Thomas Lanier Williams III naît le 26 mars 1911 à Columbus, Mississippi. Issu d’une famille aux origines anglaises, galloises et huguenotes, il est le fils d’Edwina Dakin et de Cornelius Williams, un voyageur de commerce alcoolique souvent absent. Le jeune Thomas grandit auprès de sa mère et de sa sœur Rose, qu’il adore, dans le presbytère de son grand-père maternel.
À l’âge de cinq ans, une diphtérie le cloue au lit pendant un an. C’est durant cette période qu’il commence à écrire des poèmes et des saynètes, encouragé par sa sœur Rose. En 1918, la famille déménage à Saint-Louis où son père a trouvé un emploi dans une fabrique de chaussures.
Après des études de journalisme à l’université du Missouri, Williams est contraint de travailler comme manutentionnaire dans l’usine de chaussures où travaille son père. Cette expérience le déprime profondément, mais il continue d’écrire la nuit. Le drame le frappe quand sa sœur Rose, schizophrène, subit une lobotomie en 1943, un événement qui le marquera durablement et influencera son œuvre.
La gloire arrive soudainement en 1944 avec l’une de ses premières pièces de théâtre, « La Ménagerie de verre », puis se confirme en 1947 avec « Un tramway nommé Désir ». Ces succès marquent le début d’une période faste, durant laquelle il écrit plusieurs chefs-d’œuvre dont « La Chatte sur un toit brûlant » (1955), « Soudain l’été dernier » (1958) et « La Nuit de l’iguane » (1961).
Sa vie privée est marquée par sa relation avec Frank Merlo, qui dure quatorze ans jusqu’à la mort de ce dernier en 1963. Son décès le plonge dans une dépression et une dépendance aux drogues et à l’alcool. Il continue néanmoins d’écrire jusqu’à sa mort, survenue le 25 février 1983 dans une chambre de l’Hotel Elysée à New York. Tennessee Williams est aujourd’hui considéré comme l’un des dramaturges américains les plus importants du XXe siècle.
Voici notre sélection de ses pièces de théâtre majeures.
1. La Ménagerie de verre (1944)
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Résumé
Tom Wingfield, jeune employé d’un entrepôt de chaussures et poète en devenir, nous raconte ses souvenirs de famille dans le Saint-Louis des années 1930. Depuis que leur père les a abandonnés, Tom subvient seul aux besoins de sa mère Amanda et de sa sœur Laura.
Amanda, ancienne belle du Sud, ne cesse d’évoquer sa jeunesse glorieuse et les nombreux prétendants qui se pressaient à sa porte. Sa fille Laura, que la timidité et un handicap à la jambe ont coupée du monde extérieur, se réfugie dans une collection d’animaux en verre, sa « ménagerie ». Tom, lui, fuit l’atmosphère oppressante du foyer en passant ses soirées au cinéma.
Obsédée par l’avenir de Laura, Amanda presse Tom de trouver un prétendant pour sa sœur. Il invite alors Jim O’Connor, son collègue de travail, à dîner. Pour Amanda, cette soirée représente l’espoir de voir enfin sa fille mariée. Pour Laura, la perspective de cette rencontre ravive le souvenir du seul garçon qu’elle ait jamais admiré au lycée.
Autour de la pièce
« La Ménagerie de verre » naît d’une nouvelle de Tennessee Williams intitulée « Portrait of a Girl in Glass », écrite en 1943 et publiée en 1948. Il s’inspire largement de sa propre famille : Tom est son alter ego (Williams se prénommait Thomas), tandis que le personnage de Laura trouve son origine dans sa sœur Rose, qui souffrait de dépression. Le dramaturge transforme d’abord sa nouvelle en scénario pour la MGM, avec l’espoir d’y voir jouer Ethel Barrymore et Judy Garland, avant d’en faire une pièce de théâtre.
La pièce transpose sur scène la fragilité des illusions et la difficulté d’échapper à son milieu social. Chaque personnage se réfugie dans son propre monde : Amanda dans ses souvenirs d’une jeunesse dorée, Laura dans sa collection d’animaux en verre – sa « ménagerie » – et Tom dans la poésie et le cinéma. La licorne de verre, pièce maîtresse de la collection de Laura, devient le symbole de cette jeune femme marginale dont la singularité sera brisée par sa confrontation avec le monde extérieur.
Les critiques saluent unanimement la première à Chicago en 1944. Ashton Stevens du Chicago Herald-American et Claudia Cassidy du Chicago Tribune célèbrent particulièrement l’écriture de Williams et l’interprétation de Laurette Taylor dans le rôle d’Amanda. Leurs critiques élogieuses attirent le public et permettent à la pièce d’être transférée à Broadway, où elle remporte le New York Drama Critics’ Circle Award en 1945. La performance de Laurette Taylor marque durablement les esprits : en 2004, dans le documentaire « Broadway: The Golden Age », des vétérans du théâtre la considèrent comme la plus mémorable de leur vie.
« La Ménagerie de verre » connaît de multiples adaptations. Irving Rapper la porte à l’écran en 1950 avec Jane Wyman et Kirk Douglas, mais Williams désavoue cette version qui impose une fin heureuse à l’américaine. Paul Newman en réalise une nouvelle adaptation en 1987 avec Joanne Woodward et John Malkovich, qui ne rencontre qu’un succès modéré. La télévision s’en empare également, notamment en 1973 dans une version avec Katharine Hepburn. Plus récemment, en 2020, Ivo van Hove met en scène la pièce avec Isabelle Huppert dans le rôle d’Amanda, tandis qu’une adaptation indienne, « Akale », transpose l’histoire dans le Kerala des années 1970.
Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 208 pages.
2. Un tramway nommé Désir (1947)
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Résumé
Dans le Quartier Français de La Nouvelle-Orléans de l’après-guerre, Blanche DuBois trouve refuge chez sa sœur cadette Stella. Cette ancienne enseignante d’anglais, issue d’une famille aristocratique du Sud déchue, vient de perdre leur domaine de Belle Reve au Mississippi. Elle prétend avoir pris un congé pour épuisement nerveux, mais fuit en réalité un scandale : son licenciement pour une liaison avec un élève mineur.
Stella vit dans un modeste appartement avec Stanley Kowalski, un ouvrier d’origine polonaise dont la brutalité primitive fascine autant qu’elle répugne Blanche. Les tensions s’exacerbent quand cette dernière, qui dissimule ses traumatismes sous des airs distingués, attire l’attention de Mitch, un ami de Stanley. Ce dernier, ulcéré par les grands airs de sa belle-sœur, enquête sur son passé et découvre ses secrets : un bref mariage avec un jeune homme qui s’est suicidé après que Blanche eut découvert son homosexualité, puis une période de déchéance morale à Laurel.
Le conflit entre Blanche, cramponnée aux vestiges d’une culture sudiste moribonde, et Stanley, incarnation d’une Amérique nouvelle, ouvrière et multiculturelle, semble inéluctable.
Autour de la pièce
Tennessee Williams commence l’écriture à Chicago durant l’hiver 1944-1945, alors qu’il n’a que 33 ans. Il poursuit à La Nouvelle-Orléans, où circule réellement un tramway sur la ligne « Desire ». Le titre définitif ne s’impose qu’à la veille de la première. Williams puise dans sa propre histoire familiale : sa sœur Rose, qui souffre de troubles mentaux, inspire en partie le personnage de Blanche.
La pièce se déploie telle une métaphore du choc entre deux mondes : l’aristocratie sudiste déclinante et l’Amérique moderne industrielle. Williams dépeint une société d’après-guerre en pleine mutation, où les codes de la chevalerie cèdent la place à une masculinité plus brutale. Pour la première fois dans le théâtre américain, la sexualité masculine s’affiche crûment à travers le personnage de Stanley. Des thèmes tabous comme l’homosexualité, le désir féminin et la violence sexuelle surgissent sans fard.
La première à Broadway le 3 décembre 1947 fait sensation. Le public reste d’abord figé dans un silence tendu avant d’applaudir pendant trente minutes selon la légende. La mise en scène d’Elia Kazan et l’interprétation électrisante de Marlon Brando, alors quasi inconnu, font date. Les critiques saluent unanimement la performance de Jessica Tandy dans le rôle de Blanche, qui lui vaut le Tony Award de la meilleure actrice. Le New York Times salue une « histoire poignante et lumineuse ». L’American Theatre Critics Association considère « Un tramway nommé Désir » comme la pièce la plus importante du XXe siècle.
En 1951, le film d’Elia Kazan avec Vivien Leigh et Marlon Brando remporte quatre Oscars. La pièce inspire également un opéra composé par André Previn en 1995, créé au San Francisco Opera. En 2013, Woody Allen en livre une relecture contemporaine avec « Blue Jasmine ». La plus récente production à l’Almeida Theatre de Londres en 2022, avec Paul Mescal et Patsy Ferran, remporte trois Laurence Olivier Awards dont celui de la meilleure reprise.
Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 272 pages.
3. La Chatte sur un toit brûlant (1955)
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Résumé
L’action se déroule dans une vaste demeure du Mississippi, lors d’une soirée d’été étouffante. La famille Pollitt s’est réunie pour célébrer les soixante-cinq ans de Big Daddy, puissant propriétaire de la plus grande plantation de coton de la région. Cependant, la fête camoufle un lourd secret : le patriarche est atteint d’un cancer en phase terminale, une vérité que tous s’efforcent de lui cacher.
La question de l’héritage est brûlante. D’un côté, Gooper, le fils aîné, et son épouse Mae mettent en avant leurs cinq enfants pour s’attirer les faveurs de Big Daddy. De l’autre, Brick, le fils cadet, semble avoir renoncé à tout. Jadis champion de football américain, il s’est réfugié dans l’alcool depuis le suicide de son meilleur ami Skipper. Son épouse Maggie se bat sur deux fronts : reconquérir son mari, qui la repousse avec une froide indifférence, et sécuriser leur part d’héritage malgré leur absence d’enfant.
Au fil de la nuit, les masques tombent et les vérités éclatent. Un secret entoure la mort de Skipper, liée à sa relation ambiguë avec Brick. Face aux manœuvres de Gooper et Mae pour s’emparer de la fortune familiale, Maggie devra déployer toute son énergie pour sortir Brick de sa léthargie avant qu’il ne soit trop tard.
Autour de la pièce
Tennessee Williams compose « La Chatte sur un toit brûlant » entre 1953 et 1955 en adaptant sa propre nouvelle « Three Players of a Summer Game ». Le dramaturge considère cette pièce comme sa préférée. Elle remporte le Prix Pulitzer en 1955 mais fait l’objet d’une controverse : initialement rejetée par le comité de sélection qui la juge « prétentieuse », elle n’obtient le prix que grâce à l’intervention de Joseph Pulitzer Jr., président du conseil.
La pièce met en scène un Sud profond où règnent le mensonge et les faux-semblants. Williams y dissèque les rapports de force au sein d’une famille fortunée, entre désir d’héritage et secrets inavoués. Le dramaturge lui-même définit son projet : « Je ne cherche pas à résoudre un problème psychologique individuel. Je veux montrer la vérité des relations humaines dans un groupe, ce jeu d’interactions vacillant, trouble, insaisissable mais électrisant entre des êtres vivants pris dans la tempête d’une crise commune. »
La première a lieu le 24 mars 1955 au Morosco Theatre de Broadway, dans une mise en scène d’Elia Kazan. Barbara Bel Geddes incarne Maggie, Ben Gazzara joue Brick et Burl Ives prête ses traits à Big Daddy. Kazan demande à Williams de remanier le troisième acte pour rendre Maggie plus sympathique et provoquer un éveil moral chez Brick. S’il accède à cette requête, il publie toutefois les deux versions de l’acte final, l’originale et celle de Broadway.
La pièce connaît un succès retentissant qui dépasse les frontières américaines. Peter Brook la monte à Paris en 1956 avec Jeanne Moreau. Ingmar Bergman la dirige à Malmö en 1956 avec Max von Sydow. La production londonienne de 2009, avec une distribution entièrement afro-américaine menée par James Earl Jones, reçoit le Laurence Olivier Award de la meilleure reprise.
L’adaptation cinématographique de Richard Brooks en 1958, avec Elizabeth Taylor et Paul Newman, marque l’histoire du septième art malgré les modifications imposées par la censure. Le film atténue notamment la dimension homosexuelle de la relation entre Brick et Skipper, au grand dam de Williams. Malgré ces compromis, le long-métrage obtient plusieurs nominations aux Oscars. D’autres adaptations suivront pour la télévision, notamment en 1976 avec Natalie Wood et Laurence Olivier, puis en 1984 avec Jessica Lange et Tommy Lee Jones.
Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 214 pages.
4. Soudain l’été dernier (1958)
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Résumé
La Nouvelle-Orléans, 1936. Le docteur Cukrowicz, jeune neurochirurgien, reçoit une proposition singulière de Mrs Violet Venable, une veuve fortunée du quartier huppé du Garden District. Cette dame de la haute société lui promet une généreuse donation pour ses recherches en psychiatrie s’il accepte de pratiquer une lobotomie sur sa nièce Catherine.
La jeune femme est internée depuis son retour d’Europe, où elle accompagnait Sebastian, le fils de Mrs Venable, lors d’un voyage qui s’est achevé par la mort mystérieuse de ce dernier. Catherine tient des propos troublants sur les circonstances du décès, que sa tante cherche désespérément à étouffer.
La mère et le frère de Catherine, qui dépendent de l’héritage de Sebastian bloqué en probation par Mrs Venable, se rangent du côté de celle-ci. Mais le Dr Cukrowicz, sceptique quant à la prétendue démence de la jeune femme, décide de lui administrer un sérum de vérité pour découvrir ce qui s’est réellement passé durant ce funeste été. Que cache Mrs Venable sur son fils ? Que s’est-il véritablement produit sur cette plage espagnole où Sebastian a trouvé la mort ?
Autour de la pièce
Écrite en 1957 à New York, « Soudain l’été dernier » est créée le 7 janvier 1958 à l’Off-Broadway, dans le cadre d’un programme double avec une autre pièce en un acte de Williams, « Something Unspoken ». L’ensemble est alors présenté sous le titre « Garden District », mais « Suddenly, Last Summer » sera par la suite généralement jouée seule. Williams la considérait comme sa pièce « peut-être la plus poétique », un jugement que partage le critique Harold Bloom qui la classe parmi les meilleures illustrations du lyrisme de l’auteur.
La pièce puise dans le vécu de Tennessee Williams, notamment à travers le personnage de Catherine, menacée de lobotomie. Sa situation fait écho au sort tragique de Rose Williams, la sœur du dramaturge, qui subit cette intervention neurochirurgicale sous la pression d’une mère dominante. Le texte manifeste également la préoccupation de Williams pour la condition des homosexuels dans l’Amérique des années 1950, lui-même ayant souffert du regard réprobateur de la société sur son orientation sexuelle.
Les thèmes qui traversent la pièce – la folie, la prédation, le cannibalisme métaphorique – s’articulent autour d’une vision cynique des relations humaines, résumée par Catherine : « nous nous utilisons tous les uns les autres, et c’est ce que nous prenons pour de l’amour ». Williams explicite lui-même cette métaphore du cannibalisme comme une dénonciation de la façon dont « l’homme dévore l’homme sans l’excuse des animaux qui le font par nécessité ».
La création Off-Broadway en 1958 révèle Anne Meacham dans le rôle de Catherine, une performance qui lui vaut un Obie Award. La pièce trouve rapidement un écho international avec des mises en scène dès l’année suivante en Allemagne. Les adaptations se succèdent ensuite sur les plus grandes scènes : Broadway en 1995, le West End londonien en 1999 avec Rachel Weisz, ou encore le Théâtre de l’Odéon à Paris en 2017 dans une mise en scène de Stéphane Braunschweig.
L’adaptation cinématographique de 1959 par Joseph L. Mankiewicz, sur un scénario de Gore Vidal et Williams, réunit un casting prestigieux avec Elizabeth Taylor, Katharine Hepburn et Montgomery Clift. Les deux actrices principales sont nommées aux Academy Awards. Une version télévisée de la BBC en 1993, réalisée par Richard Eyre, permet à Maggie Smith de décrocher une nomination aux Emmy Awards pour son interprétation de Mrs Venable. Ces adaptations doivent toutefois composer avec la censure : le code Hays contraint notamment les scénaristes du film de 1959 à gommer les références explicites à l’homosexualité de Sebastian.
Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 144 pages.