Svetlana Alexandrovna Alexievitch est une écrivaine et journaliste biélorusse d’expression russe, née le 31 mai 1948 à Stanislav (Ukraine). Née d’un père biélorusse et d’une mère ukrainienne, elle grandit en Biélorussie après la démobilisation de son père en 1950.
Après des études de journalisme à Minsk achevées en 1972, elle travaille d’abord comme enseignante puis comme journaliste. Sa carrière l’amène à couvrir les grands bouleversements de l’histoire soviétique et post-soviétique : la Seconde Guerre mondiale, la guerre d’Afghanistan, la catastrophe de Tchernobyl et l’effondrement de l’URSS.
Son œuvre, basée sur la collecte de témoignages, donne la parole aux acteurs ordinaires de l’histoire. Parmi ses livres majeurs figurent « La guerre n’a pas un visage de femme » (1985), « Les Cercueils de zinc » (1989) et « La supplication » (1997) sur Tchernobyl. Critique du régime de Loukachenko, elle vit en exil en Europe dans les années 2000 avant de retourner en Biélorussie en 2013.
En 2015, elle reçoit le prix Nobel de littérature pour « son œuvre polyphonique, mémorial de la souffrance et du courage à notre époque », devenant la première femme russophone à obtenir cette distinction. En 2020, face aux tensions politiques en Biélorussie, elle s’exile en Allemagne.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. La supplication – Tchernobyl, chroniques du monde après l’apocalypse (1997)
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Dix ans après la catastrophe de Tchernobyl, Svetlana Alexievitch parcourt l’Ukraine et la Biélorussie pour recueillir les témoignages des survivants. Son livre s’ouvre sur le récit poignant d’Elena, une jeune femme enceinte dont le mari pompier meurt en quatorze jours après être intervenu sur le réacteur en fusion. Son corps, devenu hautement radioactif, se décompose sous ses yeux à l’hôpital.
À travers une mosaïque de voix – liquidateurs envoyés nettoyer la zone contaminée, habitants évacués de force, médecins, scientifiques, soldats – se dessine le tableau d’une catastrophe sans précédent. Les témoins racontent leur incompréhension face à cet ennemi invisible qu’est la radiation, le déni des autorités soviétiques, l’évacuation chaotique des populations, l’abattage des animaux domestiques abandonnés. Certains, refusant de quitter leur terre natale, sont revenus vivre clandestinement dans la zone interdite.
Ce travail monumental, fruit de trois années d’enquête, marque un tournant dans la littérature documentaire en donnant la parole à ceux que l’Histoire officielle a tenté de faire taire. Sans jamais intervenir dans les récits qu’elle assemble, Svetlana Alexievitch laisse émerger une vérité que les autorités ont tenté d’étouffer. Toujours interdit en Biélorussie où 23 % du territoire reste contaminé, le livre a inspiré de nombreuses œuvres dont la série HBO « Chernobyl » en 2019.
Aux éditions J’AI LU ; 256 pages.
2. La Fin de l’homme rouge ou le Temps du désenchantement (2013)
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Entre 1991 et 2012, Svetlana Alexievitch sillonne l’ex-URSS pour recueillir les témoignages de ceux qui ont vécu l’effondrement du système soviétique. Son magnétophone capte les confidences d’anciens apparatchiks, de dissidents, d’ouvriers, d’intellectuels – tous confrontés à la fin brutale d’un monde qu’ils croyaient éternel.
Ces récits dessinent la métamorphose d’une société basculant du communisme au capitalisme débridé. Dans les cuisines où l’on refaisait jadis le monde en lisant Pouchkine, on parle désormais de survie et d’argent. Les héros d’hier mendient leur pain, pendant qu’une nouvelle élite s’enrichit sans vergogne. Entre nostalgie du passé et désarroi face au présent, ces voix racontent la désillusion d’un peuple.
Le livre, couronné par le prix Médicis essai en 2013, frappe par sa puissance d’évocation et sa dimension universelle. Ces témoignages sur la fin de l’Homo sovieticus éclairent les soubresauts de la Russie contemporaine. Plusieurs metteurs en scène s’en sont emparés, dont Emmanuel Meirieu qui en a tiré une adaptation remarquée en 2019 avec Anouk Grinberg.
Aux éditions BABEL ; 688 pages.
3. La guerre n’a pas un visage de femme (1985)
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Durant sept années, de 1978 à 1985, la journaliste biélorusse Svetlana Alexievitch parcourt l’URSS pour recueillir les témoignages de centaines de femmes ayant combattu pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces anciennes combattantes, souvent très jeunes au moment des faits – certaines n’avaient que 16 ans – se sont engagées volontairement dans l’Armée Rouge pour repousser l’invasion nazie.
Tireuses d’élite, pilotes, conductrices de chars, infirmières ou agents de liaison, elles racontent leur quotidien sur le front : les uniformes trop grands, les cheveux qu’il faut couper, la difficulté à être acceptées par les hommes, mais aussi l’horreur des combats, la mort omniprésente, les corps mutilés. Leurs récits évoquent également l’après-guerre, marqué par le mépris et les accusations : beaucoup ont été insultées, rejetées, contraintes au silence sur leur participation au conflit.
Publié en 1985 en URSS après avoir subi la censure, ce livre constitue le premier volet du cycle « Les Voix de l’Utopie ». Les passages censurés – évoquant notamment les viols, les meurtres d’enfants et le cannibalisme – ont été réintégrés dans l’édition de 2004. Le succès fut immédiat après que Mikhaïl Gorbatchev en fit l’éloge lors du quarantième anniversaire de la victoire. L’ouvrage a inspiré une série télévisée, plusieurs pièces de théâtre et un long-métrage primé au Festival de Cannes en 2019.
Aux éditions J’AI LU ; 416 pages.
4. Les Cercueils de zinc (1989)
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« Les Cercueils de zinc » raconte la guerre soviétique en Afghanistan (1979-1989) à travers les voix de ceux qui l’ont vécue. Des jeunes appelés partent la tête emplie de grands idéaux, convaincus d’apporter le progrès à un peuple ami. Sur place, ils découvrent l’horreur : camarades déchiquetés par les mines, tortures, exécutions de civils. Certains reviennent brisés physiquement et mentalement. D’autres reviennent dans des cercueils de zinc.
Svetlana Alexievitch donne la parole aux survivants de cette décennie sanglante : soldats devenus alcooliques ou drogués, mères endeuillées, infirmières et médecins impuissants face à l’ampleur des traumatismes. Ces témoignages crus démontent un à un les mensonges de la propagande officielle qui masquait la brutalité du conflit.
La sortie du livre en 1989 provoque un séisme dans la société post-soviétique. Des procès en diffamation sont intentés contre l’autrice, accusée de « salir l’honneur de l’armée ». Mais l’œuvre s’impose comme un document historique majeur et inspire plusieurs adaptations théâtrales à travers l’Europe. Ce travail de mémoire singulier préfigure les autres grands livres-témoignages d’Alexievitch sur les tragédies du monde soviétique.
Aux éditions BABEL ; 400 pages.
5. Derniers témoins (1985)
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« Derniers témoins » donne la parole aux enfants pris dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale sur le front de l’Est. Durant plus de vingt ans, Svetlana Alexievitch sillonne la Biélorussie pour recueillir les souvenirs de ceux qui n’avaient que quelques années – entre 3 et 12 ans – lors de l’invasion allemande de 1941. Ces témoins, aujourd’hui adultes, racontent comment leur monde d’avant-guerre s’est effondré du jour au lendemain.
Les récits s’enchaînent, chacun porteur d’une tragédie singulière : une mère abattue dans son jardin, un père disparu au front, une maison réduite en cendres. Les enfants fuient de village en village, se cachent dans les forêts, survivent dans des conditions inhumaines. Dans les camps, les plus jeunes servent de « donneurs de sang » pour les soldats de la Wehrmacht. Ceux qui perdent leurs parents sont placés dans des orphelinats improvisés. Quarante ans plus tard, ces souvenirs restent gravés dans leur chair.
Publiée initialement en 1985 dans une version censurée par le régime soviétique, cette œuvre monumentale paraît dans sa version définitive en 2004. Elle constitue le deuxième volet d’un cycle documentaire sur les drames du XXe siècle qui vaudra à son autrice le prix Nobel de littérature en 2015. Le livre a donné naissance à un film documentaire en 2009 ainsi qu’à une symphonie-requiem composée par Vladimir Magdalits.
Aux éditions 10/18 ; 408 pages.