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Colette en 7 livres – Notre sélection

Sidonie-Gabrielle Colette naît le 28 janvier 1873 à Saint-Sauveur-en-Puisaye, dans l’Yonne. Elle grandit dans une maison bourgeoise de Bourgogne, choyée par sa mère Sido qui lui transmet son amour de la nature et son esprit d’observation.

À vingt ans, elle épouse Henry Gauthier-Villars, dit Willy, qui l’introduit dans les cercles littéraires parisiens. C’est sous son influence qu’elle écrit la série des « Claudine », publiée d’abord sous le nom de son mari. Mais le mariage ne dure pas : en 1906, Colette quitte Willy et se lance dans une carrière au music-hall. Elle se produit notamment au Moulin-Rouge dans des spectacles qui font scandale.

En 1912, elle épouse Henry de Jouvenel dont elle a une fille, surnommée Bel-Gazou. Cette période est marquée par une intense activité littéraire : elle publie des romans comme « Chéri » (1920) et « Le Blé en herbe » (1923). Son mariage avec Maurice Goudeket en 1935 sera le dernier et le plus heureux.

Pendant l’Occupation, elle continue d’écrire malgré les difficultés. En 1945, elle est élue à l’académie Goncourt, dont elle devient présidente en 1949. Dans ses dernières années, clouée au lit par une arthrite, elle poursuit son œuvre depuis son appartement du Palais-Royal à Paris.

À sa mort le 3 août 1954, elle est la première femme à recevoir des funérailles nationales en France. Ses écrits, qui conjuguent autobiographie et fiction, sensualité et amour de la nature, en font l’une des plus grandes figures de la littérature française du XXe siècle. Ouvertement bisexuelle, elle secoue les conventions de son temps tant par sa vie que par ses ouvrages.

Voici notre sélection de ses livres majeurs.


1. Claudine à l’école (Claudine #1, 1900)

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Résumé

À la fin du XIXe siècle, dans le village bourguignon de Montigny, Claudine, quinze ans, tient son journal intime durant sa dernière année d’école. Intelligente, espiègle, irrévérencieuse, elle exerce son emprise sur ses camarades de classe tout en préparant le brevet élémentaire. Son père, un intellectuel distrait plus préoccupé par ses recherches sur les limaces que par l’éducation de sa fille, lui laisse une liberté exceptionnelle pour l’époque.

La situation bascule avec l’arrivée de Mlle Aimée Lanthenay, une nouvelle assistante dont la beauté captive immédiatement Claudine. Mais la directrice, Mlle Sergent, noue rapidement une relation intime avec Aimée, sous les yeux attentifs des élèves. Déçue, jalouse, Claudine s’allie à ses amies Anaïs et Marie pour tourmenter le couple d’enseignantes.

Entre les préparatifs de l’examen du brevet, les manigances du docteur Dutertre aux mains baladeuses et l’organisation de la visite ministérielle pour l’inauguration de la nouvelle école, l’année scolaire s’annonce mouvementée. Les tensions accumulées menacent d’éclater lors d’une soirée chez Mlle Sergent qui s’annonce explosive…

Autour du livre

« Claudine à l’école » naît sous l’impulsion d’Henry Gauthier-Villars, dit Willy, le premier mari de Colette. En 1895, cette dernière passe quelques jours chez la directrice de l’école de Saint-Sauveur-en-Puisaye, à l’occasion de laquelle naît l’idée de ce premier roman. Écrit à la demande de Willy qui cherche un sujet vendeur, le texte est d’abord rédigé sur un simple cahier d’écolière. Le mari, initialement peu enthousiaste, perçoit rapidement le potentiel commercial de ces souvenirs pimentés et se les approprie en les publiant sous son seul nom en 1900. Usurpation qui s’inscrit dans les pratiques habituelles de cet homme d’affaires qui employait plusieurs prête-noms pour alimenter sa production. Le texte sera ultérieurement publié sous différentes signatures : Willy et Colette, Willy et Colette Willy, Colette et Willy, puis finalement Colette seule.

Loin de l’image vertueuse et austère véhiculée par l’école de la Troisième République, Colette dépeint un établissement où règnent une liberté de mœurs et une indiscipline surprenantes. Les élèves se pincent, se lancent des piques et pratiquent diverses tricheries lors des examens « sous l’œil bienveillant de l’institutrice ». Le roman présente un microcosme où les relations entre professeurs et élèves, loin d’être formelles, sont marquées par une familiarité détonante. Le personnage du docteur Dutertre, médecin scolaire aux mains baladeuses qui lorgne les grandes élèves, s’inspire d’ailleurs du politicien Pierre Merlou, rival du père de Colette. Cette critique des figures d’autorité s’exprime à travers les observations sans complaisance de Claudine.

La modernité du roman réside dans sa représentation sans tabou de la sexualité féminine et des relations entre femmes. À une époque où l’homosexualité est un sujet tabou, Colette évoque avec naturel les amours entre Mlle Sergent et Mlle Lanthenay, ainsi que l’attirance de Claudine pour cette dernière. Le personnage de Claudine incarne une figure libre et rebelle qui s’affranchit des conventions sociales. Cette jeune fille « vive, lucide, effrontée » refuse toute soumission et revendique son indépendance d’esprit. Sa célèbre réplique illustre parfaitement cette posture : « On me disait, quand j’étais petite, que j’avais des yeux de grande personne ; plus tard, c’étaient des yeux « pas convenables » ; on ne peut pas contenter tout le monde et soi-même. J’aime mieux me contenter d’abord… »

Par-delà son aspect transgressif, « Claudine à l’école » constitue un précieux document sur l’enseignement féminin à la fin du XIXe siècle. Le roman montre les matières étudiées (dont certaines comme la couture ou la calligraphie ont disparu), les méthodes d’enseignement et les examens de l’époque. L’épreuve du brevet élémentaire, décrite avec minutie, apparaît comme « un véritable décathlon intellectuel que peu de bacheliers d’aujourd’hui réussiraient ». Le livre témoigne également de l’importance sociale de l’école républicaine comme vecteur d’ascension sociale pour les jeunes filles, le brevet ouvrant principalement la voie au métier d’institutrice.

La publication de « Claudine à l’école » provoque un véritable scandale dans la France puritaine du début du XXe siècle. Ce « style naturel alors nouveau » bouscule les conventions littéraires et morales de l’époque. Le succès est toutefois au rendez-vous. Colette elle-même portera plus tard un regard sévère sur son premier roman en déclarant dans « Mes Apprentissages » : « Je ne trouvai pas mon premier livre très bon, ni les trois suivants. Avec le temps, je n’ai guère changé d’avis, et je juge assez sévèrement toutes les Claudine. »

Le succès retentissant du roman et du personnage de Claudine a engendré plusieurs adaptations au fil des décennies. Dès 1917, un premier court-métrage (d’un réalisateur anonyme) met en scène Maud Loty dans le rôle-titre. Vingt ans plus tard, en 1937, Serge de Poligny réalise une adaptation cinématographique avec Blanchette Brunoy. La télévision s’en empare également avec le téléfilm d’Édouard Molinaro en 1978, avec Marie-Hélène Breillat dans le rôle de Claudine. Plus récemment, en 2018, Lucie Durbiano en tire une bande dessinée publiée chez Gallimard dans la collection Fétiche. Le personnage a même donné son nom au fameux « col Claudine » qui fait aujourd’hui encore partie du lexique de la mode.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 252 pages.


2. La Vagabonde (1910)

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Résumé

Paris, 1910. Renée Néré, trente-trois ans, autrefois écrivaine devenue artiste de music-hall, mène une existence solitaire après un divorce qui l’a profondément meurtrie. Son ex-mari, le peintre Adolphe Taillandy, l’a systématiquement trompée et humiliée. Désabusée, elle est désormais farouchement attachée à sa nouvelle indépendance. Pour subsister, elle se produit comme mime dans des spectacles aux côtés de son partenaire Brague.

Un soir, après une représentation, Maxime Dufferein-Chautel, un riche héritier terrien, se présente dans sa loge. D’abord rebutée par cet admirateur qu’elle surnomme moqueusement « le Grand-Serin », Renée se montre distante. Pourtant, la persévérance et la douceur de cet homme commencent progressivement à fissurer sa carapace. Alors que ses sentiments évoluent et qu’elle envisage de s’ouvrir à nouveau à l’amour, on lui propose une tournée de quarante jours en province.

Cette séparation temporaire est l’occasion d’une correspondance qui rapproche les deux êtres, jusqu’à ce que Maxime lui propose le mariage et une vie confortable dans ses propriétés des Ardennes. Renée se retrouve alors face à un dilemme : accepter cette union qui lui offrirait sécurité et tendresse mais la priverait de sa liberté si chèrement acquise, ou préserver son indépendance au prix d’une solitude assumée. La tournée touchant à sa fin, l’heure de la décision approche…

Autour du livre

« La Vagabonde » paraît en 1910, d’abord en feuilleton dans La Vie parisienne du 21 mai au 1er octobre, puis en volume aux éditions Ollendorff à la mi-novembre. C’est le premier roman qu’elle signe de son nom, après avoir divorcé d’Henry Gauthier-Villars, dit Willy, qui l’avait contrainte à écrire sous son nom les célèbres « Claudine ». L’écriture s’inscrit dans un contexte tumultueux : le divorce entre les époux est prononcé le 21 juin 1910, au milieu même de la publication du feuilleton, dans une atmosphère d’animosité et de règlements de comptes.

Derrière le personnage de fiction se cache une expérience douloureuse que Colette transpose dans le roman. Comme Renée, elle vient de quitter un mari infidèle et manipulateur, et s’est tournée vers les planches du music-hall pour gagner sa vie (elle exerce pendant six ans le métier de mime). Le personnage d’Adolphe Taillandy, l’ex-mari peintre mondain de Renée, constitue une caricature à peine voilée de Willy. Cette dimension autobiographique est d’ailleurs explicitement reconnue par Sido, la mère de Colette, qui lui écrit le 3 décembre 1910 : « Mais c’est une autobiographie ! Tu ne peux pas le nier ».

Le roman se structure en trois parties qui marquent l’évolution des sentiments et des choix de l’héroïne. Cette structure dévoile l’oscillation permanente de Renée entre deux aspirations contraires : l’amour qui sécurise mais asservit, et la liberté qui isole mais affranchit. Colette interroge ainsi la possibilité pour une femme du début du XXe siècle de concilier indépendance et vie amoureuse.

La peur de vieillir constitue l’une des obsessions de Renée, qui se scrute dans le miroir dès les premières pages du roman. À trente-trois ans, elle se considère déjà comme une femme mûrissante dans une société où l’âge condamne les femmes bien plus rapidement que les hommes. Cette angoisse qui la pousse à rejeter Maxime traverse tout le récit : « Comme elle soupçonne l’homme de ne l’aimer que pour son apparence physique, elle le juge incapable de surmonter le spectacle prochain et sans grâce de l’atteinte de l’âge ! ». Ironiquement, ce jeune homme, qui a pourtant le même âge qu’elle, lui apparaît encore comme un jeune premier.

La fresque sociale que dépeint Colette constitue l’un des intérêts majeurs du livre. Les coulisses du music-hall y sont décrites avec autant de réalisme que de tendresse : les artistes miséreux mais fiers, la solidarité ombrageuse, les tournées épuisantes, les conditions de vie précaires, les négociations de cachets, etc. Ce milieu marginal, Colette le connaît intimement et le restitue dans toute sa vérité, sans misérabilisme ni idéalisation.

Ce témoignage historique sur les arts populaires du début du XXe siècle s’enrichit d’une galerie de personnages hauts en couleur. Brague, le partenaire de scène de Renée, mais aussi les chanteurs, acrobates et autres saltimbanques composent un tableau authentique de ce milieu artistique en marge de la société bourgeoise. Ces portraits empreints d’humanité annoncent d’ailleurs un autre livre de Colette, « L’envers du music-hall », qui paraîtra quelques années plus tard.

« La Vagabonde » figure parmi les œuvres les plus acclamées de Colette. En lice pour le Prix Goncourt de 1910, finalement décerné à « De Goupil à Margot » de Louis Pergaud, le livre a suscité l’admiration de ses contemporains, dont Marcel Proust.

Dès 1911, Albert Capellani en tire un court-métrage, suivi en 1918 par une nouvelle version coréalisée par Musidora et Eugenio Perego, puis par le film de Solange Bussi en 1932. Au théâtre, Colette elle-même, en collaboration avec Léopold Marchand, l’adapte en 1923 pour le Théâtre de la Renaissance. Cette pièce en quatre actes est la deuxième collaboration entre les deux auteurs après « Chéri » en 1921. Harry Baur et Cora la Parcerie y triomphent dans les rôles principaux.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 251 pages.


3. Chéri (1920)

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Résumé

Paris, début du XXᵉ siècle. Léa de Lonval, une ex-courtisane de quarante-neuf ans ayant fait fortune, vit depuis six ans avec Fred Peloux, dit « Chéri ». Ce jeune homme de vingt-cinq ans, d’une beauté remarquable bien que capricieux et superficiel, est le fils de Charlotte Peloux, une ancienne rivale de Léa.

Leur paisible liaison vole en éclats lorsque Charlotte arrange le mariage de son fils avec la jeune Edmée. Tous deux affichent une indifférence de façade alors que la séparation semble inévitable. Après le mariage, Léa s’exile quelques mois pour panser ses plaies. Pendant ce temps, Chéri néglige sa jeune épouse et erre sans but, rongé par un manque qu’il ne s’explique pas.

Les deux amants, qui croyaient vivre une banale aventure sans conséquence, prennent conscience de leurs véritables sentiments. Lorsqu’ils se recroisent par hasard, leur désir resurgit…

Autour du livre

Esquissé avant la Première Guerre mondiale dans quelques contes publiés dans le journal Le Matin en 1912, « Chéri » fut d’abord conçu comme une pièce de théâtre vers 1919. Colette modifia ensuite son projet initial pour adopter une forme romanesque. Une publication préoriginale parut dans La Vie parisienne au premier semestre de 1920, avant que le roman ne soit officiellement publié chez Fayard en juillet 1921. L’inspiration du personnage de Chéri proviendrait du richissime Auguste-Olympe Hériot, un ancien amant de Colette, tandis que le personnage de Léa aurait été inspiré par Suzanne Derval, comédienne et demi-mondaine, amie de l’autrice.

Colette y brosse un portrait mordant de la société des demi-mondaines de la Belle Époque, ces courtisanes ayant accumulé suffisamment de fortune pour mener une vie bourgeoise. Elle dépeint un milieu où règnent les apparences, les jalousies et les hypocrisies. Neuilly, le seizième arrondissement, les intérieurs surchargés de pampilles, les domestiques nombreux et les mondanités constituent le décor d’une microsociété en déclin, qui ne survivra pas aux deux guerres mondiales. Ces femmes, malgré leur aisance financière, restent cantonnées à un entre-soi, ne fréquentant guère que d’autres anciennes courtisanes et quelques vieux messieurs devenus des amis.

Le véritable drame de « Chéri » réside dans la confrontation de Léa avec sa propre vieillesse. Colette scrute avec une lucidité impitoyable les stigmates de l’âge sur le corps féminin : rides naissantes, cou qui s’épaissit, mains qui se flétrissent. Plus que le départ de son amant, c’est cette conscience aiguë du temps qui passe que Léa doit affronter. La question implicite posée par le roman reste d’une troublante actualité : une femme d’âge mûr peut-elle, à l’image des hommes, avoir des amants beaucoup plus jeunes qu’elle sans en souffrir ? Le regard que Colette porte sur le corps vieillissant des femmes est d’une cruauté assumée et d’une modernité saisissante.

Sous les apparences d’une histoire frivole, Colette livre une analyse psychologique remarquable de ses personnages. Léa, femme intelligente qui a su gérer sa carrière et faire fortune, dissimule sous une apparente indifférence un attachement profond. Chéri, narcissique et cruel, découvre en perdant Léa qu’il éprouve pour elle un amour véritable. Quant à Edmée, l’épouse effacée, elle révèle peu à peu une force de caractère insoupçonnée. La dimension « quasi incestueuse » de la relation entre Léa et Chéri participe à la richesse de l’ensemble : elle l’a vu grandir, il l’appelle « Nounoune », leur liaison oscille constamment entre amour maternel et passion charnelle.

Lors de sa parution, « Chéri » suscita l’admiration de nombreux critiques et écrivains. André Gide en personne envoya à Colette une lettre élogieuse : « Quelle sûreté du trait ! Quel naturel dans les dialogues. […] Mais ce que j’aime surtout dans votre livre, c’est son dépouillement, son dévêtissement, sa nudité. […] pas une faiblesse, pas une redondance, pas un lieu commun… » Aujourd’hui encore, « Chéri » est considéré comme l’un des livres les plus aboutis de Colette, salué pour sa finesse psychologique, la justesse de ses dialogues et monologues intérieurs, ainsi que pour sa modernité au regard des rapports amoureux atypiques.

Dès 1921, Colette collabora avec Léopold Marchand pour en tirer une pièce de théâtre créée au théâtre Michel à Paris. Celle-ci fut représentée cent fois et traduite en plusieurs langues. En 1924, Colette elle-même interpréta le rôle de Léa jusqu’en 1926. Une reprise notable eut lieu en 1949 au théâtre de la Madeleine avec Valentine Tessier dans le rôle de Léa et Jean Marais dans celui de Chéri. Au cinéma, le roman fut adapté par Pierre Billon en 1950, puis par François Chatel pour la télévision en 1962, par Yves André Hubert en 1984, et plus récemment par Stephen Frears en 2009 avec Michelle Pfeiffer (Léa) et Rupert Friend (Chéri).

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 185 pages.


4. La Maison de Claudine (1922)

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Résumé

« La Maison de Claudine » n’est pas un roman linéaire mais un recueil de trente-cinq courts récits autobiographiques où Colette, surnommée « Minet-Chéri », raconte son enfance heureuse dans les années 1870 à Saint-Sauveur-en-Puisaye, en Bourgogne. Au centre de ces souvenirs se dresse Sido, sa mère, femme énergique et attentive qui s’inquiète constamment en criant « Où sont les enfants ? » lorsque sa progéniture disparaît dans le vaste jardin familial. Le père, un ancien capitaine unijambiste aux ambitions littéraires inassouvies, complète ce tableau parental.

La vie quotidienne de la famille se déroule entre la maison « grave et revêche » en façade mais au « revers souriant » côté jardin. Colette évoque sa fratrie : un frère médecin, un autre fasciné par les cimetières qui invente des épitaphes pour des morts imaginaires, et Juliette, sa demi-sœur aînée aux longs cheveux perpétuellement plongée dans ses livres.

Ces scènes de vie familiale alternent avec des portraits de villageois, des descriptions de la nature environnante et des récits mettant en scène les nombreux animaux domestiques. Colette nous fait également découvrir ses propres jeux d’enfant puis ses premiers émois amoureux.

À travers ces fragments de mémoire, elle compose le tableau d’une enfance libre, imprégnée de sensations vives et d’observations aiguës qui ont forgé sa sensibilité d’écrivaine. Les derniers chapitres élargissent la perspective temporelle en évoquant Colette devenue mère de Bel-Gazou, prolongement de la réflexion sur la transmission et l’éphémère magie de l’enfance.

Autour du livre

« La Maison de Claudine » naît durant l’automne 1921, lorsque Colette, alors âgée de 49 ans, emmène son beau-fils Bertrand à Saint-Sauveur-en-Puisaye, son village natal. Ce retour aux sources déclenche un flot de souvenirs qu’elle consigne dans une série de nouvelles. Ces textes paraissent d’abord du 15 octobre 1921 au 24 juin 1922 dans le journal Le Matin, dans la rubrique Contes des mille et un matins. Colette les rassemble ensuite pour former un recueil publié en 1922, auquel elle ajoutera cinq nouvelles supplémentaires pour l’édition définitive de 1930. Malgré son titre qui semble faire écho à la série des « Claudine » ayant lancé sa carrière (mais dont elle ne toucha jamais les droits d’auteur, accaparés par son premier mari Willy), ce livre autobiographique s’en démarque totalement.

Les récits forment une mosaïque temporelle sans réelle chronologie, où se déploient essentiellement quatre périodes : l’enfance à Saint-Sauveur-en-Puisaye ; l’adolescence à Châtillon-Coligny ; la vie parisienne ; et enfin la maternité avec sa fille Bel-Gazou. Cette structure fragmentée permet à Colette d’organiser ses souvenirs autour de figures clés : Sido, le personnage le plus développé, apparaît dans sept chapitres qui sondent sa personnalité et son passé ; puis viennent le père, les frères et la sœur, les animaux domestiques et les habitants du village. Colette compose ainsi un kaléidoscope d’un monde révolu, d’un « jardin à jamais perdu, celui de l’enfance ».

La figure maternelle constitue l’axe central du livre. Sido surgit, vivante et impétueuse, à travers ses contradictions : elle manque rarement la messe mais prend plaisir à perturber l’office avec son chien bruyant ; elle critique le clergé mais quémande des boutures de pélargonium au curé. Femme d’une modernité étonnante pour son époque, elle affiche une tolérance et une liberté d’esprit remarquables, notamment envers les filles-mères. Sa relation fusionnelle avec Colette transparaît dans des passages d’une grande tendresse : « Elle vécut balayée d’ombre et de lumière, courbée sous des tourmentes, résignée, changeante et généreuse, parée d’enfants, de fleurs et d’animaux comme un domaine nourricier. »

Par petites touches précises, Colette fait jaillir sons, parfums et textures d’un monde disparu : « Tout est encore devant mes yeux, le jardin aux murs chauds, les dernières cerises sombres pendues à l’arbre (…) tout est sous mes doigts : révolte vigoureuse de la chenille, cuir épais et mouillé des feuilles d’hortensia – et la petite main durcie de ma mère. » Cette hyperesthésie, cette capacité à capter les moindres variations sensorielles, bâtit un pont entre l’enfance et l’âge adulte. Le jardin se mue en microcosme qui symbolise un paradis perdu, tandis que l’attention portée aux animaux – chats, chiens et insectes – révèle une communion profonde avec le vivant. La critique rapproche d’ailleurs parfois « La Maison de Claudine » aux textes de Philippe Delerm ou à « La Gloire de mon père » de Marcel Pagnol pour son attention similaire aux « plaisirs minuscules » du quotidien.

La maison natale de Colette à Saint-Sauveur-en-Puisaye est aujourd’hui transformée en musée. Les visiteurs peuvent ainsi y découvrir les lieux qui ont inspiré ces récits.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 158 pages.


5. Le Blé en herbe (1923)

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Résumé

Dans les années 1920, Phil (16 ans) et Vinca (15 ans) se retrouvent comme chaque année sur la côte bretonne près de Cancale, où leurs familles partagent une villa pour les vacances d’été. Ces amis d’enfance, que tous considèrent comme promis l’un à l’autre, voient leur relation évoluer à mesure qu’ils quittent l’insouciance de leurs jeux d’autrefois.

Lui rêve de devenir un homme et s’impatiente devant les années d’études qui l’attendent. Elle, déjà plus mûre, se prépare à son futur rôle d’épouse. Leur complicité d’autrefois se transforme en une relation maladroite, faite d’attirance et de disputes.

Un jour, Phil rencontre « la dame en blanc », Madame Dalleray, une élégante trentenaire qui séjourne dans une villa voisine. Fasciné, il commence à lui rendre visite secrètement. Cette femme expérimentée l’initie à la sensualité et aux plaisirs charnels.

Vinca n’est pas dupe. Elle devine la trahison de Phil mais garde le silence, blessée dans son amour-propre. Quand Madame Dalleray quitte précipitamment la région à la fin de l’été, Phil revient vers son amie d’enfance, transformé par cette parenthèse. Les deux adolescents comprennent alors que leur relation ne sera plus jamais la même. La jeune femme pourra-t-elle lui pardonner son infidélité ?

Autour du livre

« Le Blé en herbe » naît d’abord comme projet théâtral avant de prendre une forme romanesque. Colette l’imagine initialement comme une pièce en un acte pour le Théâtre français, avec cette idée originale : « Le rideau se lève, la scène est plongée dans l’obscurité, deux personnages invisibles dissertent sur l’amour avec beaucoup de science et d’expérience. Vers les dernières répliques, on donne la lampe et les spectateurs surpris s’aperçoivent que les partenaires ont réciproquement quinze et seize ans. » L’histoire prend finalement forme à travers une série de textes brefs publiés dans le journal Le Matin à partir de juillet 1922. Cependant, lorsque la rédaction devine le tour que prendra la relation entre les deux adolescents, elle interrompt la publication, jugeant le sujet trop sulfureux pour l’époque.

Derrière ce roman se cache une part de la vie sentimentale de Colette. Elle s’inspire largement de sa propre liaison avec Bertrand de Jouvenel, le fils de son second mari, Henri de Jouvenel. Colette avait alors 47 ans et son beau-fils seulement 16 ans – relation qui durera cinq ans. Cette transposition dans le roman prend forme à travers le personnage de Madame Dalleray, dont le nom même constitue un message codé : il s’agit en réalité du nom d’une rue parisienne où, telle une Phèdre moderne, Colette cachait son « Hippolyte ». Le roman paraît en 1923, année où Colette divorce d’Henri de Jouvenel. La villa où se déroule l’action est directement inspirée de la propriété de Roz-Ven que possédait Colette à Saint-Coulomb, entre Saint-Malo et Cancale.

Ce qui fait la force du « Blé en herbe » tient dans sa représentation de l’adolescence, ce passage difficile entre deux âges. Colette peint avec tact cette période charnière où les corps changent et où les sentiments se transforment. La romancière propose une vision lucide, sans jugement moral, des tourments propres à cet âge, où l’on souhaite à la fois grandir et rester enfant.

Colette met également en lumière la construction différenciée des identités masculine et féminine. Phil s’impatiente face à l’avenir qui tarde à venir : « je crève à l’idée que je n’ai que seize ans ! » et cherche à s’affirmer par l’expérience sexuelle, tandis que Vinca, plus mature malgré son jeune âge, semble déjà résignée à son rôle social de future épouse et maîtresse de maison.

À sa parution en 1923, « Le Blé en herbe » ne connaît pas le scandale qu’on aurait pu attendre d’un livre traitant de l’éveil sexuel d’adolescents. Au contraire, il rencontre un accueil favorable de la critique. Benjamin Crémieux, dans la Nouvelle Revue française, voit en Colette « la véritable créatrice de la prose féminine française », celle qui « a ouvert au style des possibilités inconnues avant elle ». La comtesse Anna de Noailles, figure des lettres françaises, vante quant à elle « ce don de perfection à chaque page ». Les critiques modernes notent que le roman, en abordant l’éveil sexuel et la fin de l’innocence, s’inscrit dans une tradition qui compte « Sodome et Gomorrhe » de Marcel Proust et « Le Diable au corps » de Raymond Radiguet.

« Le Blé en herbe » a connu plusieurs adaptations, la plus célèbre restant le film réalisé par Claude Autant-Lara en 1954. Il met en scène Pierre-Michel Beck et Nicole Berger dans les rôles des jeunes protagonistes, tandis qu’Edwige Feuillère incarne Madame Dalleray. Fait notable, Louis de Funès y apparaît dans un rôle secondaire, bien avant sa carrière comique. Le film suscita à sa sortie une vague de controverse, jugé scandaleux par certains. En 1973, la BBC l’adapte sous le titre « The Ripening Seed » dans sa série « Away from It All », puis en 1990, le réalisateur français Serge Meynard propose sa propre version avec Isabelle Carré, Sophie Aubry et Marianne Basler.

Aux éditions J’AI LU ; 125 pages.


6. Sido (1930)

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Résumé

Dans ce récit autobiographique, Colette évoque son enfance heureuse à Saint-Sauveur-en-Puisaye, en Bourgogne, à la fin du XIXe siècle. Le livre se découpe en trois parties, chacune dédiée à un membre de sa famille.

La première présente sa mère Sidonie, surnommée « Sido », personnage central et matriarche rayonnante, qui gouverne avec amour la maisonnée et semble posséder une connexion mystique avec la nature. La deuxième dépeint son père, « le Capitaine », ancien militaire amputé d’une jambe, homme discret et mélancolique, dont l’amour indéfectible pour Sido éclipse parfois ses propres enfants. La troisième s’attarde sur ses frères, qu’elle surnomme affectueusement « les Sauvages » : Achille, sérieux et promis à une carrière de médecin, et Léo, esprit libre et musicien talentueux.

À travers ces trois tableaux, Colette offre un vibrant hommage à son foyer d’origine, source de sa sensibilité artistique et creuset de son identité d’écrivaine. Sa plume poétique ressuscite les sensations de l’enfance et célèbre ces figures tutélaires qui ont façonné son regard sur le monde.

Autour du livre

Rédigé début 1929, « Sido » paraît d’abord dans La Revue hebdomadaire des 22 et 29 juin avant d’être publié en plaquette chez Kra en juillet de la même année. Ce n’est qu’au printemps 1930 que Colette complète son texte avec deux nouvelles parties, « Le Capitaine » et « Les Sauvages », pour constituer le volume complet que nous connaissons. Cette genèse en deux temps témoigne du succès de la publication initiale consacrée à la figure maternelle, succès qui l’aurait incité à prolonger l’entreprise mémorielle en y incluant les autres membres de sa famille.

Après « La Maison de Claudine » (1922) et « La Naissance du jour » (1928), « Sido » (1930) constitue le troisième volet d’une trilogie autobiographique centrée sur l’influence maternelle. Si le précédent ouvrage mettait en scène la mère comme un « bienveillant fantôme » mêlé aux amours adultes de sa fille, ce nouveau récit revient, comme le premier, aux souvenirs d’enfance. La particularité de « Sido » réside dans l’élévation de la figure maternelle à une dimension mythique, telle qu’elle a pu marquer le regard enfantin de l’autrice. Cette évolution dans le traitement du personnage maternel traduit peut-être un besoin de « retour en grâce » aux yeux des lecteurs, ou simplement une présence grandissante de cette figure dans l’esprit vieillissant de l’écrivaine.

Le personnage de Sido transcende sa condition de mère de famille provinciale pour atteindre une stature mythologique. Telle une déesse du foyer, elle entretient avec la nature un rapport privilégié, presque magique. Elle apparaît comme une « Flore » ou une « Pomone », divinités tutélaires du jardin qu’elle gouverne avec sagesse et attention. Sa connaissance instinctive des plantes et des saisons dépasse largement le savoir livresque artificiel du Capitaine, qualifié de « poète et citadin ». C’est elle qui initie sa fille aux mystères et aux beautés du monde sauvage, source d’une complicité unique que Colette décrit avec émotion et gratitude.

La structure du livre, organisée en trois parties consacrées respectivement à la mère, au père et aux frères, révèle cependant un traitement différencié. Si le portrait de Sido bénéficie d’une célébration nostalgique illuminée par la vivacité du personnage, celui du Capitaine adopte un ton plus grave. Quant au chapitre sur « les Sauvages », il tranche par des anecdotes moins nombreuses mais plus développées, centrées principalement sur les deux garçons, laissant dans l’ombre la demi-sœur aînée de Colette, qui n’apparaît que sporadiquement. Cette organisation asymétrique souligne l’importance prépondérante de la figure maternelle dans l’univers affectif de la romancière.

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 288 pages.


7. La Chatte (1933)

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Résumé

Dans la France des années 1930, Alain, un jeune homme de 24 ans, s’apprête à épouser Camille, son amie d’enfance. Fils unique d’une famille fortunée sur le déclin, Alain quitte à contrecœur la maison familiale de Neuilly et son jardin luxuriant pour s’installer avec sa jeune épouse dans un appartement parisien moderne, en attendant la fin des travaux de leur future demeure. Ce départ s’avère d’autant plus douloureux qu’il doit se séparer de Saha, sa chatte chartreuse à laquelle il voue une passion démesurée.

Lorsque l’animal dépérit en son absence, Alain décide de l’emmener vivre au neuvième étage avec le couple. Rapidement, un « triangle amoureux » se forme. Camille, exubérante et sensuelle, s’irrite de voir son mari préférer la compagnie silencieuse de Saha. La rivalité entre l’épouse et la chatte atteint son paroxysme lorsque Camille, confrontée à l’indifférence grandissante d’Alain, envisage de se débarrasser définitivement de sa rivale à quatre pattes…

Autour du livre

« La Chatte » naît au début de l’année 1933, une période où Colette, malgré une activité professionnelle intense d’esthéticienne, se lance dans l’écriture d’un roman qu’elle souhaite délibérément bref. Sa correspondance témoigne pourtant d’un travail particulièrement laborieux qui lui demande un « effort énorme ». Le roman paraît d’abord en feuilleton dans l’hebdomadaire Marianne, en neuf livraisons successives du 12 avril au 7 juin 1933, avant d’être publié en volume aux Éditions Grasset le mois suivant, dans la collection « Pour mon plaisir ».

L’attachement de Colette pour les chats constitue la matrice émotionnelle de ce récit. Grande amoureuse des félins avec lesquels elle partageait son quotidien, elle s’inspire pour le personnage de Saha d’une chatte qu’elle appelait simplement « la dernière ». L’animal, acquis lors d’une exposition comme le fait Alain dans le roman, lui était particulièrement cher. Sa mort l’affecta si profondément qu’elle ne voulut plus adopter d’autre chat par la suite. Dans ses descriptions minutieuses des comportements félins, transparaît une connaissance intime de leur psychologie : « Elle descend collée au mur comme une goutte de pluie le long d’une vitre. Elle prend pied sur l’épaule d’Alain, et ils gagnent ensemble leur chambre à coucher. »

Sous des apparences de comédie légère, « La Chatte » dissèque aussi les mécanismes d’un mariage de convenance voué à l’échec. Colette y dépeint l’incompatibilité fondamentale entre deux êtres que tout oppose : Alain, attaché à son enfance et à son jardin d’Éden, refuse la maturité que représente le mariage, tandis que Camille incarne la modernité et une sexualité décomplexée qui déstabilise son époux. « Elle rayonnait d’une immoralité exclusivement féminine à laquelle Alain ne s’habituait pas », note Colette, reflet du malaise d’un homme incapable d’accepter la spontanéité sensuelle de sa compagne.

La structure du récit s’articule autour de trois actes clairement identifiables qui confèrent au livre une tension dramatique croissante. Le premier établit l’union des jeunes mariés et leur installation commune. Le deuxième développe l’aliénation progressive de leur couple et la montée de la jalousie de Camille, qui culmine dans sa tentative d’éliminer la chatte. Le dernier acte consacre la rupture inéluctable et le retour d’Alain vers son univers originel. Colette transforme finalement une situation potentiellement vaudevillesque en authentique tragédie moderne.

Dès sa publication, « La Chatte » fut acclamé comme l’un des ouvrages les plus accomplis de Colette. Plus récemment, Margaret Wallace, dans le New York Times, évoque « l’un de ses meilleurs petits chefs-d’œuvre », saluant sa « finesse et sa précision incomparables » ainsi que ses « dizaines d’images délicieuses ». Roland Siegloff souligne la modernité persistante du texte : « Colette sonne toujours aussi moderne » et attribue cette intemporalité à « l’observation précise des subtilités des relations interpersonnelles ». Le critique allemand Martin Z. Schröder, dans la Süddeutsche Zeitung, loue « le portrait d’un chat comme être élitiste » et réfute les préjugés réduisant Colette à une simple « romanichelle française » aux « romans féminins insignifiants ».

En 1952, Roberto Rossellini s’empare du livre pour réaliser un segment du film à sketches franco-italien « Les sept péchés capitaux ». Son épisode, intitulé « L’Invidia » (L’Envie), transpose l’histoire de Colette pour illustrer le péché de jalousie. Plus récemment, en 2021, la réalisatrice italienne Silvana Strocchi en a proposé une nouvelle interprétation cinématographique sous le titre « La gatta ».

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 158 pages.

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