Pierre Hadot (1922-2010) est un philosophe, historien et philologue français, spécialiste de la philosophie antique. Né à Paris, il passe son enfance à Reims où, selon le souhait de sa mère catholique, il entre au Grand Séminaire en 1937. Il est ordonné prêtre en 1944 à l’âge de 22 ans.
En 1952, déçu par certaines positions de l’Église et confronté à des questionnements personnels, il quitte le sacerdoce. Il poursuit alors une brillante carrière académique, d’abord au CNRS, puis comme directeur d’études à l’École pratique des hautes études (1964-1985), et enfin comme professeur au Collège de France (1982-1990), où il occupe la chaire d’Histoire de la pensée hellénistique et romaine.
Spécialiste de Plotin et du stoïcisme, Hadot a profondément renouvelé notre compréhension de la philosophie antique en montrant qu’elle était avant tout une manière de vivre et une pratique spirituelle, plutôt qu’un simple système théorique. Ses travaux ont influencé de nombreux penseurs contemporains, notamment Michel Foucault qui fut à l’origine de son élection au Collège de France.
Son œuvre comprend des ouvrages comme « Exercices spirituels et philosophie antique » (1981), « La citadelle intérieure » (1992), et « Qu’est-ce que la philosophie antique ? » (1995). Son travail a été récompensé par de nombreuses distinctions, dont le Grand prix de philosophie de l’Académie française en 1999 pour l’ensemble de son œuvre.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. Qu’est-ce que la philosophie antique ? (1995)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Dans « Qu’est-ce que la philosophie antique ? », Pierre Hadot dynamite notre vision traditionnelle de la philosophie. Loin d’être un simple ensemble de théories abstraites, la philosophie antique constituait avant tout un mode de vie, une pratique quotidienne visant la transformation de soi. De Socrate aux stoïciens, en passant par Platon et Épicure, les philosophes ne se contentaient pas de disserter : ils vivaient leur philosophie.
L’ouvrage retrace l’évolution de la philosophie depuis ses origines grecques jusqu’à l’avènement du christianisme. Pierre Hadot démontre comment chaque école philosophique – l’Académie de Platon, le Lycée d’Aristote, le Jardin d’Épicure ou le Portique des stoïciens – proposait d’abord un choix de vie avant d’élaborer un discours théorique. Les disciples s’engageaient dans des exercices spirituels concrets : méditation, examen de conscience, maîtrise des désirs, contemplation de la nature. La sagesse se construisait par la pratique quotidienne plutôt que par l’accumulation de connaissances.
Cette conception de la philosophie comme art de vivre s’est progressivement étiolée avec la montée du christianisme et l’avènement des universités médiévales. La philosophie s’est alors réduite à un discours théorique, perdant sa dimension existentielle originelle.
Publié en 1995, ce livre marque un tournant dans notre compréhension de la philosophie antique. Michel Foucault s’en est directement inspiré pour ses derniers travaux sur le « souci de soi ». Les philosophes contemporains redécouvrent aujourd’hui cette dimension pratique, notamment à travers le renouveau du stoïcisme. L’ouvrage permet de saisir pourquoi les sagesses antiques, loin d’être des doctrines poussiéreuses, proposent des réponses concrètes aux questions de notre temps.
Aux éditions FOLIO ; 455 pages.
2. Exercices spirituels et philosophie antique (1981)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
« Exercices spirituels et philosophie antique » s’attaque à une idée reçue tenace : celle d’une philosophie antique qui serait avant tout théorique et spéculative. Pierre Hadot y démontre au contraire que pour les Anciens, philosopher signifiait d’abord adopter un certain mode de vie, une façon d’être au monde visant la sagesse.
Hadot s’attarde particulièrement sur les « exercices spirituels », ces pratiques concrètes que les philosophes anciens recommandaient pour atteindre la sagesse : méditation sur la mort, examen de conscience, attention au moment présent, contemplation du cosmos. Ces exercices visaient à libérer l’individu de ses passions et de ses angoisses pour lui permettre d’accéder à une vision plus objective du monde. Hadot montre comment ces pratiques ont ensuite influencé le christianisme primitif avant d’être progressivement délaissées par la philosophie moderne.
Un chapitre entier est consacré à Marc Aurèle, dont les « Pensées » constituent selon Hadot l’exemple parfait de ces exercices spirituels en action. L’empereur-philosophe y apparaît moins comme un théoricien que comme un praticien s’efforçant, jour après jour, de transformer son regard sur l’existence à travers l’écriture.
Cette relecture radicale de la philosophie antique a eu un retentissement considérable. Michel Foucault s’en est directement inspiré dans ses derniers travaux sur l’éthique et le « souci de soi ». Plus largement, en rappelant que la philosophie était originellement une pratique transformatrice avant d’être un système théorique, ce livre interroge la nature même de l’activité philosophique aujourd’hui. Il a donné lieu à de nombreuses traductions et continue d’alimenter les débats sur le rôle et la fonction de la philosophie dans le monde contemporain.
Aux éditions ALBIN MICHEL ; 416 pages.
3. La philosophie comme manière de vivre (2001)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Dans ces entretiens menés avec Jeannie Carlier et Arnold Davidson, Pierre Hadot revient sur son parcours intellectuel et livre sa vision de la philosophie antique. Fils d’une famille catholique qui le destinait à la prêtrise, il entre au petit séminaire à dix ans et poursuit des études de théologie jusqu’à son ordination. Mais peu à peu, il s’éloigne de l’Église, insatisfait par un christianisme qu’il perçoit comme trop conventionnel et déconnecté d’une véritable expérience spirituelle.
Cette quête le mène vers la philosophie antique, dans laquelle il découvre une approche radicalement différente de la sagesse. Pour les philosophes grecs et romains, la philosophie ne se réduisait pas à des concepts théoriques – elle représentait avant tout un mode de vie, une pratique quotidienne. Être épicurien signifiait adopter une existence centrée sur la limitation des désirs. Être stoïcien impliquait un travail constant sur soi-même. Diogène incarnait son refus des conventions sociales dans chacun de ses gestes.
Les textes philosophiques eux-mêmes prenaient sens dans ce contexte pratique. Ainsi les célèbres « Pensées » de Marc Aurèle ne forment pas un traité systématique mais un recueil d’exercices spirituels, des notes personnelles où l’empereur s’exhorte à mettre en œuvre les principes stoïciens. De même, les dialogues de Platon visaient moins à exposer une doctrine qu’à provoquer une conversion existentielle chez leurs lecteurs.
Le présent ouvrage, publié en 2001, offre une synthèse accessible de cette approche qui a transformé notre regard sur la philosophie. Le format de l’entretien permet à Hadot d’évoquer aussi son itinéraire personnel : ses années de séminaire, sa découverte de Wittgenstein, son enseignement au Collège de France. Ces conversations dévoilent un penseur qui a su mettre en pratique dans sa propre vie les exercices spirituels qu’il a redécouverts chez les Anciens.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 280 pages.
4. La citadelle intérieure – Introduction aux Pensées de Marc Aurèle (1992)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Dans « La citadelle intérieure », Pierre Hadot propose une lecture novatrice des « Pensées » de Marc Aurèle, ce journal philosophique rédigé par l’empereur romain entre 170 et 180 après J.-C. Ces notes personnelles, jamais destinées à la publication, constituent un témoignage unique sur la pratique quotidienne de la philosophie stoïcienne au sommet du pouvoir impérial.
Hadot dévoile comment Marc Aurèle structure sa pensée autour de trois disciplines : celle du jugement, qui permet de voir la réalité telle qu’elle est en se libérant des préjugés passionnels ; celle du désir, qui consiste à accepter avec sérénité les événements dictés par la Nature ; et celle de l’action, qui pousse à œuvrer pour le bien de la communauté. Cette « citadelle intérieure » n’est pas une tour d’ivoire où se réfugier, mais le socle d’une action juste et efficace dans le monde.
Fruit de vingt années de recherche, ce livre éclaire la conversion philosophique de Marc Aurèle, survenue dans sa vingtaine à la lecture d’une lettre sur le droit. Contrairement à Saint Paul ou Saint Augustin qui embrassèrent la foi chrétienne, Marc Aurèle adopta une attitude de vigilance critique envers le langage et les doctrines, privilégiant l’action éthique concrète plutôt que l’adhésion à des vérités révélées.
Cette étude fait date dans la compréhension du stoïcisme antique. En replaçant les « Pensées » dans leur contexte historique et philosophique, elle montre comment Marc Aurèle adapte l’enseignement d’Épictète à sa situation d’empereur, confronté quotidiennement aux plus hautes responsabilités politiques. Les nombreuses citations permettent d’entendre la voix authentique du philosophe-empereur, tandis que l’analyse révèle la permanence d’une sagesse qui, deux millénaires plus tard, n’a rien perdu de sa pertinence.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 576 pages.
5. Plotin ou la simplicité du regard (1963)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Dans cet essai devenu un classique, Pierre Hadot présente la pensée de Plotin, philosophe grec du IIIe siècle après J.-C. dont l’enseignement à Rome marqua durablement l’histoire de la philosophie. Il y décode la doctrine de ce maître spirituel qui voyait dans la philosophie non pas une simple activité théorique, mais un art de vivre orienté vers la transformation de soi.
Hadot y dévoile la conception plotinienne du monde, structurée autour de trois principes fondamentaux : l’Un (le Bien suprême), l’Intellect et l’Âme. Pour Plotin, l’être humain peut s’élever graduellement vers l’Un à travers un cheminement spirituel fait de purification et de contemplation. Cette ascension mystique ne signifie pas un rejet du monde sensible, mais plutôt une transformation du regard permettant de percevoir la présence divine qui imprègne toute chose.
La démarche philosophique exposée par Hadot montre comment Plotin unit théorie et pratique dans une quête de sagesse. Les exercices spirituels qu’il propose visent à sculpter son âme comme un artiste façonne une statue, en retranchant tout ce qui est superflu pour faire émerger la beauté intérieure. Cette voie spirituelle culmine dans l’expérience de l’extase mystique, moment où l’âme s’unit brièvement avec l’Un.
La force de cet essai réside dans sa capacité à rendre accessible une pensée réputée complexe sans la dénaturer. À contre-courant d’une lecture purement intellectuelle, Hadot met en lumière la dimension existentielle de la philosophie plotinienne. Son interprétation a profondément renouvelé la compréhension de Plotin au XXe siècle, inspirant nombre de philosophes contemporains comme Michel Foucault. L’ouvrage constitue aujourd’hui encore la référence pour aborder la pensée plotinienne.
Aux éditions FOLIO ; 240 pages.
6. Le voile d’Isis – Essai sur l’histoire de l’idée de nature (2004)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
« La nature aime à se cacher. » Cette phrase énigmatique d’Héraclite, philosophe grec du VIe siècle avant J.-C., constitue le point de départ d’une enquête monumentale menée par Pierre Hadot. L’essai retrace l’histoire de cette formule qui a traversé vingt-cinq siècles de pensée occidentale, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours.
À travers les âges, l’aphorisme d’Héraclite a connu de multiples interprétations. Pour certains, il signifiait que tout ce qui naît tend à mourir. Pour d’autres, que la Nature s’enveloppe dans des formes sensibles et des mythes. D’autres encore y ont vu l’idée que la Nature dissimule des vertus occultes, ou que l’Être se trouve dans un état initial de non-déploiement. Cette maxime, incarnée par l’image du voile d’Isis, a nourri deux attitudes antagonistes : l’approche prométhéenne qui cherche à arracher violemment les secrets de la Nature, et l’approche orphique qui préfère la contemplation poétique de ses mystères.
Hadot suit le fil de ces interprétations à travers les grandes figures de la philosophie : Platon, Aristote, les stoïciens, mais aussi Descartes, Diderot, Goethe, Schelling, Nietzsche, Bergson ou Heidegger. Chaque penseur y a puisé matière à développer sa propre vision du rapport entre l’homme et la nature.
Cet essai dense et érudit représente l’aboutissement de quatre décennies de recherche pour Pierre Hadot. Sa publication en 2004 a suscité un vif intérêt dans le monde académique, où il est désormais considéré comme une référence sur l’histoire de la notion de nature dans la pensée occidentale. La pertinence de ses analyses résonne particulièrement aujourd’hui, alors que notre relation à l’environnement soulève bien des questions.
Aux éditions FOLIO ; 528 pages.
7. Wittgenstein et les limites du langage (2004)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Pierre Hadot fut l’un des premiers intellectuels français à s’intéresser à Wittgenstein dans les années 1950. Ce recueil rassemble quatre articles écrits entre 1959 et 1962, à une époque où la pensée du philosophe autrichien demeurait pratiquement inconnue en France. Les deux premiers textes se concentrent sur le Tractatus logico-philosophicus et examinent la question centrale de l’indicible, notamment à travers la formule emblématique : « Ce qui s’exprime dans le langage, nous ne pouvons l’exprimer par le langage ».
Les deux derniers articles abordent les Recherches Philosophiques de Wittgenstein et révèlent l’influence décisive qu’a exercée sa conception révolutionnaire du langage sur la pensée de Hadot. Cette seconde partie met en lumière les notions fondamentales de « jeu de langage » et de « forme de vie », qui amènent à reconsidérer la nature même du discours philosophique. Pour Wittgenstein, le langage ne se limite pas à désigner des objets ou traduire des pensées : il se compose de jeux multiples destinés à produire des effets sur l’auditeur.
Cette lecture wittgensteinienne a profondément marqué l’approche de Hadot, l’incitant à concevoir le langage philosophique comme un « exercice spirituel » inscrit dans une activité déterminée. Les articles montrent comment ce changement de perspective a nourri ses travaux ultérieurs sur la philosophie antique.
Ce petit livre d’une centaine de pages constitue une porte d’entrée magistrale dans l’œuvre de Wittgenstein. La démarche pédagogique de Hadot, saluée par les critiques et les lecteurs, rend accessible une pensée réputée hermétique sans en sacrifier l’épaisseur.
Aux éditions VRIN ; 126 pages.