Trouvez facilement votre prochaine lecture
Les meilleurs romans de Louis-Ferdinand Céline – Notre sélection

Louis-Ferdinand Céline en 9 romans – Notre sélection

Louis-Ferdinand Destouches, qui prendra le nom de plume de Céline, naît le 27 mai 1894 à Courbevoie dans une famille de la petite bourgeoisie. Fils unique, il passe son enfance dans le passage Choiseul à Paris où sa mère tient une boutique de dentelles. Après des séjours linguistiques en Allemagne et en Angleterre, il s’engage à 18 ans dans l’armée en 1912.

La Première Guerre mondiale marque un tournant dans sa vie. Grièvement blessé au bras en octobre 1914, il reçoit la médaille militaire pour son courage. Cette expérience traumatisante influence profondément sa vision du monde et son écriture. Après la guerre, il entreprend des études de médecine et soutient sa thèse en 1924.

Sa carrière littéraire débute véritablement en 1932 avec la publication de « Voyage au bout de la nuit », roman qui connaît un succès retentissant et reçoit le prix Renaudot. L’ouvrage impressionne par son style novateur et sa vision désenchantée du monde. Dans les années suivantes, Céline publie plusieurs pamphlets antisémites qui marqueront à jamais sa réputation.

Pendant l’Occupation, il collabore ouvertement avec les nazis. En 1944, craignant pour sa vie, il fuit vers l’Allemagne puis le Danemark. Condamné par contumace en 1950 pour collaboration, il est finalement amnistié en 1951 et rentre en France. Il s’installe alors à Meudon avec sa dernière épouse, Lucette, où il continue d’exercer la médecine tout en écrivant.

Jusqu’à sa mort en 1961, il poursuit son œuvre littéraire, notamment avec sa « trilogie allemande » qui relate son exil. Son style argotique, mêlant langue parlée et écrite, et son influence sur la littérature du XXe siècle font de lui l’un des écrivains majeurs de son temps, malgré la controverse qui continue d’entourer sa personne et son œuvre.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Voyage au bout de la nuit (1932)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

« Voyage au bout de la nuit », premier roman de Louis-Ferdinand Céline paru en 1932, nous entraîne dans l’errance tragique de Ferdinand Bardamu, double de l’auteur. Enrôlé dans l’armée lors du déclenchement de la Grande Guerre, le jeune homme découvre dans la boue des tranchées la véritable nature de l’homme : celle d’un lâche égoïste et cruel, capable des pires atrocités pour sauver sa peau.

Écœuré et révolté, Bardamu tente d’échapper à cette réalité sordide en parcourant le monde. De l’Afrique coloniale à l’Amérique capitaliste en passant par la banlieue parisienne, il est le témoin impuissant d’une humanité cupide, mesquine et aliénée. Engagé comme médecin, il côtoie la misère sociale et morale d’une population aussi pauvre que désabusée.

Autour du livre

Publié en 1932, « Voyage au bout de la nuit » marque d’emblée un tournant dans la littérature française. Son titre provient d’une chanson de 1793, entonnée lors de la bataille de la Bérézina : « Notre vie est un voyage / Dans l’Hiver et dans la Nuit / Nous cherchons notre passage / Dans le Ciel où rien ne luit ».

Le roman se distingue par sa vision radicale du monde, portée par un langage qui mêle l’argot à un lexique soutenu, jusque dans la même phrase. Cette fusion inédite n’est en rien un relâchement : elle traduit la symbiose entre le narrateur et les personnages des faubourgs qu’il décrit. À travers cette langue composite, quatre grands thèmes émergent : l’errance perpétuelle (inscrite jusque dans le nom du protagoniste Bardamu, « mû par son barda »), l’omniprésence de la ville (qu’elle soit Paris, New York, Détroit ou l’inventée « La Garenne-Rancy »), la décomposition inexorable des êtres, et la lâcheté comme seule réponse sensée face à l’absurdité du monde.

La genèse de l’œuvre puise dans l’expérience médicale de Céline, notamment sa thèse sur Ignace Philippe Semmelweis, médecin hongrois qui découvrit le principe de la septicémie. Trois aspects de Semmelweis résonnent particulièrement avec le roman : sa compassion bouleversée face à la souffrance, son intuition comparable à celle d’un artiste, et sa solitude face à l’imbécillité du monde. L’influence de Freud se fait également sentir, particulièrement son ouvrage « Au-delà du principe de plaisir » sur les névroses de guerre.

La publication suscite une bataille rangée pour le prix Goncourt. Malgré le soutien de Léon Daudet, le prix échappe à Céline au profit des « Loups » de Guy Mazeline, certains jurés jugeant l’œuvre trop obscène. Le prix Renaudot lui est néanmoins attribué.

Le succès ne se dément pas : « Voyage au bout de la nuit » figure à la 6e place des 100 meilleurs livres du XXe siècle selon un vote de 6000 Français, et le Cercle norvégien du livre l’inclut dans sa liste des 100 meilleurs livres de tous les temps. Le manuscrit, disparu pendant près de 60 ans, réapparaît en 2001 et est acquis par la Bibliothèque nationale de France pour plus de 12 millions de francs.

Le texte inspire de nombreuses adaptations théâtrales, notamment les spectacles marquants de Fabrice Luchini et Jean-François Balmer. Au cinéma, bien que Sergio Leone, Michel Audiard, Jean-Luc Godard et Abel Gance aient rêvé de l’adapter, il faut attendre 2023 pour que Joann Sfar acquière les droits d’adaptation auprès de Gallimard, avec le scénariste Thomas Bidegain.

Aux éditions FOLIO ; 505 pages.


2. Mort à crédit (1936)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Après le fulgurant « Voyage au bout de la nuit », Louis-Ferdinand Céline récidive en 1936 avec « Mort à crédit », roman largement inspiré de sa propre jeunesse. Dans le Paris populaire du début du XXe, on suit le quotidien de Ferdinand, un garçon étouffé par la médiocrité et la violence de son milieu.

La boutique de dentelles de sa mère vivote. Son père, petit employé frustré, déverse sa rancœur sur son fils. Déscolarisé, ce dernier enchaîne les emplois ingrats et les renvois. Un séjour linguistique infructueux en Angleterre le laisse mutique. De retour en France, Ferdinand devient le factotum d’un inventeur fantasque et filou, Courtial. Ce personnage haut en couleurs l’entraîne dans des combines improbables qui tourneront au fiasco.

Autour du livre

Paru en mai 1936 aux éditions Denoël, « Mort à crédit » marque la seconde incursion de Louis-Ferdinand Céline dans le genre romanesque, quatre ans après le retentissement considérable de « Voyage au bout de la nuit ». La rédaction s’étale sur quatre années, pendant lesquelles l’auteur peaufine méticuleusement une écriture qui repousse encore davantage les limites du langage conventionnel.

À sa sortie, l’œuvre déconcerte et divise la critique, son audace formelle et sa crudité heurtant les sensibilités de l’époque. Le projet initial prévoyait une fresque en trois volets retraçant l’enfance du protagoniste, sa vie pendant la guerre et son séjour à Londres. Mais les 622 pages du roman se concentrent finalement sur la seule période de l’enfance, les autres épisodes trouvant leur place dans « Casse-pipe » et « Guignol’s Band ».

La structure du récit s’articule autour d’un prologue et de trois parties d’égale importance. Le prologue, qui prolonge la tonalité cynique de « Voyage au bout de la nuit », dépeint le quotidien d’un médecin de banlieue aux prises avec la misère humaine. L’écriture s’y fait progressivement plus saccadée, ponctuée de points de suspension, jusqu’à atteindre une désarticulation syntaxique qui deviendra la marque de fabrique de Céline.

L’oncle Édouard émerge comme la seule figure bienveillante dans cette galerie de personnages écorchés. Ses interventions rythment le récit, les première et deuxième parties s’achevant respectivement sur « Oui, mon oncle » et « Non mon oncle ». Le personnage le plus mémorable reste néanmoins Roger-Marin Courtial des Pereires, savant farfelu et universel inspiré de Henry de Graffigny, que Céline a côtoyé après la Première Guerre mondiale.

La dimension autobiographique s’avère toute relative : Céline sélectionne et dramatise démesurément certains épisodes vécus, bouleversant leur chronologie selon les nécessités narratives. Les thèmes de la mort, du sexe et de la nausée imprègnent profondément l’œuvre, qui se révèle plus osée que son prédécesseur. Le vomissement y devient un motif récurrent, décrit avec une insistance morbide et servant de catalyseur tant au début qu’à la fin du roman.

Kurt Vonnegut fait référence à « Mort à crédit » dans le premier chapitre autobiographique de « Abattoir 5 », tandis que le film « Sexcrimes » (1998) montre le personnage de Suzie Marie Toller (Neve Campbell) plongé dans sa lecture, un indice subtil sur sa personnalité et son rôle dans l’intrigue.

Aux éditions FOLIO ; 622 pages.


3. D’un château l’autre (1957)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

« D’un château l’autre » nous propulse dans le quotidien de Louis-Ferdinand Céline au milieu des années 1950. L’écrivain vit alors à Meudon, en banlieue parisienne, où il exerce comme médecin dans le dénuement. Marginalisé, honni par ses pairs et l’opinion publique pour son passé collaborationniste, il survit grâce à quelques patients miséreux et aux maigres revenus de ses livres.

Un accès de paludisme le replonge soudain dans ses souvenirs de la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1944, fuyant les représailles de la Libération, il s’était réfugié avec les derniers fidèles du maréchal Pétain au château de Sigmaringen, en Allemagne. Dans ce microcosme grotesque, les dignitaires de Vichy maintiennent l’illusion d’un gouvernement en exil tandis que le Reich s’effondre. Céline y officie comme médecin, témoin lucide et sarcastique de cette comédie tragique.

Le récit oscille entre ces deux « châteaux » : celui de Meudon où l’auteur rumine sa rancœur contre ses détracteurs – Sartre, Mauriac, les éditeurs rapaces – et celui de Sigmaringen où défilent des personnages pathétiques, du maréchal à ses ministres fantoches. Seuls échappent à sa haine sa femme Lili, son chat Bébert et quelques patients fidèles comme Mme Niçois.

Autour du livre

Publié en 1957, « D’un château l’autre » marque le retour triomphal de Céline après deux échecs commerciaux consécutifs. Cette chronique du gouvernement de Vichy en exil à Sigmaringen entremêle habilement deux temporalités : celle de l’écriture, dans les années 1950 à Meudon, et celle des événements relatés, qui se déroulent en 1944-1945 dans le château des Hohenzollern.

La structure narrative se révèle particulièrement audacieuse pour l’époque. Le premier tiers constitue une longue diatribe où Céline, médecin désargenté soignant une clientèle miséreuse, déverse sa bile contre les éditeurs rapaces et l’establishment littéraire de l’après-guerre. C’est une rencontre quasi fantastique avec son ami acteur Le Vigan, sur les bords de Seine, qui déclenche le basculement vers les souvenirs de Sigmaringen.

Le livre suscite des réactions contrastées à sa sortie. Si certains critiques, comme Jacques Guyaux dans le Journal de Charleroi, y voient un « consternant galimatias », d’autres, tel Pascal Pia dans Carrefour, saluent la puissance évocatrice des scènes décrites, notamment celle d’Alphonse de Châteaubriant brisant la vaisselle de Saxe chez Otto Abetz. Le journal Libération reconnaît même que ces pages ont contribué à la « rénovation du langage littéraire ».

L’originalité du livre réside dans son traitement tragi-comique de l’histoire. Les figures tutélaires de Vichy – Pétain et sa promenade quotidienne minutée, Laval et ses illusions – sont croquées avec un humour féroce qui met en lumière l’absurdité de la situation. La description des conditions de vie sordides (le « Stammgericht » aux choux rouges et raves particulièrement indigeste) contribue à démythifier cette page d’histoire.

Dans un entretien accordé à la Radio suisse romande lors de la sortie du livre, Céline confesse sans détour avoir écrit « surtout pour des raisons économiques ». Cette franchise brutale caractérise bien « D’un château l’autre », première partie d’une trilogie qui se poursuivra avec Nord (1960) et s’achèvera avec Rigodon (1969).

Le succès commercial tient sans doute autant à la curiosité du public pour cette période trouble qu’à la personnalité sulfureuse de son auteur. « D’un château l’autre » inaugure ainsi le retour en grâce de Céline auprès du public, même si certains critiques, comme Maurice Nadeau, n’y voient qu’une « rage mesquine » et des « haines ridicules dont l’exagération fait sourire ».

Aux éditions FOLIO ; 439 pages.


4. Nord (1960)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans « Nord », deuxième volet de sa trilogie allemande après « D’un château l’autre », Céline raconte sa fuite de France en 1944. L’auteur, qui s’est compromis pendant l’Occupation, part avec sa femme Lili et leur chat Bébert. Leur première étape les mène à Baden-Baden, où ils séjournent dans un palace surréaliste : pendant que l’Allemagne agonise, on y sert encore langouste et champagne.

Ce havre de paix ne dure pas. Le groupe, augmenté de l’acteur Le Vigan, se retrouve à Berlin sous les bombes. La ville n’est plus qu’un champ de ruines où ils errent entre un hôtel branlant et le bureau d’un avocat délirant qui croit voir Hitler chaque jour. Leur salut vient d’Harras, médecin SS et ami de Céline, qui les envoie à Zornhof, domaine rural gouverné par un aristocrate excentrique.

À la campagne, la tension monte dans ce microcosme où se côtoient prisonniers hostiles, travailleurs forcés et nobles dégénérés. Les bombardements rythment les journées, tandis que chacun lutte pour sa survie et tente d’améliorer l’ordinaire.

Autour du livre

Dernier roman publié du vivant de Céline en 1960, « Nord » constitue le deuxième volet d’une trilogie allemande entamée avec « D’un château l’autre » et achevée de façon posthume par « Rigodon ». Cette œuvre suscite immédiatement la controverse, non seulement par son contenu mais aussi par des problèmes juridiques : quelques semaines après sa publication, le livre doit être retiré des librairies suite à la plainte d’une certaine Mme Asta S., qui se reconnaît dans le personnage d’Isis et s’estime diffamée. Une nouvelle édition « définitive » paraît en 1964, dans laquelle les noms propres sont remplacés.

Au cœur de ce récit crépusculaire se dessine un monde en décomposition, où l’absurde côtoie constamment le tragique. La narration jongle entre le présent de l’écriture (les années 1950) et les souvenirs de 1944, créant une tapisserie narrative complexe qui entremêle les temporalités. Cette structure fragmentée reflète le chaos d’une époque où, selon les mots mêmes de Céline, « plus aucun ordre en rien du tout » ne subsiste après l’attentat manqué contre Hitler.

L’originalité de « Nord » réside dans sa capacité à transformer l’expérience personnelle en une vision universelle de la condition humaine face au chaos. Les bombardements alliés, omniprésents, deviennent le symbole d’un monde qui s’écroule, tandis que les personnages continuent leurs mesquines querelles, comme si l’apocalypse elle-même ne pouvait interrompre la comédie humaine.

La dimension autobiographique se double d’une observation acerbe des différentes classes sociales : l’aristocratie prussienne décadente, les villageois xénophobes, les gitans rusés, chacun incarnant un aspect de cette société en déliquescence. Les critiques contemporains, comme Maurice Nadeau, soulignent d’ailleurs la supériorité de « Nord » sur « D’un château l’autre », notamment grâce à sa tension dramatique et sa composition plus maîtrisée.

Le livre se distingue par son traitement particulier de l’enfance, thème récurrent chez Céline. Les enfants russes prisonniers, courant pieds nus dans la neige, symbolisent une vitalité primitive qui contraste avec la corruption du monde adulte. Cette célébration de l’enfance « sauvage » s’oppose directement à l’image des jeunes hitlériens embrigadés, dépeints comme une masse haineuse et manipulée.

La réception critique de l’époque se révèle partagée : si certains, comme André Rousseaux, reconnaissent en Céline « un des plus grands écrivains de notre temps », d’autres ne peuvent dissocier l’œuvre des positions controversées de son auteur. Cette tension entre valeur littéraire et jugement moral continue d’ailleurs d’alimenter les débats autour de ce texte majeur de la littérature d’après-guerre.

Aux éditions FOLIO ; 625 pages.


5. Rigodon (1969)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dernier volet de la trilogie allemande de Louis-Ferdinand Céline, « Rigodon » retrace la fuite de l’écrivain à travers le Reich agonisant des derniers mois de la Seconde Guerre mondiale. En 1944, accompagné de sa femme Lucette, du comédien Robert Le Vigan et de leur chat Bébert, Céline tente de rejoindre le Danemark où il a caché son or dans le jardin d’une amie danseuse.

Le groupe traverse une Allemagne en ruines. Sur leur route, ils croisent des personnages singuliers : un médecin et ses lépreux en quête d’un dispensaire introuvable, un Italien affolé cherchant son patron, une Française qui leur confie des enfants handicapés à mener en lieu sûr.

Le récit alterne entre ce périple chaotique et les réflexions de Céline sur sa situation présente. L’auteur y exprime son sentiment de persécution, ses griefs envers ses détracteurs et ses critiques acerbes contre Sartre, qu’il surnomme « Le Ténia ». Le thème racial, absent depuis ses pamphlets, refait surface : Céline y prophétise la fin de la race blanche et fustige les défenseurs du métissage.

Autour du livre

Dernier texte de Louis-Ferdinand Céline, « Rigodon » parachève la trilogie allemande entamée avec « D’un château l’autre » et « Nord ». La rédaction s’achève dans des circonstances particulières : le matin du 1er juillet 1961, Céline annonce à sa femme Lucette que le manuscrit est terminé. Il écrit à Gallimard pour l’informer de cette fin tant attendue. Le soir même, il meurt.

Le roman conjugue deux temporalités : celle du narrateur à Meudon en 1960-1961, harcelé par les journalistes, et celle de sa fuite à travers l’Allemagne en 1944-1945. Cette structure narrative permet d’établir un dialogue constant entre présent et passé. La maison de Meudon devient ainsi le point d’ancrage du récit, le lieu depuis lequel la mémoire se déploie.

Dans l’Allemagne dévastée par les bombardements, l’espace se fragmente, devient chaotique. Les villes apparaissent soit totalement désertées, soit envahies par les réfugiés, sans nuance possible. Les repères spatiaux s’effacent : les noms des gares disparaissent, les panneaux sont effacés. Cette désorientation physique fait écho à la confusion mentale du narrateur.

Le titre initialement prévu, « Colin-Maillard », illustre bien cette errance aveugle. L’obscurité règne, la vue est systématiquement entravée au profit de l’ouïe. Les personnages évoluent dans un monde où les sons prennent le pas sur les images, où le danger surgit de l’invisible.

La figure du train structure l’ensemble du récit. Mais contrairement au roman de voyage traditionnel, l’exotisme disparaît au profit d’une vision cauchemardesque. Les wagons deviennent des pièges, les gares des lieux de danger imminent qu’il faut fuir. Le mouvement perpétuel n’apporte aucune libération.

Le texte se construit sur une tension permanente entre immobilité et fuite. À Meudon, le narrateur vieillissant se cloître, tandis que dans le récit de 1944-1945, les personnages sont constamment en mouvement. Cette opposition structure le roman tout entier.

Les références littéraires convoquées par Céline (Villehardouin, Joinville, Mlle de Lespinasse) servent moins de modèles que de points d’appui pour développer une réflexion sur la perception et la description de l’espace en temps de guerre. Le chaos du monde doit trouver son expression dans une écriture elle-même déstructurée.

La dimension testamentaire de « Rigodon » se manifeste notamment dans la présence accrue du narrateur, qui multiplie les commentaires sur son travail d’écrivain. Le parallèle établi avec les brodeuses new-yorkaises de Battery Place, opposées aux gratte-ciel, permet à Céline de définir une dernière fois sa conception de l’écriture comme un artisanat patient et minutieux.

Posthume, « Rigodon » garde la trace de son inachèvement : certaines incohérences temporelles ou spatiales subsistent, témoignant du processus de composition. Ces « erreurs » participent paradoxalement à la vérité du texte, en rendant sensible le travail de la mémoire et ses défaillances.

Aux éditions FOLIO ; 320 pages.


6. Guignol’s Band (1944)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En 1915, alors que la Grande Guerre fait rage, Ferdinand arrive à Londres. Ce jeune soldat français, mutilé et réformé, trouve refuge dans le monde interlope de la capitale britannique. Son point d’ancrage : l’appartement de Cascade, un proxénète débordé depuis que ses hommes de main sont partis au front.

Le héros se faufile dans un univers peuplé d’excentriques. Il rencontre tour à tour un colonel obsédé par la conception de masques à gaz, un prestidigitateur converti aux rituels hindous, et une ribambelle de personnages plus délirants les uns que les autres.

Entre deux courses-poursuites avec la police, Ferdinand succombe au charme de Virginie, une adolescente. Cette histoire d’amour improbable se déroule sur fond de bombardements, dans les rues embrumées d’un Londres fantomatique.

Le récit oscille constamment entre réalité et hallucination. Les acouphènes de Ferdinand, séquelles de sa blessure de guerre, se mêlent aux explosions des zeppelins et aux délires provoqués par l’alcool.

Autour du livre

Publié aux éditions Denoël en 1944, « Guignol’s Band » occupe une position charnière dans l’œuvre de Céline. Les circonstances de sa publication traduisent l’urgence du moment historique : l’écrivain, qui redoute des représailles à cause de ses pamphlets antisémites, fait paraître son manuscrit de manière précipitée à l’approche de la Libération. Dans sa préface, il s’adresse directement à ses lecteurs : « Il a fallu imprimer vite because les circonstances si graves qu’on ne sait ni qui vit ni qui meurt ! »

Le livre marque une rupture avec les romans précédents. Alors que « Voyage au bout de la nuit » et « Mort à crédit » s’inscrivaient encore dans une certaine tradition littéraire, « Guignol’s Band » s’affranchit des codes romanesques habituels. L’intrigue cède la place à une succession de scènes, relatées au présent par Ferdinand, ancien combattant blessé qui évolue dans les bas-fonds londoniens de 1915-1916. Le texte prend la forme d’un vaste monologue où s’entremêlent les voix des personnages, créant une polyphonie singulière.

La violence qui imprègne le récit se distingue de celle présente dans les œuvres antérieures : elle devient stylisée, presque chorégraphique, décrite sur un ton léger qui confère au roman une dimension burlesque. Les critiques de l’époque soulignent ce caractère kaléidoscopique : pour Jacques de Lesdain, dans Aspects, il s’agit d’une « fresque tout au long de laquelle sont dessinés des voyous, des souteneurs, des filles, des proxénètes, des fous et des voleurs. »

Le manuscrit connaît un destin mouvementé : Céline emporte avec lui la seconde partie lors de sa fuite au Danemark en 1944. Bien qu’il continue d’y travailler pendant son exil, il abandonne finalement ce projet au profit de « Féerie pour une autre fois ». La suite, intitulée « Le Pont de Londres », ne paraîtra qu’à titre posthume en 1964, avant d’être republiée sous une forme plus complète en 1988 dans la Bibliothèque de la Pléiade sous le titre « Guignol’s Band II ».

Cette œuvre constitue également un tournant stylistique majeur : les phrases se désarticulent complètement, remplacées par des segments narratifs reliés par des points de suspension. Les points d’exclamation et les onomatopées rythment le texte dès l’ouverture (« Braoum ! Vraoum !… C’est le grand décombre ! »), tandis que le lecteur se trouve constamment interpellé. Ces innovations formelles préfigurent l’écriture des derniers romans de Céline, notamment « Nord » et « D’un château l’autre ».

Aux éditions FOLIO ; 723 pages.


7. Féerie pour une autre fois (1952)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Premier roman publié par Céline après son retour en France en 1951, « Féerie pour une autre fois » entrelace deux périodes de sa vie : son emprisonnement au Danemark (1945-1947) et ses derniers mois à Paris avant l’exil.

Dans sa cellule danoise, rongé par la pellagre et la paranoïa, l’écrivain déverse sa rage contre ceux qui l’ont trahi et abandonné. Il interpelle sans cesse le lecteur, le supplie d’acheter son livre, lui qui n’a plus rien et que la France a condamné pour collaboration.

Le récit bascule ensuite dans le Paris de 1944, au cinquième étage d’un immeuble de Montmartre. Céline y reçoit d’anciens amis qui lorgnent déjà ses meubles, pressentant sa fuite imminente. Parmi eux, Jules, un sculpteur cul-de-jatte, qui le dénonce comme « collabo ». Cette nuit-là, un déluge de bombes s’abat sur Paris. Les habitants se réfugient sous une table pendant que Jules, perché sur le moulin de la Galette, dirige le ballet des bombardiers de sa canne d’infirme.

Autour du livre

Premier volet d’une œuvre monumentale écrite entre 1945 et 1954, « Féerie pour une autre fois » naît dans les geôles danoises où Céline purge sa peine après l’exil. L’écriture s’étire sur neuf années, entrecoupée par l’amnistie et le retour en France. Pour se replonger dans l’atmosphère montmartroise depuis sa prison, l’écrivain maintient une correspondance avec ses amis du quartier, notamment Gen Paul, et réclame à Marie Canavaggia un plan de Paris ainsi qu’une grammaire française.

La publication du premier tome en 1952 chez Gallimard marque un tournant : c’est la première fois que la prestigieuse maison d’édition accueille Céline. Le contrat, signé quinze jours seulement après son retour d’exil, lui accorde des conditions exceptionnelles avec 18 % de droits d’auteur et un à-valoir sur 25 000 exemplaires. Cette générosité témoigne de l’importance qu’accorde Gallimard à cette nouvelle recrue.

Pourtant, l’accueil s’avère glacial. La critique observe un silence quasi-général et les ventes s’effondrent : à peine 6 300 exemplaires trouvent preneurs en deux ans et demi. Seuls Albert Paraz et Roger Grenier, proches de l’auteur, osent des articles élogieux. Roger Nimier souligne dans Carrefour la « féerie très vive » qui éclate par moments, tandis que Robert Poulet dans La Table Ronde déplore « du Céline à la dérive ».

Le texte défie toute tentative de résumé linéaire. La chronologie se fragmente entre les souvenirs de la prison danoise et la nuit du bombardement de Paris en avril 1944. Le délire paranoïaque du narrateur transforme ce bombardement en odyssée fantasmagorique orchestrée par Jules, figure inspirée du peintre Gen Paul. Perché sur le Moulin de la Galette, ce personnage de cul-de-jatte dirige les avions alliés de sa canne, tel un chef d’orchestre démoniaque.

La dimension mythologique imprègne l’œuvre à travers des figures comme Normance, colosse obèse qui fait écran aux bombes, ou Ottavio, saint Christophe lumineux portant les blessés. Le texte mêle sans distinction les univers mythologiques antiques, bibliques et modernes dans ce que Philippe Muray qualifie de refus radical de « l’idéologie de l’irreprésentable » née après la Seconde Guerre mondiale.

L’interpellation constante du lecteur prend ici une tournure inédite : plutôt que de le séduire, le narrateur l’agresse, le provoque, cherche à lui arracher l’aveu d’une jouissance partagée face au spectacle de la destruction. Cette stratégie narrative vise à compromettre le lecteur, à le rendre complice de cette « drôle de fête » où s’abolissent les frontières entre beauté et horreur, exaltation et angoisse.

La publication de l’ensemble du roman (« Féerie I » et « Normance ») dans un même volume n’intervient qu’en 1993, soit près de quarante ans après sa rédaction, permettant enfin d’apprécier la cohérence de cette œuvre qui ouvre la voie à la trilogie allemande.

Aux éditions FOLIO ; 632 pages.


8. Guerre (2022)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Publié en 2022 après avoir été retrouvé dans des conditions rocambolesques, « Guerre » est un manuscrit inédit de Louis-Ferdinand Céline probablement écrit en 1934.

Le roman s’ouvre sur un champ de bataille des Flandres en 1914. Le brigadier Ferdinand y reprend conscience parmi les cadavres de ses camarades. Grièvement blessé au bras et à la tête par un éclat d’obus, il est évacué vers l’hôpital militaire de Peurdu-sur-la-Lys.

Dans cet établissement de fortune où rôdent la mort et la gangrène, Ferdinand fait la connaissance de Bébert, un souteneur fanfaron qui attend sa maîtresse Angèle. Le jeune soldat noue aussi une relation charnelle avec l’infirmière L’Espinasse, tout en supportant les terribles migraines causées par une balle logée dans son crâne. Les acouphènes ne le quittent plus : « J’ai attrapé la guerre dans ma tête », confie-t-il.

Entre les visites embarrassantes de ses parents, les manigances d’Angèle qui préfère désormais les officiers britanniques, et la menace d’une enquête sur les circonstances de sa blessure, Ferdinand tente de survivre dans ce microcosme brutal. Le roman s’achève sur le départ de Ferdinand pour Londres, qui ne pense qu’à fuir ce « grand abattoir international en folie ».

Autour du livre

Sorti de l’oubli après près de 80 ans, ce manuscrit inédit de Céline constitue l’un des événements littéraires majeurs de 2022. Rédigé autour de 1934, soit deux ans après la publication du « Voyage au bout de la nuit », le texte fait partie des documents volés ou abandonnés par l’écrivain dans son appartement parisien lors de sa fuite précipitée en 1944. La saga de sa résurgence s’avère rocambolesque : conservés par le journaliste Jean-Pierre Thibaudat qui les aurait reçus d’une source anonyme, les feuillets ne réapparaissent qu’en août 2021, après le décès de la veuve de Céline.

Premier volet d’une trilogie d’inédits, « Guerre » révèle une écriture à vif, un premier jet jamais retravaillé par son auteur. La langue y surgit dans toute sa brutalité originelle, sans la sophistication des points de suspension qui caractériseront plus tard le style célinien. Le texte fourmille de scènes crues et explicites, notamment sexuelles, d’une audace rare pour l’époque – un aspect soigneusement éludé par la critique à sa parution.

La dimension autobiographique imprègne profondément l’œuvre : comme son personnage Ferdinand, Céline fut gravement blessé au bras et à la tête sur le front des Flandres en octobre 1914. Cette blessure physique engendre une mutation radicale de la perception, symbolisée par l’oreille meurtrie du narrateur qui devient le point focal d’une nouvelle appréhension du monde. « J’ai attrapé la guerre dans ma tête », dira Ferdinand, traduisant cette métamorphose sensorielle qui bouleverse jusqu’au langage lui-même.

Le texte s’inscrit dans une période charnière de la création célinienne, entre « Voyage au bout de la nuit » et « Mort à crédit ». Il comble une lacune narrative importante en relatant l’épisode manquant entre les combats et le départ pour Londres. Les éditions Gallimard ont d’emblée misé sur le potentiel commercial de cette publication avec un premier tirage de 80 000 exemplaires, chiffre considérable pour un inédit.

L’adaptation théâtrale du texte par Benoît Lavigne en 2023, avec Benjamin Voisin dans un seul en scène au Festival d’Avignon puis au Théâtre du Petit-Saint-Martin, témoigne de la force dramatique intrinsèque de l’œuvre. La publication s’accompagne d’un important appareil critique : préface, notes sur l’édition, index des personnages et glossaire de six pages explicitant l’argot d’époque. Une exposition intitulée « Céline, les manuscrits retrouvés » s’est tenue à la galerie Gallimard du 6 mai au 16 juillet 2022, permettant au public de découvrir les feuillets originaux.

Aux éditions FOLIO ; 224 pages.


9. Londres (2022)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Publié en 2022, « Londres » est un roman inédit de Louis-Ferdinand Céline qui poursuit le récit amorcé dans « Guerre ». L’action se situe en 1916, alors que Ferdinand, jeune soldat médaillé, fuit la France pour éviter d’être renvoyé au front.

Ancien soldat blessé et décoré, le protagoniste trouve refuge auprès d’une communauté de proxénètes français installés à la pension Leicester. Il y retrouve Angèle, sa protégée, désormais entretenue par le major Purcell, un industriel anglais. Dans ce milieu interlope gravitent des personnages hauts en couleur : Cantaloup le caïd, Borokrom l’ex-poseur de bombes, ou encore Yugenbitz, un médecin juif polonais qui éveille chez Ferdinand une vocation pour la médecine.

Tandis que la police traque les déserteurs et que la menace d’un retour au front plane, la bande s’enfonce dans une spirale de violence. Entre trafics, règlements de comptes et débauche, leur quotidien devient de plus en plus périlleux. L’assassinat d’un indicateur et une suite d’événements tragiques précipitent leur chute.

Autour du livre

Datant probablement de 1934, « Londres » surgit des limbes après près de 90 ans d’oubli. Ce manuscrit de 1161 feuillets, retrouvé en 2021 parmi les écrits de Céline disparus à la Libération, livre un texte brut, à peine retravaillé, notamment dans ses deux dernières parties. La première moitié comporte des corrections limitées, sans reprises majeures de séquences entières, tandis que le reste demeure quasiment à l’état originel.

Cette matière première dévoile une œuvre sombre qui prend racine dans l’expérience londonienne de l’auteur entre mai 1915 et mai 1916. À l’époque, Louis Destouches, maréchal des logis de 21 ans, blessé et réformé, travaille au service des visas du consulat de France. Il fréquente alors le milieu interlope des proxénètes français, s’imprègne de leurs codes et accumule une documentation qu’il complète dans les années 1920 auprès de figures comme Joseph Garcin.

La violence crue qui imprègne le texte témoigne de son caractère premier : Céline n’a vraisemblablement pas bridé sa plume lors de la rédaction initiale, se réservant d’édulcorer certains passages par la suite. Les scènes explicites s’enchaînent sans filtre, entre orgies, bagarres et descriptions crues. Le ton monocorde tranche avec l’aspect carnavalesque que prendra plus tard « Guignol’s Band », qui puise pourtant dans le même terreau londonien.

Dans cette atmosphère poisseuse des bas-fonds, émergent deux éléments fondateurs : la découverte de la vocation médicale auprès du docteur Yugenbitz et l’éclosion d’une écriture singulière. Le texte jongle entre la description des quartiers interlopes et des scènes de violence sordide, entrecoupées de fulgurances poétiques inattendues, comme cette vision de la Tamise qui devient « la nuit du monde qui coule sous les ponts ».

L’antisémitisme, encore larvaire comparé aux pamphlets ultérieurs, transparaît déjà dans certains passages. Toutefois, le personnage du médecin juif Yugenbitz échappe aux stéréotypes, dépeint comme généreux et désintéressé. Cette ambivalence reflète peut-être un texte encore en gestation, avant la radicalisation idéologique du romancier.

Les raisons de l’abandon du manuscrit par Céline restent mystérieuses. Pendant dix ans, il garde ce texte sans chercher à le publier. Peut-être jugeait-il l’œuvre trop crue pour l’époque, ou attendait-il le moment propice pour la retravailler en profondeur. La censure des années 1930 n’aurait probablement pas laissé passer un tel concentré de violence et d’obscénité.

Cette publication posthume divise la critique contemporaine. Si certains saluent la puissance évocatrice du texte malgré ses imperfections, d’autres pointent ses longueurs et ses répétitions. Le débat sur l’opportunité même de publier ce brouillon fait rage, questionnant la pertinence de livrer au public une œuvre que son auteur n’avait pas jugée digne de publication.

Aux éditions FOLIO ; 608 pages.

error: Contenu protégé