Ragnar Jónasson, né en 1976 à Reykjavik, est un écrivain islandais de romans policiers qui a su conjuguer plusieurs carrières. Passionné très jeune par Agatha Christie, il traduit quatorze de ses romans en islandais dès l’âge de 17 ans. Après des études de droit à l’Université d’Islande (1996-2001), il mène une carrière juridique et financière, travaillant notamment comme juriste chez Gamma (2015-2019) avant de devenir banquier d’investissement à l’Arion Bank. Il enseigne également le droit à l’Université de Reykjavik depuis 2009.
Sa carrière littéraire débute en 2009 avec « Fölsk nóta », premier tome de sa série « Les enquêtes de Siglufjördur » mettant en scène le policier Ari Thór. Ses romans, dont l’intrigue se déroule souvent à Siglufjördur, ville natale de ses grands-parents, connaissent un succès international. En 2013, il cofonde le festival Iceland Noir avec l’écrivaine Yrsa Sigurðardóttir. Son roman « Mörk » (2014) remporte notamment le Dead Good Reader Award en Angleterre. Plus récemment, en 2022, il a co-écrit le roman « Reykjavik » avec la Première Ministre d’Islande, Katrín Jakobsdóttir.
Marié et père de deux filles, il vit à Reykjavik. Ses œuvres sont aujourd’hui traduites dans une trentaine de pays. Il est l’une des figures majeures du polar nordique contemporain.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. La dame de Reykjavik (2018)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
À 64 ans, Hulda Hermannsdóttir compte parmi les meilleures enquêtrices de la police de Reykjavik. Alors qu’elle envisage sereinement sa retraite dans quelques mois, son supérieur lui demande de quitter son poste immédiatement pour céder la place à un jeune inspecteur prometteur. Ébranlée par cette mise à l’écart brutale, elle négocie un délai de deux semaines pour résoudre une dernière affaire non élucidée.
Son choix se porte sur le dossier d’Elena, une jeune demandeuse d’asile russe retrouvée noyée un an plus tôt sur une plage isolée. L’enquête avait été rapidement classée comme un suicide par un collègue peu consciencieux. Mais Hulda découvre que la victime venait tout juste d’obtenir ses papiers et s’apprêtait à fêter la nouvelle. En trois jours, cette ultime enquête va la confronter à ses propres démons et révéler des secrets enfouis depuis des décennies.
Autour du livre
Premier volet d’une trilogie qui inverse l’ordre chronologique habituel, « La dame de Reykjavik » marque un virage dans l’œuvre de Ragnar Jónasson. Après sa série « Les enquêtes de Siglufjördur » centrée sur le jeune inspecteur Ari Thór dans la ville de Siglufjördur, le romancier choisit cette fois une héroïne proche de la retraite, brisant ainsi les codes du genre. The Times salue d’ailleurs en Hulda « la meilleure héroïne tragique que nous avons lue depuis longtemps ».
La narration alterne trois fils temporels : l’enquête d’Hulda sur la mort d’Elena, l’histoire d’une mère célibataire dans les années 1950, et celle d’une femme partie en randonnée avec un homme mystérieux. Ces différentes intrigues convergent vers un dénouement que les lecteurs qualifient d’inattendu et saisissant. La série « La dame de Reykjavik » présente la particularité de remonter le temps : chaque nouveau tome se déroule avant le précédent, permettant de comprendre progressivement l’origine des traumatismes d’Hulda.
Ragnar Jónasson y soulève plusieurs problématiques sociétales : le sort réservé aux demandeurs d’asile en Islande, la place des femmes dans un milieu professionnel dominé par les hommes, le traitement brutal des seniors poussés vers la sortie malgré leurs compétences. À travers le personnage d’Hulda, Jónasson dresse le portrait d’une société islandaise moins égalitaire qu’elle n’y paraît, où persistent le machisme et la xénophobie.
Une particularité éditoriale mérite d’être soulignée : le texte français résulte d’une double traduction. Écrit initialement en islandais, le livre a d’abord été traduit en anglais par l’auteur lui-même, cette version anglaise servant ensuite de base aux traductions dans les autres langues. Cette situation inhabituelle soulève des questions sur la fidélité au texte original, notamment dans le rendu des spécificités culturelles islandaises comme le tutoiement systématique.
Aux éditions POINTS ; 312 pages.
2. La dame de Reykjavik – L’île au secret (2020)
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Résumé
1997, île d’Ellidaey, Islande. Quatre amis trentenaires se réunissent dans l’unique maison de ce bout de terre perdu au milieu de l’océan. La fête tourne au cauchemar quand une participante est retrouvée morte au pied d’une falaise. L’inspectrice Hulda Hermannsdóttir prend en charge l’enquête.
Ce drame fait écho à un autre meurtre survenu dix ans plus tôt. En 1987, une jeune femme avait été tuée dans un chalet isolé des fjords. L’enquête, menée à la va-vite par un policier carriériste, s’était soldée par l’arrestation du père de la victime. Désespéré, celui-ci s’était donné la mort en prison. Les deux affaires semblent liées par d’obscurs secrets que Hulda devra mettre au jour.
Autour du livre
L’originalité de « L’île au secret » réside dans sa construction chronologique inversée : ce deuxième volet de la trilogie « La dame de Reykjavik » se déroule quinze ans avant le premier tome. Cette architecture singulière permet de découvrir les facettes méconnues d’Hulda Hermannsdóttir, une femme policière qui évolue dans le milieu très masculin de la police islandaise des années 1990.
Dans la lignée d’Agatha Christie, dont Ragnar Jónasson s’inspire ouvertement, le récit joue avec les codes du huis clos insulaire. Le cadre de l’intrigue, l’île d’Ellidaey et sa maison solitaire – qui existe réellement au large des côtes islandaises – accentue l’atmosphère d’isolement et de tension. Les personnages, peu nombreux et tourmentés par leurs secrets, se retrouvent prisonniers de ce lieu aussi grandiose qu’hostile, sous la menace permanente des éléments naturels.
La dimension psychologique occupe une place centrale. À travers sa quête d’identité et sa recherche d’un père américain inconnu, Hulda incarne une héroïne complexe et profondément humaine. Sa solitude, accentuée par les pertes successives de sa fille, de son mari et de sa mère, fait écho aux drames qui se nouent sur l’île. Cette dualité entre enquête policière et introspection donne au récit une profondeur particulière.
Ragnar Jónasson mêle subtilement les temporalités et les destins, tout en offrant une réflexion sur la justice et ses errements. La première enquête, bâclée par un policier carriériste, soulève la question des préjugés et de l’ambition personnelle dans le travail policier. Dix ans plus tard, la vérité resurgit, démontrant que les apparences peuvent s’avérer trompeuses et que le temps ne parvient pas toujours à enterrer les secrets.
Aux éditions POINTS ; 312 pages.
3. La dame de Reykjavik – La dernière tempête (2021)
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Résumé
Dans l’est de l’Islande, à la veille de Noël 1987, Erla et Einar vivent reclus dans leur ferme, cernés par la neige et le froid mordant. Un soir, alors qu’une violente tempête fait rage, un inconnu frappe à leur porte, prétendant s’être perdu en chassant. Rapidement, le téléphone et l’électricité sont coupés. Tandis qu’Erla se méfie de cet étranger au comportement suspect, son mari lui accorde naïvement sa confiance.
À Reykjavik, l’inspectrice Hulda Hermansdottir traverse une période difficile. Sa fille Dimma, en pleine crise d’adolescence, s’isole dans un mutisme inquiétant. Son mariage avec Jon bat de l’aile. Pour échapper à ce quotidien pesant, elle se consacre corps et âme à la recherche d’une étudiante disparue lors d’un périple en solitaire. Quelques semaines plus tard, la découverte de deux corps dans une ferme isolée la conduit sur les traces d’un tueur.
Autour du livre
En conclusion de sa trilogie antéchronologique, « La dernière tempête » apporte une profondeur particulière au personnage d’Hulda. Ce choix de remonter le temps à travers trois tomes – chacun se déroulant respectivement 10 et 25 ans avant le précédent – permet d’éclairer sous un nouveau jour les drames qui structurent la vie de cette enquêtrice.
Cette construction inversée s’avère singulièrement efficace : le lecteur connaît déjà le destin tragique qui attend Hulda, ce qui teinte chaque scène d’une gravité supplémentaire. Les moments en famille prennent une résonance poignante, notamment lorsque l’inspectrice, absorbée par son travail, ne perçoit pas les signes de détresse de sa fille Dimma. Comme l’observe une critique, cette connaissance préalable « nous rend complètement impuissants face à l’inévitable ».
La force du récit réside aussi dans son habileté à embrasser plusieurs fils narratifs qui convergent vers une conclusion inattendue. Le Sunday Times et le Financial Times l’ont d’ailleurs classé parmi les meilleurs romans policiers de l’année. Jadis traducteur d’Agatha Christie en islandais, Ragnar Jónasson maîtrise l’art du huis clos à la manière de la romancière britannique : une ferme isolée, des personnages prisonniers de la tempête, une tension qui monte inexorablement.
L’environnement hivernal de l’Islande ne sert pas uniquement de décor pittoresque mais devient un acteur à part entière du drame qui se joue. La neige qui s’accumule, l’obscurité quasi permanente et le froid mordant créent une atmosphère étouffante qui reflète l’état psychologique des personnages. Les traditions locales, comme celle de la Saint-Thorlak où l’on mange de la raie faisandée le 23 décembre, ancrent solidement l’intrigue dans la réalité islandaise.
Aux éditions POINTS ; 288 pages.
4. Helgi Reykdal – La mort en blanc (2024)
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Résumé
En 2012 à Reykjavik, Helgi Reykdal, étudiant en criminologie, choisit comme sujet de mémoire une mystérieuse affaire survenue trente ans plus tôt dans un ancien sanatorium d’Akureyri, au nord de l’Islande. En 1983, une infirmière y avait été retrouvée assassinée, les deux doigts sectionnés, avant que le médecin-chef ne soit découvert mort quelques jours plus tard au pied du bâtiment. L’enquête, menée par l’inspectrice Hulda Hermannsdóttir, s’était soldée par un échec.
Déterminé à faire la lumière sur ces décès jamais élucidés, Helgi part à la rencontre des protagonistes de l’époque. Ses investigations le conduisent à rouvrir de vieilles blessures et à mettre au jour les sombres secrets de cet établissement où l’on soignait autrefois les tuberculeux. Quand l’un des témoins est retrouvé mort dans son lit, le jeune criminologue accepte un poste d’enquêteur à la police de Reykjavik pour poursuivre ses recherches.
Autour du livre
Avec ce premier tome des enquêtes d’Helgi Reykdal, qui s’inscrit dans le prolongement de la série « La dame de Reykjavik », Ragnar Jónasson noue un lien habile avec sa trilogie précédente. Hulda, l’inspectrice emblématique des trois premiers tomes, apparaît ici en second plan, dans deux époques distinctes de sa carrière. En 1983, elle tente de faire valoir ses doutes sur une enquête rapidement classée, tandis qu’en 2012, elle s’apprête à prendre sa retraite. Cette construction permet de mettre en lumière le sexisme persistant dans la police islandaise, thème qui traverse l’ensemble de son œuvre.
« La mort en blanc » aborde avec tact plusieurs sujets sensibles, à commencer par l’histoire méconnue des enfants tuberculeux en Islande et leurs traitements dans les sanatoriums des années 1950. Jónasson révèle aussi la violence conjugale sous un angle peu traité dans la littérature policière : celle subie par les hommes. Cette thématique se manifeste à travers le personnage d’Helgi, qui cache sa situation derrière sa passion pour les romans policiers classiques.
La structure du récit rend hommage à Agatha Christie, dont Ragnar Jónasson a traduit plusieurs œuvres en islandais. Cette influence se ressent dans le traitement du huis clos, la psychologie des personnages et la mécanique de l’enquête qui privilégie les interrogatoires aux analyses scientifiques. Le dernier chapitre, qui se termine sur un cliffhanger inattendu, laisse présager une nouvelle saga autour du personnage d’Helgi.
Harlan Coben qualifie Ragnar Jónasson de « grand écrivain » et ce nouveau titre confirme la place singulière qu’occupe l’auteur dans le paysage du polar scandinave. Cette sortie fait suite au succès de « Reykjavik », co-écrit avec la Première ministre d’Islande, et s’inscrit dans la continuité d’une œuvre qui ne cesse de se renouveler.
Aux éditions LA MARTINIERE ; 352 pages.
5. Les enquêtes de Siglufjördur – Snjór (2016)
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Résumé
Fraîchement diplômé de l’école de police, Ari Thór quitte Reykjavik et sa fiancée Kristin pour rejoindre son premier poste à Siglufjördur, petite ville portuaire nichée entre montagnes et fjord à l’extrême nord de l’Islande. Nous sommes en 2008, le pays traverse une crise économique sans précédent, et ce jeune homme de 23 ans, ancien étudiant en théologie, n’a pas d’autre choix que d’accepter cette affectation lointaine.
Dans cette bourgade de 1200 habitants où « il ne se passe jamais rien », deux drames surviennent coup sur coup : la mort suspecte d’un écrivain célèbre dans les escaliers du théâtre municipal, suivie de la découverte d’une femme poignardée gisant à moitié nue dans son jardin enneigé. Tandis que les tempêtes et les avalanches isolent progressivement la ville du reste du pays, Ari Thór tente de démêler les fils d’une enquête qui le mène au cœur des secrets bien gardés de cette communauté.
Autour du livre
Premier volet de la série « Les enquêtes de Siglufjördur », « Snjór » puise sa force dans un environnement naturel qui devient un personnage à part entière. Le titre lui-même, qui signifie « neige » en islandais, traduit cette omniprésence des éléments. L’isolement de Siglufjördur, cette ville coincée entre montagnes et fjord, amplifie le sentiment de claustrophobie qui saisit le protagoniste. La neige, le blizzard et les avalanches transforment ce petit port de pêche en un huit-clos naturel où les secrets ne demandent qu’à ressurgir.
Avant de se lancer dans l’écriture, Ragnar Jónasson s’est fait connaître comme traducteur d’Agatha Christie en islandais. Cette influence transparaît dans la construction de l’intrigue qui emprunte aux codes du roman policier britannique classique : une petite communauté isolée, des personnages aux multiples facettes, des secrets enfouis qui remontent à la surface. La découverte de l’auteur par l’agent littéraire d’Henning Mankell a permis la diffusion internationale de l’œuvre.
Le choix de situer l’action en 2008-2009, en pleine crise économique islandaise, ancre le récit dans une réalité sociale précise. Cette période trouble pour le pays apporte une épaisseur supplémentaire au parcours d’Ari Thór : son choix d’accepter ce poste dans le Nord découle directement des difficultés d’emploi que rencontrent alors les jeunes diplômés. La ville elle-même porte les stigmates d’un déclin économique antérieur, depuis que les bancs de harengs qui faisaient sa prospérité se sont taris.
Aux éditions POINTS ; 336 pages.
6. Les enquêtes de Siglufjördur – Nátt (2018)
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Résumé
C’est l’été à Siglufjördur, petite ville du nord de l’Islande où le soleil ne se couche jamais. Le jeune policier Ari Thór savoure cette accalmie après les rigueurs de l’hiver, mais son répit est de courte durée : un homme est retrouvé battu à mort près d’une maison en construction.
L’enquête se complique avec l’arrivée d’Isrun, une journaliste ambitieuse de Reykjavik qui semble cacher des motivations personnelles derrière son intérêt pour l’affaire. Pendant ce temps, l’éruption spectaculaire du volcan Eyjafjallajökull recouvre peu à peu toute l’Islande d’un épais nuage de cendres, une obscurité inquiétante en plein été. Cette étrange « nuit » (« nátt » en islandais) fait remonter à la surface des secrets enfouis qui touchent aussi bien la victime que les enquêteurs.
Autour du livre
Second opus de la série « Les enquêtes de Siglufjördur », « Nátt » (qui signifie « nuit » en islandais) se démarque par son habile entrelacement de l’actualité et de la fiction. L’intrigue se déroule pendant l’éruption historique de l’Eyjafjallajökull en 2010, un événement qui paralysa le trafic aérien européen et plongea l’Islande dans un épais nuage de cendres. Cette toile de fond apocalyptique sert de métaphore aux ténèbres morales qui imprègnent le récit.
À travers ses multiples personnages, Ragnar Jónasson brosse un portrait sans concession de l’Islande post-crise de 2008. Les protagonistes, marqués par leurs fêlures, incarnent une société ébranlée par les scandales financiers. La construction en puzzle du récit, où chaque chapitre constitue une pièce à assembler, crée un effet de kaléidoscope qui démultiplie les points de vue et les temporalités.
Si les critiques saluent l’atmosphère singulière de « Nátt », certains regrettent une narration parfois dispersée entre trop d’intrigues parallèles. Néanmoins, la maîtrise avec laquelle Jónasson déploie les fils narratifs jusqu’à leur convergence finale compense largement ces quelques longueurs. Les descriptions saisissantes de Siglufjördur et de ses environs témoignent d’un attachement profond à cette région isolée du nord de l’Islande, que l’auteur connaît intimement à travers les écrits de son grand-père, auteur d’un essai sur les éruptions volcaniques de la région, « Siglfirskur annáll », publié en 1998.
Aux éditions POINTS ; 312 pages.
7. Les enquêtes de Siglufjördur – Sótt (2018)
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Résumé
Dans la petite ville de Siglufjördur, au nord de l’Islande, une épidémie de fièvre hémorragique contraint les habitants à la quarantaine. L’inspecteur Ari Thór, confiné au commissariat, reçoit la visite d’Hédinn qui lui soumet une énigme vieille de cinquante ans : sa tante Jórunn est morte empoisonnée dans les années 1950 dans une ferme isolée. L’enquête avait conclu à un suicide, mais une photo d’époque montre un mystérieux inconnu aux côtés de la famille.
Pour résoudre cette affaire, Ari Thór s’adjoint l’aide d’Isrún, une journaliste de Reykjavik. Pendant qu’elle l’assiste à distance dans ses recherches sur ce cold case, elle enquête elle-même sur deux affaires troublantes dans la capitale : l’enlèvement d’un bébé et le meurtre du fils d’un homme politique. Ces trois intrigues, apparemment sans lien, vont peu à peu se rejoindre.
Autour du livre
Avec cette nouvelle enquête d’Ari Thór, Ragnar Jónasson entremêle trois intrigues distinctes qui ne se rejoignent jamais complètement, brisant ainsi les codes habituels du polar où les fils narratifs convergent systématiquement. Cette particularité, loin d’affaiblir l’ensemble, renforce au contraire la crédibilité du récit en miroir de la complexité du réel.
La quarantaine qui frappe Siglufjördur accentue le sentiment d’isolement déjà présent dans les précédents opus. Cette claustrophobie collective fait écho aux tourments intérieurs d’Ari Thór, perpétuellement en lutte avec ce sentiment d’enfermement qui le poursuit depuis son arrivée dans cette ville cerclée de montagnes. Le choix d’une épidémie comme toile de fond, écrit en 2012, prend une résonance saisissante avec l’actualité récente.
L’originalité de « Sótt » réside aussi dans le duo formé par Ari Thór et la journaliste Isrún. Cette collaboration entre forces de l’ordre et médias, rarement exploitée dans le genre policier, apporte une dimension supplémentaire à l’enquête. Le personnage d’Isrún, marqué par une maladie héréditaire potentiellement mortelle, insuffle une profondeur émotionnelle bienvenue à ce polar nordique.
Franck Thilliez salue dans Le Monde cette capacité à dépeindre « des fjords mystérieux à la beauté bleutée, des habitants confrontés aux rudesses du climat et au silence de la roche. » Un hommage particulier transparaît dans ces pages : Ragnar Jónasson y honore ses grands-parents, son grand-père Ragnar qui documentait l’histoire de Siglufjördur, et sa grand-mère qui publiait des récits folkloriques.
Ce troisième volet chronologique (quatrième traduit en français) de la série « Les enquêtes de Siglufjördur » confirme la singularité de la voix de Jónasson dans le paysage du polar nordique : une approche qui privilégie la psychologie des personnages et les secrets de famille aux effusions de violence, le tout ancré dans une Islande où la nature impose sa loi.
Aux éditions POINTS ; 360 pages.
8. Les enquêtes de Siglufjördur – Vík (2019)
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Résumé
Dans un village abandonné du nord de l’Islande, Ásta retourne sur les lieux de son enfance après vingt-cinq ans d’absence. Elle retrouve la grande maison de Kálfshamarsvík où vivent encore Thóra et Óskar, le frère et la sœur qui en assurent l’entretien, ainsi que Reynir le propriétaire et Arnór qui veille sur le phare voisin. Deux jours plus tard, son corps est retrouvé au pied des falaises.
L’inspecteur Ari Thór doit quitter Siglufjördur et sa compagne enceinte pour élucider cette mort troublante. D’autant plus que la mère et la sœur d’Ásta ont péri au même endroit des années plus tôt. Dans ce lieu isolé où la neige et le vent effacent les traces, les quatre habitants sont les seuls suspects. Leurs réticences à parler du passé cachent des secrets que l’enquêteur devra mettre au jour.
Autour du livre
« Vík » s’inscrit dans la lignée des précédentes enquêtes de Siglufjördur tout en s’en démarquant par son cadre encore plus resserré. Le nombre très limité de suspects transforme l’investigation en véritable partie de Cluedo nordique, où chaque personnage devient tour à tour la cible des soupçons. À travers les falaises, le phare et la mer déchaînée, la nature islandaise prend une dimension presque surnaturelle qui renforce l’atmosphère oppressante du récit.
La publication de ce cinquième tome en France soulève une curiosité éditoriale : sorti après « Mörk », il se déroule pourtant chronologiquement avant celui-ci. Ce choix crée un effet perturbant pour les lecteurs qui retrouvent Ari Thór attendant son premier enfant alors qu’ils l’avaient quitté jeune père. Cette particularité n’entame cependant pas la cohérence de l’intrigue, qui fonctionne de manière autonome.
L’influence d’Agatha Christie, dont Ragnar Jónasson est le traducteur islandais, transparaît nettement dans la construction du récit : un lieu isolé, un cercle fermé de suspects, des secrets enfouis qui remontent à la surface. La période de Noël ajoute une touche singulière au récit en dévoilant certaines traditions islandaises méconnues, comme celle d’offrir systématiquement un livre que chacun lira durant la nuit.
Les températures extrêmes – jusqu’à -38°C, record historique – et la géographie particulière de Kálfshamarsvík, ancien village de pêcheurs désormais quasi abandonné, créent un décor saisissant. Les colonnes de basalte environnantes évoquent la Chaussée des Géants et confèrent au site une dimension presque mythologique. Cette configuration géographique singulière ne relève pas de l’invention : une recherche sur Internet permet de découvrir ce lieu réel, impressionnant avec son phare carré à l’architecture moderne qui tranche avec l’imaginaire romantique habituel.
Aux éditions POINTS ; 288 pages.
9. Les enquêtes de Siglufjördur – Mörk (2017)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
La nuit polaire s’installe à Siglufjördur, bourgade perdue au nord de l’Islande. L’inspecteur Herjólfur gît dans la neige, tué d’une balle de fusil devant une vieille maison abandonnée. Son collègue Ari Thór, qui aurait dû patrouiller ce soir-là s’il n’avait pas été grippé, hérite de l’enquête avec Tómas, son ancien chef revenu spécialement de Reykjavik.
Le meurtre d’un policier, du jamais vu dans la région. Les interrogatoires font émerger des personnages troubles : Gunnar, le maire aux activités douteuses, sa mystérieuse adjointe Elin qui vit sous un faux nom, un petit trafiquant local de stupéfiants. La maison abandonnée cache elle-même un drame vieux de cinquante ans. Entre les chapitres s’intercalent les confidences d’un patient en hôpital psychiatrique, dont l’identité pourrait bien être la clé de l’énigme.
Autour du livre
« Mörk » se déroule à l’approche de l’hiver, quand le soleil disparaît derrière les montagnes pour ne réapparaître que deux mois plus tard. Cette obscurité totale qui enveloppe la petite communauté renforce l’atmosphère oppressante du récit.
Le personnage d’Ari Thór s’affirme comme un anti-héros crédible : loin des enquêteurs infaillibles, il doute, commet des erreurs, s’enlise dans ses problèmes de couple. Sa relation avec Kristin, mise à l’épreuve par la naissance de leur fils Stefnir, ajoute une dimension humaine à l’intrigue policière. Les habitants de Siglufjördur, tous potentiellement suspects, incarnent une microsociété où chacun dissimule ses secrets derrière une apparente tranquillité.
La thématique des violences conjugales, centrale dans ce volet, s’inscrit dans une réflexion plus large sur la société islandaise contemporaine. Le contraste entre l’image paisible du pays et la réalité de ces drames domestiques confère au récit une profondeur sociale efficace.
À la fin du livre, Jónasson rend hommage à son grand-père écrivain à travers un texte sur le retour du printemps, qui résonne avec les thèmes du roman : « Comme toujours, le doux se mêle à l’amer. Tout se suit et s’enchaîne, le bon et le mauvais, l’optimisme du printemps et l’anxiété qui précède l’hiver, la clarté du jour neuf après l’obscurité de la nuit. »
Aux éditions POINTS ; 288 pages.
10. Les enquêtes de Siglufjördur – Sigló (2020)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Trois jours avant Pâques, à Siglufjördur, ville la plus septentrionale d’Islande. L’inspecteur Ari Thór est réveillé en pleine nuit : une jeune fille de 19 ans gît sans vie dans la rue principale, apparemment tombée d’un balcon. Ce supposé suicide survient au pire moment pour l’enquêteur qui attendait la visite de son fils et de son ex-compagne.
L’affaire se complique quand un pensionnaire d’une maison de retraite, qui lutte contre une maladie dégénérative, griffonne sur les murs de sa chambre : « Elle a été assassinée ». Alors qu’une tempête hivernale s’abat sur le port et que la ville se retrouve privée d’électricité, la maison de la victime est cambriolée. Une nouvelle pièce à ce puzzle déconcertant.
Autour du livre
Pour remercier son million de lecteurs français qui placent l’Hexagone en tête des ventes parmi les trente pays où il est traduit, Ragnar Jónasson publie ce sixième tome en avant-première mondiale en France, deux mois avant sa sortie en Islande. Particularité supplémentaire : « Sigló » bénéficie pour la première fois d’une traduction directe depuis l’islandais, sans passer par la version anglaise.
L’évolution du protagoniste Ari Thór transparaît nettement dans ce nouvel opus. Sept ans après son arrivée dans cette ville qui lui « avait semblé si inhospitalière », l’inspecteur s’est endurci. Les crimes qu’il a pu rencontrer dans sa carrière l’ont transformé. Sa froideur professionnelle contraste avec son désir constant de trouver des réponses pour les victimes. Cette dualité de sa personnalité s’avère aussi intéressante que l’enquête elle-même.
La petite ville de Siglufjördur se révèle elle aussi en pleine mutation. L’ouverture d’un nouveau tunnel a mis fin à son isolement chronique. Le vieux port prend des airs de centre historique avec ses restaurants et cafés aux devantures colorées.
Dans la lignée d’Agatha Christie, Ragnar Jónasson privilégie l’aspect psychologique à la violence graphique. Les secrets émergent au fil des conversations, les révélations surgissent autour d’une tasse de café brûlant. Cette approche sobre, qui rappelle également Simenon, met l’accent sur les dynamiques sociales plutôt que sur l’action pure. La construction progressive du suspense, les dialogues mesurés et l’atmosphère nordique créent un climat de tension contenue, caractéristique des meilleurs polars scandinaves.
Aux éditions POINTS ; 264 pages.
11. À qui la faute (2023)
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Résumé
Dans l’est de l’Islande, quatre amis de longue date organisent un week-end de chasse à la perdrix. L’excursion, minutieusement préparée par Armann, guide touristique chevronné, réunit des personnalités contrastées : Daniel, acteur en quête de reconnaissance à Londres, Gunnlaugur, avocat peu brillant, et Helena, ingénieure marquée par la mort de son compagnon.
Le groupe se retrouve pris au piège d’une tempête de neige. Sans réseau ni moyen de communication, ils trouvent refuge dans un pavillon de chasse isolé. Mais une présence inquiétante les y attend. Dans l’obscurité grandissante, les tensions s’exacerbent et les vérités éclatent. Un drame survenu des années plus tôt revient hanter leur amitié précaire.
Autour du livre
Sélectionné pour le Prix Audiolib 2023, « À qui la faute » de Ragnar Jónasson adopte une construction chorale efficace où chaque chapitre donne la parole à l’un des quatre protagonistes. Cette alternance de voix permet de saisir la complexité des relations entre ces amis de longue date et de mesurer l’ampleur des rancœurs qui les habitent.
La nature islandaise s’impose comme un cinquième personnage central. Le blizzard, le froid mordant et l’isolement absolu créent une atmosphère oppressante qui fait écho aux tensions psychologiques. Cette omniprésence des éléments naturels constitue l’une des forces majeures du texte.
La structure narrative, faite de chapitres très courts, imprime un rythme soutenu qui contraste avec la lenteur apparente de l’action. Cependant, cette construction par fragments successifs divise : certains y voient une force qui dynamise le récit quand d’autres déplorent un effet de répétition qui ralentit la progression de l’intrigue.
Le dénouement brutal suscite des réactions contrastées. La fin abrupte laisse de nombreuses questions en suspens et rompt avec le rythme installé jusque-là. Cette rupture finale interroge : choix délibéré ou signe d’une écriture précipitée ? Les avis divergent sur ce point comme sur l’ensemble d’un polar qui ne laisse personne indifférent.
Aux éditions POINTS ; 312 pages.
12. Reykjavik (2023)
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Résumé
Sur l’île de Videy, face à Reykjavík, la jeune Lára Marteinsdottir, quinze ans, s’évapore sans laisser de traces en août 1956. Elle était employée pour l’été chez un couple de notables, les Blöndal. L’enquête menée par un jeune policier se heurte rapidement aux pressions de sa hiérarchie et aux réticences des puissants. L’affaire reste non résolue.
En 1986, alors que l’Islande s’apprête à célébrer le bicentenaire de sa capitale et à recevoir le sommet Reagan-Gorbatchev, le journaliste Valur Róbertsson rouvre ce cold case qui hante toujours les mémoires. Il interroge les témoins encore vivants et reçoit des indices anonymes prometteurs. Mais son enquête dérange. Après sa mort brutale dans des circonstances troubles, sa sœur Sunna décide de poursuivre ses investigations, quitte à affronter les plus hautes sphères de la société islandaise.
Autour du livre
Ce polar résulte d’une collaboration singulière entre Ragnar Jónasson et Katrín Jakobsdóttir, Première ministre d’Islande. Elle naît pendant le confinement de 2020, période qui leur laisse le temps d’écrire à quatre mains. Tous deux partagent une passion pour la littérature policière – Jakobsdóttir a d’ailleurs consacré son mémoire universitaire à l’écrivain Arnaldur Indriðason.
L’intrigue de « Reykjavík » s’inscrit dans un moment charnière de l’histoire islandaise : les années 1980 marquent la fin de l’isolement du pays et son ouverture progressive au monde. Le bicentenaire de la capitale en 1986 coïncide avec un sommet historique entre Reagan et Gorbatchev. La ville se transforme, de nouveaux quartiers émergent, les radios libres apparaissent, et la société islandaise commence sa mutation. À travers cette toile de fond sociale et politique se dessine le portrait d’une nation qui sort de « l’anonymat ».
Ragnar Jónasson intègre aussi des éléments de la culture islandaise, comme l’usage exclusif des prénoms plutôt que des noms de famille, ou l’histoire de la prohibition – la vente de bière reste interdite jusqu’en 1989. Les pubs servent alors du « bjorliki », un mélange de bière sans alcool et de spiritueux pour contourner la loi.
L’héritage d’Agatha Christie irrigue le texte, notamment dans sa structure qui rappelle ses huis clos : « Le constat était simple : ils avaient d’abord été trois sur cette île, puis il n’en était resté que deux. Comme dans un roman policier d’Agatha Christie. » Cette filiation revendiquée n’empêche pas « Reykjavík » de devenir numéro un des ventes en Islande dès sa sortie.
Les critiques soulignent la manière dont le rythme s’accélère progressivement jusqu’à un dénouement imprévu. Sans verser dans les scènes macabres ou les poursuites haletantes, l’enquête sert de prétexte pour disséquer les mécanismes du pouvoir dans une société où les élites se croient intouchables.
Aux éditions POINTS ; 360 pages.