Jean Teulé (1953-2022) est un auteur et dessinateur français aux multiples talents. Né à Saint-Lô d’un père charpentier communiste et d’une mère serveuse, il grandit à Arcueil en banlieue parisienne.
Sa carrière débute dans la bande dessinée à « L’Écho des savanes » en 1978, où il développe un style singulier mêlant photographie retravaillée et dessin. Il remporte plusieurs prix dont l’Alph-Art du meilleur album français au Festival d’Angoulême pour « Gens de France » (1989).
Après un passage à la télévision dans « L’Assiette anglaise » et « Nulle part ailleurs », il se consacre à l’écriture de romans à partir des années 1990. Il publie de nombreux best-sellers dont « Le Magasin des suicides » (2007), « Le Montespan » (2008, Prix Maison de la Presse), et « Crénom, Baudelaire ! » (2020). Ses œuvres, souvent inspirées de faits historiques, conjuguent humour noir et tragédie.
Compagnon de l’actrice Miou-Miou depuis 1998, Jean Teulé meurt le 18 octobre 2022 à Paris, à l’âge de 69 ans, des suites d’une intoxication alimentaire. Son dernier roman, « L’Histoire du roi qui ne voulait pas mourir », est publié à titre posthume un an après son décès.
Voici notre sélection de ses romans majeurs.
1. Darling (1998)
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Dans les années 1960, Catherine voit le jour dans une ferme normande, aussitôt rejetée par des parents qui auraient préféré un troisième fils. Sa mère la méprise, son père la frappe. Elle grandit en regardant passer les camions sur la nationale, près de la ferme familiale. Un seul espoir l’habite : qu’un routier l’emmène loin de cet univers paysan qu’elle exècre.
Son rêve se réalise quand elle rencontre par CB celui qui se fait appeler Roméo. Devenue « Darling », elle quitte tout pour le suivre. Mais cette fuite précipite sa chute : son mari la bat sauvagement, la prostitue à ses amis, la torture devant leurs enfants. Quand elle s’enfuit enfin, il s’en prend aux petits. Placés en foyer, les trois enfants sont séparés. Catherine devra se battre des années pour les revoir.
La force de ce récit tient dans l’alternance entre la narration brute des événements et les conversations entre Jean Teulé et sa cousine éloignée qui lui confie son histoire. Les phrases sèches, l’humour grinçant et l’absence totale de pathos créent un malaise qui ne quitte jamais le lecteur. Marina Foïs incarnera en 2007 cette héroïne cabossée dans une adaptation cinématographique remarquée.
Aux éditions POCKET ; 256 pages.
2. Je, François Villon (2006)
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Le Paris médiéval de 1431 voit naître François Villon le jour où les flammes dévorent Jeanne d’Arc. Orphelin d’un père pendu et d’une mère suppliciée, il trouve refuge auprès du chanoine Guillaume de Villon. Dans les murs du cloître Saint-Benoît-le-Bétourné, l’enfant apprend le latin, le grec et l’art des vers.
Le jeune clerc se révèle vite comme un génie de la poésie, mais aussi comme un être sans morale. Il fréquente les tavernes les plus sordides, vole, tue et rejoint même la terrible bande des Coquillards, ces brigands reconnaissables à leur pendentif en forme de coquille Saint-Jacques. Son talent lui ouvre les portes des cours princières tandis que ses crimes le mènent aux pires geôles du royaume. À trente-deux ans, banni de Paris, il s’évanouit dans la nature.
Cette biographie romancée mêle avec brio la violence crue du Moyen Âge et la beauté des poèmes de Villon. Les scènes de supplices alternent avec les ballades en ancien français, traduites et replacées dans leur contexte historique. Un portrait saisissant qui ranime la figure légendaire du « prince des poètes », entre génie littéraire et noirceur absolue.
Aux éditions POCKET ; 448 pages.
3. Le Montespan (2008)
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En 1663, Louis-Henri de Pardaillan, marquis de Montespan, épouse la belle Françoise de Rochechouart, dite Athénaïs. Le couple vit d’abord une passion intense, jusqu’à ce que l’épouse, lassée de leur vie modeste, devienne dame de compagnie à la cour de Louis XIV. Sa beauté et son esprit séduisent vite le roi, qui en fait sa maîtresse officielle.
À une époque où les maris tirent gloire et profit des infidélités royales de leurs épouses, le marquis de Montespan refuse cette situation. Fou d’amour, il brave l’autorité du monarque absolu : il orne son carrosse de cornes gigantesques, tente des stratagèmes extravagants pour récupérer sa femme et rejette les compensations financières. Cette rébellion lui vaut prison, exil et tentatives d’assassinat.
Cette histoire vraie se distingue par son ton irrévérencieux qui bouscule les conventions du roman historique. Le récit dévoile les coulisses peu reluisantes de Versailles – la crasse, les intrigues mesquines, la servilité des courtisans – tout en suivant ce Gascon obstiné qui osa défier le pouvoir royal par amour. Les situations cocasses alternent avec les moments pathétiques dans une narration où l’humour grinçant sert la critique sociale.
Aux éditions POCKET ; 320 pages.
4. Mangez-le si vous voulez (2009)
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Le 16 août 1870, Alain de Monéys, jeune notable périgourdin apprécié de tous, se rend à la foire de Hautefaye. La France est alors en guerre contre la Prusse, et la sécheresse accable les paysans. Suite à un malentendu où on lui prête des propos favorables à l’ennemi, la foule se retourne contre lui.
En quelques minutes, six cents villageois basculent dans une frénésie meurtrière. Pendant deux heures, ils torturent celui qui était leur ami la veille. Malgré l’intervention de quelques rares défenseurs, la violence s’intensifie jusqu’à l’impensable : Alain est brûlé vif, et certains villageois mangent sa chair. Le lendemain, revenus à la raison, beaucoup ne comprennent même plus ce qui s’est passé.
Cette histoire vraie met à nu les mécanismes de la barbarie collective avec une précision chirurgicale. Les phrases courtes claquent comme des coups. L’humour noir s’immisce dans les scènes les plus atroces, rendant le texte plus insoutenable encore. Le récit se construit comme un chemin de croix, chaque chapitre s’ouvrant sur une carte du village qui suit pas à pas la progression du supplice. Vingt-et-un villageois seront jugés, mais comment punir toute une communauté ?
Aux éditions POCKET ; 128 pages.
5. Azincourt par temps de pluie (2022)
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Le 25 octobre 1415, sous une pluie battante, deux armées se font face dans l’Artois. D’un côté, des milliers de soldats anglais épuisés par la dysenterie, qui ne songent qu’à rentrer chez eux par Calais. De l’autre, la fine fleur de la chevalerie française, plus nombreuse et sûre de sa victoire, menée par Charles d’Orléans. La veille encore, les nobles français festoyaient, persuadés d’écraser facilement cette « vermine anglaise ».
Cette bataille qui s’annonce comme une simple formalité va pourtant tourner au désastre. Dans la boue jusqu’aux genoux, prisonniers de leurs lourdes armures et de leur vanité, les chevaliers français s’enlisent. Face à eux, les archers anglais du roi Henri V tirent sans relâche. En quelques heures, la morgue des nobles se transforme en boucherie : plus de 6000 Français périront dans ce qui restera comme l’une des plus humiliantes défaites de l’Histoire de France.
Ce roman de Jean Teulé mêle avec brio le français médiéval et l’argot contemporain pour raconter cette catastrophe militaire. À travers le regard de Fleur de Lys, prostituée au bon sens prophétique qui suit l’armée française, le texte décortique avec un humour féroce l’absurdité d’une bataille perdue d’avance par l’arrogance et l’incompétence tactique.
Aux éditions J’AI LU ; 224 pages.
6. Le Magasin des suicides (2007)
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Dans un futur proche où règnent la morosité et le désespoir, la famille Tuvache tient depuis dix générations une boutique singulière : le Magasin des suicides. Les clients y trouvent tout le nécessaire pour mettre fin à leurs jours, des cordes tressées aux poisons artisanaux, en passant par les kits de hara-kiri. Mishima et Lucrèce Tuvache, experts dans l’art de conseiller une mort sur mesure, perpétuent la tradition avec leurs deux aînés, Vincent et Marilyn, aussi sinistres qu’eux.
Mais la naissance accidentelle d’Alan, leur benjamin, bouleverse cet équilibre macabre. Rayonnant de joie, l’enfant chante, rit et s’obstine à voir le bon côté des choses. Ses parents tentent désespérément de le ramener sur « le droit chemin de la tristesse », tandis que sa bonne humeur contagieuse menace la rentabilité du commerce familial.
Cette fable grinçante manie l’absurde avec une précision d’horloger. L’humour noir y côtoie une tendresse inattendue, contraste saisissant entre la noirceur du sujet et la légèreté du ton. Adaptée en film d’animation par Patrice Leconte en 2012, cette histoire déjantée cache sous ses allures de comédie macabre une réflexion sur la force vitale et la résistance au cynisme ambiant.
Aux éditions POCKET ; 160 pages.
7. Crénom, Baudelaire ! (2020)
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En 1821 naît Charles Baudelaire, enfant chéri d’une mère qu’il idolâtre jusqu’au jour où elle épouse le commandant Aupick, peu après son veuvage. Cette blessure d’abandon forge un caractère rebelle que même un exil forcé sur un navire vers les Indes ne parvient pas à dompter. De retour à Paris, le jeune homme se lance dans une existence dissolue, brûlant en quelques mois l’héritage paternel.
Mis sous tutelle à vingt-trois ans, Baudelaire mène une vie d’errance entre chambres sordides et cafés littéraires. Il s’abîme dans l’opium et le haschich, fréquente les prostituées dont Jeanne Duval qui deviendra sa muse tourmentée. Dans ce chaos, il travaille obstinément à son recueil Les Fleurs du Mal, déterminé à créer une poésie nouvelle qui scandalise la bourgeoisie bien-pensante.
La plume acérée de Jean Teulé fait surgir un Baudelaire sans fard, être détestable et génial qui traverse le Second Empire en punk avant l’heure. Les dialogues cinglants, les scènes crues et l’humour musclé s’entrechoquent avec les vers sublimes qui naissent de cette existence chaotique. Les rencontres avec les grandes figures artistiques de l’époque – Courbet, Manet, Flaubert – dessinent le portrait d’un Paris en pleine mutation sous Haussmann.
Aux éditions J’AI LU ; 448 pages.
8. Ô Verlaine ! (2004)
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À l’automne 1895, un adolescent de Béziers, Henri-Albert Cornuty, entreprend un long périple à pied jusqu’à Paris. Son but : rencontrer Paul Verlaine, dont la lecture des « Poèmes saturniens » l’a bouleversé. Il trouve un homme de 51 ans au bout du rouleau, qui subsiste en écrivant des vers pour ses deux compagnes : une ex-danseuse cupide et une prostituée qu’il aime éperdument.
Les derniers mois de la vie de Verlaine sont un tourbillon d’excès. Miné par huit maladies différentes dont la syphilis et la cirrhose, il dilapide dans l’absinthe l’argent que ses amis lui donnent. Le préfet Lépine lui-même ordonne à ses policiers de fermer les yeux sur ses frasques. Et tandis que le poète sombre, les étudiants du Quartier latin en font leur héros, séduits par sa liberté de ton et son génie poétique.
La juxtaposition des poèmes et de la vie sordide de leur auteur insuffle au livre sa puissance. Le Paris des bas-fonds reprend vie avec ses odeurs, ses taudis et ses personnages hauts en couleur. Les scènes d’ivresse alternent avec des moments de grâce où la poésie surgit, pure et lumineuse, du chaos d’une existence qui court à sa fin.
Aux éditions POCKET ; 352 pages.
9. Charly 9 (2011)
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En 1572, le jeune Charles IX règne sur une France déchirée par les guerres de religion. À 22 ans, sous la pression de sa mère Catherine de Médicis et de son frère cadet Henri – le favori maternel surnommé « Mes Chers Yeux » – il ordonne le massacre de la Saint-Barthélemy. Cette nuit sanglante voit des milliers de protestants périr dans les rues de Paris, puis dans tout le royaume.
Rongé par la culpabilité, le roi sombre peu à peu dans la démence. Il organise des chasses à courre dans les couloirs du Louvre, fabrique de la fausse monnaie pour nourrir son peuple affamé, teste lui-même les selles de ses chevaux, et multiplie les excentricités meurtrières. Son corps lui-même se révolte : il commence à transpirer du sang. À 23 ans, épuisé et haï de tous, Charles IX s’éteint dans d’étranges circonstances.
Les dialogues truculents et le vocabulaire délibérément anachronique bousculent les codes du roman historique. L’horreur côtoie constamment le burlesque dans ce récit où un roi dérangé court nu dans les couloirs du Louvre. Cette relecture iconoclaste de l’Histoire de France mêle l’humour le plus noir aux faits historiques avérés, comme la création involontaire du poisson d’avril par ce souverain maudit.
Aux éditions POCKET ; 224 pages.
10. Les lois de la gravité (2003)
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Par une nuit pluvieuse, une femme entre dans un commissariat de Normandie. Face au lieutenant Gilles Pontoise, elle avoue avoir tué son mari dix ans plus tôt en le poussant du onzième étage de leur HLM. À l’époque, la police avait conclu à un suicide, ce qui n’avait surpris personne : l’homme, alcoolique et violent, multipliait les tentatives pour en finir.
Il ne reste que trois heures avant la prescription du crime. La femme, rongée par la culpabilité, veut purger sa peine. Mais Pontoise refuse catégoriquement de l’arrêter : comment condamner une victime qui s’est débarrassée de son bourreau ? S’engage alors un face-à-face tendu où chacun campe sur ses positions, entre une meurtrière qui exige son châtiment et un policier bien décidé à la sauver malgré elle.
Ce huis clos nocturne, inspiré d’un fait divers, mêle l’absurde au tragique avec une économie de moyens remarquable. Les dialogues incisifs alternent avec des silences lourds de sens, tandis que les deux protagonistes se livrent par bribes. Le roman a été adapté au théâtre en 2010, puis au cinéma en 2013 sous le titre « Arrêtez-moi ».
Aux éditions POCKET ; 144 pages.