Primo Levi (1919-1987) est un écrivain et chimiste italien, principalement connu pour son témoignage sur l’Holocauste. Né dans une famille juive bourgeoise à Turin, il obtient un doctorat en chimie en 1941, dans une Italie fasciste où les lois raciales compliquent sa vie professionnelle.
En 1943, il rejoint brièvement la Résistance mais est arrêté et déporté au camp d’Auschwitz-Monowitz en février 1944. Sa formation de chimiste lui permet d’obtenir un poste au laboratoire du camp, ce qui contribue à sa survie. Il est libéré par l’Armée rouge le 27 janvier 1945.
De retour en Italie, il devient directeur technique d’une entreprise de peintures (SIVA) tout en développant une carrière d’écrivain. Son premier livre, « Si c’est un homme » (1947), relate son expérience à Auschwitz. Initialement peu remarqué, l’ouvrage devient un classique de la littérature testimoniale après sa réédition en 1958.
Marié à Lucia Morpurgo en 1947, père de deux enfants, il poursuit son œuvre littéraire en parallèle de sa carrière de chimiste. Ses écrits, caractérisés par un style sobre et précis hérité de sa formation scientifique, comprennent des témoignages, des romans, des nouvelles et des essais. Parmi ses œuvres majeures figurent « La trêve » (1963) et « Le Système périodique » (1975).
Il meurt le 11 avril 1987 d’une chute dans l’escalier de son immeuble à Turin, dans des circonstances qui ont fait débat entre suicide et accident.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. Si c’est un homme (récit autobiographique, 1947)
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En février 1944, Primo Levi, jeune chimiste italien de 24 ans, arrive à Auschwitz. Arrêté quelques mois plus tôt pour faits de résistance, il est déporté en tant que juif et reçoit le matricule 174.517. Il passera près d’un an dans le camp de Monowitz-Buna, annexe d’Auschwitz où les détenus travaillent pour l’industrie allemande.
Le récit décrit sans fard la réalité brutale du camp : la faim tenace qui ronge les corps, le froid qui pétrifie jusqu’aux os, l’épuisement qui tue à petit feu. Les prisonniers se battent pour survivre, volent, trichent, abandonnent toute compassion. La moindre erreur peut être fatale. La moindre faiblesse aussi. Levi tient bon grâce à ses compétences de chimiste qui lui valent un travail moins pénible, et surtout grâce à la chance. Quand les nazis évacuent le camp en janvier 1945, il échappe aux terribles « marches de la mort » car il est alité à l’infirmerie. Il sera libéré par l’Armée rouge.
Publié en 1947, ce témoignage majeur de la Shoah frappe par sa sobriété clinique et son absence totale de haine ou de désir de vengeance. Sans pathos ni effets de style, Primo Levi décrit méthodiquement la mécanique de déshumanisation mise en place dans les camps. Le texte n’a pas trouvé son public tout de suite – il faudra attendre 1963 et la publication de « La trêve » pour que « Si c’est un homme » soit enfin reconnu comme l’un des témoignages essentiels sur les camps de la mort, aux côtés du « Journal d’Anne Frank » et de « La Nuit » d’Elie Wiesel.
Aux éditions POCKET ; 213 pages.
2. La trêve (récit autobiographique, 1963)
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En janvier 1945, alors que les soldats russes découvrent les horreurs d’Auschwitz, Primo Levi et quelques centaines d’autres survivants entament un improbable retour vers leur pays. Encore marqués par l’expérience concentrationnaire, ils doivent affronter le froid, la maladie et le chaos de l’Europe d’après-guerre. Les autorités soviétiques, débordées par l’afflux de réfugiés, les ballottent de camp en camp à travers la Pologne.
Le petit groupe d’Italiens se retrouve bientôt embarqué dans une errance absurde qui les mène toujours plus à l’est : Ukraine, Biélorussie, Roumanie. Dans ces territoires dévastés où tout manque, chacun lutte pour sa survie. Les combines se multiplient, les amitiés se nouent. Entre deux campements de fortune, la vie reprend timidement ses droits : on négocie, on troque, on monte même des spectacles. Ce n’est qu’en octobre 1945, après d’interminables détours, que Levi retrouve enfin Turin.
Écrit entre 1947 et 1963, ce récit autobiographique s’éloigne des témoignages habituels sur la Shoah. Sans occulter l’horreur du passé proche, le texte fait surgir des moments d’une drôlerie inattendue. La description de l’administration soviétique, à la fois chaotique et bienveillante, ou celle des spectacles improvisés dans les camps de transit, révèlent une humanité qui reprend ses droits. Cette « trêve » entre l’enfer concentrationnaire et le retour à la vie « normale » constitue un moment suspendu, où la joie de la liberté se conjugue à l’inquiétude de l’avenir.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 384 pages.
3. Les naufragés et les rescapés (récit autobiographique, 1986)
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En 1986, Primo Levi livre son dernier témoignage sur l’univers concentrationnaire nazi, quatre décennies après sa détention à Auschwitz. « Les naufragés et les rescapés » ne se contente pas de décrire l’horreur : il ausculte les mécanismes qui transforment des hommes ordinaires en bourreaux ou en victimes. Le livre s’attarde sur la « zone grise », cet espace moral ambigu où des détenus collaborent avec leurs geôliers pour survivre, comme les Sonderkommandos contraints d’accompagner leurs semblables vers les chambres à gaz.
L’anéantissement systématique de l’humanité des prisonniers occupe le cœur de cette réflexion. Chaque geste du quotidien – se laver, manger, dormir – devient un instrument d’humiliation. La barrière de la langue empêche toute communication, isolant encore davantage les déportés. Les lettres échangées avec ses lecteurs allemands dans les années 1960 permettent à Levi d’interroger le silence complice d’une population qui a préféré ignorer ce qui se passait sous ses yeux.
Les dernières réflexions de Levi sur l’expérience concentrationnaire se distinguent par leur lucidité remarquable. Sans haine ni apitoiement, il dissèque les comportements humains face à l’extrême. La honte paradoxale des survivants d’avoir échappé à la mort quand tant d’autres ont péri imprègne ces pages. Ce regard sans concession sur la nature humaine prend une dimension prophétique : « C’est arrivé, donc cela peut arriver de nouveau. »
Aux éditions GALLIMARD ; 210 pages.
4. Le Système périodique (recueil d’histoires courtes, 1975)
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À la veille de sa retraite, Primo Levi compose vingt-et-une histoires, chacune placée sous le signe d’un élément du tableau périodique de Mendeleïev. Chimiste de formation dans l’Italie fasciste des années 1930-1940, il raconte sa vie à travers le prisme de sa profession : ses premières expériences d’adolescent, ses études universitaires sous le joug des lois raciales, sa participation à la Résistance, sa déportation à Auschwitz où il survit grâce à ses connaissances scientifiques.
Ce livre mêle avec brio science et littérature, dans une construction remarquable qui transcende le simple récit autobiographique. L’écriture précise du chimiste se marie à la sensibilité de l’écrivain pour créer une œuvre hybride, à la fois témoignage historique et méditation sur la matière. La Royal Institution d’Angleterre l’a d’ailleurs sacré meilleur livre scientifique de tous les temps en 2006.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 252 pages.
5. Le devoir de mémoire (recueil d’entretiens, 1995)
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En 1983, deux historiens italiens interrogent Primo Levi sur son passé de déporté à Auschwitz-Monowitz. L’ancien prisonnier dépeint un camp où s’entremêlent deux pouvoirs : celui des SS et celui de l’industrie allemande IG Farben. Sa survie, il la doit à ses compétences de chimiste qui lui ont valu un travail dans l’usine. Il dévoile aussi l’existence d’une résistance interne, menée par les détenus communistes qui, grâce à leur accès aux registres, pouvaient parfois sauver certains prisonniers.
Quarante ans après sa libération, le témoin prend la mesure du fossé qui le sépare des nouvelles générations. Comment leur faire comprendre la spécificité de la déportation nazie quand le Vietnam et d’autres guerres ont depuis multiplié les horreurs ? Face aux questions sur le sens de cette barbarie, lui qui ne croit pas en Dieu ne peut qu’avouer son impuissance à répondre. Ce dialogue révèle un homme lucide qui refuse tout psychologisme facile.
Aux éditions 1001 NUITS ; 96 pages.
6. Maintenant ou jamais (roman, 1982)
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Été 1943. Dans les forêts de Biélorussie, deux déserteurs juifs de l’Armée rouge se rencontrent : Mendel, un horloger, et Leonid, un ancien ouvrier de kolkhoze. Leur errance les mène jusqu’à une brigade de partisans composée de leurs coreligionnaires. Le groupe subsiste grâce aux parachutages soviétiques et aux raids contre les lignes allemandes. Dans ces territoires occupés, ils doivent faire face non seulement aux nazis, mais aussi à la méfiance des autres résistants.
Au fil des mois, leur combat les entraîne vers l’ouest. De la Russie à l’Italie, en passant par la Pologne, ils progressent avec un objectif qui dépasse la simple survie : rejoindre la Palestine. Les liens se resserrent entre ces hommes et ces femmes que le destin a réunis. Certains tombent au combat, d’autres les rejoignent en cours de route. Ensemble, ils forment une nouvelle famille, soudée par la lutte et l’espoir d’une terre où ils seront enfin chez eux.
Les documents d’archives et les témoignages collectés par Primo Levi donnent à ce roman une force singulière. Dans les interstices de la grande Histoire surgissent des scènes saisissantes : un mariage improvisé dans un monastère en ruines, des chants yiddish qui s’élèvent dans la nuit, l’exécution d’une partisane juive après la signature de l’armistice. Ces moments cristallisent la tension entre la barbarie de la guerre et l’indestructible pulsion de vie qui anime ces résistants.
Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 432 pages.
7. La clef à molette (roman, 1978)
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Dans l’URSS des années 1970, Faussone, un monteur italien de structures métalliques, croise la route d’un compatriote chimiste sur un chantier de la basse Volga. Le soir venu, à l’abri du froid dans leur hôtel, les deux hommes nouent une amitié singulière autour de leurs conversations.
Faussone occupe le devant de la scène. Ses récits dessinent le portrait d’un artisan globe-trotteur qui parcourt le monde de projet en projet. Il décrit avec passion l’assemblage méticuleux des pylônes, le montage périlleux des ponts, les imprévus techniques qu’il faut surmonter. Entre deux explications sur la résistance des matériaux ou la géométrie des structures, il livre ses réflexions sur la liberté, l’excellence professionnelle et les liens humains qui se tissent sur les chantiers.
Ce roman, qui a remporté le prix Strega en 1979, marque un tournant dans l’œuvre de Primo Levi. Loin des témoignages sur les camps nazis, le texte célèbre la noblesse du travail manuel à travers une succession d’histoires où la technique se mêle à la philosophie. L’art d’écouter y occupe une place centrale : le narrateur-chimiste s’efface pour laisser la parole brute de son compagnon construire, boulonnage après boulonnage, une réflexion universelle sur la dignité du travail.
Aux éditions ROBERT LAFFONT ; 304 pages.