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Robert Musil en 2 romans – Notre sélection

Robert Musil en 2 romans – Notre sélection

Robert Musil naît le 6 novembre 1880 à Klagenfurt en Autriche-Hongrie. Fils d’un ingénieur en mécanique, il passe son enfance entre différentes villes de l’Empire austro-hongrois. Après des études dans des écoles militaires, il suit une formation d’ingénieur à l’école polytechnique de Brünn.

En 1906, il publie son premier roman, « Les Désarrois de l’élève Törless », qui rencontre un succès critique immédiat. Il épouse Martha Marcovaldi en 1911 et poursuit une carrière d’écrivain tout en occupant divers postes, notamment comme bibliothécaire et rédacteur.

La Première Guerre mondiale marque profondément son existence. Mobilisé au grade de lieutenant, il sert sur le front italien et travaille ensuite pour la presse militaire. Cette expérience nourrit son œuvre majeure, « L’Homme sans qualités », dont il commence la rédaction dans les années 1920.

Les deux premiers tomes de ce roman monumental paraissent respectivement en 1930 et 1932. L’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933 pousse Musil à quitter Berlin pour Vienne. En 1938, après l’Anschluss, il s’exile en Suisse avec sa femme. Malgré les difficultés financières et l’interdiction de ses livres en Allemagne nazie, il continue à travailler sur le troisième tome de « L’Homme sans qualités ».

Musil meurt le 15 avril 1942 à Genève, laissant son œuvre maîtresse inachevée. Redécouvert dans les années 1950, son roman est aujourd’hui considéré comme l’un des plus importants du XXe siècle, aux côtés de ceux de Proust et Joyce.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Les Désarrois de l’élève Törless (1906)

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Résumé

À la fin du XIXe siècle, dans un pensionnat militaire situé aux confins de l’Empire austro-hongrois, le jeune Törless, adolescent sensible issu d’une famille bourgeoise, tente de s’adapter à ce nouvel environnement après avoir quitté le cocon familial. D’abord en proie à la nostalgie, il se lie avec Reiting et Beineberg, deux élèves plus âgés à la personnalité affirmée. Lorsque ces derniers surprennent leur camarade Basini en train de voler de l’argent, ils décident, plutôt que de le dénoncer, de le punir eux-mêmes.

Cette décision marque le début d’une spirale infernale : sous prétexte de châtiment moral, Reiting et Beineberg soumettent Basini à des humiliations et des sévices de plus en plus graves. Törless, d’abord simple observateur, se retrouve progressivement impliqué, partagé entre répulsion et fascination. La relation complexe qu’il développe avec Basini, mélange de désir inavoué et de mépris, le plonge dans un tourbillon de questionnements moraux et existentiels. Parviendra-t-il à prendre position devant la cruauté grandissante de ses camarades ?

Autour du livre

Premier roman de Robert Musil, « Les Désarrois de l’élève Törless » paraît en 1906 alors qu’il n’a que vingt-six ans. Le jeune écrivain puise dans sa propre expérience d’élève à la Militär-Oberrealschule de Hranice pour composer ce récit troublant. Comme il l’écrit dans une lettre citée par Philippe Jaccottet, son traducteur : « Quand je repris moi-même, un an plus tard, ce thème, ce fut, littéralement, par ennui. J’avais vingt-deux ans, mais j’étais déjà ingénieur, et mon métier ne me donnait pas satisfaction […] je fuyais mon travail, je lisais des ouvrages philosophiques pendant mes heures de bureau et à la fin de l’après-midi, quand je ne me sentais plus capable de rien enregistrer, je m’ennuyais. C’est ainsi que je commençai à écrire. »

La publication du roman provoque un scandale dans l’Autriche-Hongrie conservatrice du début du XXe siècle. Musil y brise plusieurs tabous en abordant sans détour les thèmes de l’adolescence, du harcèlement scolaire, de la cruauté et des questionnements sexuels. À travers le parcours initiatique de Törless, il dépeint une société en crise, un empire décadent où les valeurs traditionnelles s’effritent. Le pensionnat se fait métaphore de cet univers en déliquescence morale, où l’autorité défaillante des professeurs, présentés comme des « fantoches inconscients », laisse libre cours aux pulsions les plus sombres.

Musil y décrit avec une lucidité glaçante les mécanismes psychologiques qui sous-tendent l’autoritarisme et la violence collective. En 1940, dans son journal, il qualifiera d’ailleurs Reiting et Beineberg de « dictateurs d’aujourd’hui in nucleo », reconnaissant dans leur comportement les germes du totalitarisme qui s’abattra sur l’Europe quelques décennies plus tard. Le New York Times Book Review soulignera cette dimension en évoquant une « terrifiante préfiguration de l’avènement du nazisme ».

La critique a généralement salué ce premier roman de Musil. Les contemporains y ont vu « l’affirmation d’une génération nouvelle » et « une contribution essentielle au problème de l’éducation ». La force du livre tient notamment à sa précision psychologique et à sa capacité à disséquer les mécanismes mentaux qui conduisent à la violence. Certains critiques soulignent la modernité stupéfiante du texte, tant par ses thèmes que par son approche, qui anticipe les découvertes de la psychanalyse alors naissante. D’autres apprécient son ambiguïté morale, qui refuse tout manichéisme et toute leçon facile.

« Les Désarrois de l’élève Törless » a été adapté au cinéma en 1966 par le réalisateur allemand Volker Schlöndorff sous le titre « Der junge Törless » (Le Jeune Törless). Ce premier long-métrage du cinéaste a remporté le Prix FIPRESCI au Festival de Cannes, contribuant à redonner une notoriété au roman soixante ans après sa publication.

Aux éditions POINTS ; 256 pages.


2. L’Homme sans qualités (1930)

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Résumé

Vienne, 1913. À 32 ans, Ulrich, mathématicien brillant mais désabusé, décide de prendre « un congé de la vie » d’un an. Après des tentatives sans conviction dans l’armée et l’ingénierie, il cherche encore sa voie. Walter, son ami d’enfance, le surnomme « l’homme sans qualités » en raison de son refus d’adhérer aux valeurs conventionnelles et de sa tendance à voir toutes les possibilités sans jamais se fixer.

Sur l’insistance de son père, Ulrich accepte de devenir secrétaire de l’Action parallèle, un comité patriotique qui prépare le jubilé des 70 ans de règne de l’empereur François-Joseph prévu pour 1918. Cette célébration nationale vise à concurrencer celle de l’Allemagne pour les 30 ans de règne de l’empereur Guillaume II.

Dans les salons de sa cousine Diotima où se réunit ce comité, Ulrich observe avec un détachement ironique les figures emblématiques de l’Empire austro-hongrois : le comte Leinsdorf, aristocrate conservateur dirigeant l’Action, l’industriel prussien Arnheim mêlant affaires et philosophie, le général Stumm von Bordwehr représentant l’armée, et divers intellectuels, artistes et politiques. Les discussions grandiloquentes pour définir la « grande idée » qui incarnera l’identité autrichienne s’enlisent dans des débats stériles, révélant le vide spirituel d’une société sur le point de s’effondrer.

Parallèlement, Ulrich s’intéresse au procès de Moosbrugger, un meurtrier dont le cas soulève des questions sur la responsabilité et la folie. Dans le deuxième tome, la rencontre d’Ulrich avec sa sœur Agathe, qu’il connaît à peine, chamboule ses perspectives et l’entraîne dans une quête mystique du « Royaume millénaire », loin des conventions sociales qu’ils rejettent tous deux.

Autour du livre

Robert Musil a consacré plus de vingt ans de sa vie à cette œuvre monumentale. Commencé dès 1903 sous forme d’ébauches, le projet prend véritablement forme dans les années 1920. L’écrivain a d’abord envisagé divers titres pour son roman : « Der Spion » (L’Espion), « Der Erlöser » (Le Rédempteur), « Die Zwillingsschwester » (La Sœur jumelle). Le personnage principal devait initialement s’appeler Achilles, puis Anders, avant de devenir Ulrich. Musil travaille avec une minutie obsessionnelle sur son texte, réécrit parfois jusqu’à vingt fois certains chapitres.

La force singulière de ce roman tient à sa dimension hybride entre fiction et philosophie. Musil, docteur en philosophie et ingénieur de formation, déploie une pensée d’une rare acuité qui interroge les fondements mêmes de la modernité. La « Cacanie » (sobriquet désignant l’Empire austro-hongrois) y devient le microcosme d’une Europe à la veille de son effondrement. Son protagoniste Ulrich incarne l’homme moderne par excellence, tiraillé entre exactitude scientifique et quête mystique, entre désir d’engagement et distance critique. Le « sens de la possibilité » qu’il cultive face au « sens de la réalité » constitue l’axe central de cette œuvre qui examine les tensions entre individu et société, raison et sentiment, action et contemplation.

La structure même du livre reflète cette complexité : composé de courts chapitres aux titres souvent ironiques, il alterne narration et digressions essayistiques. « L’Homme sans qualités » propose ainsi une radiographie de la conscience européenne au moment où s’amorce ce que l’historien Eric Hobsbawm a nommé « l’âge des extrêmes ». Le projet de Musil aspire à rien moins qu’à fondre pensée et littérature dans une synthèse inédite qu’il nomme lui-même « essayisme ». Cette ambition totalisante le rapproche d’œuvres comme « À la recherche du temps perdu » de Proust ou « Ulysse » de Joyce, avec lesquelles il partage une place au panthéon de la littérature moderniste.

Thomas Mann salua en 1932 « un livre étincelant » qui « maintient de la façon la plus exquise le difficile équilibre entre essai et comédie épique ». La Vossische Zeitung le qualifia de « Wilhelm Meister de notre époque ». Wolfgang Ystade regretta même en 1935 que le Prix Nobel ait été attribué à Luigi Pirandello plutôt qu’à Musil. Marguerite Duras évoqua plus tard « la tentative du tout, du tout du monde », qualifiant le livre « d’éminemment obscur, illisible et irrésistible, dont la lecture est une mystérieuse corvée, et un enchantement une fois arrivé au bout ».

Pourtant, « L’Homme sans qualités » se vend mal et l’avènement du nazisme précipite Musil dans l’oubli et l’exil. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que le livre accède à la reconnaissance internationale. En 1999, il fut élu meilleur roman germanophone du XXe siècle et intégra la liste des « 100 livres du siècle » établie par Le Monde. En 2002, il rejoignit la liste des œuvres majeures de la littérature mondiale dressée par l’Académie suédoise. Sa première adaptation scénique en République tchèque date de 2013, par la troupe Sektor pro hosty sous la direction de Martin Falář, dans le cadre du Festival du théâtre allemand de Prague.

Aux éditions POINTS ; 896 pages.

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