Marc Zaffran, plus connu sous le pseudonyme de Martin Winckler, est un médecin et écrivain français né le 22 février 1955 à Alger. Issu d’une famille juive, il est le fils d’Ange Zaffran, médecin pneumologue. Après avoir quitté l’Algérie avec sa famille en 1963, il grandit à Pithiviers en France.
Diplômé de la faculté de médecine de Tours en 1982, il exerce comme médecin de campagne dans la Sarthe de 1983 à 1993. C’est en 1984 qu’il commence à publier sous le nom de plume de Martin Winckler, choisi en hommage au personnage de Gaspard Winckler dans « La Vie mode d’emploi » de Georges Perec.
Son roman « La Maladie de Sachs » (1998) lui apporte la reconnaissance avec le Prix du Livre Inter et sera adapté au cinéma par Michel Deville. Auteur prolifique, il publie de nombreux ouvrages mêlant fiction et réflexion sur la médecine, tout en développant une critique du système médical français. Il est également connu pour ses écrits sur les séries télévisées et ses chroniques sur France Inter.
En 2009, il s’installe à Montréal où il poursuit ses activités d’écrivain et de chercheur en éthique médicale. Militant féministe engagé, il est particulièrement reconnu pour ses travaux sur les droits des patients et la contraception. Parmi ses œuvres récentes figurent « Abraham et fils » (2016), « Les Histoires de Franz » (2017), et « Franz en Amérique » (2022).
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Le Chœur des femmes (2009)
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Résumé
Dans un service de gynécologie hospitalier, la jeune interne Jean Atwood entame avec réticence son dernier stage obligatoire. Résolue à devenir chirurgienne, elle considère ces six mois comme une perte de temps et ne cache pas son mépris pour cette médecine qu’elle juge secondaire. Son arrivée dans l’unité du Dr Franz Karma, un médecin aux méthodes atypiques, marque le début d’une confrontation entre deux conceptions radicalement opposées de la médecine.
Jour après jour, consultation après consultation, Jean découvre une approche différente du soin. Le Dr Karma prend le temps d’écouter ses patientes, refuse les examens inutilement invasifs et remet en question les pratiques traditionnelles. Cette rencontre ébranle les certitudes de la jeune femme qui, progressivement, apprend à regarder autrement les patientes qui défilent dans le service pour des IVG, des suivis de grossesse ou des situations de détresse.
Le roman donne la parole à ces femmes à travers une série de témoignages qui s’entrecroisent avec l’évolution personnelle de Jean. Ces récits intimes révèlent les tabous, les non-dits et parfois la violence qui entourent encore la gynécologie moderne.
Autour du livre
La force du « Chœur des femmes » réside dans sa structure polyphonique qui mêle le récit principal aux témoignages des patientes. Ces voix multiples construisent une partition où résonnent les peurs, les espoirs et les souffrances intimes des femmes face à la médecine gynécologique. La transformation progressive de Jean Atwood, d’abord enfermée dans ses certitudes puis bouleversée par sa rencontre avec une autre approche du soin, s’accompagne d’une réflexion sur des sujets essentiels comme l’intersexuation ou les violences obstétricales.
Les consultations décrites dans le livre révèlent l’écart entre deux conceptions de la médecine. D’un côté, une pratique technique et distante incarnée par les « seigneurs » de l’hôpital qui oublient l’humanité de leurs patientes. De l’autre, l’approche du Dr Karma qui place l’écoute et le respect au centre de la relation soignant-soigné. Cette opposition met en lumière les dysfonctionnements du système médical français, notamment dans le traitement des femmes.
Publié en 2009, le texte de Martin Winckler s’inscrit dans un moment où la parole des femmes sur les violences médicales commence à se libérer. Son impact se mesure aux nombreuses traductions (espagnol, russe) et à son adaptation en bande dessinée par Aude Mermilliod en 2021. Les critiques saluent particulièrement la justesse des situations décrites, fruit de l’expérience de l’auteur comme médecin généraliste spécialisé en gynécologie.
Si certains critiques pointent des longueurs dans les récits de consultation ou une fin jugée trop romanesque, la majorité souligne l’importance de ce livre qui dénonce les pratiques déshumanisantes tout en proposant une autre vision de la médecine. Les témoignages recueillis sur le site Internet de l’auteur, qui ont nourri l’écriture, confirment la réalité des situations décrites et ancrent cette fiction dans une démarche militante pour une médecine plus respectueuse.
Aux éditions FOLIO ; 688 pages.
2. La Maladie de Sachs (1998)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans les années 1990, Bruno Sachs s’installe comme médecin généraliste à Play, une petite commune rurale française. D’abord méfiant, le village finit par s’attacher à ce praticien qui prend son temps, écoute ses patients avec bienveillance et n’hésite pas à se déplacer pour les urgences.
Les journées s’égrènent entre consultations épuisantes, visites à domicile et gardes de nuit. Dans l’intimité de son cabinet, la parole se libère, les masques tombent. Face à ce flot ininterrompu de souffrances et de confidences, Bruno Sachs trouve refuge dans l’écriture, consignant ses observations et ses doutes dans des carnets. Sa rencontre avec Pauline Kasser vient bouleverser sa solitude.
Autour du livre
« La Maladie de Sachs » s’inscrit dans une trilogie qui comprend « La Vacation » (1989), où le personnage de Bruno Sachs apparaît pour la première fois, et « Les Trois Médecins » (2004), qui revient sur ses années d’études. Martin Winckler puise dans sa propre expérience de médecin à Joué-l’Abbé, dans la Sarthe, où il exerce à partir de 1983.
La narration se distingue par son caractère polyphonique : les patients, la secrétaire médicale, les collègues et les proches s’adressent directement au médecin en le tutoyant, créant un effet miroir qui multiplie les points de vue sur le protagoniste. Cette mosaïque de voix dessine progressivement le portrait d’un homme dévoué mais tourmenté, qui trouve dans l’écriture un exutoire à la souffrance qu’il côtoie quotidiennement.
Le texte interroge les fondements de la médecine moderne et la relation soignant-patient. À travers Bruno Sachs, Winckler met en lumière un praticien qui refuse la simple prescription de médicaments et privilégie l’écoute active. Cette approche contraste avec celle de ses confrères, notamment dans le traitement de la douleur – Sachs étant le seul à prescrire de la morphine.
Le succès critique et public ne se fait pas attendre : « La Maladie de Sachs » reçoit le prix du Livre Inter en 1998. Michel Deville l’adapte au cinéma en 1999 avec Albert Dupontel dans le rôle principal. Le film conserve la dimension intimiste du livre tout en parvenant à transposer sa structure narrative complexe à l’écran. En 2014, Jean-Matthieu Zahnd et Pauline Thimonnier en proposent une adaptation radiophonique pour France Culture.
Aux éditions FOLIO ; 672 pages.
3. Les Trois Médecins (2004)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
En 1973, Bruno Sachs entame sa première année de médecine à la faculté de Tourmens. Il y rencontre trois camarades qui marqueront sa vie : André Solal, Basile Bloom et Christophe Gray. Ces quatre inséparables affrontent ensemble le parcours du combattant des études médicales, entre stages harassants et examens impitoyables.
L’histoire se déroule dans la France des années 1970, en pleine effervescence sociale. Les quatre amis se heurtent à un système médical sclérosé : professeurs autoritaires, hiérarchie inflexible, mépris pour la médecine générale. Ils s’engagent dans les luttes de leur temps, particulièrement celle pour la légalisation de l’avortement. L’arrivée de Charlotte Pryce, assistante de l’épouse du doyen, bouleverse la vie de Bruno, tandis que la redoutable Mathilde Hoffmann, représentante d’un laboratoire pharmaceutique, leur met des bâtons dans les roues.
Autour du livre
Dans la lignée de « La Maladie de Sachs » (1998), « Les Trois Médecins » dévoile les origines du personnage de Bruno Sachs, médecin humaniste déjà rencontré dans les précédents ouvrages de Martin Winckler. Le titre, qui s’intitulait originellement « La Formation de Sachs », signale d’emblée la filiation avec « Les Trois Mousquetaires » d’Alexandre Dumas, dont il reprend la trame narrative pour la transposer dans l’univers médical des années 1970.
Cette construction polyphonique alterne les voix narratives : étudiants, professeurs, patients, mais aussi personnel hospitalier comme Mme Moréno, femme de ménage du foyer d’étudiants, ou M. Nestor, ancien appariteur de l’amphithéâtre de médecine. Ces témoignages multiples tissent une toile qui met en lumière les enjeux sociétaux majeurs de l’époque : la légalisation de l’avortement, l’accès à la contraception, le scandale du Distilbène, ou encore les relations troubles entre laboratoires pharmaceutiques et corps médical.
Le parallèle avec l’œuvre de Dumas dépasse le simple exercice de style. Chaque personnage trouve son équivalent : Bruno Sachs devient D’Artagnan, le doyen Fiessinger incarne Louis XIII, son épouse la reine, le vice-doyen Le Riche endosse le rôle de Richelieu, tandis que Mathilde Hoffmann, liée à un laboratoire pharmaceutique, prend les traits de Milady. Même les ferrets de la reine se transforment en parure de stylo. Cette transposition sert un propos mordant sur le mandarinat hospitalier, la hiérarchie médicale et ses dérives.
Face à la tradition française rigide des années 1970, les quatre protagonistes défendent une médecine plus humaine, inspirée du modèle anglo-saxon. Leur combat contre les pratiques archaïques, le mépris envers la médecine générale et l’instrumentalisation des patients résonne encore aujourd’hui. À travers leurs parcours se dessine une réflexion sur la vocation médicale, résumée dans cette citation : « soigner ça n’est pas une question de compétence ou d’éthique ou de titres […] soigner c’est pareil à aimer éduquer partager élever accompagner porter guider. »
Aux éditions FOLIO ; 768 pages.
4. Abraham et fils (2016)
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Résumé
Au printemps 1963, Abraham Farkas et son fils Franz, neuf ans, s’installent à Tilliers, petite ville de Beauce. Le père, médecin juif rapatrié d’Algérie, reprend un cabinet médical tandis que son fils tente de s’adapter à sa nouvelle vie. Franz souffre d’amnésie suite à un mystérieux « accident » qui a coûté la vie à sa mère quelques mois plus tôt. De cet événement tragique, le père ne dit mot.
Dans leur grande maison de la rue des Crocus, le quotidien s’organise peu à peu. Abraham soigne ses patients avec humanité pendant que Franz dévore les livres et se fait de nouveaux amis à l’école. L’arrivée de Claire, une jeune veuve, et de sa fille Luciane apporte une nouvelle dynamique à leur duo. Mais la demeure recèle des secrets : pendant la Seconde Guerre mondiale, elle a servi de refuge à des familles juives avant leur déportation.
Autour du livre
Derrière « Abraham et fils » se cache un projet ambitieux : la première pièce d’une trilogie, suivie par « Les Histoires de Franz » et « Franz en Amérique ». Cette chronique des années soixante emprunte beaucoup à l’enfance de Martin Winckler, lui-même fils de médecin installé à Pithiviers – ville qui sert de modèle à la fictive Tilliers. Le romancier y mêle trois périodes historiques distinctes : l’Occupation allemande, la guerre d’Algérie et les débuts de la Ve République, créant ainsi un jeu d’échos entre les drames collectifs et intimes.
La narration alterne entre deux voix : celle de Franz, enfant de neuf ans dont la candeur et la maturité dessinent un personnage crédible, et celle d’un narrateur mystérieux dont l’identité ne sera dévoilée qu’à la dernière page. Cette double perspective permet d’aborder les thèmes essentiels – la mémoire, le deuil, la résilience – sous des angles complémentaires. Les références culturelles de l’époque (Zorro, les illustrés, la télévision en noir et blanc) s’intègrent naturellement au récit sans tomber dans la simple nostalgie.
La figure du médecin humaniste, récurrente dans l’œuvre de Winckler (comme dans « La Maladie de Sachs » ou « Le Chœur des femmes »), prend ici une dimension nouvelle à travers le personnage d’Abraham. Sa relation avec son fils illustre une paternité moderne, faite d’écoute et de tendresse, qui tranche avec les codes de l’époque. Les remerciements en fin d’ouvrage révèlent l’étendue des influences : du Journal de Tintin à Jean Marais, en passant par la mairie de Pithiviers, chaque source contribue à la texture historique du récit.
Si certains critiques regrettent des longueurs dans la première partie, la découverte progressive des secrets de la maison pendant la guerre apporte une tension narrative bienvenue. Le choix d’une écriture simple et directe, sans effets de style superflus, sert efficacement ce récit où la grande Histoire se lit à hauteur d’enfant.
Aux éditions FOLIO ; 544 pages.
5. En souvenir d’André (2012)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans un pays européen où l’aide médicale à mourir n’est pas encore légale, Emmanuel, un jeune médecin doté d’une mémoire exceptionnelle, travaille dans une unité anti-douleur. Sa vie bascule le jour où André, l’un de ses anciens professeurs atteint d’une maladie incurable, lui demande de l’aider à mourir dignement. Cette première expérience marque le début d’une longue série d’accompagnements clandestins.
Au fil des années, d’autres malades le contactent en utilisant le code « En souvenir d’André ». Emmanuel les écoute, les soulage, recueille leurs confidences et leurs histoires dans des carnets. Entre ses activités hospitalières officielles et ces accompagnements secrets, il mène une double vie jusqu’à sa rencontre avec Nora, la fille d’un patient, qui bouleverse son existence.
Autour du livre
Cette réflexion sur l’euthanasie et le suicide assisté s’inscrit dans un contexte particulier : la sortie d’ « En souvenir d’André » en 2012 coïncide avec la remise du rapport Sicard à François Hollande sur la fin de vie en France. Cette synchronicité renforce la pertinence du livre qui oppose la réalité clandestine des pratiques à l’hypocrisie de certains milieux médicaux. À travers différents témoignages, Martin Winckler déconstruit les préjugés : les personnes qui demandent à mourir ne sont pas en dépression, elles expriment une volonté réfléchie après avoir épuisé toutes les autres options.
La narration se distingue par sa structure en poupées russes : les confidences des patients s’imbriquent les unes dans les autres, dans une mosaïque d’histoires intimes qui éclairent différentes facettes de la souffrance et du choix de mourir. Le personnage d’Emmanuel, avec sa mémoire exceptionnelle, devient le réceptacle parfait de ces récits qu’il consigne méticuleusement dans ses carnets. Cette mise en abyme culmine dans une révélation finale qui modifie la perspective de l’ensemble.
« En souvenir d’André » s’inscrit dans la continuité des œuvres précédentes de Winckler comme « La Maladie de Sachs » ou « Le Chœur des femmes », qui interrogent la pratique médicale et la relation soignant-soigné. Mais là où ses autres livres s’appuient davantage sur son expérience personnelle de médecin, celui-ci mêle plus étroitement réalité et fiction. Cette hybridation permet d’aborder un sujet complexe avec une liberté que le documentaire ou l’essai n’autoriseraient pas.
Si certains critiques pointent l’invraisemblance de certains aspects (notamment la fin qu’ils jugent artificielle) ou le caractère parfois désincarné des personnages, la majorité salue la façon dont le livre évite les écueils du pathos tout en maintenant une profonde humanité. La brièveté du texte (176 pages) contraste avec les romans précédents de Winckler, comme pour mieux laisser respirer un sujet qui nécessite de la retenue.
Aux éditions FOLIO ; 176 pages.
6. L’École des soignantes (2019)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
En 2039, le Centre Hospitalier Holistique de Tourmens (CHHT) fait figure d’exception dans le paysage médical français. Cette école expérimentale, née en 2022, a développé une approche révolutionnaire du soin basée sur la bienveillance et l’empathie.
Homme asexué élevé par deux mères, Hannah entame sa résidence au pôle Psycho sous la supervision de Djinn Atwood. Il découvre une approche radicalement nouvelle de la médecine, centrée sur l’écoute et le respect absolu des choix des malades – désormais appelés « soignées ». Au fil des chapitres, Hannah accompagne différentes patientes, confronté à des situations qui remettent en question sa vision du soin : troubles mentaux, fin de vie, sexualité.
Autour du livre
« L’École des soignantes », suite indirecte du « Chœur des femmes » publié en 2009, renoue avec l’héroïne Jean Atwood tout en propulsant le récit dans un futur proche, en 2039. Le choix de l’anticipation permet à Martin Winckler d’imaginer un modèle hospitalier radicalement différent, qui prend le contrepied des dysfonctionnements actuels du système de santé.
La féminisation systématique du langage constitue l’un des partis pris les plus audacieux du texte. Cette inversion des codes grammaticaux traditionnels, où « le féminin l’emporte », déstabilise initialement le lecteur pour mieux interroger ses préjugés. Comme l’explique Winckler dans une interview : « Sur Twitter, je mets tout au féminin, comme dans le roman. Quand vous féminisez tout le monde, on cherche les hommes, dans le cas inverse, pas du tout ! » Cette approche stylistique sert un propos militant sur la domination masculine dans le milieu médical.
Entre chaque chapitre s’intercalent des poèmes intitulés « Je suis Celles », véritables contrepoints à l’utopie dépeinte. Ces textes, qualifiés de « durs », ‘ »implacables » par plusieurs critiques, dénoncent les sévices subis par les femmes à travers le monde. Cette alternance entre l’idéal et la réalité brutale renforce la portée du message social.
La réception critique souligne la dimension politique du texte. Certains saluent cette vision alternative de la médecine, centrée sur l’humain plutôt que sur la rentabilité. D’autres pointent les limites de l’exercice, jugeant l’utopie excessive, notamment dans sa représentation des rapports de genre. La fin du livre, qui bascule plus nettement dans la science-fiction, divise également les opinions. Ces débats témoignent de la capacité du texte à susciter la réflexion sur des enjeux sociétaux majeurs : la place des femmes dans la société, l’éthique médicale, la fin de vie, ou encore l’identité de genre.
Aux éditions FOLIO ; 448 pages.