Né le 8 novembre 1847 à Clontarf, près de Dublin, Bram Stoker grandit dans une famille irlandaise de sept enfants. Touché par la maladie jusqu’à ses 13 ans, il passe de longues heures alité à écouter les récits de sa mère — histoires bibliques et légendes irlandaises — qui marqueront durablement son imagination.
En 1863, il entre au Trinity College de Dublin où il brille tant dans ses études que dans les activités sportives. Il débute sa carrière comme fonctionnaire tout en écrivant des critiques théâtrales pour le Dublin Mail. Sa rencontre avec le comédien Henry Irving en 1876 change le cours de sa vie : il devient son assistant personnel et administrateur du Lyceum Theatre de Londres pendant 27 ans. En 1878, il épouse Florence Balcombe, ancienne prétendante d’Oscar Wilde, avec qui il aura un fils.
Parallèlement à ses activités théâtrales, Stoker se consacre à l’écriture. Il publie plusieurs romans et nouvelles, mais c’est avec « Dracula » en 1897 qu’il entre dans l’histoire de la littérature. Pour écrire ce chef-d’œuvre du roman gothique, il effectue pendant sept ans des recherches minutieuses sur la Transylvanie, les vampires et le folklore d’Europe de l’Est, sans jamais visiter la région. Le roman, qui ne connaît pas un succès immédiat, deviendra après sa mort l’une des œuvres les plus influentes de la littérature fantastique.
Après plusieurs années de maladie, Stoker meurt à Londres le 20 avril 1912. Son urne funéraire repose aujourd’hui au crématorium de Golders Green, où les cendres de son fils le rejoindront en 1961.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Dracula (1897)
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Résumé
Londres, 1893. Jonathan Harker, jeune clerc de notaire, se rend dans les montagnes des Carpates pour conclure une transaction immobilière avec le comte Dracula. Dans son château isolé de Transylvanie, il découvre avec effroi que son hôte est un vampire aux pouvoirs surnaturels qui le retient prisonnier. Tandis que Harker lutte pour sa survie, Dracula s’embarque pour l’Angleterre, laissant derrière lui un sillage de morts mystérieuses.
À Londres, il commence à exercer son influence maléfique sur Lucy Westenra, la meilleure amie de Mina Murray, la fiancée de Harker. Malgré les efforts du Dr Seward et du professeur Van Helsing, un éminent spécialiste des maladies occultes, Lucy succombe aux attaques du vampire et se transforme elle-même en créature assoiffée de sang. Van Helsing comprend alors qu’ils font face à une menace surnaturelle d’une puissance inouïe.
Une lutte intense s’engage entre le groupe de Londoniens mené par Van Helsing et le comte Dracula qui, non content d’avoir fait de Lucy sa victime, porte maintenant son attention sur Mina. Pour sauver la jeune femme et mettre fin au règne de terreur du vampire, Van Helsing et ses alliés devront traquer Dracula jusque dans son repaire des Carpates…
Autour du livre
Bram Stoker passe sept ans à concevoir « Dracula », produisant plus de cent pages de notes et s’appuyant largement sur ses recherches du folklore transylvanien. L’inspiration lui vient alors qu’il est bibliothécaire à Whitby, où il découvre le nom « Dracula » dans un ouvrage historique. Il choisit ce nom car il pense qu’il signifie « diable » en roumain. Le roman prend forme pendant ses vacances d’été à Cruden Bay, en Écosse, entre 1893 et 1896.
Le récit se distingue par sa forme épistolaire novatrice, entremêlant journaux intimes, lettres, articles de presse et enregistrements sur phonographe. Cette structure narrative multiplie les points de vue et crée une tension croissante, tout en ancrant l’histoire dans la modernité victorienne. Le vampire de Stoker incarne les peurs et les tabous de l’époque victorienne : la sexualité réprimée, la peur de l’étranger, la lutte entre la science et la superstition.
Le génie de Stoker réside dans sa capacité à transformer radicalement la figure du vampire. Avant « Dracula », les vampires du folklore étaient des créatures repoussantes et bestiales. Le comte Dracula inaugure l’archétype du vampire aristocratique, séduisant et raffiné, qui marque durablement l’imaginaire collectif. Stoker établit également les codes du genre : l’aversion pour l’ail et les crucifix, l’absence de reflet dans les miroirs, et la nécessité d’être invité pour entrer dans une demeure.
À sa sortie en 1897, le roman reçoit un accueil critique favorable. Le Daily Mail souligne sa puissance évocatrice, tandis que The Daily Telegraph le considère comme la meilleure histoire de vampires jamais écrite. Arthur Conan Doyle lui-même félicite Stoker pour « avoir écrit un si beau livre ». Certains critiques louent particulièrement sa capacité à transposer l’horreur gothique dans l’Angleterre contemporaine.
« Dracula » devient rapidement une source d’inspiration majeure pour le cinéma. La première adaptation, « Drakula halála », sort en 1921, suivie du célèbre « Nosferatu » de Murnau en 1922. En 1931, Bela Lugosi incarne le comte dans la version de Tod Browning, établissant l’image iconique du vampire en costume noir et cape. Christopher Lee reprend le rôle dans les productions Hammer à partir de 1958, accentuant la dimension sensuelle du personnage. En 1992, Francis Ford Coppola réalise une adaptation flamboyante avec Gary Oldman, qui renouvelle l’aspect romantique du mythe. Le comte Dracula apparaît dans plus de 200 films, ce qui en fait l’un des personnages littéraires les plus adaptés au cinéma.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 604 pages.
2. Le Joyau des sept étoiles (1903)
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Résumé
Dans le Londres victorien, Malcolm Ross, jeune avocat, reçoit un appel à l’aide nocturne de Margaret Trelawny. La jeune femme, dont il est secrètement épris, le supplie de venir au chevet de son père, un éminent égyptologue retrouvé inconscient et ensanglanté dans sa chambre.
Les circonstances de l’agression sont mystérieuses et une étrange atmosphère règne dans la pièce emplie d’antiquités égyptiennes. Parmi les objets, Malcolm remarque notamment un sarcophage et une main momifiée dotée de sept doigts. Une lettre laissée par M. Trelawny stipule qu’en cas d’incident, son corps ne doit pas être déplacé et doit être surveillé en permanence. Margaret, Malcolm et le Dr Winchester organisent donc une surveillance continue.
Lorsque M. Trelawny reprend finalement conscience, il révèle un projet stupéfiant : ressusciter la reine Tera, une puissante souveraine de l’Égypte antique, grâce à des lampes magiques et un joyau aux sept étoiles. La reine momifiée semble déjà exercer une emprise grandissante sur Margaret, qui lui ressemble étrangement. Le groupe se rend bientôt dans une demeure isolée de Cornouailles pour tenter l’expérience de résurrection, tandis que l’atmosphère devient de plus en plus oppressante…
Autour du livre
Les origines du « Joyau des sept étoiles » sont intimement liées à la fascination de Bram Stoker pour l’égyptologie. Ami de sir William Wilde, père d’Oscar Wilde et passionné d’Égypte antique, Stoker s’est imprégné des récits de ses voyages et découvertes. La momie rapportée par Wilde de Saqqarah en 1837 a notamment nourri l’imaginaire de l’écrivain. Son amitié avec l’explorateur Richard Francis Burton, grand connaisseur du Moyen-Orient, a également influencé son écriture. La publication du roman en 1903 coïncide avec la découverte par Howard Carter de la tombe de la reine Hatshepsut, qui a manifestement servi de modèle au personnage de Tera. Comme elle, la reine fictive défie les conventions en assumant un rôle traditionnellement masculin.
Le livre s’inscrit dans le contexte de l’égyptomanie qui s’empare de la société victorienne après l’occupation britannique de l’Égypte en 1882. Les découvertes archéologiques se multiplient et nourrissent l’imaginaire populaire, notamment autour des momies parfaitement conservées. Entre 1860 et 1914, des centaines d’histoires mêlant momies et malédictions sont publiées. Stoker se distingue toutefois par sa connaissance approfondie du sujet, fruit de lectures assidues d’ouvrages spécialisés comme ceux de Wallis Budge et Flinders Petrie qu’il cite dans son roman.
L’ouvrage transcende le simple récit d’horreur en abordant des thématiques majeures de la fin du XIXe siècle. La tension entre traditions et modernité transparaît dans le questionnement sur la supériorité présumée de la civilisation occidentale. Le personnage de Malcolm s’interroge sur la validité du monothéisme chrétien face aux anciennes divinités égyptiennes. La figure de Margaret incarne quant à elle l’émergence de la « Nouvelle Femme » qui revendique son autonomie. Son évolution, de jeune fille soumise à femme indépendante sous l’influence de Tera, reflète les mutations sociales de l’époque.
La réception critique initiale s’avère mitigée. Le Saturday Review juge le roman décevant, estimant qu’il « ne fait pas frissonner le lecteur comme le meilleur du genre ». D’autres critiques soulignent la confusion des lecteurs face à une intrigue jugée extraordinaire. La fin originale de 1903, particulièrement sombre, suscite tant de controverses que Stoker doit la réécrire en 1912 dans une version plus conventionnelle. Ce n’est qu’à partir des années 1960 que le roman connaît une réévaluation critique, même s’il reste dans l’ombre de « Dracula ».
Au cinéma, « Blood from the Mummy’s Tomb » (1971) avec George Coulouris inaugure une série d’adaptations, suivie par « The Awakening » (1980) avec Charlton Heston et « Bram Stoker’s Legend of the Mummy » (1998). « Le Joyau des sept étoiles » inspire également un épisode de la série « Mystery and Imagination » (1970) et une adaptation radiophonique en 1999.
Aux éditions TERRE DE BRUME ; 330 pages.
3. La Dame au linceul (1909)
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Résumé
En janvier 1907, le Journal de l’Occultisme publie le témoignage troublant de trois marins qui affirment avoir observé, au large des côtes dalmates, une femme en linceul voguant dans un cercueil. L’histoire rebondit lorsque le jeune Rupert Sent Leger, un aventurier irlandais de sept pieds de haut, hérite de la fortune colossale de son oncle Roger Melton. Une condition singulière accompagne ce legs : Rupert doit s’établir pendant un an dans le château de Vissarion, une forteresse perchée sur un promontoire des Montagnes Bleues, un petit état indépendant des Balkans menacé par l’Empire ottoman.
Accompagné de sa tante Janet, férue d’occultisme et dotée du don de double vue, Rupert s’installe dans son nouveau domaine. Il entreprend de gagner la confiance des farouches montagnards du coin tout en modernisant leur armement pour contrer la menace turque. Sa vie bascule le soir où une femme mystérieuse, d’une pâleur mortelle et vêtue d’un simple linceul, frappe à la fenêtre de sa chambre. Elle revient chaque nuit, toujours avant l’aube, sans jamais révéler son identité.
Malgré les avertissements de sa tante qui pressent un danger surnaturel, Rupert succombe au charme de cette visiteuse énigmatique. Sa découverte d’un cercueil de verre contenant le corps de la dame dans la crypte d’une église le persuade qu’elle pourrait être un vampire. Cette révélation n’entame pas ses sentiments et il accepte de l’épouser lors d’une cérémonie nocturne, sans même connaître son nom. Leur union à peine célébrée, un escadron turc kidnappe la mystérieuse dame au linceul…
Autour du livre
« La Dame au linceul » paraît en 1909, douze ans après « Dracula ». Bram Stoker compose ce nouveau roman dans les dernières années de sa vie, alors qu’il vient de quitter son poste de secrétaire et agent théâtral d’Henry Irving au Lyceum Theatre. Il s’inspire largement du contexte géopolitique des Balkans, particulièrement tendu à cette époque. Le Monténégro, qui sert de modèle au pays fictif des Montagnes Bleues, vient d’accéder à l’indépendance et de se constituer en monarchie constitutionnelle sous l’égide du prince Nikola Petrović-Njegoš. La région est alors secouée par la crise bosniaque qui oppose la Serbie à l’Autriche-Hongrie.
Le récit adopte la forme épistolaire caractéristique de « Dracula », alternant lettres, articles de journaux et extraits de journaux intimes. Cette structure fragmentée permet de maintenir le mystère autour de la nature de la « Dame au linceul ». Les scènes nocturnes dans le château et ses jardins se parent d’une atmosphère gothique magistrale qui évoque les plus belles pages de « Carmilla » de Sheridan Le Fanu. La dédicace du roman à l’actrice Geneviève Ward prend tout son sens puisque cette dernière aurait servi de modèle pour le personnage principal féminin.
La réception critique de l’époque s’avère mitigée. L’Encyclopædia Universalis juge le roman inférieur à « Dracula ». Jean Marigny déplore un récit « d’un singulier mauvais goût », tandis que Neil Barron le trouve « long et confus ». Carol Senf porte un jugement plus positif, y voyant une « version édulcorée de Dracula » qui présente des parallèles intéressants avec « Les Hauts de Hurlevent » d’Emily Brontë et « Le Château des Carpathes » de Jules Verne. Lisa Hopkins souligne les similitudes avec les romans d’Anthony Hope se déroulant en Ruritanie.
En 2016, « La Dame au linceul » connaît une adaptation théâtrale signée Antoine Terrones, présentée à l’Auguste Théâtre dans le cadre du festival « le Printemps des Arts » à Paris.
Aux éditions ACTES SUD ; 210 pages.
4. Le Repaire du Ver blanc (1911)
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Résumé
En 1860, Adam Salton reçoit une lettre de son grand-oncle Richard, riche propriétaire terrien du Derbyshire, en Angleterre. Ce dernier, sans héritier, propose au jeune Australien de venir s’installer dans son domaine de Lesser Hill. À son arrivée, Adam s’intègre rapidement à la vie locale, sous la houlette de Sir Nathaniel de Salis, ami érudit de son oncle et spécialiste des légendes régionales.
Le calme de la campagne anglaise se trouve perturbé par l’arrivée d’Edgar Caswall au manoir de Castra Regis, propriété de sa famille abandonnée depuis plus d’un siècle. Caswall s’avère vite être un personnage inquiétant : il s’acharne à briser psychiquement Lilla Watford, une jeune femme de la région, par des séances d’hypnose agressives. Sa voisine, Lady Arabella March du domaine de Diana’s Grove, tente de le séduire pour éponger ses dettes.
Le comportement de Lady Arabella intrigue Adam. Les serpents noirs qui pullulent dans la région semblent la fuir. Plus étrange encore, la mangouste qu’Adam a acquise pour chasser ces reptiles attaque violemment la dame. Sir Nathaniel partage alors avec Adam une terrifiante hypothèse : une vieille légende évoque un Ver blanc monstrueux qui hanterait les souterrains de Diana’s Grove depuis des temps immémoriaux. Cette créature aurait développé une intelligence démoniaque et la capacité de prendre forme humaine. Lady Arabella serait-elle cette entité maléfique ? Adam et Sir Nathaniel s’engagent dans une périlleuse enquête pour percer le mystère et protéger la région d’une menace qui dépasse l’entendement.
Autour du livre
« Le Repaire du Ver blanc » constitue l’ultime roman de Bram Stoker, publié en 1911, soit un an avant sa mort. Il s’inspire de la légende du Ver de Lambton, un récit folklorique du nord-est de l’Angleterre. La version originale comportait quarante chapitres, mais une édition fortement remaniée parue en 1925 n’en conserve que vingt-huit, amputant le texte de plus de cent pages.
Cette œuvre tardive marque une rupture significative avec la maîtrise narrative dont Stoker avait fait preuve dans « Dracula ». Les circonstances de sa rédaction permettent d’éclairer certaines de ses faiblesses : l’auteur souffrait alors de graves problèmes de santé. Le Times mentionne dans sa nécrologie que Stoker était malade depuis 1906. Deux hypothèses principales circulent quant à la cause de son décès : une syphilis non traitée ou un accident vasculaire cérébral. Ces deux affections auraient pu altérer ses facultés mentales durant la période d’écriture.
La réception critique s’est montrée particulièrement sévère. H. P. Lovecraft, dans son essai « Épouvante et surnaturel en littérature », déplore que Stoker « ruine complètement une idée magnifique par un développement presque infantile ». Le critique d’horreur R. S. Hadji le place en douzième position de sa liste des pires romans d’horreur jamais écrits. Les Daniels note que malgré son « potentiel », le livre pâtit d’un « style maladroit ».
Le roman a connu une adaptation cinématographique en 1988 par Ken Russell. Une version radiophonique a également vu le jour en Espagne, diffusée par Radio Nacional sous forme de feuilleton de dix épisodes d’une heure entre septembre et décembre 1997. Le premier épisode du drame radiophonique allemand « Die schwarze Sonne » s’inspire librement de l’intrigue, tout en conservant certains personnages principaux pour la suite de la série.
Aux éditions TERRE DE BRUME ; 285 pages.