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Max Frisch en 4 livres – Notre sélection

Max Frisch en 4 livres – Notre sélection

Max Frisch naît le 15 mai 1911 à Zurich dans une famille modeste. Son père est architecte et sa mère femme au foyer. Il entreprend d’abord des études de germanistique à l’université de Zurich en 1930, mais doit les abandonner à la mort de son père en 1933 pour des raisons financières. Il travaille alors comme correspondant pour la Neue Zürcher Zeitung.

De 1936 à 1941, il étudie l’architecture à l’École polytechnique fédérale de Zurich. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il sert comme canonnier dans l’armée suisse. En 1942, il remporte un concours pour la construction d’une piscine publique à Zurich, le Letzigraben, et ouvre son propre cabinet d’architecte. La même année, il épouse Gertrud von Meyenburg avec qui il a trois enfants.

En 1947, il fait la connaissance de Bertolt Brecht et Friedrich Dürrenmatt qui influencent sa trajectoire littéraire. Dans les années 1950, il abandonne l’architecture pour se consacrer entièrement à l’écriture. De 1958 à 1963, il entretient une liaison avec la poétesse Ingeborg Bachmann. Il divorce en 1959 et s’installe à Rome. En 1968, il épouse en secondes noces Marianne Oellers, une étudiante de 28 ans sa cadette. Ce mariage dure jusqu’en 1979.

Écrivain majeur de la littérature de langue allemande d’après-guerre, Frisch s’intéresse particulièrement aux problématiques d’identité, de morale et d’engagement politique. L’ironie est une caractéristique significative de son style. Parmi ses œuvres les plus connues figurent les romans « Stiller » (1954), « Homo faber » (1957) et les pièces de théâtre « Monsieur Bonhomme et les incendiaires » (1958) et « Andorra » (1961).

En 1990, il apprend qu’il a été espionné pendant des années par les autorités suisses. Atteint d’un cancer, Max Frisch meurt le 4 avril 1991 dans son appartement de Zurich. Une plaque commémorative lui rend hommage sur le mur du cimetière de Berzona, village tessinois où il a longtemps travaillé.

Voici notre sélection de ses livres majeurs.


1. Stiller (roman, 1954)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Un homme muni d’un passeport américain au nom de James Larkin White est arrêté à la frontière suisse. Les autorités l’identifient comme étant Anatol Ludwig Stiller, un sculpteur disparu depuis six ans. Malgré ses protestations véhémentes – « Je ne suis pas Stiller ! » -, il est placé en détention préventive.

Dans sa cellule, il rédige sept cahiers dans lesquels il raconte sa version des faits. Il prétend être un Américain ayant vécu de multiples aventures au Mexique et aux États-Unis. Pourtant, tous ceux qui ont connu Stiller le reconnaissent formellement : son ex-femme Julika, une danseuse de ballet atteinte de tuberculose, sa maîtresse Sibylle, désormais épouse du procureur Rolf, et même son frère.

Le détenu s’obstine néanmoins à nier cette identité qu’on cherche à lui imposer. Pour prouver qu’il n’est pas celui qu’on croit, il va jusqu’à s’accuser de meurtres imaginaires. Mais ses récits d’aventurier contiennent des détails troublants sur la vie de Stiller que seul ce dernier pourrait connaître. Qui est véritablement cet homme ? Un imposteur ? Ou Stiller lui-même ?

Autour du livre

Le roman tire son origine d’un séjour d’un an aux États-Unis que Max Frisch effectue en 1951 grâce à une bourse de la fondation Rockefeller. De ce voyage naît d’abord un manuscrit inachevé de six cents pages intitulé « Que faites-vous de l’amour ? », qu’il juge insatisfaisant. Ce n’est qu’en août 1953 qu’il reprend l’écriture sous un angle différent, d’abord sous la forme d’une pièce radiophonique, « Rip van Winkle », puis du roman lui-même. Le manuscrit définitif est achevé lors d’une retraite de six semaines à Montreux au printemps 1954.

La question de l’identité constitue le cœur même de « Stiller ». À travers son protagoniste qui refuse obstinément d’être identifié comme Stiller, Frisch interroge la possibilité même de se connaître et de s’accepter. Le roman montre comment chaque personnage se forge une image de l’autre qui l’empêche de le voir tel qu’il est réellement. Cette problématique s’inscrit dans la continuité d’une réflexion que Frisch avait déjà amorcée dans son « Journal 1946-1949 ».

Les relations homme-femme y occupent également une place centrale. La relation entre Stiller et Julika illustre l’impossibilité de la communication véritable : lui cherche en elle une reconnaissance qu’elle ne peut lui donner, tandis qu’elle reste prisonnière de sa froideur émotionnelle. Le couple formé par Sibylle et le procureur Rolf offre un contrepoint intéressant en montrant comment l’acceptation mutuelle peut permettre de surmonter l’infidélité.

Frisch propose également une critique acerbe de la société suisse des années 1950, de son conformisme et de sa rigidité. Cette dimension sociale s’exprime notamment à travers le personnage de l’avocat Bohnenblust, qui incarne une Suisse satisfaite d’elle-même, incapable de remise en question.

La réception critique de « Stiller » diverge fortement selon les pays. En Allemagne, l’accueil est quasi unanimement enthousiaste. Rino Sander dans Die Welt salue « enfin un grand roman en langue allemande », tandis que Rudolf Goldschmitt dans le Stuttgarter Zeitung le range aux côtés de Proust, Joyce, Mann et Musil. La critique suisse, en revanche, se montre majoritairement hostile, principalement en raison des attaques contre la mentalité helvétique. Hans Trümpy résume cette position dans les « Glarner Nachrichten » : « Qui dénigre la Suisse me perd. » Le livre remporte le Prix Schiller et le Prix Wilhelm-Raabe de la ville de Brunswick en 1954-1955.

« Stiller » a fait l’objet de plusieurs adaptations théâtrales, notamment au Théâtre de Bâle en 2004, au Schauspielhaus de Zurich en 2010 et au Residenztheater de Munich en 2013. Une version audio lue par Ulrich Matthes paraît en 2005, suivie d’une adaptation radiophonique par la Norddeutscher Rundfunk en 2011. Un film réalisé par Stefan Haupt avec Albrecht Schuch dans le rôle principal, sortira en février 2025.

Aux éditions GRASSET ; 546 pages.


2. Homo faber (roman, 1957)

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Résumé

Dans les années 1950, Walter Faber, un ingénieur suisse quinquagénaire employé à l’UNESCO, ne jure que par la technique et la raison pure. Pour lui, le hasard s’explique par les probabilités mathématiques, et les sentiments ne sont que des « phénomènes de fatigue ».

Sa vie bascule lorsque son avion reliant New York et le Venezuela effectue un atterrissage d’urgence dans le désert mexicain. À bord, il rencontre Herbert Hencke, le frère de Joachim, son meilleur ami d’autrefois. Vingt ans plus tôt, après que Faber eut refusé d’assumer la grossesse de sa fiancée Hanna, celle-ci avait épousé Joachim. Bouleversé par ces retrouvailles inattendues, Faber décide d’accompagner Herbert au Guatemala où ils découvrent que Joachim s’est pendu.

De retour à New York, fuyant sa maîtresse Ivy qui souhaite l’épouser, Faber embarque impulsivement sur un paquebot pour l’Europe. Durant la traversée, il noue une relation avec Elisabeth Piper, surnommée Sabeth, une jeune femme de vingt ans qui lui rappelle étrangement Hanna. Ils décident de voyager ensemble à travers l’Europe jusqu’en Grèce, où réside la mère de Sabeth. Une série de révélations bouleversantes l’y attend…

Autour du livre

Max Frisch rédige « Homo faber » en 1957, après plusieurs voyages qui nourrissent directement son écriture. En juin-juillet 1956, il se rend à Aspen dans le Colorado pour une conférence, en passant par l’Italie, New York, San Francisco, Los Angeles, Mexico et La Havane. Au printemps 1957, il parcourt la Grèce. Ces périples se retrouvent précisément dans les itinéraires empruntés par Walter Faber. Une première version du roman présente des similitudes structurelles avec « Stiller », son précédent ouvrage, avant une refonte complète qui introduit la division en deux « stations » et abandonne la chronologie au profit d’associations d’idées.

Le titre même du roman joue sur plusieurs niveaux de signification. « Homo faber », littéralement « l’homme qui fabrique » en latin, désigne anthropologiquement l’être humain capable de créer des outils. Cette appellation prend une dimension ironique appliquée au protagoniste, incarnation de la foi aveugle dans le progrès technique des années 1950. Faber rejette toute forme de mystique ou de destin au profit des probabilités mathématiques : « Je ne crois pas à la fatalité ni au destin, en tant que technicien j’ai l’habitude de m’en tenir au calcul des probabilités. » Cette posture rationaliste extrême se heurte à une série d’événements qui défient toute explication logique.

Sa relation aux femmes illustre son aliénation : il ne peut les voir que comme des « machines à reproduire » ou des objets de désir, jamais comme des êtres complets. Hanna incarne une vision opposée, celle d’un rapport immédiat au monde et à l’art. C’est seulement face à la mort que Faber commence à percevoir les limites de sa conception mécaniste de l’existence.

La réception critique s’avère majoritairement enthousiaste à la sortie du livre. Erich Franzen salue « une performance magistrale », Beda Allemann « l’œuvre la plus dérangeante de Frisch ». Pour Georg Hensel, il s’agit d’un « chef-d’œuvre de rang international ». Certaines voix discordantes, comme Walter Jens, le considèrent néanmoins comme une simple « arabesque » par rapport à « Stiller ». La dimension politique et religieuse suscite également des réserves, notamment concernant la position de Faber sur l’avortement.

En 1991, l’année de la mort de Frisch, Volker Schlöndorff adapte le roman au cinéma sous le titre « Homo Faber »/ »Voyager », avec Sam Shepard, Julie Delpy et Barbara Sukowa dans les rôles principaux. Si Frisch participe activement au projet, le film reçoit un accueil mitigé, accusé de réduire l’ampleur du texte à une simple histoire d’amour. En 2014, le réalisateur suisse Richard Dindo propose une nouvelle lecture cinématographique intitulée « Homo faber (Trois Femmes) ».

Aux éditions FOLIO ; 252 pages.


3. Monsieur Bonhomme et les incendiaires (pièce de théâtre, 1958)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Résumé

Une ville est terrorisée par une série d’incendies criminels. Les pyromanes agissent toujours selon le même mode opératoire : ils pénètrent dans les maisons en se faisant passer pour d’innocents colporteurs. Dans ce climat de peur, Gottlieb Biedermann, prospère fabricant de lotion capillaire, lit avec indignation les comptes rendus de ces sinistres dans son journal.

Un soir, Josef Schmitz, un ancien lutteur prétendument sans abri, frappe à sa porte. Biedermann, soucieux de paraître philanthrope malgré les réticences de son épouse Babette, l’autorise à dormir dans son grenier. Le lendemain, un second individu, Wilhelm Maria Eisenring, rejoint Schmitz. Les deux hommes se mettent alors à entreposer des bidons d’essence dans le grenier, sous les yeux de Biedermann qui, par lâcheté et aveuglement volontaire, refuse d’admettre leur véritable nature.

Pour se rassurer, il les invite même à dîner en espérant que cette marque d’amitié les dissuadera de nuire. Mais tandis que les sirènes des pompiers retentissent dans la ville, il devient de plus en plus difficile pour Biedermann d’ignorer la menace qui pèse sur sa propre maison.

Autour de la pièce

Le premier jet de « Monsieur Bonhomme et les incendiaires » remonte à 1948, quand Max Frisch rédige une esquisse en prose intitulée « Burleske » dans son journal, sous l’impression du coup d’État communiste en Tchécoslovaquie. En 1953, il adapte ce texte en pièce radiophonique pour la radio bavaroise, avant d’en faire une pièce de théâtre créée au Schauspielhaus de Zurich le 29 mars 1958. Insatisfait de la réception initiale de son œuvre, interprétée de manière trop étroitement anticommuniste, Frisch ajoute un épilogue pour la première allemande à Francfort, le 28 septembre 1958.

Cette parabole sur l’aveuglement volontaire transcende sa dimension politique immédiate pour questionner les mécanismes psychologiques du déni face à la montée des périls. Le personnage de Biedermann, dont le nom évoque ironiquement l’honnêteté bourgeoise (« bieder » signifiant « honnête » en allemand), incarne cette bourgeoisie qui, par lâcheté et conformisme, préfère fermer les yeux sur les menaces qui la guettent. La présence d’un chœur de pompiers, inspiré de la tragédie grecque, souligne la dimension universelle de cette fable grinçante sur la compromission et la culpabilité collective.

La pièce manie l’humour noir avec une redoutable efficacité. Les pyromanes ne prennent même pas la peine de dissimuler leurs intentions, comme le dit Eisenring dans une réplique cinglante : « La meilleure couverture, c’est la vérité pure, parce que personne n’y croit. » Cette audace dramaturgique crée un effet de distanciation brechtien qui force le spectateur à s’interroger sur sa propre capacité d’aveuglement.

« Monsieur Bonhomme et les incendiaires » a suscité des interprétations multiples. Si certains y ont vu une allégorie de la montée du nazisme, d’autres l’ont lue comme une critique du totalitarisme en général. Hellmuth Karasek fait un parallèle avec Hitler « qui n’a jamais caché ses véritables intentions dans Mein Kampf ». Friedrich Torberg salue « un feu d’artifice » et « une soirée parfaite ». Werner Weber souligne la puissance du jeu entre être et paraître, « un effet de basculement dramatique ». Pour Marcel Reich-Ranicki, qui l’inclut dans son canon de la littérature allemande en 2004, il s’agit du « drame le plus important de Frisch ».

La pièce connaît un succès retentissant avec plus de 250 mises en scène dans l’espace germanophone jusqu’en 1996. Elle est adaptée pour la télévision à plusieurs reprises : par Fritz Schröder-Jahn pour la NDR en 1958, par Hellmuth Matiasek pour l’ORF en 1963, et par Rainer Wolffhardt pour Radio Bremen en 1967. En 2013, le compositeur Šimon Voseček en tire un opéra créé à Vienne. Plus récemment, en 2017, le Woolly Mammoth Theatre Company en propose une version actualisée à Washington, dans la foulée de l’élection de Donald Trump.

Aux éditions GALLIMARD ; 120 pages.


4. Andorra (pièce de théâtre, 1961)

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Résumé

Dans une petite nation fictive nommée Andorra vit Andri, un jeune homme que tous considèrent comme le fils adoptif juif du Professeur Can. Cette prétendue adoption masque en réalité un mensonge : Andri est le fruit d’une liaison entre le Professeur et une femme du pays voisin, nation autoritaire surnommée les « Noirs » qui persécute les Juifs. Pour protéger son fils illégitime, le Professeur l’a fait passer pour un orphelin juif qu’il aurait sauvé.

Victime des préjugés constants des Andorrans qui se targuent pourtant de leur tolérance, Andri voit ses ambitions professionnelles contrariées : le Menuisier refuse de le former à son art malgré son talent, préférant le cantonner à la vente. Sa vie privée souffre également de sa condition : amoureux de Barblin, la fille du Professeur, il se voit interdire de mariage sans explication.

L’arrivée en ville de sa véritable mère, une étrangère que les Andorrans soupçonnent d’espionnage, précipite les événements. Le Professeur tente alors désespérément de révéler la vérité à son fils, mais celui-ci, façonné par des années de préjugés, refuse désormais d’entendre qu’il n’est pas juif. Tandis que la menace d’une invasion par les « Noirs » se précise, le sort d’Andri semble scellé par cette identité qu’on lui a imposée puis qu’il a fini par embrasser.

Autour de la pièce

Un premier canevas d’ « Andorra » voit le jour en 1946 dans le journal de Max Frisch, sous la forme d’une courte histoire intitulée « Le Juif andorran ». Cette version initiale, plus brutale, suggère que le personnage principal est tué par les Andorrans eux-mêmes. Ce n’est qu’après plusieurs années et cinq réécritures que Frisch finalise sa pièce pour le Schauspielhaus de Zurich, où elle est créée le 2 novembre 1961.

La pièce s’inscrit dans la tradition du théâtre épique développé par Bertolt Brecht, dont Frisch reconnaît ouvertement l’influence. Cette filiation se manifeste notamment à travers l’utilisation de l’effet de distanciation : les personnages s’adressent directement au public depuis une « tribune des témoins », brisant ainsi l’illusion théâtrale pour permettre une réflexion critique. La structure même de l’œuvre, divisée en douze tableaux plutôt qu’en scènes traditionnelles, participe de cette volonté de maintenir le spectateur dans une position d’observateur actif.

La construction des personnages illustre magistralement le propos de Frisch sur les préjugés et l’identité. À l’exception d’Andri et Barblin, les protagonistes sont désignés par leur fonction sociale (le Professeur, le Soldat, le Menuisier…) qui souligne leur dimension archétypale. Cette réduction des personnages à des types sociaux renforce la portée universelle de la pièce, tout en dénonçant la tendance humaine à catégoriser et à réduire l’autre à une image préconçue.

La réception critique d’ « Andorra » témoigne de son impact considérable sur le public germanophone. Siegfried Melchinger la qualifie « d’œuvre la plus importante en langue allemande depuis des années ». En Suisse, le public y reconnaît une critique à peine voilée de l’attitude du pays pendant la Seconde Guerre mondiale. En Allemagne, la pièce rencontre un énorme succès avec 963 représentations lors de la saison 1962-1963. Friedrich Torberg, tout en saluant l’importance de la pièce, met en garde contre le risque de réduire l’antisémitisme à un préjugé parmi d’autres.

« Andorra » a connu de nombreuses adaptations, notamment deux versions cinématographiques : l’une allemande en 1964, réalisée par Kurt Hirschfeld et Gert Westphal, l’autre grecque en 1976, signée Diagoras Chronopoulos et Dimitris Papakonstadis. En France, plusieurs mises en scène ont jalonné l’histoire de la pièce, dont celle de Gabriel Garran au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers en 1965, et plus récemment celle de Sarkis Tcheumlekdjian au Théâtre des Célestins en 2016.

Aux éditions GALLIMARD ; 224 pages.

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