Née le 8 juin 1983 à Tbilissi en Géorgie soviétique, Nino Haratischwili grandit dans un pays marqué par l’effondrement de l’URSS. Au début des années 1990, elle fuit avec sa mère le chaos politique et social de la Géorgie pour s’installer pendant deux ans en Allemagne. De retour à Tbilissi, elle fréquente une école germanophone et, adolescente, fonde le « Fliedertheater », une troupe de théâtre germano-géorgienne pour laquelle elle écrit et met en scène des pièces.
Après des études de réalisation cinématographique à Tbilissi, elle part étudier la mise en scène théâtrale à Hambourg en 2003. Elle devient citoyenne allemande en 2012 et s’établit à Berlin où elle poursuit une carrière prolifique d’écrivaine et de metteuse en scène. Son œuvre comprend une trentaine de pièces de théâtre et plusieurs romans acclamés, dont « La huitième vie » (2021) qui connaît un succès international.
Récompensée par de nombreux prix littéraires prestigieux, dont le prix Adelbert-von-Chamisso et le prix Bertolt-Brecht, Nino Haratischwili s’impose comme une voix majeure de la littérature allemande contemporaine. En 2022, elle prend position contre l’invasion russe de l’Ukraine tout en s’opposant au boycott des artistes russes qui ne soutiennent pas le régime de Poutine.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. La huitième vie (2021)
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Un chocolat chaud aux pouvoirs mystérieux, une malédiction qui se transmet de mère en fille, sept femmes marquées par l’Histoire : ainsi commence la saga des Iachi dans la Géorgie du début du XXe siècle. En 1900, le patriarche de la famille met au point une recette de chocolat chaud qui fait sa fortune, jusqu’à ce que la révolution bolchévique de 1917 ne renverse l’ordre établi. Sa fille Stasia, héritière de la formule, voit ses rêves de danse contrariés par les bouleversements politiques et un mariage précipité avec un officier.
L’histoire se déploie ensuite sur cent ans. On y suit le destin de six générations de femmes confrontées aux tourments de l’ère soviétique. Du règne de Staline à la chute du mur de Berlin, des purges sanglantes aux espoirs de liberté, chaque membre de la famille doit choisir son camp : Kostia embrasse la cause communiste tandis que sa sœur Kitty s’exile à Londres. À travers les yeux de Niza, qui en 2006 raconte cette histoire à sa jeune nièce Brilka, se dessine une fresque où les drames intimes se mêlent aux grands bouleversements du siècle.
De la Géorgie à Londres en passant par Moscou et Berlin, ce roman monumental offre une perspective inédite sur l’histoire de l’URSS vue depuis les marges de l’empire. Nino Haratischwili, elle-même géorgienne installée en Allemagne, a consacré deux années de recherches à ce projet, multipliant les voyages et les entretiens. Le livre a reçu de nombreuses distinctions dont le prestigieux Prix Bertolt-Brecht en 2018, et sa traduction anglaise a été sélectionnée pour l’International Booker Prize. Une adaptation théâtrale a vu le jour au Thalia Theater de Hambourg en 2017, portant sur scène pendant près de cinq heures cette fresque historique.
Aux éditions FOLIO ; 1200 pages.
2. La lumière vacillante (2024)
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À Tbilissi, en 1987, quatre adolescentes scellent une amitié qui marquera leurs destinées. Keto, la narratrice observatrice, Dina l’intrépide photographe, Nene la romantique et Ira l’intellectuelle partagent leurs rêves et leurs espoirs dans la cour commune de leur immeuble, rue des Vignes. Dans cette Géorgie encore soviétique, leurs jeux d’enfants et leurs premiers émois amoureux se déroulent sous le regard bienveillant de leurs familles : le père scientifique de Keto absorbé par ses formules, ses deux grands-mères passionnées de littérature, la mère bohème de Dina, et les clans plus troubles dont sont issues Nene et Ira.
Mais l’effondrement de l’URSS précipite leur pays dans le chaos. Les années 1990 voient Tbilissi sombrer dans la violence des guerres civiles, la corruption et les règlements de comptes entre gangs rivaux. Le frère de Keto, Rati, s’engage dans ces luttes de territoire tandis que Dina documente avec son appareil photo la brutalité qui gangrène leur quotidien. Les quatre amies se retrouvent prises dans un engrenage tragique où leurs choix, dictés par la loyauté ou la passion, auront des conséquences irrémédiables. Leur pacte d’amitié sera mis à l’épreuve des trahisons et des drames.
Trente-deux ans plus tard, en 2019, trois des amies se retrouvent à Bruxelles pour l’exposition posthume des photographies de Dina. Face aux clichés en noir et blanc qui immortalisent leur jeunesse perdue, Keto replonge dans ses souvenirs et tente de comprendre ce qui a mené à la destruction de leur groupe et à la mort de son amie.
Ce roman puissant de Nino Haratischwili s’inscrit dans la lignée de son précédent succès « La huitième vie ». L’écrivaine, née à Tbilissi en 1983 et exilée en Allemagne à l’âge de dix ans, puise dans la mémoire collective pour restituer cette période méconnue de l’histoire géorgienne. À travers le destin de ces quatre femmes, elle dépeint une société en pleine déliquescence où la quête de liberté se heurte à la violence des hommes et aux traditions oppressantes. Les photographies de Dina, décrites avec une grande justesse, servent de fil conducteur à cette fresque monumentale qui interroge la possibilité de survivre aux traumatismes de l’Histoire.
Aux éditions GALLIMARD ; 720 pages.
3. Le Chat, le Général et la Corneille (2021)
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L’histoire débute en 1994 dans les montagnes tchétchènes, où la jeune Nura aspire à s’affranchir du carcan des traditions. Dans ce village bientôt occupé par l’armée russe, elle noue des liens avec deux soldats, dont Malich, un jeune homme cultivé qui s’est enrôlé pour fuir un chagrin d’amour. Une nuit, Nura est violentée et assassinée par des militaires, un crime qui ne sera jamais jugé.
En 2016 à Berlin, ce drame ressurgit à travers trois personnages. Sesili, dite « le Chat », actrice géorgienne déracinée, reçoit une étrange proposition : contre une forte somme d’argent, elle devra jouer dans une vidéo le rôle d’une femme morte dont elle est le parfait sosie. Cette proposition émane d’Alexander Orlov, surnommé « le Général », un ancien soldat reconverti en oligarque russe, dévasté par le suicide de sa fille Ada. Pour mener à bien son projet, il manipule Onno Brender, alias « la Corneille », un journaliste berlinois qui enquêtait sur les zones d’ombre de son passé avant de succomber aux charmes d’Ada et de la perdre tragiquement.
Inspiré d’un fait divers relaté par la journaliste russe Anna Politkovskaïa, le roman tisse une trame complexe où s’entremêlent culpabilité, vengeance et rédemption. L’effondrement de l’URSS et ses répercussions humaines constituent la toile de fond de ce récit aux accents de tragédie antique. Nino Haratischwili signe une œuvre monumentale qui fait écho à sa propre expérience de Géorgienne exilée en Allemagne, pays où elle s’est imposée comme une figure incontournable des lettres contemporaines.
L’effondrement de l’URSS et ses répercussions constituent la toile de fond de ce roman aux accents de tragédie antique. Nino Haratischwili s’inspire d’un fait réel relaté par la journaliste Anna Politkovskaïa pour interroger la responsabilité morale en temps de guerre. Son deuxième roman traduit en français confirme une voix majeure de la littérature européenne contemporaine.
Aux éditions 10/18 ; 744 pages.