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Pierre Péju en 3 romans – Notre sélection

Pierre Péju en 3 romans – Notre sélection

Pierre Péju naît le 23 août 1946 à Lyon, dans une famille marquée par la Résistance. Son enfance est bercée par les livres et la culture : son père et son oncle dirigent la librairie-galerie « La Proue », un lieu culturel animé où défilent écrivains et artistes. À six ans, il découvre l’Allemagne d’après-guerre, une expérience qui marquera plus tard son œuvre.

Après des études de philosophie à Lyon, il s’installe à Paris avec sa compagne Anne-Marie. Il participe activement aux événements de Mai 68 et s’engage dans l’effervescence intellectuelle de l’époque. Il mène pendant de nombreuses années une double carrière d’enseignant en philosophie et d’écrivain.

Sa carrière littéraire démarre véritablement en 1979 avec « Vitesses pour traverser les jours ». Il acquiert une reconnaissance nationale avec « La petite Chartreuse » (2002), qui reçoit le Prix du Livre Inter et est adapté au cinéma. En 2005, « Le rire de l’ogre » lui vaut le Prix du roman Fnac.

Auteur prolifique, Péju jongle entre romans et essais. Son œuvre est marquée par des thèmes récurrents comme l’enfance, la mémoire, l’art et la guerre. Il poursuit aujourd’hui son travail d’écrivain, publiant régulièrement de nouveaux ouvrages, dont récemment « Effractions » (2022) et « Métamorphoses de la Jeune Fille » (2023).

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. La petite Chartreuse (2002)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Par un jour pluvieux de novembre, Étienne Vollard, libraire solitaire à la corpulence imposante, renverse accidentellement avec sa camionnette une petite fille à la sortie de l’école. Eva, huit ans, s’est précipitée sur la route après avoir vainement attendu sa mère Thérèse, jeune femme instable qui peine à assumer son rôle maternel. Rongé par la culpabilité, Vollard se rend quotidiennement au chevet d’Eva, plongée dans le coma, et lui récite des textes littéraires grâce à sa mémoire prodigieuse. À son réveil, la fillette a perdu l’usage de la parole. Tandis que sa mère s’éloigne progressivement, Vollard emmène Eva en promenade dans les montagnes de la Grande Chartreuse pour lui redonner goût à la vie. Mais l’état de l’enfant s’aggrave inexorablement.

Autour du livre

Publié en 2002 chez Gallimard, « La petite Chartreuse » de Pierre Péju reçoit le Prix du Livre Inter en 2003. Cette distinction couronne un récit qui entremêle habilement trois destins brisés : un libraire hypermnésique réfugié dans les livres depuis l’enfance, une mère incapable d’assumer son rôle, et une fillette précocement confrontée à l’abandon.

Les personnages évoluent dans un décor oppressant, celui d’une ville (vraisemblablement Grenoble) écrasée par les montagnes environnantes. Le massif de la Chartreuse, avec ses moines voués au silence, fait écho au mutisme d’Eva après l’accident et à l’incommunicabilité entre les êtres. L’écriture nerveuse et précise de Péju traduit cette atmosphère étouffante à travers des successions de phrases sans verbe qui rythment le récit.

Le texte interroge le pouvoir salvateur de la littérature. Vollard, persécuté durant sa jeunesse pour sa différence physique, s’est réfugié dans les livres jusqu’à en faire sa seule réalité. Sa mémoire exceptionnelle, qui lui permet de retenir par cœur des passages entiers, devient paradoxalement un fardeau : « Milliers de phrases enroulées dans la mémoire de Vollard en une grosse pelote. Milliers de phrases qui se déroulaient, illuminant le noir ».

Ce récit sur la solitude et l’incapacité à créer des liens dévoile l’impuissance des mots face au destin. Même la littérature, malgré sa beauté et sa force d’évocation, ne peut réparer les âmes brisées ni combler le vide laissé par l’absence d’amour maternel. « La petite Chartreuse » dessine ainsi les contours d’une tragédie contemporaine où la culture, si précieuse soit-elle, ne suffit pas à sauver les êtres de leur solitude essentielle.

« La petite Chartreuse » a fait l’objet d’une adaptation cinématographique en 2005 par Jean-Pierre Denis, avec Olivier Gourmet dans le rôle de Vollard. Le film propose une lecture différente du roman, privilégiant l’incarnation des corps à la puissance des mots, et offre une fin plus rédemptrice que celle du livre.

Aux éditions FOLIO ; 208 pages.


2. Le rire de l’ogre (2005)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

En 1963, Paul Marleau, un adolescent français dont le père résistant a été assassiné quelques années plus tôt, loge dans la petite ville bavaroise de Kehlstein lors d’un séjour linguistique. Il y rencontre Clara, fille énigmatique d’un ancien médecin de la Wehrmacht, qui ne perçoit le monde qu’à travers l’objectif de son appareil photo. Malgré l’apparente tranquillité des lieux, les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale continuent de hanter les habitants. Un drame terrible impliquant le meurtre d’enfants par un ancien soldat pèse sur la ville. Paul et Clara développent une relation singulière qui les poursuivra tout au long de leur vie. Lui devient sculpteur, elle photographe de guerre. Leurs chemins se croisent régulièrement jusqu’en 2037, tandis qu’ils tentent chacun à leur manière d’appréhender le mal qui imprègne le monde, entre création artistique et quête de vérité.

Autour du livre

« Le rire de l’ogre » de Pierre Péju, couronné par le Prix du roman Fnac en 2005, se lit comme une méditation sur la transmission du trauma et la persistance du mal. La structure du récit, qui s’étend sur plus de sept décennies, se divise en deux parties distinctes qui épousent l’évolution psychologique des protagonistes.

La première partie baigne dans une atmosphère proche des contes romantiques allemands, où la forêt de Kehlstein devient le théâtre d’une initiation douloureuse à la complexité du monde. Les non-dits et les secrets de guerre imprègnent l’apparente sérénité d’après-guerre : « En Allemagne, les souvenirs du désastre pèsent encore terriblement, mais personne ne les évoque. Leurs ombres rôdent dans la fausse sérénité d’après-guerre. »

La seconde partie adopte un ton plus âpre, centré sur le corps-à-corps de Paul avec la matière dans les paysages du Vercors. Cette évolution narrative fait écho aux « Roi sans divertissement » de Jean Giono, notamment dans son traitement de « la nuit, cette cruauté sans visage, le sang sur la neige, le silence blanc, le crime, la banalité du mal. »

La dimension initiatique se double d’une réflexion sur l’art comme exutoire face aux traumatismes historiques. Paul et Clara incarnent deux approches complémentaires : lui façonne la pierre pour exorciser ses fantômes, elle parcourt les zones de conflit, son objectif comme bouclier contre l’horreur. Leurs parcours parallèles questionnent la possibilité même du bonheur pour une génération héritière des crimes du passé.

« Le rire de l’ogre » interroge également la transmission intergénérationnelle du trauma. Les enfants de la paix se retrouvent paradoxalement prisonniers des silences et des culpabilités de leurs aînés. Cette thématique s’incarne particulièrement dans le personnage de Clara, dont le père porte le poids des atrocités nazies auxquelles il a assisté en Ukraine.

Le conte qui encadre le récit agit comme une métaphore de la permanence du mal : l’ogre rieur symbolise la barbarie tapie dans les recoins de l’Histoire, toujours prête à resurgir. Cette construction narrative en miroir souligne l’aspect cyclique de la violence.

Aux éditions GALLIMARD ; 320 pages.


3. La Diagonale du vide (2009)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Alors qu’il se trouve à l’aéroport Charles-de-Gaulle, Marc Travenne, un homme d’affaires accompli mais désabusé, renonce à un énième voyage d’affaires en Asie. Après la disparition de son meilleur ami et associé, il abandonne tout pour s’installer dans un gîte perdu sur les hauteurs de l’Ardèche. Dans cette région balayée par les vents, il croise le chemin d’une randonneuse énigmatique qui suit « la diagonale du vide », cette étroite bande faiblement peuplée qui s’étend des Landes aux Ardennes. Intrigué, il la poursuit et assiste à son enlèvement. Il apprend alors qu’elle est officier des services secrets et se trouve mêlé à une sombre affaire militaire en Afghanistan. Cette quête le conduit également à renouer avec Irène, une ex-compagne new-yorkaise atteinte d’un cancer en phase terminale, dont les révélations vont changer sa vie.

Autour du livre

« La Diagonale du vide », publié en 2009 chez Gallimard dans la prestigieuse Collection blanche, fait référence à cette zone peu peuplée qui traverse la France. Elle se mue en une puissante métaphore de la solitude et de l’absence d’événements dans une existence. Pierre Péju y entremêle plusieurs fils narratifs : la quête identitaire d’un homme en rupture avec sa vie passée, une intrigue d’espionnage aux ramifications internationales, et une histoire d’amour tardive teintée de mélancolie.

Le récit se déploie sur trois territoires : l’Ardèche sauvage et ses paysages austères battus par les vents, l’Afghanistan et ses drames, New York marquée par le traumatisme du 11 septembre. Ces espaces, loin d’être de simples décors, incarnent différentes formes de solitude et de violence.

Les critiques soulignent l’originalité de ce thriller qui se dissimule sous les atours d’un roman d’introspection. Si certains jugent l’accumulation d’événements parfois excessive, d’autres saluent la manière dont Péju tisse ensemble des destinées qui n’auraient jamais dû se croiser. L’auteur de « La petite Chartreuse » (Prix du livre Inter 2003) poursuit ici son questionnement sur les thèmes qui lui sont chers : l’isolement, le mal-être, l’enfance blessée.

Le personnage de Travenne, avec sa distance apparente face aux drames qu’il découvre, incarne cette posture contemporaine du témoin impuissant face aux tragédies du monde. Son parcours, de l’ennui existentiel à l’engagement dans la vie des autres, dessine une trajectoire vers une forme inattendue de rédemption.

Aux éditions FOLIO ; 304 pages.

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