Noam Chomsky naît le 7 décembre 1928 à Philadelphie, dans une famille d’immigrants juifs. Son père, William, qui a fui la Russie en 1913, est spécialiste de l’hébreu et sa mère, Elsie, enseigne également cette langue. Le jeune Noam grandit dans un environnement intellectuel imprégné de culture et de traditions juives.
Dès son plus jeune âge, il développe un intérêt pour les idées politiques progressistes, notamment pour l’anarchisme. Il entre à l’université de Pennsylvanie en 1945, où il étudie la linguistique sous la direction de Zellig Harris. En 1949, il épouse Carol Schatz, avec qui il aura trois enfants.
En 1955, Chomsky rejoint le MIT (Massachusetts Institute of Technology) comme professeur. Il y développe sa théorie révolutionnaire de la grammaire générative, publiée dans « Structures syntaxiques » (1957). Sa théorie transforme sensiblement la linguistique et influence durablement les sciences cognitives.
À partir des années 1960, parallèlement à ses travaux académiques, Chomsky s’engage politiquement contre la guerre du Vietnam. Il devient l’une des figures majeures de la gauche américaine, critiquant constamment la politique étrangère des États-Unis et l’influence des médias. Ses analyses politiques lui valent une reconnaissance internationale mais aussi de vives controverses.
En 2002, il devient professeur émérite au MIT puis, en 2017, rejoint l’université d’Arizona. En 2023, après un grave accident vasculaire cérébral, il s’installe au Brésil avec sa seconde épouse, Valeria Wasserman, qu’il a épousée en 2014. Malgré son état de santé qui limite désormais ses capacités de communication, il continue de suivre l’actualité mondiale.
Considéré comme « le père de la linguistique moderne » et l’un des intellectuels les plus influents du XXe siècle, Chomsky est aussi l’un des auteurs vivants les plus cités au monde, tant pour ses travaux en linguistique que pour ses écrits politiques.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. La Fabrication du consentement (avec Edward S. Herman, 1988)
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Résumé
Dans « La Fabrication du consentement », Edward S. Herman et Noam Chomsky dévoilent les mécanismes par lesquels les médias de masse américains agissent comme des instruments de propagande au service des intérêts dominants. Les auteurs définissent cinq filtres qui modèlent l’information : la structure économique des médias et leur concentration entre les mains de quelques grands groupes, la dépendance envers les recettes publicitaires, le recours systématique aux sources gouvernementales et institutionnelles, les pressions exercées sur les rédactions par divers groupes d’influence, et enfin l’anticommunisme comme idéologie de contrôle social.
Pour étayer leur thèse, Edward S. Herman et Noam Chomsky convoquent plusieurs cas d’étude éloquents. Ils comparent par exemple le traitement médiatique du meurtre du prêtre polonais Jerzy Popieluszko, qui suscite une vaste couverture et une indignation générale, avec celui de nombreux religieux assassinés en Amérique latine, notamment l’archevêque Romero, dont les meurtres sont à peine mentionnés. En Amérique centrale, les élections au Salvador et au Guatemala, malgré leur caractère peu démocratique, sont présentées comme des avancées prometteuses tandis que celles du Nicaragua sandiniste sont systématiquement dénigrées.
L’analyse de la guerre du Vietnam révèle comment les médias ont largement soutenu l’intervention américaine, cantonnant le débat aux questions d’efficacité militaire sans jamais interroger la légitimité morale de cette guerre. Au Cambodge, la couverture médiatique varie selon les périodes : les bombardements américains sont minimisés, les atrocités des Khmers rouges sont amplement documentées, puis l’intervention vietnamienne est condamnée, reflétant à chaque fois les positions de la politique étrangère américaine.
À travers ces exemples, Herman et Chomsky montrent comment les médias orientent l’attention du public, définissent ce qui mérite l’indignation et ce qui peut être ignoré, légitiment certaines interventions tout en en condamnant d’autres, le tout en fonction des intérêts des élites politiques et économiques qui les contrôlent. Cette manipulation de l’information ne résulte pas d’une conspiration, mais découle naturellement des structures économiques et idéologiques dans lesquelles opèrent les médias de masse.
Autour du livre
La genèse de « La Fabrication du consentement » remonte aux travaux du chercheur australien Alex Carey sur la psychologie sociale, auquel Herman et Chomsky dédient leur essai. Le titre lui-même est emprunté à l’expression « fabrication du consentement » utilisée par Walter Lippmann en 1922 dans « Opinion publique ». La collaboration entre les deux auteurs sur ce thème avait débuté dès 1973 avec un premier livre, « Counter-Revolutionary Violence », dont la diffusion fut délibérément limitée par l’éditeur, une filiale de Warner Communications.
L’analyse des médias proposée par Herman et Chomsky dynamite la vision traditionnelle d’une presse libre et indépendante. Le modèle de propagande qu’ils développent montre comment les médias de masse participent à un système où l’information est filtrée non par la censure directe, mais par des mécanismes plus subtils liés aux structures économiques et à l’idéologie dominante. Cette approche structurelle permet de comprendre pourquoi même des journalistes qui se considèrent libres peuvent contribuer à un système de propagande, par l’intériorisation des contraintes et l’autocensure.
Le traitement médiatique de la guerre du Vietnam illustre parfaitement cette thèse. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle les médias auraient fait perdre la guerre en sapant le moral de l’opinion publique, Herman et Chomsky démontrent que la couverture fut largement favorable à l’intervention américaine. Les débats se limitaient aux questions tactiques sans jamais remettre en cause la légitimité morale de l’intervention. Comme ils le soulignent : « La critique fondamentale de la guerre comme ‘fondamentalement immorale’ ou comme pure agression criminelle est inexprimable. Elle ne fait pas partie du spectre de la discussion. »
La réception de « La Fabrication du consentement » divise profondément la communauté intellectuelle. Pour certains critiques comme le sociologue Ted Goertzel, les auteurs versent dans la théorie du complot en prêtant aux élites américaines une cohérence d’action qui ne pourrait s’expliquer que par des accords secrets. D’autres universitaires comme Jeffery Klaehn ou Christian Fuchs considèrent au contraire que le modèle de propagande est devenu « l’un des modèles les plus testés de la performance des médias dans les sciences sociales ». The New York Times salue la rigueur de l’analyse. Le livre reçoit l’Orwell Award en 1989 pour sa « contribution exceptionnelle à l’analyse critique du discours public ».
« La Fabrication du consentement » connaît un important retentissement international. Il est traduit dans de nombreuses langues et adapté en 1992 sous forme d’un documentaire : « Manufacturing Consent: Noam Chomsky and the Media ». Il continue d’inspirer les recherches sur le fonctionnement des médias, même si certains aspects liés à la guerre froide peuvent paraître datés. Une édition révisée en 2002 prend en compte les évolutions du paysage médiatique, notamment la concentration des groupes de presse et l’émergence d’Internet.
Aux éditions ALBOURAQ ; 743 pages.
2. Propagande, médias et démocratie (avec Robert W. McChesney, 1995)
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Résumé
Noam Chomsky et Robert W. McChesney livrent dans « Propagande, médias et démocratie » une analyse incisive du pouvoir médiatique dans les sociétés démocratiques contemporaines. Leur réflexion s’articule autour d’un paradoxe : alors que la démocratie libérale prétend garantir la liberté d’information, les médias de masse s’y révèlent profondément asservis aux intérêts privés. Le système médiatique américain sert d’exemple paradigmatique à cette démonstration.
Dès les années 1840, l’emprise du capital sur l’information s’installe par le biais du financement publicitaire. Les annonceurs, premiers architectes de cette transformation, orientent progressivement les contenus vers leurs propres intérêts commerciaux. L’apparition des écoles de journalisme dans les années 1920 institutionnalise cette mutation en légitimant un modèle d’information prétendument objectif mais entièrement dépendant des revenus publicitaires.
Cette mainmise s’accentue avec l’émergence de conglomérats médiatiques titanesques comme Disney ou Time Warner. Ces empires intègrent verticalement l’ensemble de la chaîne de production culturelle : cinéma, télévision, presse écrite, édition et radio. Un film devient désormais le point de départ d’une vaste entreprise commerciale déclinée en séries, bandes dessinées et produits dérivés, dont la promotion mobilise l’ensemble des canaux médiatiques du groupe.
Face à cette concentration du pouvoir médiatique, Chomsky et McChesney montrent que les citoyens se trouvent privés des outils nécessaires à l’exercice d’une opposition éclairée. Les médias dominants esquivent systématiquement les sujets sensibles : pas d’enquêtes approfondies sur la CIA, pas de remise en question des interventions militaires américaines ou des violations du droit international. Plus insidieux encore, le système médiatique maintient la population dans un état de divertissement permanent tout en lui désignant régulièrement de nouveaux ennemis publics, qu’il s’agisse du « péril soviétique » hier ou du terrorisme aujourd’hui.
Chomsky et McChesney n’abandonnent pas pour autant toute perspective de changement. Ils esquissent plusieurs pistes de réforme : création d’un espace médiatique non lucratif financé par une taxe sur la publicité, limitation de la propriété des médias, ou encore partage du financement entre secteur privé et État. Toutefois, la tendance à la concentration oligarchique des médias, renforcée par l’avènement d’Internet, semble appelée à se poursuivre.
Autour du livre
Publié initialement en 1995 puis enrichi d’une conférence de Chomsky prononcée en 2002, « Propagande, médias et démocratie » s’inscrit dans la lignée de ses travaux sur l’analyse des médias. L’ouvrage tire sa genèse du constat que la privatisation de l’espace public par le capital américain, notamment à travers l’investissement dans la presse et les canaux de diffusion, a profondément altéré la nature même de l’information journalistique. Dès les années 1840, le financement publicitaire oriente déjà les contenus vers les intérêts des annonceurs plutôt que vers une information objective destinée aux citoyens.
La thèse centrale de Chomsky repose sur le parallèle saisissant qu’il établit entre les médias en démocratie et la matraque dans les États totalitaires : deux instruments de contrôle social aux méthodes différentes mais à la finalité identique. Il dévoile comment l’apparition des écoles de journalisme dans les années 1920 a contribué à légitimer un système médiatique financé par la publicité en le parant d’une prétendue objectivité. Plus inquiétant encore, il montre comment la concentration des médias au sein de conglomérats géants comme Disney ou Time Warner verrouille l’information en la soumettant aux impératifs du capital, transformant films et séries en simples produits dérivés destinés à générer du profit.
Les perspectives esquissées par les deux auteurs sont préoccupantes : la concentration oligarchique des médias semble vouée à se poursuivre à l’échelle mondiale, avec pour objectif constant de divertir la population pour mieux la détourner de toute participation politique active. Pour autant, Chomsky n’abandonne pas tout espoir et esquisse quelques pistes de solution, comme l’établissement de médias véritablement démocratiques financés conjointement par le secteur privé et l’État, ou encore l’interdiction pour une société de posséder plus d’un média.
La réception critique est contrastée mais globalement positive. De nombreux lecteurs soulignent la capacité de Noam Chomsky et Robert W. McChesney à décrypter les mécanismes de manipulation médiatique avec une clarté remarquable. Comme le note Colette Beauchamp : « Qu’on soit jeune ou plus âgé, ‘Propagande, médias et démocratie’ est un livre accessible qu’il faut absolument lire ». D’autres, tout en saluant la puissance de l’analyse, regrettent un manque de recherche empirique pour étayer certaines thèses.
Aux éditions ÉCOSOCIÉTÉ ; 210 pages.
3. Le profit avant l’homme (1999)
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Résumé
Dans « Le profit avant l’homme », Noam Chomsky met en lumière les mécanismes du système néolibéral qui s’est imposé comme dogme économique mondial après l’effondrement du bloc soviétique. Au cœur de sa démonstration se trouve le constat d’une privatisation systématique de la vie sociale par une minorité d’intérêts privés. Les grandes entreprises et les institutions financières internationales, soutenues par les gouvernements occidentaux, imposent leurs règles sous couvert de promouvoir le libre marché. Chomsky dévoile notamment le rôle central des États-Unis dans ce processus, pays qui prêche les vertus du libre-échange tout en maintenant l’une des économies les plus protégées au monde.
Chomsky s’attache particulièrement aux conséquences concrètes de ces politiques sur les populations. À travers l’exemple d’Haïti, pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental malgré un siècle d’intervention américaine, il démontre comment l’aide internationale sert principalement à étendre l’emprise des multinationales au détriment des communautés locales. Les grands accords commerciaux, négociés dans l’ombre, permettent aux entreprises de poursuivre en justice les gouvernements qui oseraient adopter des réglementations contraires à leurs intérêts, qu’il s’agisse de protection environnementale ou de droits sociaux.
Selon Chomsky, la démocratie elle-même est menacée par ce système. Les citoyens, réduits au rôle de simples consommateurs, voient leur capacité d’action politique diminuer face à des institutions non élues comme le FMI ou la Banque mondiale. Les médias, contrôlés par les mêmes intérêts économiques, participent à ce que Chomsky nomme la « fabrication du consentement ». Un exemple frappant en est l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI), négocié secrètement pendant trois ans avant qu’une fuite ne permette enfin un débat public.
Malgré cette mécanique bien huilée, Chomsky n’abandonne pas tout espoir. Il rappelle que les mouvements citoyens ont déjà remporté des victoires significatives, comme l’échec de l’AMI suite à une mobilisation populaire internationale. La lutte contre la dictature néolibérale passe selon lui par l’utilisation de « l’arme absolue » : la voix de la majorité. Les peuples, une fois informés et organisés, peuvent reprendre le contrôle de leur destin et transformer un système économique qui privilégie systématiquement le profit sur l’humain.
Autour du livre
Publié à la fin des années 1990, ce recueil d’articles et de conférences s’inscrit dans un contexte particulier : l’apogée du « consensus de Washington » et la montée en puissance de la mondialisation néolibérale. Chomsky rassemble des textes précédemment parus dans des revues comme « Z » et « In These Times », ainsi que des extraits de ses interventions publiques, pour composer une critique systématique du nouvel ordre mondial qui se dessine après la guerre froide.
L’originalité de l’analyse de Chomsky réside dans sa démonstration du double discours des dirigeants occidentaux. D’un côté, ils prônent la liberté des marchés comme solution miracle au développement économique. De l’autre, ils multiplient les mesures protectionnistes pour préserver leurs intérêts. Chomsky s’appuie sur des exemples concrets, comme la politique américaine en Haïti ou les négociations secrètes de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI), pour mettre en lumière les contradictions du système. Il montre comment les États-Unis, tout en se présentant comme les champions du libre-échange, maintiennent l’une des économies les plus protégées au monde.
Les implications de son analyse dépassent le cadre économique. Pour Chomsky, le néolibéralisme constitue une attaque frontale contre la démocratie. Les décisions cruciales qui affectent la vie des citoyens sont prises dans l’opacité, par des institutions non élues comme le FMI ou la Banque mondiale. Chomsky cite l’exemple révélateur des négociations de l’AMI, menées pendant trois ans dans le plus grand secret, jusqu’à ce que des fuites permettent enfin un débat public. Cette tendance à soustraire les choix économiques au contrôle démocratique reflète, selon lui, une méfiance profonde des élites envers la participation populaire.
La réception critique souligne la pertinence durable des thèses développées. Comme le note un recenseur, les articles « restent étonnamment et tristement applicables au monde moderne ». D’autres saluent la capacité de Chomsky à « décortiquer de manière convaincante les arguments utilisés pour soutenir le statu quo mondial ». Certains regrettent toutefois que Chomsky s’attache davantage aux effets qu’aux fondements théoriques du néolibéralisme. Sa tonalité sarcastique fait également débat : si elle rend la lecture plus vivante pour certains, d’autres y voient un usage « excessif » qui dessert parfois la force de l’argumentation.
Aux éditions 10/18 ; 256 pages.
4. Comprendre le pouvoir (2002)
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Résumé
Publié en 2002, « Comprendre le pouvoir » se structure autour de dix chapitres thématiques issus de conférences données par Noam Chomsky entre 1989 et 1999. Le linguiste américain y dévoile les mécanismes par lesquels les élites maintiennent leur domination sur la société. Premier constat : le gouvernement a besoin d’effrayer sa population pour la contrôler. Cette peur s’instille notamment par le mystère dont s’entoure le pouvoir, qui se présente comme une entité par-delà la compréhension du citoyen ordinaire. Chomsky démonte ensuite méthodiquement les rouages du système américain : les médias façonnent l’opinion publique au service des puissants, tandis que le complexe militaro-industriel justifie ses interventions par une rhétorique de la menace permanente. Le système éducatif lui-même participe à cette domination en formant des citoyens dociles plutôt que des esprits critiques.
Chomsky décortique également les mécanismes de la politique étrangère américaine. Derrière le discours officiel sur la défense de la démocratie se cache une réalité plus brutale : préserver les intérêts des multinationales, quitte à soutenir des régimes autoritaires. Chomsky rappelle qu’après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis, avec seulement 6 % de la population mondiale, contrôlaient 50 % de la production industrielle. Cette position dominante a conduit les administrations successives à développer une stratégie agressive pour maintenir cette hégémonie, notamment en Amérique latine.
Le penseur s’attaque aussi au mythe du libre marché en montrant comment le capitalisme nécessite en réalité une intervention massive de l’État, particulièrement via le secteur militaire qui subventionne la recherche et le développement des grandes entreprises. Il s’interroge enfin sur le rôle des intellectuels, trop souvent complices du système par leur silence ou leur participation active à la propagande. Chomsky n’hésite pas à critiquer ses pairs qui, sous couvert d’expertise, légitiment les actions du pouvoir. Face à ce sombre tableau, il souligne néanmoins l’importance de l’activisme et des mouvements populaires comme forces de changement, et cite plusieurs victoires historiques obtenues grâce à la mobilisation citoyenne.
Autour du livre
« Comprendre le pouvoir » est né d’un travail titanesque de compilation réalisé par Peter R. Mitchell et John Schoeffel, deux défenseurs publics new-yorkais. Les éditeurs ont rassemblé et organisé des transcriptions d’interventions publiques de Chomsky, provenant de séminaires, conférences et sessions de questions-réponses. Le résultat final couvre dix chapitres thématiques, des mouvements sociaux à l’organisation militante, en passant par le rôle des intellectuels dans le changement social.
Les thèses développées par Chomsky prennent racine dans une analyse historique. Il souligne notamment qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis, qui représentait alors seulement 6 % de la population mondiale, contrôlaient 50 % de la production industrielle globale. Cette domination économique a conduit les administrations successives, démocrates comme républicaines, à mettre en place une politique étrangère agressive visant à maintenir cette hégémonie. Chomsky dissèque également le fonctionnement des médias mainstream en démontrant comment ils participent à la manipulation de l’opinion publique.
La force du livre réside dans sa capacité à déconstruire les mécanismes du pouvoir à travers des exemples concrets. Chomsky y développe notamment une analyse du concept de « libre marché », qu’il présente comme un instrument au service des plus puissants : « Le ‘libre marché’ est une arme contre la population américaine ordinaire et contre les pauvres du monde entier. » Sa méthode implique un enseignement par l’exemple ; il incite les lecteurs à développer leur propre pensée critique plutôt que d’accepter des vérités toutes faites.
The Washington Post et The New York Times soulignent la profondeur de l’analyse et la clarté de l’argumentation. Comme le note un critique : « Si vous n’avez jamais lu Chomsky, c’est par là qu’il faut commencer. » Le livre est particulièrement salué pour sa capacité à compiler une quantité impressionnante d’informations factuelles et à démasquer les mécanismes des institutions occidentales les plus puissantes. Le format questions-réponses rend l’ensemble particulièrement accessible, comme le souligne un autre critique qui affirme que « c’est la meilleure introduction qui soit à la pensée de Chomsky ».
Aux éditions LUX ; 620 pages.
5. Qui mène le monde ? (2014)
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Résumé
Dans « Qui mène le monde ? », Noam Chomsky dévoile les mécanismes qui régissent l’ordre mondial contemporain, en commençant par déconstruire la notion même de « monde » telle qu’employée dans le discours politique occidental. Cette appellation désigne en réalité un cercle restreint constitué des classes dirigeantes de Washington, Londres et leurs alliés occasionnels. À travers cette grille de lecture, il examine la politique étrangère américaine depuis la Seconde Guerre mondiale, période durant laquelle les États-Unis ont assis leur domination en s’appropriant 50 % des richesses mondiales.
Le linguiste du MIT dissèque notamment la stratégie américaine au Moyen-Orient, où Washington s’oppose systématiquement à l’émergence de véritables démocraties. Les sondages révèlent que 90 % des Égyptiens et 75 % des populations arabes perçoivent les États-Unis comme une menace, tandis que seuls 10 % d’entre eux considèrent l’Iran comme un danger. Cette réalité explique pourquoi les États-Unis préfèrent soutenir des régimes autoritaires garantissant leurs intérêts plutôt que de risquer l’avènement de gouvernements démocratiques potentiellement hostiles.
Chomsky s’intéresse également aux crises majeures qui menacent la survie même de l’humanité. D’une part, le péril nucléaire, illustré par des épisodes méconnus comme celui où le monde ne dut sa survie qu’à la décision d’un officier soviétique, Stanislav Petrov, de ne pas transmettre une alerte de frappe américaine à sa hiérarchie. D’autre part, le changement climatique, face auquel l’inaction des dirigeants, particulièrement américains, s’avère criminelle.
La mondialisation économique occupe une place centrale dans le livre. Les « maîtres de l’humanité », selon l’expression d’Adam Smith – conglomérats multinationaux et institutions financières – poursuivent leur « principe infâme » : « Tout pour nous, rien pour les autres ». Les accords de commerce dit « libres » illustrent cette logique : ils permettent aux grandes entreprises de poursuivre des États pour atteinte à leurs profits, tandis que les citoyens ne disposent d’aucun recours équivalent.
Chomsky se penche en outre sur les conflits contemporains, de la Libye à la question palestinienne. Il démontre comment les interventions occidentales, sous couvert d’objectifs humanitaires, servent systématiquement des intérêts géostratégiques, souvent au prix de catastrophes humaines. Sa conclusion est hélas tristement évidente : le monde n’est pas gouverné par des principes moraux ou démocratiques, mais par la recherche implacable du pouvoir et du profit.
Autour du livre
« Qui mène le monde ? » s’inscrit dans la continuité des travaux de Chomsky qui mène depuis plus de quarante ans une analyse critique de la politique étrangère américaine. Le linguiste et intellectuel engagé, né à Philadelphie, poursuit sa remise en question du fonctionnement géopolitique et social de son pays, une démarche entamée dès son opposition à la guerre du Vietnam.
En s’appuyant sur une solide documentation, Chomsky examine comment les États-Unis ont façonné l’ordre mondial depuis la Seconde Guerre mondiale. Il démontre notamment que la politique américaine au Moyen-Orient n’a jamais réellement visé à promouvoir la démocratie, mais plutôt à maintenir des régimes favorables aux intérêts américains. Le cas de l’Iran est particulièrement édifiant : depuis le coup d’État contre Mossadegh en 1953, ce pays subit des pressions occidentales constantes, illustrant les mécanismes de domination dénoncés par l’auteur.
Chomsky met également en exergue deux menaces majeures pour l’humanité : le risque nucléaire et le changement climatique. Il rappelle comment le monde a frôlé plusieurs fois la catastrophe nucléaire, notamment lors de la crise des missiles de Cuba. Il pointe aussi l’inaction face au réchauffement climatique, particulièrement de la part du camp républicain américain qui nie les transformations environnementales pourtant manifestes.
La presse souligne l’acuité de l’analyse et la rigueur de l’argumentation, même si certains critiques reprochent à Chomsky une certaine répétitivité. Le Financial Times de Londres qualifie le livre d’ « indispensable source d’information », tandis que d’autres saluent la capacité de Chomsky à déconstruire les hypocrisies qui gouvernent l’ordre mondial. Son analyse de la situation au Moyen-Orient et sa critique du rôle des médias dans la formation de l’opinion publique sont particulièrement louées. La critique apprécie également sa faculté à maintenir un regard équilibré, citant par exemple sa réponse à un lecteur sur l’importance de continuer à lire la presse mainstream malgré ses biais : « Les grands journaux restent une source d’information indispensable. Ils reflètent certaines perspectives, mais une lecture attentive et, le cas échéant, l’investigation d’autres sources peuvent compenser cela. »
Aux éditions LUX ; 375 pages.
6. Palestine (avec Ilan Pappé, 2015)
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Résumé
Frank Barat structure « Palestine » en trois parties chronologiques qui s’entrecroisent dans une série d’entretiens et d’essais menés avec Noam Chomsky et Ilan Pappé. La première partie examine le sionisme comme phénomène historique, en commençant par déconstruire dix mythes fondateurs d’Israël, dont celui d’une « terre sans peuple à un peuple sans terre ». Les auteurs retracent l’histoire de la dépossession palestinienne depuis la Nakba de 1948, quand 750 000 Palestiniens furent expulsés de leurs terres.
La deuxième partie se penche sur le présent à travers le prisme de deux questions : l’applicabilité du modèle d’apartheid à la situation israélienne et l’efficacité de la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions). Les dialogues entre Chomsky et Pappé révèlent leurs points de convergence sur la nature coloniale de l’État d’Israël, mais aussi leurs divergences sur les stratégies de résistance. Cette partie s’attarde particulièrement sur la situation à Gaza entre 2004 et 2009 en documentant les violations systématiques des cessez-le-feu par Israël et l’impact du blocus sur la population civile.
La troisième partie se tourne vers l’avenir en évaluant les mérites respectifs des solutions à un ou deux États. Pappé défend l’idée d’un État unique démocratique, tandis que Chomsky, plus pragmatique, considère la solution à deux États comme la seule option réaliste à court terme. Les discussions s’enrichissent d’analyses sur la fragmentation territoriale de la Palestine, le rôle des États-Unis dans le maintien du statu quo, et les transformations sociopolitiques au Moyen-Orient suite au Printemps arabe.
Le livre se conclut par une série de textes individuels des deux auteurs, dont un discours de Chomsky devant l’Assemblée générale des Nations unies en 2014. Ces dernières pages questionnent notamment les opérations militaires israéliennes à Gaza, la situation en Cisjordanie et les perspectives d’une paix juste au Moyen-Orient.
Autour du livre
Publié en 2015, « Palestine » naît dans le sillage de l’opération « Bordure protectrice » menée par Israël contre Gaza. Frank Barat, coordinateur du Tribunal Russell sur la Palestine, réunit ces deux intellectuels juifs critiques du sionisme pour poursuivre la réflexion amorcée dans leur précédente collaboration, « Gaza in Crisis ». Le format choisi alterne dialogues et essais individuels, permettant d’approfondir les points de convergence et de divergence entre les deux penseurs.
La force du livre réside dans sa déconstruction méthodique des mythes fondateurs de l’État d’Israël. Ilan Pappé démonte notamment le mythe de « la terre sans peuple à un peuple sans terre » et retrace l’histoire de la colonisation depuis la Nakba de 1948. Il replace le conflit dans le cadre plus large du colonialisme de peuplement, soulignant comment l’idéologie sioniste, soutenue par les puissances occidentales, a systématiquement nié l’existence et les droits du peuple palestinien.
Les auteurs analysent le paradoxe d’un État qui se revendique démocratique tout en pratiquant des politiques discriminatoires. Comme le souligne Chomsky : « L’idée d’État juif est une aberration. Une fois l’État institué, tout citoyen qui y vit est un citoyen de l’État. Tout citoyen français, quel qu’il soit, est un Français. Par conséquent, quiconque vit en Israël devrait être un citoyen israélien, et non un juif. » Cette réflexion s’accompagne d’une analyse des mécanismes de contrôle territorial et démographique mis en place par Israël.
La réception critique souligne la complémentarité des approches de Pappé et Chomsky : là où l’historien israélien dévoile les ressorts du colonialisme sioniste, le linguiste américain dissèque le rôle des États-Unis dans le maintien du statu quo. De nombreux lecteurs relèvent la pertinence toujours actuelle des analyses, particulièrement dans le contexte des événements récents. Certains critiques considèrent l’ouvrage comme une lecture indispensable pour comprendre les racines du conflit, même si d’autres regrettent l’absence de voix palestiniennes dans le dialogue.
Aux éditions ÉCOSOCIÉTÉ ; 180 pages.