Nés la même année, en 1952, Michel Canesi et Jamil Rahmani suivent des parcours parallèles qui les mènent de la médecine à la littérature. Le premier voit le jour en France et devient dermatologue, tandis que le second naît à Alger où il entreprend des études de médecine avant de s’installer en France en 1976.
Les années 1980 marquent un tournant dans leurs carrières respectives. Michel Canesi, exerçant la dermatologie à Paris, est l’un des premiers médecins à prendre en charge les malades du sida dès 1982. Cette même décennie, il devient le médecin personnel et ami proche de Rudolf Noureev, qu’il accompagnera jusqu’à ses derniers jours. De son côté, Jamil Rahmani, devenu chef du service d’anesthésie-réanimation-urgences à l’Institut hospitalier franco-britannique de Paris, est également confronté à l’émergence de l’épidémie du sida.
C’est leur expérience commune face à ce fléau qui les réunit dans l’écriture. En 2003, ils rédigent ensemble leur premier manuscrit qui deviendra « Le Syndrome de Lazare », publié en 2006. Le cinéaste André Téchiné s’en inspire pour réaliser « Les Témoins » (2007), film qui recevra un César pour l’interprétation de Sami Bouajila.
Cette première collaboration marque le début d’une fructueuse association. Les deux médecins-écrivains publient ensemble plusieurs romans : « La Douleur du Fantôme » (2010), « Alger sans Mozart » (2012), qui sera sélectionné par le jury Goncourt parmi les dix meilleurs romans de l’été 2012, « Siamoises » (2013), et « Villa Taylor » (2017). Leur écriture se caractérise par un regard clinique empreint d’humanité, nourri par leur expérience médicale commune.
Alors que Michel Canesi poursuit parallèlement une carrière solo, notamment avec la publication en 2024 du « Crépuscule d’un dieu », récit de ses années auprès de Noureev, les deux hommes continuent de partager leur passion pour la littérature et les voyages, dans une œuvre à quatre mains qui conjugue leur expérience médicale à leur sensibilité d’écrivains.
Voici notre sélection de leurs romans majeurs.
1. Ultime preuve d’amour (2020)
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En avril 1962, à quelques mois de l’indépendance algérienne, Inès, une jeune Algérienne de 16 ans, et Pierre, un pied-noir à peine plus âgé qu’elle, vivent une passion déchirante. Voisins depuis l’enfance, ils se retrouvent pour la première et dernière fois dans la chambre 310 de l’hôtel Aletti, palace mythique d’Alger. Mais l’Histoire les sépare brutalement : Pierre doit s’exiler en France tandis qu’Inès reste en Algérie.
Un autre homme entre alors dans la vie d’Inès : Rachid. Il l’aperçoit le jour de l’indépendance, drapée dans les couleurs de l’Algérie nouvelle. Il découvre son idylle avec Pierre par l’intermédiaire de Mohand, le groom de l’Aletti, témoin silencieux de leur liaison. Malgré ce passé qui le hante, Rachid épouse Inès et l’aime sans conditions pendant trente ans. En 1996, alors que l’Algérie sombre dans la violence islamiste, Rachid, rongé par un cancer, décide d’offrir à sa femme une « ultime preuve d’amour » : retrouver Pierre.
Ce roman écrit à quatre mains par Michel Canési et Jamil Rahmani, respectivement franco-marocain et algérien, tisse habilement les fils de l’intime et de l’Histoire. Les quatre narrateurs – Inès, Pierre, Rachid et Mohand – offrent chacun leur vision d’une époque tourmentée, entre espoirs de l’indépendance et désillusion des années noires.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 312 pages.
2. Les femmes de nos vies (2024)
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Au début des années 1990, un jeune médecin d’origine algérienne, Mourad, sombre dans une profonde dépression après avoir perdu Nicolas, son compagnon. La découverte d’un journal intime révélant que Nicolas s’est donné la mort après avoir contracté le sida le pousse à vouloir le rejoindre. Mourad tente à son tour de mettre fin à ses jours mais survit à un accident de moto.
Pour le ramener à la vie, trois femmes s’unissent malgré leurs différences : sa mère Malika qui quitte Alger pour le rejoindre, Suzanne, la mère catholique de Nicolas installée sur la Côte d’Azur, et Elena, celle qu’il a aimée avant de la quitter pour Nicolas. Elles l’accompagnent dans une maison du Cantal où il a connu des moments de bonheur dans son enfance. Dans ce lieu préservé, chacune déploie ses propres armes pour l’arracher à son désespoir.
Cette histoire d’amour tragique se déroule dans le contexte des années sida, quand la maladie décimait la communauté homosexuelle. Le roman aborde les thèmes de l’acceptation, du deuil, de la résilience, tout en dressant le portrait de ces trois femmes que tout sépare mais qu’unit leur détermination à sauver Mourad. Entre la France et l’Algérie, entre catholicisme et islam, leurs différences s’effacent devant la force de leur engagement.
Aux éditions HACHETTE ; 366 pages.
3. Alger sans Mozart (2012)
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En 1954, dans une Algérie française qui vit ses derniers jours de paix, Louise, seize ans, grandit entre deux cultures. Parlant arabe et kabyle, la jeune pied-noir défie sa famille en épousant Kader, un militant du FLN. Quand l’indépendance arrive en 1962, elle fait le choix de rester, persuadée que son amour pour Kader et pour l’Algérie suffira à la protéger.
Les années passent et le rêve se brise. Abandonnée par son mari après trente ans de mariage, Louise sombre dans l’alcool et la solitude. Dans son appartement avec vue sur la baie d’Alger, elle écoute Mozart en boucle, dernier rempart contre un pays qui change et qu’elle ne reconnaît plus. L’arrivée de Sofiane, adolescent avide de connaître l’histoire de son pays, lui redonne un semblant de vie. Mais le retour de Marc, son neveu cinéaste venu de Paris, va bouleverser cet équilibre fragile.
Cette partition à trois voix, composée par Michel Canesi et Jamil Rahmani – l’un Français, l’autre Algérien – met en lumière les paradoxes et les déchirures de la relation franco-algérienne. Le choix d’entremêler les récits de Louise, Marc et Sofiane permet d’éclairer sous différents angles les séquelles de la colonisation et l’ambiguïté des liens qui unissent encore les deux rives de la Méditerranée.
Aux éditions FOLIO ; 512 pages.
4. Villa Taylor (2017)
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Diane, brillante directrice d’une banque d’affaires parisienne dans la trentaine, apprend le décès de sa grand-mère qui l’a élevée. Cette dernière lui lègue la mythique Villa Taylor à Marrakech, une demeure historique qui a notamment accueilli Winston Churchill et Franklin Roosevelt pendant la Seconde Guerre mondiale.
D’abord réticente à l’idée de retourner dans cette maison qu’elle avait fuie quinze ans plus tôt, Diane se rend sur place pour régler la succession. Les retrouvailles avec la villa, son jardin luxuriant et ses gardiens – Halima la gouvernante et Ahmed le jardinier aveugle – ravivent en elle des questions lancinantes sur le mystère qui entoure sa mère, disparue alors qu’elle n’était qu’un bébé. Avec l’aide de Salim, le séduisant notaire en charge de la succession, elle entreprend de lever le voile sur ce passé familial soigneusement dissimulé.
Au cœur de Marrakech, cette quête identitaire conjugue histoire coloniale et secrets de famille. Le récit s’attarde particulièrement sur les séjours de Churchill qui y peignit son unique tableau pendant la guerre, faisant de la Villa Taylor un lieu emblématique du Maroc des années 1940. Les auteurs y dépeignent le contraste entre le rythme effréné de la finance parisienne et la langueur parfumée des jardins marocains, tout en abordant les thèmes du métissage et de l’acceptation de l’autre.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 408 pages.