Jeanette Winterson naît à Manchester en 1959. Elle est adoptée début 1960 et grandit à Accrington, Lancashire, dans une famille pentecôtiste. Son enfance est marquée par une éducation religieuse stricte, destinée à faire d’elle une missionnaire. À seize ans, elle fait son coming out et quitte le domicile familial. Elle poursuit ses études à l’Université d’Oxford, au St. Catherine’s College, où elle étudie la littérature anglaise.
Son premier roman, « Les oranges ne sont pas les seuls fruits » (1985), largement autobiographique, rencontre un succès immédiat et remporte le Whitbread Book Award. Il raconte l’histoire d’une jeune fille lesbienne grandissant dans une communauté pentecôtiste. Il est plus tard adapté pour la télévision et remporte un BAFTA Award.
Au fil des années, Winterson s’impose comme une voix majeure de la littérature britannique contemporaine. Ses romans traitent des questions de genre, d’identité sexuelle et, plus récemment, des rapports entre l’humain et la technologie. Parmi ses œuvres importantes figurent « La passion » (1987), « Le sexe des cerises » (1989) et « Frankissstein » (2019), ce dernier étant sélectionné pour le Booker Prize.
Son travail est récompensé par de nombreuses distinctions. Elle est notamment nommée Officière (OBE) puis Commandeure (CBE) de l’Ordre de l’Empire Britannique pour services rendus à la littérature. Elle enseigne également l’écriture créative à l’Université de Manchester. Ses écrits, traduits dans près de vingt langues, continuent d’influencer la littérature contemporaine.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? (récit autobiographique, 2011)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Dans une ville industrielle du Lancashire, au nord de l’Angleterre des années 1960, une petite fille de six semaines est adoptée par un couple de pentecôtistes. Son père, ouvrier d’usine effacé, se soumet à l’autorité écrasante de son épouse. Cette dernière, que Jeanette nomme tout au long du récit « Mrs Winterson », règne sur le foyer d’une main de fer. Persuadée que « le Diable les a menés vers le mauvais berceau », cette femme imposante de 130 kilos ne cesse de le rappeler à sa fille adoptive.
L’enfance de Jeanette se déroule sous le signe de la privation et de la violence psychologique. Mrs Winterson, obsédée par l’Apocalypse et la damnation éternelle, lui interdit toute lecture en dehors de la Bible. Les châtiments pleuvent : nuits passées sur le pas de la porte, enfermement dans le bunker à charbon. Jeanette, enfant rebelle au caractère bien trempée, trouve refuge dans les livres qu’elle cache sous son matelas. Quand sa mère les découvre et les brûle dans le jardin, la petite fille se jure d’en écrire elle-même.
À l’adolescence, Jeanette tombe amoureuse d’une fille. Sa mère, horrifiée, la soumet à un exorcisme de trois jours. À seize ans, suite à une seconde liaison, Mrs Winterson lui pose un ultimatum : renoncer à son homosexualité ou quitter la maison. Quand Jeanette lui confie qu’elle veut simplement être heureuse, sa mère lui lance cette phrase qui donnera son titre au livre : « Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? »
Contrainte de dormir dans sa Mini, Jeanette poursuit néanmoins ses études. Une enseignante la prend sous son aile et l’encourage à postuler à Oxford. Contre toute attente, elle y est admise. Vingt-cinq ans plus tard, alors qu’elle est devenue une écrivaine reconnue, une rupture amoureuse provoque chez elle une grave dépression. La découverte de ses papiers d’adoption, raturés avec rage, la précipite dans une quête vertigineuse : retrouver sa mère biologique. Ses recherches la confrontent à ses démons les plus intimes et suscitent en elle une question existentielle : peut-on apprendre à aimer quand on n’a jamais reçu d’amour ?
Autour du livre
Vingt-cinq ans après la publication de son premier roman semi-autobiographique « Les oranges ne sont pas les seuls fruits » (1985), Jeanette Winterson livre ici la véritable version de son histoire. L’écrivaine avoue avoir adouci certains aspects de son enfance dans son précédent ouvrage : « J’ai écrit une histoire avec laquelle je pouvais vivre. L’autre était trop douloureuse. Je n’aurais pas pu y survivre. »
Cette autobiographie s’inscrit dans le contexte social de l’Angleterre des années 1960-1970. Le Nord industriel y apparaît comme un monde à part, marqué par la pauvreté et un puritanisme religieux exacerbé. Winterson brosse le portrait d’une société ouvrière où les femmes, malgré leur force de caractère, restent soumises à l’autorité masculine et aux diktats sociaux.
La littérature y apparaît comme l’une des rares bouffées d’oxygène. Pour la jeune Jeanette, « Les livres sont un chez-soi. Les livres ne font pas un foyer – ils le sont, dans le sens où, de même que vous les ouvrez comme vous ouvrez une porte, vous entrez dedans. » Sa découverte méthodique de la littérature anglaise, qu’elle lit par ordre alphabétique à la bibliothèque municipale, témoigne d’une soif inextinguible de connaissances et d’évasion.
Le récit aborde également l’épineuse question de l’adoption et de l’identité. Winterson analyse avec lucidité les conséquences de ce double abandon – celui de sa mère biologique puis le rejet de sa mère adoptive. « Les enfants adoptés s’inventent eux-mêmes parce qu’ils y sont obligés ; il y a une absence, un vide, un point d’interrogation tout au début de nos vies. »
La critique littéraire salue unanimement la puissance et l’authenticité du texte. Julie Myerson, dans The Guardian, souligne sa « force brute » et sa « candeur désarmante ». Pour Zoe Williams, également dans The Guardian, il s’agit du « livre le plus émouvant de Winterson ». The Observer le qualifie de « témoignage sidérant et courageux ». « Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? » reçoit en 2012 le Prix Marie Claire du roman d’émotion.
Aux éditions POINTS ; 264 pages.
2. Les oranges ne sont pas les seuls fruits (roman, 1985)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Adoptée dès sa naissance, Jeanette grandit dans les années 1960 au sein d’une famille modeste du Lancashire, en Angleterre. Sa mère, fervente membre de l’Elim Pentecostal Church, a choisi cette enfant dans l’unique but d’en faire une missionnaire. Le père, figure effacée, ne compte guère dans cette éducation exclusivement tournée vers Dieu. Jusqu’à ses sept ans, Jeanette ne connaît que les rituels de sa communauté religieuse : distribution de tracts, prêches enflammés, lectures bibliques.
Contrainte par les autorités d’envoyer sa fille à l’école, la mère cède à contrecœur. Jeanette s’y trouve rapidement marginalisée : ses camarades fuient cette étrange fillette qui leur parle de démons et brode des sentences apocalyptiques. Sans amis de son âge, elle trouve du réconfort auprès d’Elsie, une vieille dame de la congrégation qui lui ouvre des horizons par-delà les textes sacrés.
À l’adolescence, Jeanette rencontre Melanie lors d’une séance d’étude biblique. Une tendre complicité naît entre les deux jeunes filles. Quand leur relation est découverte, la communauté religieuse entre en émoi : homosexualité et foi chrétienne ne sauraient coexister. La mère de Jeanette, horrifiée, organise des séances d’exorcisme pour purifier l’âme de sa fille. La jeune femme devra alors choisir entre sa foi, sa communauté, et ce qu’elle ressent au plus profond d’elle-même.
Autour du livre
Premier roman de Jeanette Winterson publié en 1985, « Les oranges ne sont pas les seuls fruits » puise sa matière dans sa propre enfance. Bien qu’elle se défende d’avoir écrit une autobiographie, préférant parler d’une « expansion fictionnelle du je », les parallèles entre sa vie et celle de son héroïne sont manifestes : même prénom, même éducation dans une famille pentecôtiste du Lancashire, même découverte de son homosexualité à l’adolescence.
La structure du roman s’articule autour des huit premiers livres de l’Ancien Testament, de la Genèse au Livre de Ruth. Cette architecture singulière permet à Winterson d’entrelacer le récit réaliste avec des contes, des légendes arthuriennes et des paraboles bibliques qui éclairent d’une lumière nouvelle le parcours initiatique de son héroïne. Cette narration en spirale, comme la qualifie l’autrice elle-même, questionne les liens entre réalité et fiction, entre histoire personnelle et mythologie.
Le roman dresse un portrait sans concession du fanatisme religieux des années 1960 et de ses conséquences dévastatrices sur les individus qui s’écartent du droit chemin. À travers le regard de Jeanette, tantôt candide, tantôt acéré, se dessine une communauté où la dévotion confine à l’absurde : on y exorcise les « passions contre nature », on y distribue des tracts sur les marchés pour sauver les âmes perdues, et l’on y considère que « la propreté est proche de la sainteté ».
Les maisons d’édition, initialement frileuses face à ce récit mêlant religion et homosexualité, doivent se rendre à l’évidence : Winterson frappe un grand coup. La critique salue unanimement l’audace et l’originalité de l’œuvre. Le prestigieux Whitbread Award (aujourd’hui Costa Book Awards) couronne ce premier roman en 1985. John Mullan, critique littéraire renommé, y voit un parfait exemple de Künstlerroman – roman de formation d’un artiste. The Guardian souligne la façon dont Winterson parvient à transcender les clichés du genre pour livrer une histoire universelle qui interroge la quête d’identité et les mécanismes de l’oppression.
Le succès du livre se prolonge à l’écran avec une adaptation par la BBC en 1990. Cette série télévisée, qui réunit Charlotte Coleman et Geraldine McEwan dans les rôles principaux, remporte le Prix Italia en 1991. Deux adaptations radiophoniques suivront : une version audio lue par Coleman en 1990 et une dramatisation en deux parties pour BBC Radio 4 en 2016, avec Lesley Sharp. « Les oranges ne sont pas les seuls fruits » s’impose également dans le cursus scolaire britannique, figurant aux programmes du GCSE et du A-Level.
Aux éditions POINTS ; 256 pages.
3. La passion (roman, 1987)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
Au début du XIXe siècle, Henri, un jeune Français issu d’une bourgade rurale, s’engage dans l’armée napoléonienne. Sa dévotion pour Bonaparte lui vaut d’être nommé cuisinier personnel de l’empereur, chargé de préparer les volailles dont ce dernier se repaît chaque soir avec voracité. En parallèle, à Venise, Villanelle, la fille d’un batelier née avec des pieds palmés, travaille dans un casino où elle se travestit en homme. Sa rencontre avec une noble vénitienne mariée bouleverse son existence : une histoire d’amour passionnée s’ensuit, au terme de laquelle son amante lui dérobe littéralement le cœur, qu’elle conserve dans un bocal.
Les destins d’Henri et Villanelle se croisent lors de la terrible campagne de Russie. Le jeune soldat, horrifié par les atrocités de la guerre et désillusionné par la mégalomanie de Napoléon, décide de déserter. Il tombe éperdument amoureux de Villanelle, qu’il suit jusqu’à Venise. Dans les méandres de cette ville aux allures de labyrinthe, Henri s’engage auprès d’elle dans une quête aussi périlleuse qu’extraordinaire : récupérer son cœur volé. Mais le mari violent de Villanelle se dresse sur leur route…
Autour du livre
Publié en 1987, alors que Jeanette Winterson n’a que 28 ans, « La passion » est son quatrième roman. Les retombées commerciales lui permettent de quitter ses autres emplois pour se consacrer entièrement à l’écriture. Fait notable : elle n’avait jamais visité Venise au moment de la rédaction.
Si le livre s’inscrit nominalement dans le cadre du roman historique, Winterson prend des libertés considérables avec la réalité historique pour créer une métafiction historiographique. La trame narrative entremêle le réalisme magique avec des éléments historiques tangibles : les pieds palmés de Villanelle côtoient la dévastation bien réelle de la campagne de Russie.
Le thème central de la passion irrigue l’ensemble des pages sous de multiples formes : passion guerrière de Napoléon, passion amoureuse de Villanelle, passion d’Henri pour Bonaparte puis pour Villanelle. Cette multiplicité des passions permet à Winterson d’interroger la nature même du désir et ses conséquences sur ceux qui en sont habités. Elle questionne également les constructions du genre et de la sexualité, notamment à travers le personnage de Villanelle qui transgresse les normes de son époque.
La critique littéraire accueille favorablement « La passion ». Kirkus Reviews salue un roman « fascinant » qui démontre des « pouvoirs considérables ». Le journal Vanity Fair célèbre en Winterson « une maîtresse de son art, une écrivaine au talent profond ». La BBC inclut « La passion » dans sa liste des 100 romans les plus inspirants en 2019. Il reçoit le John Llewellyn Rhys Prize, une prestigieuse récompense britannique.
Aux éditions POINTS ; 216 pages.
4. Frankissstein (roman, 2019)
Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac
Résumé
« Frankissstein » déploie deux récits qui se répondent à travers les siècles. En 1816, lors d’un séjour pluvieux à Genève, Mary Shelley, dix-neuf ans, commence l’écriture de « Frankenstein ». Aux côtés de son mari Percy Shelley, de Lord Byron et de sa demi-sœur Claire, elle s’interroge sur la possibilité de créer la vie artificiellement. Son histoire prend forme alors qu’elle traverse elle-même des épreuves tragiques, notamment la perte de ses enfants.
Deux siècles plus tard, dans une Grande-Bretagne marquée par le Brexit, le docteur Ry Shelley, médecin transgenre, rencontre le professeur Victor Stein. Ce dernier dirige des recherches secrètes sur l’intelligence artificielle et la préservation de la conscience humaine après la mort. Ry, séduit par les théories de Victor sur le dépassement des limites biologiques, lui fournit des membres humains pour ses expériences. Ron Lord, entrepreneur fraîchement divorcé, gravite autour d’eux avec son projet de robots sexuels nouvelle génération.
Tandis que Victor poursuit son ambition de télécharger l’esprit humain dans des machines, son comportement devient de plus en plus inquiétant, à l’instar du savant fou imaginé par Mary Shelley.
Autour du livre
Jeanette Winterson compose « Frankissstein » à l’occasion du bicentenaire de la publication de « Frankenstein » (1818) de Mary Shelley. Elle revisite le mythe en le projetant dans notre époque tourmentée par les questionnements sur l’intelligence artificielle, la robotique et le transhumanisme.
À Lord Byron répond Ron Lord, à Claire Clairmont répond Claire, une évangéliste. Cette architecture en miroir permet d’interroger les grands thèmes du roman originel : la création artificielle de la vie, la responsabilité du créateur envers sa création, les limites de la science. Le rapport au corps constitue l’un des fils conducteurs : Ry, par son identité transgenre, incarne la possibilité de modifier son enveloppe charnelle pour correspondre à son être profond.
Les questions éthiques soulevées par l’intelligence artificielle y occupent aussi une place centrale. Les débats concernent aussi bien la dimension philosophique – qu’est-ce que la conscience ? – que les implications pratiques, notamment à travers la commercialisation de robots sexuels par Ron Lord. Le roman s’interroge sur notre devenir dans un monde où l’être humain ne serait plus l’espèce la plus intelligente.
Le Brexit et ses conséquences servent de toile de fond à la partie contemporaine du récit. Cette ambiance politique instable fait écho aux bouleversements de l’époque de Mary Shelley, marquée par les révoltes des Luddites contre l’industrialisation. Dans les deux cas, la société fait face à des mutations technologiques majeures qui suscitent craintes et espoirs.
La critique littéraire a largement salué la parution de « Frankissstein ». The Guardian évoque « une méditation vertigineuse sur la responsabilité du créateur et les possibilités de l’intelligence artificielle ». The Independent y voit « un livre audacieux » qui parvient à fusionner « science dure et romantisme onirique ». The New York Times souligne l’habileté avec laquelle Winterson compose des « scènes viscérales imprégnées d’une atmosphère gothique ». Le roman a été sélectionné pour le Booker Prize 2019.
Aux éditions POINTS ; 384 pages.