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Rainer Maria Rilke en 3 livres – Notre sélection

Rainer Maria Rilke, né René Karl Wilhelm Johann Josef Maria Rilke le 4 décembre 1875 à Prague, est l’un des poètes majeurs de langue allemande du début du XXe siècle. Issu d’une famille qui le destine à la carrière militaire, il est rapidement renvoyé de l’école militaire pour inaptitude physique.

Sa rencontre en 1897 avec Lou Andreas-Salomé est déterminante : c’est elle qui lui suggère de changer son prénom de René en Rainer. En 1901, il épouse la sculptrice Clara Westhoff, dont il se sépare un an plus tard après la naissance de leur fille Ruth.

La période parisienne de Rilke est marquée par sa relation avec Auguste Rodin, dont il devient le secrétaire de 1904 à 1906. Cette expérience influence profondément son travail artistique. Il mène ensuite une vie nomade à travers l’Europe, séjournant notamment au château de Duino où il commence ses célèbres « Élégies de Duino ».

Après la Première Guerre mondiale, il s’installe définitivement en Suisse. Il y compose plusieurs recueils de poésies, notamment en français. Sa dernière relation significative est avec Baladine Klossowska, mère du futur peintre Balthus.

Rilke meurt des suites d’une leucémie le 29 décembre 1926 à la clinique de Val-Mont près de Montreux. Il laisse une œuvre considérable comprenant de la poésie en allemand et en français, des nouvelles, un roman (Les cahiers de Malte Laurids Brigge), ainsi qu’une importante correspondance dont les fameuses « Lettres à un jeune poète ».

Voici notre sélection de ses livres majeurs.


1. Lettres à un jeune poète (recueil de lettres, 1903-1908)

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Résumé

En 1902, Franz Xaver Kappus, jeune élève officier de vingt ans à l’école militaire austro-hongroise, découvre que le poète Rainer Maria Rilke y a étudié quelques années plus tôt. Tiraillé entre sa vocation militaire et son désir d’écrire, il décide d’envoyer ses poèmes à Rilke pour obtenir son avis. S’ensuit alors une correspondance qui durera six ans, de 1903 à 1908.

Les dix lettres qui composent ce recueil sont les réponses de Rilke au jeune homme. Plutôt que de critiquer ses vers ou de lui prodiguer des conseils techniques, le poète choisit d’aborder des questions plus essentielles : la nécessité de la solitude pour créer, l’importance de l’introspection, la nature de l’amour véritable, ou encore le rapport entre l’art et la vie. À travers ces échanges, Rilke invite son correspondant à chercher en lui-même les réponses à ses interrogations plutôt que de les attendre d’autrui.

Autour du livre

Cette correspondance entre Rilke et Kappus transcende le simple échange épistolaire pour devenir un texte fondateur sur la création artistique. La singularité de ces lettres réside dans leur refus de la prescription : quand le jeune Kappus sollicite des conseils techniques sur ses vers, Rilke choisit délibérément de ne pas les commenter. Il oriente plutôt leur dialogue vers des réflexions plus profondes sur la nécessité intérieure d’écrire.

Les dix missives forment un ensemble cohérent qui aborde des thématiques universelles. La solitude y occupe une place centrale, non comme un état subi mais comme une condition essentielle à la création. L’amour aussi s’y révèle sous un jour nouveau : Rilke le définit comme un apprentissage patient, loin des passions foudroyantes de la jeunesse. Sa vision de la femme se montre étonnamment moderne pour l’époque, prophétisant l’émergence d’une féminité qui ne se définira plus en opposition au masculin.

La publication de ces lettres en 1929, trois ans après la mort de Rilke, marque le début de leur rayonnement international. Leur influence dépasse largement le cercle littéraire : en 1994, le film « Sister Act 2 » s’en empare pour une scène clé où sœur Mary Clarence utilise le message de Rilke pour encourager une jeune chanteuse. La découverte récente des lettres de Kappus dans les archives familiales de Rilke a permis la publication en 2020 d’une édition intégrale qui éclaire enfin les deux faces de cette conversation.

Ces lettres frappent par leur authenticité et leur absence de condescendance. Rilke, alors âgé de seulement 28 ans, s’adresse à Kappus comme à un égal, tout en livrant des réflexions d’une maturité surprenante. Cette sagesse précoce s’explique peut-être par ses propres mots : « Ne croyez pas que celui qui essaie de vous réconforter vit sans peine parmi les mots simples et calmes qui parfois vous font du bien. Il y a dans sa vie beaucoup de peine et de tristesse […] S’il en était autrement, il n’aurait jamais pu trouver ces mots. »

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 216 pages.


2. Les cahiers de Malte Laurids Brigge (roman autobiographique, 1910)

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Résumé

Au début du XXe siècle, un jeune aristocrate danois désargenté, Malte Laurids Brigge, s’installe à Paris pour devenir écrivain. Dernier héritier d’une famille noble en déclin, il se retrouve seul dans une chambre misérable du quartier latin. La ville moderne le submerge de ses odeurs d’iodoforme et de pommes frites, de ses bruits assourdissants, de ses visages déformés par la misère. Dans les rues parisiennes grouillantes d’anonymes, il observe les malades qui titubent, les mendiants qui meurent sans que personne ne s’en soucie, les femmes enceintes qui se traînent le long des murs.

Fragile et souvent malade, Malte passe de longues heures reclus dans sa chambre. Pour conjurer ses angoisses, il note dans ses cahiers ses observations sur la ville moderne, ses réflexions sur la mort, ses souvenirs d’enfance dans le château familial au bord de la Baltique. Le présent sordide de Paris fait ressurgir les fantômes du passé : la figure imposante de son grand-père mourant pendant deux mois dans d’atroces souffrances, les peurs nocturnes de son enfance, les femmes mystérieuses qui ont traversé sa vie.

Autour du livre

« Les cahiers de Malte Laurids Brigge » naît pendant le séjour de Rilke à Paris en 1902-1903, alors qu’il travaille sur une monographie consacrée au sculpteur Auguste Rodin. Cette genèse parisienne imprègne profondément les pages : la capitale française de la Belle Époque s’y dévoile dans sa réalité la plus crue, celle d’une métropole industrielle où la misère côtoie le progrès technique.

Maurice Blanchot qualifie ce texte de « mystérieux », et pour cause. À la frontière du roman et de la méditation poétique, les 71 fragments qui le composent refusent toute continuité narrative traditionnelle. Cette structure éclatée reflète la dissolution même du protagoniste dans le chaos urbain. La modernité y apparaît comme une force destructrice qui menace l’identité : elle multiplie les signes, diffracte les sensations, brouille les repères. Face à cette désagrégation, l’écriture devient l’unique rempart, le seul moyen de lutter contre les « signes trompeurs de la modernité ».

Dans ces pages se croisent des thèmes qui hantent l’imaginaire de Rilke : la mort que chaque être porte en lui, la beauté de l’amour non partagé, la terrifiante lucidité du regard poétique. Les critiques soulignent l’influence marquante de Baudelaire, de la littérature décadente, mais aussi des techniques picturales de Cézanne. Cette fusion des arts caractérise l’ambition novatrice du texte : saisir la réalité moderne dans toute sa complexité sensorielle et psychologique.

L’impact des « Cahiers de Malte Laurids Brigge » sur la littérature du XXe siècle s’avère considérable. Jean-Paul Sartre s’en inspire directement pour « La Nausée ». Le texte figure au 91e rang des cent livres du siècle selon le classement établi par Le Monde et la FNAC en 1999. Traduit dès 1911 en français, puis en polonais (1927), en anglais (1930) et en tchèque (1933), il continue d’exercer son influence : la dernière traduction, en arabe, date de 2017. Le livre apparaît dans le long-métrage « Clara et moi » d’Arnaud Viard (2004), dans une scène où Michel Aumont l’offre à Julien Boisselier.

Aux éditions POINTS ; 240 pages.


3. Les Élégies de Duino (recueil de poèmes, 1922)

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Résumé

« Les Élégies de Duino » constituent un cycle de dix poèmes écrits par Rainer Maria Rilke entre 1912 et 1922. Cette œuvre monumentale prend forme au château de Duino, près de Trieste, où Rilke séjourne chez la princesse Marie von Thurn und Taxis. La légende raconte que les premiers vers lui sont venus alors qu’il marchait le long des falaises : une voix portée par le vent lui aurait soufflé « Qui, si je criais, m’entendrait donc parmi les ordres des anges ? » Cette interrogation sert d’ouverture à la première élégie et donne le ton de l’ensemble.

Les dix élégies brodent une réflexion sur la condition humaine, alternant entre désespoir et exaltation. Au centre de cette méditation se dresse la figure de l’Ange, être mythique qui incarne la perfection d’une conscience unifiée – à l’opposé de celle, fragmentée, des hommes. À travers ces poèmes, Rilke confronte l’homme à sa finitude, à sa conscience de la mort, mais aussi à la beauté fugace du monde. Les amants, les héros, les saltimbanques et les jeunes morts peuplent ces vers comme autant de figures qui tentent de transcender les limites de l’existence humaine.

Autour du livre

La genèse des « Élégies de Duino » s’enracine dans un moment mythique : lors d’une promenade le long des falaises de Duino, près de Trieste, Rilke entend une voix dans le grondement de la bora (le vent du nord-est) lui crier les premiers vers qui deviendront l’ouverture de la première élégie. Cette anecdote, rapportée par la princesse Marie von Thurn und Taxis qui hébergeait alors le poète, marque le début d’une création qui s’étendra sur dix années.

La période d’écriture se caractérise par de longues phases d’interruption, notamment pendant la Première Guerre mondiale où Rilke, conscrit dans l’armée austro-hongroise, voit son travail créatif brutalement suspendu. Cette expérience militaire ravive ses traumatismes d’enfance et remet en question sa vocation poétique. Ce n’est qu’en 1922, au château de Muzot en Suisse, que survient ce que Rilke nomme « un ouragan de l’esprit » : en quelques semaines intenses, il achève simultanément les « Élégies » et les « Sonnets à Orphée », qu’il considère comme des œuvres jumelles.

La réception critique des « Élégies » témoigne d’une polarisation marquée. Si certains critiques des années 1920 placent l’œuvre aux côtés d’Hölderlin et Goethe, d’autres, comme Albrecht Schaeffer du cercle de Stefan George, rejettent ce qu’ils qualifient de « bavardage mystique ». Hermann Hesse, pour sa part, y perçoit l’apogée de l’art poétique de Rilke, où « résonne la musique de l’univers ».

L’influence philosophique des « Élégies » s’avère considérable. Martin Heidegger y lit une saisie lucide de la « misère du temps », tandis que Hans-Georg Gadamer fonde sur elles une partie de sa théorie herméneutique. Theodore Adorno adopte une position plus critique, y décelant les germes d’une mentalité allemande propice au nazisme. La postérité s’étend jusqu’à Thomas Pynchon, dont « L’Arc-en-ciel de la gravité » fait écho aux premiers vers des « Élégies », et W.H. Auden, qui y puise une part de son inspiration.

Les lieux d’écriture jouent un rôle clé dans la composition : le château de Duino surplombant l’Adriatique, puis le château de Muzot, dépourvu d’électricité et de gaz, offrent à Rilke la solitude nécessaire à son travail. La mort de la jeune danseuse Wera Ouckama Knoop, amie de sa fille Ruth, catalyse l’achèvement simultané des « Élégies » et des « Sonnets à Orphée », dans une période d’intense création qui laisse Rilke « encore tremblant », selon ses propres mots dans une lettre à Baladine Klossowska.

Aux éditions POINTS ; 240 pages.

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