Upton Sinclair naît le 20 septembre 1878 à Baltimore, dans le Maryland. Issu d’une famille du Sud aux origines écossaises, son père est un vendeur de spiritueux qui sombre dans l’alcoolisme, tandis que sa mère vient d’une famille aisée.
Très jeune, il développe une passion pour la lecture et commence à écrire pour financer ses études. Il entre au City College de New York à seulement 14 ans et poursuit ensuite à l’université Columbia. Il subvient à ses besoins en écrivant des histoires d’aventures et des blagues.
Sa carrière littéraire décolle véritablement en 1906 avec la publication de « La Jungle ». Pour écrire ce roman sur les conditions de travail dans les abattoirs de Chicago, il passe sept semaines en immersion dans l’industrie de la viande. Le livre provoque un tel scandale qu’il conduit à l’adoption de lois sur l’inspection des abattoirs et la sécurité alimentaire.
Militant socialiste convaincu, Sinclair s’engage en politique. Il fonde la communauté utopique Helicon Home Colony et se présente plusieurs fois aux élections. Sa campagne la plus mémorable reste celle de 1934 pour le poste de gouverneur de Californie, sous la bannière démocrate et le slogan « End Poverty in California » (EPIC). Malgré un large soutien populaire, il échoue face à une campagne de dénigrement orchestrée notamment par les studios d’Hollywood.
Écrivain prolifique, il publie près de cent ouvrages dans différents genres, de la fiction au journalisme d’investigation. Son œuvre la plus ambitieuse est la série des Lanny Budd, onze romans historiques publiés entre 1940 et 1953, dont « Les Griffes du dragon » qui remporte le Prix Pulitzer en 1943.
Marié trois fois, Sinclair connaît une vie privée mouvementée. Il s’éteint le 25 novembre 1968 dans une maison de retraite à Bound Brook, dans le New Jersey, laissant derrière lui l’héritage d’un écrivain engagé qui aura consacré sa vie à dénoncer les injustices sociales de son temps.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. La Jungle (1906)
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Résumé
Au début du XXe siècle, une famille d’immigrants lituaniens débarque à Chicago, portée par le rêve américain d’une vie meilleure. Le jeune et vigoureux Jurgis Rudkus, qui vient d’épouser la douce Ona lors d’une cérémonie traditionnelle, croit fermement en sa capacité à subvenir aux besoins des siens. La famille s’installe dans le quartier des abattoirs, au sein duquel Jurgis trouve rapidement un emploi. Leur première désillusion survient lors de l’achat d’une maison : victimes d’une arnaque, ils se retrouvent à rembourser des mensualités bien plus salées que prévu. Pour y faire face, Ona et le jeune Stanislovas, treize ans, doivent eux aussi aller travailler dans les conditions effroyables des usines de transformation de viande.
La descente aux enfers commence. Le père de Jurgis succombe bientôt à une mort prématurée, épuisé par son labeur dans les ateliers insalubres. Leur plus jeune enfant succombe ensuite à une intoxication alimentaire. Puis Jurgis apprend l’impensable : sous la menace d’un licenciement qui condamnerait toute la famille à la misère, Ona endure les violences sexuelles de son contremaître. Dans un accès de rage, Jurgis agresse ce dernier. Un acte qui le mène droit en prison et marque le début d’une spirale infernale.
Autour du livre
En 1904, Fred Warren, rédacteur en chef du journal socialiste « Appeal to Reason », mandate Upton Sinclair pour enquêter sur les conditions de travail dans les abattoirs de Chicago. Durant sept semaines, l’écrivain s’immerge dans l’univers des ouvriers, partage leur quotidien et recueille leurs témoignages. Cette investigation constitue le socle documentaire de « La Jungle », d’abord publié en feuilleton dans « Appeal to Reason » en 1905, avant sa parution en volume chez Doubleday en 1906.
L’impact du livre dépasse largement les intentions de son auteur. Alors que Sinclair souhaitait dénoncer l’exploitation des travailleurs immigrés et promouvoir le socialisme, ce sont les révélations sur les conditions sanitaires déplorables de l’industrie de la viande qui choquent l’opinion publique. Les descriptions crues d’ouvriers tombant dans les cuves de fonte et finissant broyés avec les morceaux de viande provoquent un tel scandale que le président Theodore Roosevelt, pourtant hostile aux positions socialistes de Sinclair, ordonne une enquête. Les conclusions confirment la majorité des faits relatés dans le roman.
L’écrivain Jack London qualifie « La Jungle » de « Case de l’Oncle Tom de l’esclavage salarié », soulignant la puissance dénonciatrice de l’œuvre. Le premier ministre britannique Winston Churchill salue également le roman. Sinclair lui-même commente avec un brin d’amertume dans le Cosmopolitan d’octobre 1906 : « J’ai visé le cœur du public et par accident je l’ai touché à l’estomac. »
Les répercussions du livre se manifestent rapidement sur le plan législatif. En 1906, le Congrès adopte le « Meat Inspection Act » et le « Pure Food and Drug Act », instituant un contrôle sanitaire strict de l’industrie alimentaire. Un laboratoire de chimie est créé au sein du Département de l’Agriculture, qui deviendra en 1930 la Food and Drug Administration (FDA).
La première adaptation cinématographique du roman voit le jour en 1914, mais les copies sont aujourd’hui perdues. En 2018, Kristina Gehrmann le transpose en roman graphique. Le dramaturge Bertolt Brecht s’inspire également de l’univers des abattoirs de Chicago pour sa pièce « Sainte Jeanne des Abattoirs », écrite entre 1929 et 1931.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 528 pages.
2. Pétrole ! (1926-1927)
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Résumé
Californie du Sud, années 1920. James Arnold Ross Jr., surnommé « Bunny », suit les pas de son père, jadis muletier désormais magnat du pétrole. Âgé de treize ans, il accompagne déjà « Papa » dans ses prospections et apprend les rouages du commerce pétrolier : négociations avec les propriétaires terriens, techniques de forage, gestion des ouvriers. Lors d’une partie de chasse, Bunny découvre du pétrole sur les terres de la famille Watkins. Son père rachète aussitôt la propriété et y établit une exploitation qui marque le début de leur ascension.
Sur ces terres, Bunny noue une sincère amitié avec Paul Watkins, un jeune rebelle qui défend les droits des travailleurs. Cette rencontre bouleverse sa vision du monde. D’un côté, il observe son père bâtir un empire grâce à des méthodes contestables : corruption de fonctionnaires, arrangements politiques douteux, rachats forcés de terrains. De l’autre, il est témoin des conditions de vie misérables des ouvriers qui extraient le pétrole.
Après la Première Guerre mondiale, Paul revient de Sibérie converti au communisme et organise des grèves dans les champs pétrolifères. Bunny se retrouve alors écartelé entre deux mondes irréconciliables : la loyauté envers son père et l’entreprise familiale d’un côté, ses convictions progressistes et son amitié pour Paul de l’autre. La tension atteint son paroxysme quand une importante grève des travailleurs menace directement les intérêts de son père…
Autour du livre
Ancien journaliste d’investigation, Upton Sinclair écrit « Pétrole ! » en 1926-1927, dans le contexte du scandale de Teapot Dome qui secoue l’administration du président Harding. Cette affaire de corruption implique l’attribution frauduleuse de réserves pétrolières fédérales à des compagnies privées. Sinclair s’inspire largement de la vie d’Edward L. Doheny, co-fondateur de la Pan American Petroleum and Transport Company, et dépeint avec minutie l’essor de l’industrie pétrolière californienne au début du XXe siècle.
À travers le parcours de Bunny, Sinclair brosse le portrait d’une Amérique en pleine mutation. Il y aborde des thématiques multiples : l’éveil politique d’une jeunesse privilégiée, la montée du communisme aux États-Unis, la répression du mouvement ouvrier, l’émergence d’Hollywood et de la radio, l’expansion du fondamentalisme religieux incarné par le personnage d’Eli Watkins – inspiré de l’évangéliste Aimee Semple McPherson.
Le livre fut interdit à Boston à cause d’une scène dans un motel jugée trop explicite. Pour contourner la censure, Sinclair et son éditeur publièrent une « Fig Leaf Edition » (édition feuille de vigne) limitée à 150 exemplaires, où les neuf pages litigieuses apparaissaient entièrement noircies. Sinclair espérait transformer cette censure en procès pour obscénité médiatisé. Bien qu’il n’ait jamais intenté le procès, la controverse contribua à faire de son livre un best-seller.
« Pétrole ! » est unanimement salué pour l’ampleur de sa documentation. La critique souligne l’efficacité de la première partie du roman, consacrée à l’industrie pétrolière, mais certains déplorent un essoufflement dans la seconde moitié, quand les questions politiques prennent le dessus. Si certains lecteurs jugent les personnages trop manichéens et reprochent à Sinclair son militantisme appuyé, d’autres apprécient justement cette dimension politique et sociale.
En 2007, Paul Thomas Anderson adapte librement le livre au cinéma sous le titre « There Will Be Blood ». Le film, qui ne reprend que les 150 premières pages du livre, se concentre sur le personnage du père et abandonne la dimension politique. Daniel Day-Lewis y incarne un magnat du pétrole inspiré d’Edward L. Doheny. Le long-métrage remporte deux Oscars : meilleur acteur pour Day-Lewis et meilleure photographie.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 992 pages.