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Neil Gaiman en 8 romans – Notre sélection

Neil Gaiman, né le 10 novembre 1960 à Portchester en Angleterre, est un auteur britannique majeur de fantasy et de romans graphiques. Issu d’une famille juive d’origine polonaise, il grandit dans un environnement marqué par la scientologie, bien qu’il ne soit pas lui-même scientologue.

Sa carrière démarre dans le journalisme avant qu’il ne se tourne vers l’écriture créative. Il connaît son premier grand succès avec la série de comics « Sandman » (1989-1996), qui révolutionne le genre. Son œuvre diverse inclut des romans à succès comme « American Gods » (2001), « Coraline » (2002), et « L’océan au bout du chemin » (2013), ainsi que de nombreux romans graphiques créés en collaboration avec l’illustrateur Dave McKean.

Gaiman est reconnu pour son talent littéraire exceptionnel, comme en témoignent ses nombreuses récompenses (prix Hugo, Nebula, Locus). Son travail a fait l’objet de plusieurs adaptations réussies à l’écran, notamment « Stardust » (2007), « Coraline » (2009), « American Gods » (2017-2021), et plus récemment « Sandman » (depuis 2022).

Marié à Mary McGrath avec qui il a eu trois enfants, puis à la musicienne Amanda Palmer de 2011 à 2022, il partage son temps entre le Royaume-Uni et les États-Unis. Outre sa carrière littéraire, il s’engage depuis 2013 pour la cause des réfugiés et a été nommé Ambassadeur de bonne volonté du HCR en 2017.

Voici notre sélection de ses romans majeurs.


1. Sandman (roman graphique, 1989)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Londres, 1916. Un groupe d’occultistes dirigé par Roderick Burgess organise un rituel pour capturer la Mort et gagner l’immortalité. Mais l’incantation dérape : au lieu de la Mort, c’est le frère de Roderick Burgess – Dream, dit le « Seigneur des rêves » – qu’ils emprisonnent. Privé de ses pouvoirs et de ses attributs magiques, le Seigneur des rêves reste captif pendant près d’un siècle dans une cage de verre. Son absence bouleverse le monde : des humains ne se réveillent plus, d’autres perdent la capacité de rêver.

Soixante-douze ans plus tard, Dream s’échappe enfin. Son royaume, le « Domaine du rêve », gît en ruines. Pour restaurer son pouvoir, il doit retrouver trois objets qui lui ont été volés : un casque fait d’os de dieu mort, une bourse remplie de sable onirique et un rubis contenant l’essence de ses pouvoirs. Sa quête le conduit des bas-fonds de Londres jusqu’aux portes de l’Enfer, où il affronte démons et humains corrompus par ses artefacts.

Autour du livre

Cette première intégrale de « Sandman » déploie une vaste mythologie qui transcende les codes traditionnels du comics américain. Les seize premiers épisodes parus entre 1989 et 1990 entremêlent les références littéraires et mythologiques, de l’horreur gothique aux contes de fées, en passant par les mythes gréco-romains et nordiques.

Le personnage de Dream incarne cette complexité narrative. Ni héros ni anti-héros conventionnel, ce « Seigneur des rêves » austère et implacable évolue subtilement au fil des chapitres. Sa relation avec sa sœur, la Mort – représentée comme une jeune femme enjouée aux allures gothiques – offre certains des moments les plus marquants du récit. L’épisode « Le bruit de ses ailes » suit notamment cette étonnante personnification de la Mort dans sa mission quotidienne, montrant avec délicatesse la nécessité mais aussi la douleur des départs.

Les changements de tons et d’ambiances se succèdent avec maestria : du chaos sanglant provoqué par John Dee dans un diner aux conversations philosophiques en Enfer, de la convention macabre de tueurs en série aux histoires d’amour millénaires. Cette variété se reflète dans le traitement graphique, qui évolue selon les dessinateurs et s’adapte aux différentes atmosphères, du cauchemardesque au merveilleux. Les couvertures de Dave McKean, véritables tableaux oniriques et torturés, ajoutent une dimension artistique supplémentaire à l’ensemble.

Premier comics à recevoir le prestigieux World Fantasy Award, « Sandman » a brisé les frontières de son medium pour conquérir un lectorat bien plus large que le public habituel des super-héros. L’écrivain Norman Mailer l’a d’ailleurs qualifié de « bande dessinée pour intellectuels ». Son influence perdure aujourd’hui, comme en témoigne son adaptation récente en série par Netflix, qui reprend fidèlement les éléments clés de ces premiers épisodes tout en modernisant certains aspects pour les adapter au format télévisuel.

La force de « Sandman » réside dans sa capacité à questionner l’essence de l’humanité à travers le regard de Dream, tout en tissant un récit qui mêle habilement mythologie et références culturelles. Les suppléments inclus dans cette édition, notamment les interviews et commentaires chapitre par chapitre, permettent de mieux saisir la construction minutieuse de cet univers singulier qui continue de marquer les esprits plus de trente ans après sa création.

Aux éditions URBAN COMICS ; 496 pages.


2. De bons présages (avec Terry Pratchett, 1990)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans une Angleterre des années 1990, l’Apocalypse approche à grands pas. Un ange bibliophile et un démon conducteur de Bentley, devenus amis après 6000 ans passés sur Terre, complotent pour déjouer les plans divins. Aziraphale et Rampa apprécient trop leur vie parmi les humains pour laisser le combat final entre le Ciel et l’Enfer tout détruire. Un seul obstacle se dresse sur leur route : retrouver l’Antéchrist, malencontreusement égaré à sa naissance.

L’enfant en question, Adam Young, grandit dans un village paisible sans avoir conscience de sa nature démoniaque. Ses pouvoirs commencent pourtant à se manifester. Pendant ce temps, les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse – devenus motards – se rassemblent : Guerre, une correspondante de presse ; Famine, un magnat de la restauration rapide ; Pollution (Pestilence ayant pris sa retraite après l’invention de la pénicilline) et l’inévitable Mort.

Tout ce petit monde converge vers une base militaire où doit débuter la fin du monde. Mais c’est sans compter sur Adam qui, entouré de sa bande de copains, pourrait bien avoir son mot à dire sur le destin de l’humanité.

Autour du livre

La genèse de « De bons présages » remonte à 1985, quand Neil Gaiman et Terry Pratchett se rencontrent. Le projet naît d’abord sous la plume de Gaiman comme une parodie de la série de livres « William » de Richmal Crompton, intitulée « William – The Antichrist », avant d’évoluer vers une forme plus ambitieuse. Les deux auteurs britanniques entament alors une collaboration étroite : ils s’échangent des disquettes, passent des heures au téléphone chaque jour pour peaufiner l’intrigue, et réécrivent mutuellement leurs textes.

La répartition du travail s’organise naturellement : Pratchett rédige environ 60 000 mots et Gaiman 45 000. Au début, Pratchett se concentre sur Adam et « Les Eux » tandis que Gaiman développe les Quatre Cavaliers. Mais cette division s’estompe rapidement. À la fin, comme le note Pratchett, une « créature composite » nommée « Terryetneil » prend le relais. Seuls quelques éléments gardent une paternité claire : Agnes Barge et son destin appartiennent à Pratchett, les asticots à Gaiman.

Les premiers pas du livre aux États-Unis s’avèrent difficiles : personne ne se présente à la première séance de dédicaces à Manhattan. Pourtant, « De bons présages » finit par s’imposer comme une référence, jusqu’à figurer en 2003 à la 68e place du sondage « The Big Read » de la BBC. Le livre reçoit plusieurs distinctions : une nomination au World Fantasy Award et au Locus Award en 1991, puis le prix FantLab.ru du « Meilleur roman traduit » en 2012.

L’histoire de ses adaptations illustre la complexité des relations entre littérature et cinéma. Terry Gilliam tente pendant des années de porter le livre à l’écran, avec Johnny Depp et Robin Williams pressentis pour les rôles principaux. Le projet échoue faute de financement. Cette expérience marque profondément Gaiman qui développe une vision cynique d’Hollywood. Il faut attendre 2019 pour voir « De bons présages » adapté en série par Amazon Prime, avec David Tennant et Michael Sheen dans les rôles de Rampa et Aziraphale. Le succès est tel qu’une seconde saison voit le jour en 2021, suivie d’une troisième annoncée en 2023.

Une suite du livre, intitulée « 668 – Le Voisin de la Bête », avait été imaginée par les deux auteurs lors d’une nuit d’insomnie dans un hôtel de Seattle en 1989. Le projet n’aboutira jamais, mais les notes laissées par Pratchett avant sa mort en 2015 mentionnent un rôle accru pour l’ange Gabriel et d’autres personnages célestes.

Aux éditions J’AI LU ; 448 pages.


3. Neverwhere (1996)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans le Londres des années 1990, Richard Mayhew mène une existence ordinaire entre son travail dans la finance et sa fiancée Jessica, une femme autoritaire qui orchestre leur vie commune. Un soir, alors qu’ils se rendent à un dîner important, Richard secourt une jeune fille blessée gisant sur le trottoir, contre l’avis de Jessica qui préfère l’ignorer. Cette décision bouleverse sa vie : du jour au lendemain, ses collègues ne le reconnaissent plus, son appartement est reloué, son existence même semble s’effacer.

En cherchant à comprendre ce qui lui arrive, Richard découvre un monde parallèle : le « Londres d’En Bas », une cité souterraine peuplée d’êtres étranges et de créatures fantastiques. La jeune fille qu’il a secourue s’appelle Porte – elle possède le don d’ouvrir n’importe quelle serrure par la pensée. Traquée par deux assassins redoutables, Messieurs Croup et Vandemar, elle tente de découvrir qui a massacré sa famille. Pour retrouver sa vie d’avant, Richard n’a d’autre choix que de l’accompagner dans sa quête périlleuse à travers les entrailles de Londres, aux côtés du mystérieux Marquis de Carabas et de Chasseur, une redoutable guerrière.

Cette odyssée les mène dans des lieux improbables où les noms des stations de métro prennent vie : à Earl’s Court siège véritablement une cour féodale dans une rame de métro abandonnée, Blackfriars abrite un monastère de moines noirs, et le pont de Night’s Bridge réclame son tribut en vies humaines. Dans ce monde parallèle, les rats sont vénérés et d’étranges marchés flottants proposent cauchemars et rêves à la vente.

Autour du livre

« Neverwhere » naît d’abord sous forme de série télévisée, commandée à Neil Gaiman par la BBC en 1996. L’idée originale émerge d’une conversation entre Gaiman et Lenny Henry sur la possibilité de créer une histoire autour des sans-abris de Londres. Initialement réticent à l’idée de romancer la vie des personnes sans domicile fixe, Gaiman choisit finalement de transfigurer cette réalité sociale en créant un univers parallèle.

Les contraintes du format télévisuel freinent l’imagination de Gaiman qui décide alors d’adapter son scénario en roman la même année, donnant ainsi naissance à l’une des premières œuvres de fantasy urbaine. Cette transposition lui permet d’approfondir son monde souterrain et d’étoffer ses personnages, notamment le duo des assassins Croup et Vandemar. Ces derniers se distinguent par leur dualité : l’un manie un langage châtié quand l’autre fait preuve d’une brutalité primitive, rappelant parfois les méchants des films de Tim Burton.

La géographie londonienne structure l’ensemble du récit : chaque nom de lieu trouve son écho dans le Londres d’En Bas. Ces jeux de miroir transforment Earl’s Court en véritable cour féodale, Blackfriars en monastère de moines noirs, tandis que le pont de Knightsbridge devient « Night’s Bridge », passage mortel qui prélève son tribut en vies humaines. Cette réinvention poétique de la toponymie londonienne s’accompagne d’une réflexion sur la marginalisation sociale : les habitants du monde souterrain incarnent ceux que la société moderne refuse de voir.

Le succès de « Neverwhere » engendre de nombreuses adaptations. Mike Carey et Glenn Fabry le transposent en roman graphique chez DC Comics en 2005. Plusieurs compagnies théâtrales s’en emparent, de la Savannah Actor’s Theatre en 2006 au Sacred Fools Theater de Los Angeles en 2013. La BBC l’adapte même en feuilleton radiophonique en 2013, avec James McAvoy dans le rôle de Richard Mayhew et Natalie Dormer dans celui de Lady Door. Couronné par le prix Julia Verlanger en 1999, « Neverwhere » s’inscrit désormais comme une référence majeure de la fantasy urbaine contemporaine.

Cette métamorphose d’une série télévisée en roman puis en multiples adaptations témoigne de la puissance évocatrice de cet univers alternatif. Entre conte moderne et critique sociale, « Neverwhere » perpétue la tradition du merveilleux britannique, dans la lignée d’ « Alice au Pays des Merveilles » de Lewis Carroll. La dimension initiatique du récit se double d’une réflexion sur l’invisibilité sociale, questionnant notre propension à détourner le regard de ceux qui vivent dans les marges de notre société.

Aux éditions J’AI LU ; 379 pages.


4. L’étrange vie de Nobody Owens (2008)

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Résumé

Par une nuit d’encre, un homme armé d’un couteau s’introduit dans une maison paisible et assassine méthodiquement une famille entière. Seul un bambin de 18 mois parvient à s’échapper en rampant jusqu’au vieux cimetière qui surplombe la ville. Là, un couple de fantômes, les Owens, décide de l’adopter et le baptise Nobody (« Personne »). L’enfant grandit ainsi parmi les morts, sous la protection de Silas, un mystérieux gardien qui n’appartient ni au monde des vivants ni à celui des défunts.

Dans ce refuge peuplé d’êtres surnaturels, Nobody – surnommé Bod – apprend à lire sur les pierres tombales et développe d’étranges facultés : il peut traverser les murs, devenir invisible et voir les spectres. Mais le meurtrier de sa famille, membre d’une société secrète – la Confrérie des Jack -, continue de le traquer inlassablement. L’enfant devra un jour quitter la sécurité du cimetière pour affronter son destin.

Autour du livre

L’idée de « L’étrange vie de Nobody Owens » germe en 1985, lorsque Neil Gaiman observe son fils de deux ans pédaler sur son tricycle dans un cimetière près de leur maison à East Grinstead. Cette image lui inspire l’idée d’écrire une variation sur « Le Livre de la Jungle » de Kipling, mais dans un cimetière. Pendant plus de vingt ans, Gaiman repose régulièrement son manuscrit, estimant ne pas être « assez bon écrivain » pour donner vie à cette histoire. Ce n’est qu’en 2008 qu’il se sent enfin prêt à la publier.

La structure narrative se distingue par ses huit chapitres autonomes, chacun séparé de deux années. Cette organisation confère au récit une dimension épisodique qui rappelle « Le Livre de la Jungle » : certains chapitres font directement écho au chef-d’œuvre de Kipling, comme « Les Chiens de Dieu » qui trouve son parallèle dans « La Chasse de Kaa ». Le chapitre « La Pierre tombale de la Sorcière » a d’abord été publié comme nouvelle dans l’anthologie « M is for Magic » avant d’être intégré au roman.

Les illustrations contribuent à l’atmosphère particulière du livre. L’édition britannique pour adultes arbore des dessins de Dave McKean, collaborateur de longue date de Gaiman, tandis que l’édition jeunesse britannique bénéficie des illustrations de Chris Riddell. Pour la première fois en 30 ans d’histoire du prix Kate Greenaway, un même livre s’est retrouvé dans la sélection finale à la fois pour le texte et les illustrations.

Le succès critique ne se fait pas attendre. « L’étrange vie de Nobody Owens » remporte en 2009 la médaille Newbery et la Carnegie Medal, devenant le premier ouvrage à décrocher simultanément ces deux prestigieuses récompenses de littérature jeunesse britannique et américaine. Le livre reçoit également le prix Hugo du meilleur roman et le prix Locus du meilleur roman pour jeunes adultes. Time Magazine l’inclut dans sa liste des 100 meilleurs livres pour jeunes adultes de tous les temps.

Les projets d’adaptation ne manquent pas. En 2012, les studios Disney acquièrent les droits du livre et confient la réalisation à Henry Selick, qui avait déjà adapté « Coraline » du même Gaiman. Le projet passe ensuite chez Pixar, qui en aurait fait sa première adaptation. Après le départ de Selick, Ron Howard s’attache brièvement au projet avant de se retirer lui aussi. En 2022, Marc Forster prend les rênes de l’adaptation avec David Magee au scénario, mais la production s’interrompt en 2024. Une adaptation en roman graphique voit néanmoins le jour en 2014, dessinée par P. Craig Russell en collaboration avec plusieurs autres artistes.

Aux éditions J’AI LU ; 256 pages.


5. L’océan au bout du chemin (2013)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

De retour dans son village natal pour des funérailles, un homme d’une quarantaine d’années s’arrête devant son ancienne maison d’enfance. Ses pas le mènent jusqu’à la ferme des Hempstock, où vivait autrefois son amie Lettie. Face à la mare qui borde la propriété – celle que Lettie appelait un océan – les souvenirs de l’année de ses sept ans remontent soudain à la surface, des souvenirs longtemps enfouis d’événements surnaturels.

Tout commence avec le suicide d’un locataire dans la voiture familiale. Cette mort mystérieuse ouvre une brèche entre les mondes, permettant à une créature surnaturelle de s’infiltrer dans la réalité. Le petit garçon solitaire, qui préfère la compagnie des livres à celle des autres enfants, trouve alors refuge auprès de Lettie Hempstock, une fillette de onze ans dotée d’étranges pouvoirs. Avec sa mère et sa grand-mère, trois femmes hors du temps venues d’un autre monde, elle tente de protéger le narrateur des forces maléfiques qui le menacent. Mais lors d’un rituel, le garçon commet une erreur fatale : il lâche la main de Lettie. Cette transgression permet à une entité malveillante de prendre forme humaine et de s’installer dans sa maison sous les traits d’Ursula Monkton, une gouvernante qui va peu à peu prendre le contrôle de sa famille.

Autour du livre

À l’origine simple nouvelle destinée à son ex-femme Amanda Palmer, « L’océan au bout du chemin » a pris une ampleur inattendue sous la plume de Neil Gaiman. La transformation en roman s’est opérée naturellement, comme l’auteur l’a lui-même confié à son éditeur : « J’ai accidentellement écrit un roman, désolé ». Cette genèse singulière éclaire la nature intime et personnelle du texte, où se mêlent éléments autobiographiques et fiction pure. Ainsi, le vol de la voiture du père et le suicide du locataire dans celle-ci correspondent à des événements réels de l’enfance de Gaiman.

Les trois femmes Hempstock constituent des figures récurrentes dans l’univers de l’écrivain britannique, apparaissant déjà dans « Stardust » et « L’étrange vie de Nobody Owens ». Leur présence inscrit ce texte dans une mythologie plus large, tout en formant le dernier volet d’une trilogie informelle avec « Violent Cases » et « La Comédie tragique ou la Tragique comédie de Mr. Punch » – trois œuvres qui interrogent la mémoire et l’enfance.

Gaiman y déploie plusieurs niveaux de lecture. La frontière entre réel et surnaturel reste délibérément floue : tout pourrait n’être que l’imagination d’un enfant solitaire transformant des événements traumatiques en conte fantastique. Cette ambiguïté fondamentale nourrit la réflexion sur la nature des souvenirs d’enfance et leur transformation au fil du temps. Les critiques soulignent d’ailleurs la similitude thématique avec « Coraline », notamment dans le traitement de la menace domestique incarnée par une figure féminine.

Le succès critique et public ne s’est pas démenti depuis la parution en 2013. Couronné « Book of the Year » aux British National Book Awards puis du prix Locus du meilleur roman de fantasy en 2014, le livre a séduit un large public par-delà les frontières du genre. Son adaptation théâtrale au Royal National Theatre de Londres en 2019 a connu un tel succès qu’elle est revenue pour une nouvelle saison au Noël Coward Theatre en 2023. Le réalisateur Henry Selick, qui considère « L’océan au bout du chemin » comme « le meilleur livre de Neil Gaiman », travaille actuellement sur une adaptation en film d’animation, bien que le projet connaisse des difficultés de développement. Un hommage toponymique insolite existe même à Portsmouth, où une rue porte désormais le nom du roman, près des anciennes épiceries de la famille Gaiman.

Aux éditions J’AI LU ; 256 pages.


6. Stardust (1999)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans l’Angleterre victorienne des années 1850, le petit village de Wall tire son nom d’une mystérieuse muraille percée d’une unique brèche. Cette ouverture, gardée jour et nuit par les villageois, marque la frontière avec le royaume de Féerie. Tous les neuf ans seulement, lors d’une foire extraordinaire, les habitants des deux mondes peuvent se rencontrer et commercer librement.

C’est dans ce contexte que le jeune Tristan Thorn, fils d’un villageois et d’une créature féerique (bien qu’il l’ignore), tombe éperdument amoureux de la belle Victoria Forester. Pour obtenir sa main, il lui promet l’impossible : lui rapporter l’étoile filante qu’ils viennent d’apercevoir tomber de l’autre côté du mur. Sans hésiter, Tristan s’engage dans une quête périlleuse à travers le royaume de Féerie. Mais l’étoile n’est pas un simple morceau de roche céleste – elle a pris la forme d’une jeune femme nommée Yvaine. Et Tristan n’est pas le seul à la convoiter : une reine sorcière cherche à dévorer son cœur pour retrouver sa jeunesse, tandis que les princes héritiers de Stormhold la poursuivent pour récupérer le pendentif royal qu’elle porte.

Entre pirates volants, licornes et métamorphoses, Tristan va découvrir sa véritable nature et remettre en question ses certitudes les plus profondes.

Autour du livre

La genèse de « Stardust » remonte à un moment précis : en conduisant, Neil Gaiman aperçoit un mur sur le bord de la route. Cette vision fait naître l’idée d’un monde féerique dissimulé derrière. Le projet initial s’intitule alors « Wall » et met en scène un romancier américain installé en Angleterre. Plus tard, lors d’une soirée célébrant un prix littéraire, Gaiman observe une étoile filante. Cette seconde inspiration transforme radicalement son projet pour donner naissance à « Stardust ».

L’œuvre naît d’abord sous forme de roman graphique, fruit d’une collaboration étroite avec l’illustrateur Charles Vess. Publiée initialement en quatre épisodes mensuels par DC Comics en 1997, elle se démarque par sa présentation soignée : papier haut de gamme, reliure cartonnée, absence de publicités. Un an plus tard paraît l’édition intégrale, plus fidèle à l’ambition originelle d’un « livre d’histoires avec images » accessible à tous les âges. La version reliée cuir arbore les noms des auteurs et des étoiles en marqueterie dorée.

La singularité de « Stardust » réside dans son inscription délibérée dans la tradition des récits fantastiques anglais d’avant Tolkien. Les références à Lord Dunsany, Hope Mirrlees et d’autres maîtres du genre parsèment le texte. La noirceur du conte transparaît notamment dans le personnage des Lilim, trio de sorcières prêtes à dévorer le cœur d’une étoile pour retrouver leur jeunesse. Cette cruauté rappelle davantage les frères Grimm que les adaptations édulcorées modernes.

Le succès critique ne tarde pas : « Stardust » remporte en 1999 le Mythopoeic Fantasy Award dans la catégorie Littérature pour adultes. Les distinctions s’enchaînent avec une nomination au prix Locus la même année, suivie en 2000 d’un Alex Award décerné par l’American Library Association. L’adaptation cinématographique de 2007, avec Robert De Niro et Michelle Pfeiffer, rencontre un accueil favorable. Plus récemment, Tim Minchin, le créateur de la comédie musicale « Matilda », manifeste son intérêt pour porter l’histoire sur scène.

Les critiques soulignent particulièrement l’absence de manichéisme des personnages. Victoria, loin d’incarner la méchante snob archétypale, se révèle plus complexe dans le livre que dans le film. L’ambiguïté caractérise également la fin de l’histoire, plus nuancée que son adaptation hollywoodienne. Seul le personnage du capitaine pirate gagne en profondeur à l’écran, notamment grâce à l’interprétation mémorable de Robert De Niro.

Cette architecture narrative sophistiquée n’empêche pas « Stardust » de fonctionner à plusieurs niveaux de lecture. Les critiques notent que l’histoire gagne en épaisseur lors des relectures, chaque passage révélant de nouvelles subtilités dans l’entrelacement des destins et la mythologie britannique sous-jacente.

Aux éditions J’AI LU ; 224 pages.


7. American Gods (2001)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

À sa sortie de prison, Ombre apprend une nouvelle dévastatrice : sa femme Laura vient de mourir dans un accident de voiture, aux côtés de son amant qui n’était autre que le meilleur ami d’Ombre. Sans attache, sans projet, il accepte de travailler comme garde du corps pour un mystérieux personnage qui se fait appeler Voyageur. Cette rencontre va précipiter Ombre dans une réalité insoupçonnée où les dieux existent bel et bien.

Car en immigrant vers l’Amérique, les différents peuples ont emporté avec eux leurs divinités. Ces anciens dieux tentent désormais de survivre tant bien que mal dans une société qui les a oubliés : Odin arnaque les passants, Anubis dirige des pompes funèbres, la reine de Saba se prostitue… Mais de nouvelles divinités ont émergé, incarnant la technologie, les médias ou encore la mondialisation. Une guerre se prépare entre anciens et nouveaux dieux, et Ombre va se retrouver au cœur de ce conflit qui le dépasse.

Entre road trip à travers l’Amérique profonde et bataille divine, le récit suit également l’histoire de la petite ville de Lakeside où Ombre trouve refuge. Sous ses apparences tranquilles, cette bourgade cache un terrible secret : chaque hiver, un enfant y disparaît mystérieusement…

Autour du livre

L’idée d’ « American Gods » naît en 1992, quand Neil Gaiman s’installe aux États-Unis. Lors d’une escale à l’aéroport de Reykjavik en 1998, il se demande si les immigrants ont emmené leurs dieux avec eux en Amérique. Cette réflexion devient le point de départ d’une fresque mythologique qui mêle divinités anciennes et nouvelles idoles de la société de consommation.

Gaiman y questionne l’identité américaine à travers le prisme des croyances. Les dieux anciens, arrivés avec les vagues successives d’immigration, doivent s’adapter pour survivre dans un pays qui ne leur est pas propice. Cette métamorphose révèle la difficulté des immigrants à préserver leur héritage culturel. Face à eux, les nouveaux dieux incarnent la modernité américaine : technologie, médias, mondialisation. Leur affrontement illustre la tension entre tradition et modernité qui caractérise la société américaine.

La genèse du livre s’accompagne d’une innovation éditoriale : pendant l’écriture, Gaiman tient un blog où il décrit quotidiennement son travail d’auteur. Cette démarche transparente crée un lien direct avec les lecteurs, bien avant la publication. Le quinzième mot du livre est « fuck », un choix délibéré pour avertir les lecteurs sensibles dès les premières lignes.

« American Gods » accumule les distinctions littéraires en 2002 : prix Hugo, Nebula, Locus, SFX et Bram Stoker du meilleur roman. Dix ans après sa parution initiale, une édition anniversaire enrichie de 12 000 mots supplémentaires voit le jour. En 2017, la chaîne Starz l’adapte en série télévisée avec Gaiman comme producteur exécutif. La même année, Dark Horse Comics lance une série de comics basée sur le roman.

Le livre s’inscrit dans la continuité des questionnements de Gaiman sur la mythologie, déjà présents dans sa bande dessinée « Sandman ». Il partage aussi des similitudes avec « Eight Days of Luke » de Diana Wynne Jones et s’inspire des œuvres de James Branch Cabell, Roger Zelazny et Harlan Ellison. Terry Pratchett, ami proche de Gaiman, l’aide même à résoudre certains problèmes scénaristiques. Deux suites sous forme de nouvelles prolongent l’histoire : « The Monarch of the Glen » et « Black Dog », tandis que le roman « Anansi Boys » développe l’histoire du personnage de Mr. Nancy.

Aux éditions J’AI LU ; 608 pages.


8. Coraline (2002)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Dans une vieille demeure anglaise reconvertie en appartements, une petite fille du nom de Coraline Jones s’installe avec ses parents. Délaissée par ces derniers, trop occupés par leur travail, elle tue l’ennui en explorant sa nouvelle maison aux habitants singuliers : deux vieilles actrices nostalgiques de leur gloire passée et un drôle de bonhomme qui affirme diriger un cirque de souris savantes.

Sa curiosité la mène jusqu’à une porte condamnée dans le salon familial. Une nuit, celle-ci s’ouvre sur un tunnel qui débouche dans un univers parallèle – copie conforme de son monde, mais en mieux. Là-bas, une « autre mère » et un « autre père » l’accueillent avec empressement. Ils ressemblent trait pour trait à ses vrais parents, à un détail près : leurs yeux sont remplacés par des boutons noirs cousus. Dans ce monde parallèle, tout semble plus attrayant, plus vivant, plus attentionné. Jusqu’à ce que l’autre mère propose à Coraline de rester pour toujours – à condition qu’elle accepte de se faire coudre elle aussi des boutons à la place des yeux.

Lorsque ses véritables parents disparaissent mystérieusement, Coraline comprend qu’elle doit retourner dans cet univers terrifiant pour les sauver. Accompagnée d’un chat noir cynique doué de parole, elle devra déployer des trésors d’ingéniosité et de bravoure pour affronter cette créature maléfique qui a déjà fait d’autres victimes parmi les enfants.

Autour du livre

Débuté en 1990 et publié en 2002, « Coraline » s’inscrit dans la lignée de « Alice au Pays des Merveilles » de Lewis Carroll tout en modernisant les codes du conte traditionnel. Cette parenté se manifeste à travers plusieurs motifs : une fillette curieuse qui pénètre dans un monde parallèle, une figure maternelle tyrannique, un chat énigmatique qui guide l’héroïne. Mais là où Carroll optait pour l’absurde et le nonsense victorien, Neil Gaiman choisit une atmosphère plus sombre, teintée d’horreur gothique.

Le succès critique ne se fait pas attendre : en l’espace d’une année, « Coraline » accumule les récompenses les plus prestigieuses du genre – le prix Hugo de la meilleure nouvelle longue, le prix Nebula du meilleur roman, le prix Locus du meilleur roman pour jeunes adultes, le prix British Science Fiction de la meilleure fiction courte et le prix Bram Stoker du meilleur livre pour jeunes lecteurs. Cette reconnaissance unanime propulse l’ouvrage au rang de classique contemporain, au point que The Guardian le classe en 2019 à la 82e position de sa liste des 100 meilleurs livres du XXIe siècle.

Cette histoire aborde avec tact des thèmes universels : la solitude enfantine face à des parents trop absorbés par leur travail, la tentation d’un monde idéal qui masque des périls, le courage nécessaire pour affronter ses peurs. Comme le souligne la citation de G.K. Chesterton placée en exergue : « Les contes de fées ne révèlent pas aux enfants que les dragons existent, les enfants le savent déjà. Les contes de fées révèlent aux enfants qu’on peut tuer ces dragons. »

L’impact culturel de « Coraline » se mesure à ses multiples adaptations. En 2009, le réalisateur Henry Selick transpose l’histoire en film d’animation en volume, qui remporte le Cristal du long métrage au Festival d’Annecy. La même année, une comédie musicale voit le jour off-Broadway, avec la particularité de faire interpréter le rôle de Coraline par une actrice adulte. Le roman inspire également une bande dessinée signée P. Craig Russell, couronnée par le prix Eisner 2009 de la meilleure publication pour adolescents. En 2018, une version opéra créée par Mark-Anthony Turnage fait ses débuts au Barbican Centre de Londres. Une nouvelle adaptation musicale, avec des chansons de Louis Barabbas et un livret de Zinnie Harris, doit prendre l’affiche au Leeds Playhouse en avril 2025.

Aux éditions ALBIN MICHEL ; 176 pages.

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