percuter sa routine.
Tout commence lorsque le colonel Fantin de Larsaudière sollicite ses services pour contrer un maître chanteur qui menace de révéler les écarts de conduite de son épouse. Mais très vite, l’instinct de Griffon s’éveille : la filature trop aisée de Madame, l’indifférence suspecte du père face à la tentative de suicide de sa fille, autant d’éléments qui éveillent ses soupçons. En creusant l’affaire, le détective met progressivement au jour une machination qui dépasse largement le cadre d’une simple histoire d’adultère.
L’enquête entraîne Griffon dans les faubourgs industriels du nord parisien, entre Saint-Denis et Levallois, où les ouvriers s’exposent quotidiennement aux vapeurs toxiques des bains d’électrolyse. Dans ces rues où les automobiles sont encore si rares qu’il suffit de connaître la marque et la couleur d’un véhicule pour le retrouver, le détective découvre peu à peu une vérité qui ébranle ses certitudes.
Autour du livre
L’histoire se déroule dans une France marquée par les contrastes : tandis que certains se ruent sur les stocks américains bradés – corned-beef, jeans, automobiles – d’autres continuent à exhiber fièrement leurs trophées de guerre, des casques à pointe aux baïonnettes allemandes. Jacques Tardi, séduit par cette atmosphère si particulière, en a livré une adaptation en bande dessinée chez Casterman, s’appuyant sur les récits de son grand-père, ancien poilu, pour renforcer l’authenticité historique du récit. Daeninckx conjugue enquête policière et fresque historique, déterrant au passage des épisodes méconnus comme celui des mutins russes de la Courtine en 1917. À travers cette intrigue policière se dessine un implacable réquisitoire contre l’absurdité de la guerre et ses séquelles durables sur la société française.
Aux éditions FOLIO ; 251 pages.
5. Missak (roman historique, 2009)
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Résumé
Paris, janvier 1955. Les eaux de la Seine montent inexorablement, submergeant les quais de la capitale. Dans les locaux de L’Humanité, Louis Dragère, jeune journaliste communiste, reçoit une commande de Jacques Duclos : constituer un dossier sur Missak Manouchian, résistant arménien fusillé au Mont-Valérien en 1944, avant l’inauguration d’une rue à son nom. Sa première découverte est troublante : la dernière lettre de Manouchian à son épouse Mélinée comporte des passages censurés qui suggèrent une trahison.
L’enquête mène Dragère dans le Paris populaire des années 1950, des bistrots enfumés aux ateliers d’artistes. Il croise la route de figures illustres : Louis Aragon, l’ancien chef des FTP (Francs-Tireurs Patriotes) Charles Tillon, le jeune Henri Krasucki, mais aussi le peintre Krikor Bedikian et un certain Charles Aznavour. Chaque témoignage révèle une nouvelle facette de Manouchian : rescapé du génocide arménien, poète autodidacte, militant antifasciste avant d’être communiste. Mais l’ombre plane toujours sur les circonstances qui ont conduit à l’arrestation de son groupe de résistants étrangers, immortalisés par la sinistre Affiche rouge, cette propagande nazie qui tentait de les présenter comme une « armée du crime ».
Autour du livre
L’originalité de ce livre tient à sa nature hybride, entre roman et documentaire historique. Didier Daeninckx s’est inspiré du poème d’Aragon « Strophes pour se souvenir » et de ses propres recherches dans les archives pour reconstituer cette période charnière de l’histoire du communisme français. Le choix de situer l’intrigue en 1955, après la mort de Staline mais avant la révélation de ses crimes, permet d’éclairer les ambiguïtés et les non-dits qui entouraient alors la mémoire de la Résistance. Le roman acquiert une résonance particulière avec la panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian en février 2024, consacrant tardivement la reconnaissance de l’engagement des étrangers dans la lutte contre l’occupant nazi.
Aux éditions FOLIO ; 352 pages.
6. Itinéraire d’un salaud ordinaire (roman historique, 2006)
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Résumé
En 1942, Clément Duprest, brillant étudiant en droit, intègre la Police Nationale pendant l’Occupation allemande. Affecté à la « brigade des propos alarmistes » au sein des Renseignements Généraux, il traque avec zèle les opposants au régime de Vichy : juifs, communistes, résistants. Fonctionnaire modèle dépourvu d’états d’âme, il applique scrupuleusement les directives de sa hiérarchie, participant notamment à l’organisation de la rafle du Vel d’Hiv en juillet 1942. Quand le vent tourne en 1944, son beau-père Augustin Genin lui conseille de jouer double jeu en fournissant des renseignements à la Résistance.
Cette prudence lui permettra d’échapper à l’épuration à la Libération. Sa carrière se poursuit alors sous la IVe puis la Ve République, toujours au service du pouvoir en place. Des guerres coloniales à Mai 68, en passant par la surveillance des milieux politiques et artistiques, Duprest gravit méthodiquement les échelons. Il tient des fiches sur tout le monde, y compris sa propre famille. Son zèle culminera avec le sabotage de la candidature de Coluche à l’élection présidentielle de 1981, avant de prendre sa retraite.
Autour du livre
À travers ce protagoniste « ordinaire », Didier Daeninckx dévoile quarante ans d’histoire policière et politique française. La première partie consacrée à l’Occupation occupe une place prépondérante, tandis que les décennies suivantes sont traversées plus rapidement, au rythme des « affaires » et scandales que Duprest croise sur sa route. Daeninckx interroge la notion même de collaboration et de fidélité à l’État : ce fonctionnaire exemplaire n’a ni torturé ni tué directement, mais sa docilité et son absence de questionnement moral en font-ils pour autant un « salaud » ?
Les critiques ont salué l’ampleur du travail documentaire, notamment sur la période 1942-1944 qui constitue le cœur du récit. L’ouvrage s’inscrit dans une série de romans et d’essais parus dans les années 1990-2000 questionnant le rôle de l’administration française pendant l’Occupation et sa continuité après-guerre. La distance narrative adoptée renforce le malaise du lecteur face à ce personnage glaçant de banalité.
Aux éditions FOLIO ; 400 pages.
7. Galadio (roman historique, 2010)
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Résumé
Dans l’Allemagne des années 1930, Ulrich Ruden mène une vie d’adolescent ordinaire à Duisbourg, ville industrielle de la Ruhr. Un détail le distingue pourtant : sa peau noire. Né en 1922 d’une mère allemande et d’un tirailleur sénégalais des troupes françaises d’occupation, il incarne ce que les nazis qualifient de « honte noire » – ces enfants métis nés après la Première Guerre mondiale, symboles selon eux de l’avilissement du sang aryen par les forces d’occupation.
Quand Hitler arrive au pouvoir, la vie d’Ulrich bascule. Traqué par les SA, il échappe de justesse à la stérilisation forcée grâce à une connaissance de sa mère. Son destin prend alors un virage inattendu : repéré dans l’hôpital où il devait être opéré, il devient figurant dans les studios de cinéma de Babelsberg pour des films exaltant le colonialisme allemand. Cette opportunité le conduit jusqu’en Afrique pour un tournage. Le 3 septembre 1939, alors que la guerre éclate, l’équipe allemande quitte précipitamment le continent. Ulrich saisit cette chance pour partir à la recherche de son père, dont il ne possède qu’une photo en uniforme de tirailleur et l’adresse d’un village. Il découvre alors son autre identité : Galadio.
Autour du livre
Ce roman à la première personne de Didier Daeninckx met en lumière un chapitre méconnu de l’histoire : le sort des métis allemands (Rheinlandbastarde) sous le IIIe Reich. S’appuyant sur des recherches minutieuses, il dévoile comment ces enfants, d’abord intégrés dans la société allemande – certains appartenant même aux Jeunesses hitlériennes – se sont retrouvés victimes des lois de Nuremberg en 1935. Daeninckx conjugue l’histoire d’Ulrich/Galadio et les grands bouleversements de l’époque : la montée du nazisme, les persécutions raciales, le cinéma de propagande, jusqu’aux premiers affrontements entre pétainistes et gaullistes sur les rivages du Sénégal.
Aux éditions LAROUSSE ; 176 pages.