Amos Oz, né Amos Klausner le 4 mai 1939 à Jérusalem et mort le 28 décembre 2018 à Tel Aviv, est l’un des écrivains israéliens les plus influents de sa génération. Fils unique d’immigrants sionistes d’Europe de l’Est, il grandit dans une famille intellectuelle mais modeste. Le suicide de sa mère alors qu’il n’avait que douze ans marque profondément sa vie et son œuvre.
À quinze ans, il change son nom pour Oz (« force » en hébreu) et rejoint le kibboutz de Houlda, où il commence à écrire. Après son service militaire, il étudie la philosophie et la littérature à l’université hébraïque de Jérusalem. Sa carrière littéraire débute véritablement en 1965, et il publie ensuite en moyenne un livre par an.
Intellectuel engagé, il est cofondateur du mouvement « La Paix maintenant » en 1978 et devient un ardent défenseur de la solution à deux États dans le conflit israélo-palestinien. Son œuvre, traduite en 39 langues, comprend romans, nouvelles et essais. Parmi ses distinctions majeures figurent le Prix Femina étranger (1988), le Prix Israël de littérature (1998) et le Prix Franz Kafka (2013).
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. Une histoire d’amour et de ténèbres (roman autobiographique, 2002)
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Dans les dernières années du mandat britannique en Palestine, un petit garçon grandit à Jérusalem, entouré de livres. Ses parents, Arieh et Fania Klausner, ont quitté l’Europe de l’Est pour échapper aux persécutions. Le père, érudit passionné de littérature, travaille comme bibliothécaire. La mère, hantée par les souvenirs de sa vie ukrainienne, invente pour son fils des contes.
Le quotidien de la famille se déroule dans un minuscule appartement où s’entassent des milliers d’ouvrages en diverses langues. Tandis que le jeune Amos observe le monde des adultes, les événements s’accélèrent : la création d’Israël en 1948, les premiers conflits avec les Palestiniens, l’arrivée massive des survivants de la Shoah. Mais une tragédie personnelle bouleverse son existence : le suicide de sa mère en 1952. À quinze ans, Amos quitte son père et part vivre dans un kibboutz, abandonnant au passage son nom de famille.
Ce livre autobiographique, paru en 2002, s’est écoulé à plus d’un million d’exemplaires et a été traduit dans 28 langues. Un avocat palestinien-israélien a même financé sa traduction en arabe pour favoriser la compréhension entre les peuples. En 2015, Natalie Portman l’a adapté au cinéma pour son premier long-métrage en tant que réalisatrice, incarnant elle-même le rôle de Fania. Le livre a notamment marqué les esprits par sa capacité à entrelacer l’intime et l’historique, le destin d’une famille et celui d’une nation naissante, sans jamais tomber dans le manichéisme ou les simplifications.
Aux éditions FOLIO ; 864 pages.
2. Judas (roman, 2014)
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Jérusalem, hiver 1959. Le jeune Shmuel Asch traverse une période difficile : ses parents ne peuvent plus financer ses études, sa petite amie l’a quitté pour épouser un autre homme, et sa thèse sur « Jésus dans la tradition juive » piétine. Désemparé, il répond à une mystérieuse annonce proposant le gîte et un petit salaire en échange de quelques heures de conversation quotidienne avec un septuagénaire invalide.
C’est ainsi qu’il emménage chez Gershom Wald, un vieil érudit à la langue bien pendue avec qui il aura de passionnantes discussions sur le sionisme, la création de l’État d’Israël et les relations entre judaïsme et christianisme. Dans cette maison vit également Atalia Abravanel, une femme énigmatique de quarante-cinq ans dont Shmuel tombe éperdument amoureux. Au fil des semaines, le jeune homme découvre que le père d’Atalia, Shealtiel Abravanel, fut considéré comme un traître pour s’être opposé à Ben Gourion et à la création d’un État juif, préférant prôner une coexistence pacifique avec les Arabes.
En parallèle de cette histoire se dessine une réflexion sur la figure de Judas Iscariote. Et si celui que la tradition chrétienne présente comme l’archétype du traître était en réalité le plus fidèle disciple de Jésus, le seul à avoir vraiment cru en sa nature divine ? Cette question fait écho au destin de Shealtiel Abravanel, visionnaire incompris de son temps.
Dernier roman d’Amos Oz paru en 2014, « Judas » a reçu le Prix international de littérature en Allemagne et a été adapté au cinéma en 2022 par Dan Wolman. À travers ce huis clos qui mêle histoire d’amour et débat d’idées, Amos Oz livre une méditation puissante sur la notion de trahison, faisant résonner les questions politiques et religieuses jusqu’à notre époque. Le livre prend une dimension particulière quand on sait qu’Oz lui-même fut parfois qualifié de traître en Israël pour ses positions en faveur de la paix avec les Palestiniens.
Aux éditions FOLIO ; 400 pages.
3. La boîte noire (roman, 1988)
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Février 1976. « Si tu n’as pas détruit cette lettre à l’instant même où tu as reconnu l’écriture sur l’enveloppe, c’est que ta curiosité est plus forte que ta haine. » Ainsi commence la missive qu’Ilana adresse à son ex-mari Alec après sept ans de silence. Elle lui demande d’intervenir auprès de leur fils Boaz, seize ans, devenu ingérable depuis son expulsion du kibboutz où il était scolarisé. Il est violent, semi-analphabète, en conflit permanent avec toute forme d’autorité.
De Chicago où il mène une brillante carrière universitaire, Alec répond par l’intermédiaire de son avocat et accepte d’apporter son aide financière. Michel Sommo, le nouveau mari d’Ilana, s’immisce alors dans la correspondance. Cet homme pieux, militant d’extrême-droite, réclame des sommes toujours plus importantes pour financer ses projets d’implantation en territoires palestiniens. Pendant ce temps, Boaz trouve sa voie en restaurant le domaine abandonné de son grand-père, entre Zikhron Ya’akov et Binyamina, où il crée une sorte de commune agricole alternative.
La correspondance entre les ex-époux prend un virage lorsqu’Alec, gravement malade, choisit de revenir mourir dans sa maison natale. Ilana s’installe à son chevet avec sa fille Yifat, provoquant la colère de Sommo qui obtient la garde exclusive de l’enfant devant les tribunaux.
Publié en 1986, ce roman épistolaire dessine en creux le portrait d’une société israélienne traversée par de multiples fractures : entre laïcs et religieux, entre Ashkénazes et Séfarades, entre colombes et faucons. Les lettres, télégrammes et rapports qui constituent le récit dévoilent les non-dits, les manipulations et les blessures jamais cicatrisées d’un pays en perpétuelle mutation. La métaphore de la boîte noire – qui enregistre les derniers instants avant un crash – prend tout son sens dans cette radiographie d’un pays divisé. Couronné par le Prix Femina étranger en 1988, le livre a fait l’objet d’adaptations au cinéma (1993) et au théâtre (2003, 2014, 2019).
Aux éditions FOLIO ; 416 pages.
4. Soudain dans la forêt profonde (conte philosophique, 2005)
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Dans un village isolé, cerné de forêts denses et sombres, plus aucun animal ne vit. Ni chien ni chat dans les rues, pas le moindre oiseau dans le ciel, même les poissons ont déserté la rivière. Cette absence de vie soudaine remonte à plusieurs années, mais les villageois refusent obstinément d’en parler. Certains vont jusqu’à nier que les animaux aient jamais existé. À la nuit tombée, ils se barricadent chez eux, terrorisés par une mystérieuse créature baptisée Nehi qui rôderait dans les bois.
Dans ce climat pesant de non-dits, deux enfants refusent de se résigner. Matti et Maya, élèves de l’institutrice Emanuela – seule à oser parler des animaux disparus – bravent l’interdit majeur du village : pénétrer dans la forêt profonde. Cette transgression les conduit jusqu’à Nehi, qui n’est pas le monstre décrit par les villageois mais un ancien habitant, rejeté pour sa différence. Par vengeance autant que par protection, il a emmené avec lui tous les animaux dans un refuge au cœur de la forêt.
Ce conte d’Amos Oz, paru en 2005, déploie une réflexion sur la tolérance sans jamais sombrer dans la moraline simpliste. En entrelaçant des éléments de la tradition juive avec la structure du conte merveilleux européen, il crée un récit universel sur l’exclusion et ses conséquences. La traduction française, publiée en 2006 chez Gallimard, a reçu un accueil critique enthousiaste, notamment pour sa capacité à toucher aussi bien les enfants que les adultes. André Clavel l’a d’ailleurs qualifié dans L’Express de « conte merveilleux doublé d’un cours d’éducation civique ».
Aux éditions FOLIO ; 128 pages.
5. Seule la mer (roman, 2002)
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Dans les rues de Tel-Aviv, Albert Danon mène une existence solitaire depuis que le cancer a emporté sa femme Nadia. Comptable de métier, amateur d’olives et de feta, il passe ses journées entre son ordinateur et sa fenêtre. Son fils unique Rico, incapable de supporter le vide laissé par sa mère, s’est enfui dans les montagnes du Tibet. Dans l’appartement d’Albert s’installe alors Dita, la petite amie de Rico, scénariste en devenir.
Le désir s’invite dans cette cohabitation improbable. Albert succombe peu à peu au charme de Dita, sous le regard désapprobateur de son amie Bettine, elle aussi veuve. Un producteur véreux, Doubi Dombrov, tente de séduire Dita tout en lui promettant de réaliser son scénario. Pendant ce temps, Rico erre dans l’Himalaya où il rencontre Maria, une femme qui cherche encore l’amour malgré les années.
« Seule la mer » se distingue par sa forme inclassable : ni tout à fait roman ni recueil de poèmes, le livre alterne vers libres et prose poétique en plus de 150 textes courts. Amos Oz y mêle les voix des vivants et des morts, fait surgir le narrateur au milieu de ses personnages, tisse des références bibliques à travers le récit. Fruit de cinq années d’écriture, ce livre-partition s’inspire des troubadours médiévaux et contourne délibérément Jérusalem pour ancrer son action entre Bat-Yam et le Tibet.
Aux éditions FOLIO ; 272 pages.