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Akira Mizubayashi en 7 livres – Notre sélection

Akira Mizubayashi en 7 livres – Notre sélection

Né le 5 août 1951 à Sakata au Japon, Akira Mizubayashi est un écrivain qui s’exprime aussi bien en japonais qu’en français. Sa relation avec la langue française commence lorsqu’il part étudier à Montpellier en 1973 pour se former à l’enseignement du français. Son parcours académique le mène ensuite à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm à Paris, où il passe trois ans comme pensionnaire étranger.

Professeur à l’université Sophia de Tokyo depuis 1989, il mène parallèlement une brillante carrière d’écrivain. Après avoir publié six essais en japonais, il se lance dans l’écriture en français avec « Une langue venue d’ailleurs » (2011), qui lui vaut le Prix du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises. Son roman « Âme brisée » (2019) remporte le Prix des libraires 2020. La musique occupe une place centrale dans son œuvre, comme en témoignent ses derniers romans « Reine de cœur » (2022) et « Suite inoubliable » (2023).

Mizubayashi manie la langue de Molière avec une maîtrise qui lui a valu de nombreuses distinctions, dont plusieurs doctorats honoris causa d’universités françaises. À travers ses œuvres, il tisse des liens entre les cultures japonaise et française en traitant particulièrement des thèmes de la musique, de l’identité et du langage.

Voici notre sélection de ses livres majeurs.


1. Âme brisée (roman, 2019)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Tokyo, 1938. Dans un centre culturel, Yu, un professeur japonais, répète un quatuor de Schubert avec trois musiciens chinois tandis que son fils Rei, onze ans, lit tranquillement. L’irruption brutale de soldats interrompt la séance. Accusé de comploter contre le pays, le groupe est arrêté et le violon de Yu est sauvagement détruit. Caché dans une armoire, Rei assiste impuissant à la scène. Il ne reverra jamais son père. Le lieutenant Kurokami, découvrant l’enfant, lui confie l’instrument brisé sans le dénoncer. Recueilli par des amis français de son père, Rei grandit en France sous le nom de Jacques Maillard et devient luthier. Des années plus tard, alors qu’il a patiemment restauré le violon paternel, sa compagne Hélène repère une jeune violoniste japonaise prodige, Midori Yamazaki, dont le grand-père n’est autre que le lieutenant Kurokami. Cette rencontre va permettre à Jacques de renouer avec son passé.

Autour du livre

« Âme brisée » s’inscrit dans le contexte historique de la guerre de 15 ans (1931-1945) entre la Chine et le Japon. À travers le destin de ses personnages, Mizubayashi dénonce l’ultranationalisme et le militarisme japonais qui ont conduit à la répression de toute forme de pensée libre. Le titre révèle un double sens : l’âme du violon, cette petite pièce d’épicéa qui permet la propagation du son, et celle de Rei, toutes deux fracassées ce funeste dimanche de 1938. Mizubayashi structure son récit en quatre mouvements, calqués sur ceux du quatuor « Rosamunde » de Schubert, une partition littéraire dans laquelle résonnent les thèmes du déracinement, de la résilience et de la transmission.

La genèse du roman remonte à novembre 2017, lors d’un séjour de l’auteur à Hiroshima, où on lui propose de participer à un ouvrage collectif sur l’armistice. Cette réflexion sur les catastrophes mondiales et leurs fantômes l’inspire pour la dédier à « tous les fantômes du monde ». La musique est présentée comme une force transcendante qui défie les frontières et les nationalismes : « La musique traverse les frontières, c’est le patrimoine de l’humanité. »

L’ouvrage met en lumière le monde méconnu de la lutherie, notamment à travers la ville de Mirecourt dans les Vosges, berceau historique des frères Vuillaume. Le violon brisé, un Nicolas François Vuillaume de 1857, devient le fil conducteur qui relie les personnages à travers le temps et l’espace. Sa restauration symbolise la reconstruction patiente d’une mémoire fragmentée.

Publié en 2019 aux éditions Gallimard, « Âme brisée » reçoit le Prix des Libraires en 2020, décerné par 1 600 professionnels. Le lauréat, alors au Japon, ne peut recevoir son prix en raison de la pandémie de Covid-19. La singularité de cette œuvre tient aussi au fait que Mizubayashi, écrivain japonais, l’a rédigée directement en français, sa « langue paternelle ».

Aux éditions FOLIO ; 272 pages.


2. Reine de cœur (roman, 2022)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En 1939, Jun, un jeune altiste japonais étudiant au Conservatoire de Paris, vit une histoire d’amour avec Anna, serveuse dans le bistrot de son oncle Fernand. Le conflit sino-japonais contraint Jun à rentrer au Japon, laissant Anna enceinte derrière lui sans qu’il le sache. Enrôlé dans l’armée impériale, Jun est confronté aux pires atrocités de la guerre, qui le brisent psychologiquement.

Des décennies plus tard, Mizuné, la petite-fille de Jun et premier alto solo de l’Orchestre philharmonique de Paris, découvre un roman qui évoque étrangement l’histoire de ses grands-parents. Sa rencontre avec l’auteur, Otohiko Takosch, lui permet de reconstituer le passé familial à travers des journaux intimes et des lettres jamais parvenues à destination.

Entre la France et le Japon, deux générations se retrouvent liées par la musique, notamment la huitième symphonie de Chostakovitch qui résonne comme un écho aux traumatismes de la guerre.

Autour du livre

Structuré en cinq mouvements comme une symphonie, « Reine de cœur » mêle l’histoire d’amour impossible entre Jun et Anna aux traumatismes de la Seconde Guerre mondiale. La musique y occupe une place prépondérante, notamment à travers la huitième symphonie de Chostakovitch qui exprime « avec des moyens propres à la musique toute la violence de la guerre et ses effets ravageurs sur le psychisme humain ». Le chapitre consacré à son interprétation constitue l’un des moments forts du livre, où l’écriture fait corps avec l’orchestre dans sa précision et ses nuances.

La singularité de Mizubayashi réside dans sa maîtrise exceptionnelle du français, langue qu’il a choisie pour rédiger ses romans avant de les traduire lui-même en japonais. Cette double culture imprègne l’œuvre d’une sensibilité particulière, notamment dans le traitement des silences et des non-dits qui persistent entre les générations.

Le roman questionne la transmission des traumatismes historiques et la possibilité de leur rédemption par l’art. La folie qui s’empare de Jun face aux exactions de l’armée impériale devient « une forme de résistance […] le lieu d’inscription de la violence innommable ». Face à la barbarie, la musique s’érige en rempart contre la déshumanisation, permettant aux personnages de maintenir leur intégrité morale.

« Reine de cœur » fait partie d’une trilogie consacrée aux instruments à cordes, après « Âme brisée » (violon) et avant « Suite inoubliable » (violoncelle). Si ce nouveau roman présente des similitudes thématiques avec « Âme brisée », il déploie une réflexion encore plus aboutie sur le pouvoir salvateur de la musique et la persistance des liens affectifs par-delà les tragédies de l’Histoire.

Aux éditions FOLIO ; 272 pages.


3. Suite inoubliable (roman, 2023)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En 1945, au Japon, Ken Mizutani, jeune virtuose du violoncelle de 19 ans, reçoit son ordre de mobilisation. Avant de partir au front, il confie son précieux Goffriller de 1712 à Hortense Schmidt, une luthière française avec qui il partage une unique nuit d’amour. Soixante-dix ans plus tard à Paris, Guillaume Walter, violoncelliste de renom, remarque un changement de sonorité dans son instrument – un Goffriller. Il le confie à l’atelier du célèbre luthier Jacques Maillard où travaille Pamina, une jeune luthière talentueuse. En démontant l’instrument pour réparer une « fracture d’âme », Pamina y découvre une lettre datée du 2 avril 1945. Cette trouvaille l’entraîne dans une quête qui révélera les liens unissant plusieurs familles déchirées par la guerre, toutes liées par leur passion pour la musique.

Autour du livre

« Suite inoubliable » parachève une trilogie consacrée aux instruments à cordes, après « Âme brisée » (violon) et « Reine de cœur » (alto). Cette fois, le violoncelle occupe la place centrale dans une composition qui épouse la structure des six Suites pour violoncelle seul de Bach : Prélude, Allemande, Courante, Sarabande, Menuet et Gigue.

Le récit s’inspire d’une anecdote historique : en 1945, alors que le Japon refuse d’abandonner la guerre et voue un culte absolu à l’empereur, un essayiste découvre gravée sur un banc la phrase latine « In terra pax hominibus bonae voluntatis » (Paix sur Terre aux hommes de bonne volonté). Un acte de résistance passible de la peine de mort que Mizubayashi transpose dans son roman à travers le personnage de Ryo Kanda.

La musique s’affirme comme rempart contre la barbarie, notamment à travers trois œuvres emblématiques : les Suites pour violoncelle de Bach, le Concerto d’Elgar composé après la Première Guerre mondiale, et Le Chant des oiseaux de Pablo Casals – ce violoncelliste catalan qui refusa de jouer en Union soviétique après 1917, dans l’Allemagne nazie et dans l’Espagne franquiste.

Le parcours de Ken Mizutani illustre la résistance à l’endoctrinement par la culture : formé à Paris auprès des plus grands maîtres, il trouve dans la musique occidentale et la langue française un espace de liberté face au régime impérial japonais. Cette dimension autobiographique fait écho au propre cheminement de Mizubayashi, universitaire japonais qui choisit d’écrire directement en français.

Si certains critiques relèvent la répétition du schéma narratif des précédents volumes – une histoire d’amour brisée par la guerre dont les échos résonnent deux générations plus tard – d’autres saluent la manière dont le texte restitue les sensations musicales et le travail des luthiers.

Sélectionné dans la première liste du Prix Goncourt 2023, « Suite inoubliable » prolonge la réflexion de Mizubayashi sur la capacité de l’art à transcender les conflits et à relier les êtres par-delà le temps et les frontières. Un message d’espoir porté par la conviction que la musique, comme la littérature, constitue un antidote à la violence et à l’obscurantisme.

Aux éditions GALLIMARD ; 256 pages.


4. Un amour de Mille-Ans (roman, 2017)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans le Paris contemporain, un ancien professeur japonais nommé Sen-nen partage sa vie avec Mathilde, son épouse française clouée au lit par une maladie incurable. Le couple, uni par une passion commune pour la musique, traverse cette épreuve entouré de leur fidèle chienne Blanca. Le quotidien de Sen-nen bascule lorsque Clémence, une cantatrice qu’il avait passionnément admirée dans « Les Noces de Figaro » trois décennies plus tôt, reprend contact avec lui. Cette soprano, qui incarnait alors Suzanne dans l’opéra de Mozart, avait été l’objet d’un amour aussi ardent que platonique de la part du jeune Sen-nen, spectateur assidu de ses représentations. Alors que Mathilde l’encourage à revoir Clémence, cette rencontre ravive chez Sen-nen les souvenirs de sa passion pour l’opéra de Mozart et l’amène à méditer sur l’amour sous toutes ses formes.

Autour du livre

« Un amour de Mille-Ans » tire son titre de la signification du prénom du protagoniste, Sen-nen, qui signifie « mille ans » en japonais. Cette œuvre singulière d’Akira Mizubayashi entrelace plusieurs fils narratifs autour des « Noces de Figaro » de Mozart, l’opéra servant de miroir aux questionnements du personnage principal sur l’amour et le temps qui passe.

La construction du récit épouse celle de l’opéra mozartien, se déployant en ouverture, actes, entractes et épilogue. Cette architecture permet à Mizubayashi de développer une méditation sur la polyphonie, qu’il présente comme une caractéristique fondamentalement étrangère à la culture japonaise : « Il n’y a rien qui soit plus étranger à l’être-ensemble nippon que l’entrecroisement polyphonique des voix diverses ! »

La dimension politique sous-tend subtilement le récit. Le choix de Sen-nen d’embrasser la culture française s’inscrit dans un rejet du conservatisme japonais renaissant, tout comme Mozart, en son temps, s’opposait aux conventions de son époque en épousant les idéaux des Lumières.

« Un amour de Mille-Ans » se distingue par sa capacité à entrelacer plusieurs types d’amour : celui, fusionnel, entre Sen-nen et Mathilde ; la passion platonique pour Clémence ; l’attachement à la musique ; la dévotion à la langue française. Ces différentes formes d’amour se répondent et s’harmonisent dans une partition narrative d’une grande délicatesse.

L’originalité de Mizubayashi réside dans sa maîtrise du français comme langue d’écriture, qu’il a apprise relativement tard. Cette particularité confère à sa prose une précision et une musicalité remarquables, fruit d’un apprentissage consciencieux dont il livre quelques clés dans le roman, notamment à travers son usage assidu du « Petit Robert ».

Ce livre s’inscrit dans un ensemble plus vaste. Il précède une trilogie consacrée aux instruments à cordes comprenant « Âme brisée » (2019), « Reine de cœur » (2022) et « Suite inoubliable » (2023).

Aux éditions FOLIO ; 304 pages.


5. Mélodie – Chronique d’une passion (récit autobiographique, 2013)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Un professeur japonais francophone décide d’écrire en français l’histoire de sa chienne Mélodie, décédée en 2009 après douze ans de vie commune. Le texte débute par la fin : l’agonie de cette golden retriever que l’auteur n’aura pas pu accompagner dans ses derniers instants, retenu par des obligations professionnelles. De l’arrivée du chiot dans la famille jusqu’à sa disparition, Akira Mizubayashi compose une chronique intime où se mêlent scènes de la vie quotidienne et réflexions sur la nature du lien entre l’homme et l’animal. Contre la tradition japonaise qui refuse l’entrée des chiens dans les maisons, il fait de Mélodie un membre à part entière de sa famille, lui offrant même deux lits : l’un dans le salon, l’autre près du futon conjugal. Cette relation fusionnelle l’amène à interroger la frontière entre humanité et animalité.

Autour du livre

« Mélodie – Chronique d’une passion » transcende le simple récit animalier pour se muer en méditation sur la nature même des relations entre êtres vivants. En choisissant d’écrire en français, langue de son épouse et de sa formation intellectuelle, Mizubayashi s’inscrit dans une double transgression : celle de la langue et celle des conventions sociales japonaises qui maintiennent une stricte séparation entre l’espace humain et animal.

Le texte se structure autour d’une alternance entre narration et « fragments échappés du portefeuille du compagnon d’une chienne », passages en italique où l’auteur convoque un vaste héritage philosophique et culturel. S’opposant à la vision cartésienne de l’animal-machine, il trouve ses alliés chez Montaigne et Rousseau qui reconnaissent aux bêtes une sensibilité profondément humaine. Cette réflexion s’enrichit de références littéraires et musicales, notamment à la 9e symphonie de Mahler qui accompagne son deuil.

La figure de Mélodie s’inscrit dans une lignée d’histoires de fidélité canine, comme celle du célèbre Hachiko qui attendit pendant dix ans le retour de son maître défunt à la gare de Tokyo. Mizubayashi établit également un parallèle saisissant entre la perte de sa chienne et celle de son père, dont il conserve quelques cendres dans une boîte à thé. Cette double absence nourrit une réflexion sur le deuil et la mémoire.

Couronné par le Prix littéraire 30 Millions d’Amis en 2013, ce livre suscite des réactions contrastées : si certains critiques sont bouleversés par cette déclaration d’amour sans complexe à un animal, d’autres y voient une démesure sentimentale.

Aux éditions FOLIO ; 288 pages.


6. Une langue venue d’ailleurs (essai, 2011)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Au Japon, en avril 1970, Akira Mizubayashi, un jeune homme de dix-huit ans, a une révélation en écoutant une leçon de français diffusée sur la radio nationale japonaise. Dans un contexte d’agitation estudiantine où la langue japonaise est malmenée par les slogans politiques et la rhétorique marxiste, il perçoit dans cette langue étrangère une échappatoire salvatrice. Son père, qui avait lui-même souffert du régime totalitaire nippon interdisant la musique occidentale, soutient cette passion naissante en lui offrant un magnétophone coûteux pour enregistrer les émissions.

L’apprentissage du français devient alors une quête totale qui passe par la musique – notamment « Les Noces de Figaro » de Mozart dont le personnage de Suzanne le fascine – et par la littérature, avec une immersion dans l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau. La lecture d’un texte du philosophe Mori Arimasa, évoquant l’acquisition d’une langue comme projet de toute une vie, confirme sa vocation.

En 1973, une bourse lui permet d’étudier à l’université de Montpellier. Cette période marque ses premiers pas en France, entre découvertes culturelles et linguistiques. C’est là qu’il rencontre Michèle, sa future épouse. De retour au Japon pour préparer son master, il revient ensuite en France comme pensionnaire à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, où il poursuit son doctorat sur Rousseau.

Devenu professeur de langue et littérature françaises à l’université de Tokyo, Mizubayashi poursuit sa réflexion sur sa double appartenance culturelle. Il y examine les défis du bilinguisme au sein de sa famille, notamment avec sa fille Julia-Madoka, mais aussi avec leur chienne qui répond aux ordres dans les deux langues. Son récit s’enrichit d’observations sur les différences culturelles, comme l’opposition des conceptions de la pudeur dans les deux sociétés ou les rituels de politesse divergents.

Cette existence entre deux mondes linguistiques le place dans une position particulière : ni totalement japonais, ni complètement français, il revendique cette double « étrangéité » comme source de créativité et d’ouverture. Le français devient alors sa « langue paternelle », en hommage au soutien indéfectible de son père, tandis que le japonais, sa langue maternelle, perd sa « pureté originelle ».

Autour du livre

L’originalité du livre tient d’abord à son statut : écrit directement en français par un auteur japonais, il témoigne d’une maîtrise exceptionnelle de la langue, saluée par le Prix de l’Académie française en 2011 et le Prix Richelieu de la Francophonie en 2013. Cette excellence linguistique s’enracine dans une approche singulière de l’apprentissage : au lieu de se contenter des aspects techniques, Mizubayashi établit des ponts inattendus avec la musique, notamment « Les Noces de Figaro » de Mozart, dont le personnage de Suzanne incarne pour lui la modernité émancipatrice.

Le père occupe une place centrale dans ce récit. Figure lumineuse qui a souffert du régime militariste japonais – où écouter Beethoven était passible de condamnation – il transmet à ses fils une soif de culture et de liberté. Son soutien indéfectible se manifeste par des sacrifices financiers considérables : l’achat d’un piano représentant douze mois de salaire pour le frère aîné, celui du magnétophone un quart de salaire mensuel pour Akira.

Mizubayashi y dévoile les subtilités culturelles qui distinguent le français du japonais. Des observations fines émaillent le texte, comme l’étonnement face au « Bonjour messieurs-dames » lancé dans les commerces français, perçu au Japon comme une intrusion intolérable dans la vie privée d’autrui. Ces différences révèlent des conceptions divergentes de l’être et du paraître, de l’individu et du collectif.

Le bilinguisme devient sous sa plume le lieu d’une réflexion profonde sur l’identité. « Je ne suis ni japonais ni français », affirme-t-il, revendiquant cette double « étrangéité » comme un espace créatif privilégié. Cette position d’entre-deux nourrit sa réflexion sur la transmission linguistique, notamment avec sa fille Julia-Madoka, née d’une mère française.

La conclusion du livre frappe par sa radicalité amoureuse : « Je me considérerai comme mort quand je serai mort en français […] Il n’y aura jamais de divorce entre elle et moi. Jamais. Je ne souhaite pas vivre plus longtemps que mon français. Un jour de plus peut-être à la rigueur. » Cette déclaration passionnée couronne un récit qui transcende le simple témoignage pour interroger les fondements mêmes de notre rapport au langage et à l’identité.

Aux éditions FOLIO ; 272 pages.


7. Petit éloge de l’errance (essai, 2014)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En ouverture de « Petit éloge de l’errance », Akira Mizubayashi convoque une scène du film « Yojimbo » de Kurosawa, où un ronin – samouraï sans maître – incarne la figure emblématique de l’errant. Ce point de départ lui permet d’articuler une réflexion sur sa propre expérience de la marginalité dans la société japonaise.

L’auteur remonte à son enfance, évoquant des épisodes significatifs où il s’est senti différent : une humiliation publique, la compréhension bienveillante d’une institutrice. Ces souvenirs précoces dessinent déjà les contours d’une personnalité réfractaire au conformisme ambiant. Plus tard, jeune professeur, il se heurte aux hiérarchies rigides du système universitaire japonais, refusant de se plier aux codes d’une société structurée verticalement.

Cette dimension autobiographique s’enrichit d’une analyse politique incisive. Mizubayashi décortique les mécanismes qui, selon lui, perpétuent dans le Japon contemporain une forme de soumission collective héritée de l’ère impériale. Il pointe notamment l’irresponsabilité généralisée lors de la catastrophe de Fukushima, où personne n’assume individuellement les conséquences des décisions prises.

Pour nourrir sa réflexion, Mizubayashi puise dans un vaste répertoire culturel. Les films de Kurosawa et Kobayashi lui fournissent des modèles d’individualités rebelles. La musique de Mozart, particulièrement « Les Noces de Figaro », illustre la possibilité d’une harmonie sociale fondée sur la liberté plutôt que sur la contrainte. Rousseau, dont il est spécialiste, lui permet d’opposer au modèle japonais traditionnel l’idéal occidental du contrat social, où la société émane d’un accord entre individus libres.

L’errance, telle que la conçoit Mizubayashi, ne se réduit pas à un déplacement physique. Elle constitue une posture intellectuelle et morale : la capacité à prendre ses distances avec les évidences culturelles, à questionner les appartenances imposées. Son choix d’écrire en français incarne cette forme d’errance : en adoptant une autre langue, il s’ouvre un espace de liberté tout en maintenant un lien critique avec sa culture d’origine.

Le livre s’achève sur une méditation autour de la langue comme lieu possible de l’émancipation. Contrairement aux déterminations biologiques ou géographiques, la langue offre selon l’auteur la possibilité d’un choix. Elle représente un bien commun qui n’appartient à personne, un territoire sans frontières où chacun peut tracer son propre chemin.

Autour du livre

« Petit éloge de l’errance » se démarque par sa nature hybride, mêlant réflexion philosophique, autobiographie et critique sociale. La singularité première du texte réside dans sa genèse même : écrit directement en français par un auteur japonais, il incarne dans sa forme même le propos qu’il développe sur la possibilité de s’approprier une culture autre. Le français devient pour Mizubayashi un espace de liberté, « une terre généreuse sans propriétaire où se célèbre une fête permanente avec entrée gratuite ».

La réflexion sur l’errance s’articule étroitement à une critique politique du Japon contemporain. Mizubayashi s’inquiète particulièrement du retour des tendances ultranationalistes et de l’absence de responsabilité individuelle révélée par la gestion de la catastrophe de Fukushima. Cette dimension critique s’appuie sur une analyse fine des structures linguistiques et culturelles japonaises : l’auteur montre comment la langue elle-même, par son « présentisme » et sa verticalité, entrave l’émergence d’êtres singuliers.

L’argumentation s’enrichit de multiples références culturelles, savamment tissées : le cinéma de Kurosawa et Kobayashi, la musique de Mozart, la philosophie des Lumières avec Rousseau au premier plan. Ces références ne sont jamais gratuites mais servent à illustrer différentes modalités de l’errance comme résistance au conformisme.

Le texte frappe par sa construction minutieuse où chaque élément – souvenirs intimes, analyses politiques, références artistiques – contribue à approfondir la réflexion sur la possibilité de se constituer comme sujet autonome dans un monde qui tend à l’uniformisation.

Aux éditions FOLIO ; 144 pages.

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