Jean-Jacques Rousseau naît à Genève le 28 juin 1712. Sa mère meurt quelques jours après sa naissance, le laissant aux soins de son père Isaac, horloger de profession. Enfant, il lit beaucoup en compagnie de son père, mais ce dernier doit fuir Genève en 1722 suite à une altercation. Le jeune Jean-Jacques est alors confié à son oncle qui le place en apprentissage chez un graveur.
En 1728, à l’âge de seize ans, il fuit son apprentissage et trouve refuge auprès de Madame de Warens en Savoie. Cette femme devient sa protectrice et plus tard sa maîtresse. C’est auprès d’elle qu’il s’instruit et développe son goût pour la musique. Après diverses pérégrinations, il arrive à Paris en 1742 où il fréquente les milieux intellectuels et rencontre Diderot.
Sa carrière littéraire démarre véritablement en 1750 avec son « Discours sur les sciences et les arts » qui remporte le prix de l’Académie de Dijon. Il publie ensuite plusieurs œuvres majeures : « Julie ou la Nouvelle Héloïse » (1761), « Du contrat social » (1762) et « Émile ou de l’éducation » (1762). Ces deux derniers ouvrages sont condamnés et Rousseau doit fuir la France.
S’ensuivent des années d’errance entre la Suisse, l’Angleterre et la France, marquées par un sentiment croissant de persécution. Il rédige alors ses œuvres autobiographiques : « Les Confessions », « Rousseau juge de Jean-Jacques » et « Les Rêveries du promeneur solitaire ». En 1768, il épouse Thérèse Levasseur, sa compagne de longue date avec qui il a eu cinq enfants, tous abandonnés aux Enfants-Trouvés.
Rousseau meurt le 2 juillet 1778 à Ermenonville, où il s’était retiré sur l’invitation du marquis de Girardin. En 1794, ses restes sont transférés au Panthéon, consacrant sa place parmi les grandes figures qui ont marqué l’histoire de France. Philosophe, écrivain, musicien, botaniste, Rousseau laisse une œuvre considérable qui influence profondément la pensée politique moderne et le romantisme. Ses idées sur l’éducation, la nature et la société continuent d’alimenter les débats contemporains.
Voici notre sélection de ses livres majeurs.
1. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (essai de philosophie politique, 1755)
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En 1755, Rousseau publie son « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes », en réponse à une question posée par l’Académie de Dijon : « Quelle est l’origine de l’inégalité parmi les hommes, et si elle est autorisée par la loi naturelle ? ». Bien qu’il n’obtienne pas le prix convoité, ce texte devient l’un des ouvrages majeurs de la pensée politique moderne. Pour y répondre, Rousseau distingue d’emblée deux types d’inégalités : l’inégalité naturelle ou physique, qui relève des différences corporelles entre les individus, et l’inégalité morale ou politique, qui découle des conventions sociales.
Dans la première partie du discours, Rousseau dépeint l’homme dans son « état de nature ». Cet être originel n’est ni bon ni mauvais moralement, mais guidé par deux principes fondamentaux : l’amour de soi, qui assure sa conservation, et la pitié naturelle, qui lui fait répugner à voir souffrir ses semblables. Contrairement aux théories de Hobbes, l’homme naturel n’est pas en guerre perpétuelle avec ses congénères. Il vit de manière solitaire, sans langage élaboré ni raison développée, mais doté d’une faculté unique : la perfectibilité, qui lui permet de s’adapter et d’évoluer. Ses besoins sont simples – nourriture, repos, reproduction – et la nature généreuse les satisfait aisément.
La seconde partie retrace la genèse des inégalités sociales. Le basculement survient avec l’invention de la propriété privée, que Rousseau résume par la formule célèbre : « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile ». Cette première appropriation engendre une cascade de transformations : développement de l’agriculture et de la métallurgie, division du travail, émergence de la richesse et de la pauvreté. Pour protéger leurs biens, les riches proposent un pacte social aux pauvres, instaurant des lois qui institutionnalisent leur domination. Les inégalités naturelles, initialement négligeables, se trouvent ainsi amplifiées et légitimées par le droit positif.
La démonstration culmine avec l’analyse du dernier stade de l’inégalité : le despotisme, où le pouvoir arbitraire d’un seul réduit tous les autres à l’esclavage. Rousseau montre comment ce processus de corruption sociale transforme l’homme naturel, autosuffisant et paisible, en un être dépendant, tourmenté par l’amour-propre et l’opinion d’autrui. L’histoire humaine apparaît ainsi comme une longue décadence, où le progrès technique et social s’accompagne paradoxalement d’une dégradation morale.
Dans une série de notes qui accompagnent le discours, Rousseau développe plusieurs points complémentaires, notamment l’origine des langues, la comparaison avec les sociétés primitives contemporaines, et la critique des théories politiques de son temps. Il démontre que l’inégalité, loin d’être naturelle ou légitime, résulte d’une usurpation historique que les institutions politiques ont transformée en droit.
L’ouvrage se distingue par sa méthode originale : plutôt que de s’appuyer sur des faits historiques, Rousseau développe une fiction théorique pour mettre en lumière les mécanismes de l’inégalité. Cette approche lui permet de réfuter les théories de ses prédécesseurs, notamment Hobbes qui voyait dans l’homme naturel un être violent.
Le texte suscite immédiatement de vives réactions. Voltaire lui écrit : « On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes ». L’Église catholique condamne l’ouvrage, y voyant une négation du péché originel. Pourtant, son influence s’avère considérable : les révolutionnaires français s’en inspireront, et ses idées sur la propriété comme source d’inégalité nourriront les réflexions socialistes du XIXe siècle.
Le discours marque également une étape cruciale dans l’évolution de la pensée de Rousseau. Les thèmes qu’il y développe – la critique de la propriété, l’opposition entre nature et culture, la perfectibilité humaine – constituent le socle de ses œuvres ultérieures, notamment « Du contrat social ». Sa vision pessimiste du progrès et sa critique de la civilisation en font un précurseur de nombreux courants de pensée contemporains. John Rawls, théoricien majeur de la justice sociale au XXe siècle, reconnaît explicitement sa « dette » envers cette œuvre fondatrice.
Aux éditions FLAMMARION ; 304 pages.
2. Du contrat social (essai de philosophie politique, 1762)
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« Du contrat social », publié en 1762, représente l’aboutissement de la réflexion politique de Jean-Jacques Rousseau. Face aux monarchies absolues de son temps, le philosophe genevois s’interroge sur les conditions d’un pouvoir politique légitime. Son point de départ est radical : ni la force, ni la tradition, ni le droit divin ne peuvent justifier l’autorité d’un homme sur un autre. Seul un pacte librement consenti entre égaux peut fonder une société juste.
Le Livre I pose les fondements de la théorie politique de Rousseau. Il s’ouvre sur la célèbre formule « L’homme est né libre, et partout il est dans les fers », qui souligne le paradoxe de la condition humaine en société. Rousseau y rejette catégoriquement l’idée que la force puisse créer le droit, réfutant ainsi toute légitimation du despotisme par la puissance. Il démontre également l’impossibilité de justifier l’esclavage, même volontaire, car nul ne peut aliéner légitimement sa liberté. La solution qu’il propose est le contrat social : un pacte par lequel chaque individu met en commun sa personne et ses biens sous l’autorité de la volonté générale.
Le Livre II traite de la souveraineté et de la loi. Rousseau y développe sa conception de la volonté générale, distincte de la simple volonté de tous. La volonté générale vise toujours l’intérêt commun, tandis que la volonté de tous n’est qu’une somme d’intérêts particuliers. Cette volonté générale s’exprime par des lois qui doivent avoir un caractère universel. Rousseau introduit aussi la figure du « Législateur », personnage extraordinaire capable de proposer de bonnes lois tout en laissant au peuple le pouvoir de les adopter.
Le Livre III se penche sur les différentes formes de gouvernement. Rousseau distingue soigneusement le souverain (le peuple) du gouvernement (l’administration). Il pèse les avantages et inconvénients de la démocratie, de l’aristocratie et de la monarchie. Pour lui, chaque forme de gouvernement convient à des États de taille différente : la démocratie aux petits États, l’aristocratie aux moyens, la monarchie aux grands. Il met en garde contre les risques de dégénérescence de chaque système et insiste sur l’importance des assemblées régulières du peuple souverain.
Le Livre IV aborde des questions plus pratiques. Il traite des élections, des votes, et introduit l’importante notion de religion civile. Pour Rousseau, l’État a besoin d’une forme de religion qui renforce le lien social sans être intolérante. Il critique le christianisme traditionnel comme incompatible avec une bonne organisation politique, car il détourne les citoyens des affaires terrestres. La religion civile qu’il propose doit se limiter à quelques dogmes simples : l’existence de Dieu, la vie future, la récompense des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du contrat social et des lois.
À travers ces quatre livres, Rousseau développe une théorie cohérente du pouvoir légitime. L’originalité de sa pensée réside dans l’articulation entre liberté individuelle et souveraineté populaire : en obéissant à la volonté générale, le citoyen n’obéit en réalité qu’à lui-même et reste donc libre. Le pacte social transforme une multitude d’individus isolés en un corps politique uni, où chacun est à la fois membre du souverain qui fait les lois et sujet qui leur obéit. Cette double qualité garantit que les lois seront toujours justes, car nul ne peut vouloir se nuire à soi-même.
La genèse de l’ouvrage remonte au séjour vénitien de Rousseau en 1743-1744. Alors secrétaire d’ambassade, il observe le fonctionnement d’une république aristocratique qu’il jugera plus tard corrompue. « Du contrat social » devait initialement faire partie d’un projet plus vaste sur les institutions politiques, dont il constitue finalement le seul aboutissement. Sa rédaction s’achève dans un contexte tendu : Rousseau, en rupture avec les philosophes des Lumières, s’est réfugié à Montmorency.
Le texte provoque un séisme intellectuel et politique. Condamné à être brûlé à Paris et à Genève, il circule clandestinement dans toute l’Europe. Ses thèses nourrissent directement la pensée révolutionnaire : Robespierre se réclame explicitement de Rousseau. Son influence s’étend jusqu’aux États-Unis naissants, où Jefferson et Adams méditent ses propositions. Il marque durablement la philosophie allemande, de Kant à Hegel.
La modernité du « Contrat social » tient à sa manière de poser les questions fondamentales de la politique : qu’est-ce qui fait qu’un pouvoir est légitime ? Comment concilier liberté individuelle et vie collective ? Comment instituer une société juste ? En plaçant la souveraineté populaire au cœur de sa réflexion, Rousseau anticipe les débats démocratiques contemporains. Ses idées sur la tension entre volonté générale et intérêts particuliers, sur les limites de la représentation politique ou sur le rôle de la religion civile gardent toute leur pertinence.
Aux éditions FLAMMARION ; 256 pages.
3. Émile ou de l’éducation (essai de philosophie de l’éducation, 1762)
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Publié en 1762, « Émile ou de l’éducation » relate l’éducation d’un jeune garçon depuis sa naissance jusqu’à son mariage. Jean-Jacques Rousseau y met en scène un précepteur – lui-même – chargé de former un élève imaginaire, Émile, selon des principes radicalement nouveaux pour l’époque. L’enfant, issu d’une famille aisée mais orphelin, est élevé à la campagne, loin des influences corruptrices de la société.
Son éducation suit cinq phases distinctes : la petite enfance jusqu’à 2 ans, où l’accent est mis sur le développement physique ; l’âge de nature de 2 à 12 ans, consacré à l’éducation sensorielle ; la période de 12 à 15 ans, dédiée à la formation intellectuelle ; l’adolescence de 15 à 20 ans, tournée vers l’éducation morale et religieuse ; et enfin l’âge adulte, où Émile rencontre Sophie, sa future épouse.
Le précepteur applique une « éducation négative » : plutôt que d’inculquer des préceptes, il laisse l’enfant faire ses propres expériences et découvertes, se contentant d’aménager son environnement. Émile apprend ainsi à devenir autonome, à développer son jugement, à résister aux préjugés sociaux. Le texte s’achève sur son mariage avec Sophie, dont l’éducation, décrite dans le dernier livre, reflète la conception rousseauiste des rôles genrés.
L’ouvrage déclencha un scandale retentissant dès sa parution. Condamné par le Parlement de Paris et l’archevêque Christophe de Beaumont, il fut brûlé publiquement à Paris puis à Genève, principalement en raison de la « Profession de foi du Vicaire savoyard », un long passage du livre IV proposant une religion naturelle détachée des dogmes établis. Rousseau dut fuir en Suisse pour échapper à l’arrestation.
Cette controverse n’empêcha pas « Émile ou de l’éducation » de devenir l’un des textes fondateurs de la pédagogie moderne. Les propositions de Rousseau – respect du développement naturel de l’enfant, importance de l’expérience directe, apprentissage par la découverte – ont profondément influencé les théories éducatives ultérieures, de Pestalozzi à Maria Montessori, en passant par Friedrich Fröbel.
L’originalité de l’œuvre tient aussi à sa forme hybride, mêlant traité philosophique et roman d’éducation. Cette structure narrative permet à Rousseau d’incarner ses théories dans des situations concrètes tout en développant une réflexion plus large sur la nature humaine et la société. « Émile ou de l’éducation » constitue ainsi le pendant pédagogique du « Contrat social », publié la même année : là où ce dernier propose de régénérer la société par les institutions, « Émile ou de l’éducation » vise à former un homme nouveau capable de préserver sa bonté naturelle au sein d’une civilisation corrompue.
Aux éditions FLAMMARION ; 848 pages.
4. Julie ou la Nouvelle Héloïse (roman épistolaire, 1761)
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En 1761, Jean-Jacques Rousseau publie « Julie ou la Nouvelle Héloïse », un roman épistolaire qui deviendra l’un des plus grands succès littéraires du XVIIIe siècle.
L’histoire se déroule en Suisse, sur les rives du lac Léman. Julie d’Étange, une jeune aristocrate, tombe amoureuse de son précepteur : un roturier du nom de Saint-Preux. Leur amour, impossible en raison de leur différence sociale, s’exprime d’abord à travers une correspondance secrète, puis quelques rencontres arrangées par Claire, la cousine de Julie.
Le père de Julie, inflexible sur les questions de rang social, force les amants à se séparer. Saint-Preux part pour Paris, puis entreprend un voyage autour du monde. Entre-temps, Julie, accablée par la mort de sa mère qui avait découvert leur liaison, accepte d’épouser M. de Wolmar, un ami de son père. À son retour, Saint-Preux trouve Julie mariée et mère de deux enfants. Le destin frappe une dernière fois : Julie meurt de maladie après avoir sauvé son fils de la noyade. Dans une ultime lettre à Saint-Preux, elle avoue n’avoir jamais cessé de l’aimer.
Le succès du roman fut tel que les libraires en vinrent à le louer à l’heure, faute d’exemplaires disponibles. Des lecteurs passionnés écrivaient à Rousseau pour s’enquérir du sort des personnages, refusant de croire qu’il s’agissait d’une fiction. Cette œuvre marque l’avènement d’une nouvelle sensibilité qui influencera profondément la littérature romantique.
Le roman transcende la simple histoire d’amour pour devenir un manifeste philosophique sur l’authenticité des sentiments face aux conventions sociales. À travers le microcosme de Clarens, le domaine des Wolmar, Rousseau esquisse sa vision d’une société idéale fondée sur la vertu et l’harmonie naturelle. Il y aborde des thématiques diverses : la légitimité du suicide, la question religieuse, l’éducation des enfants ou encore la critique de la société parisienne.
Cette fresque sentimentalo-philosophique fut mise à l’Index en 1806, signe de sa portée subversive. Schopenhauer la considérait comme l’un des quatre plus grands romans jamais écrits, aux côtés du « Don Quichotte », de « Tristram Shandy » et des « Années d’apprentissage de Wilhelm Meister ». Son influence se mesure notamment dans « Les souffrances du jeune Werther » de Goethe, publié treize ans plus tard.
Aux éditions FLAMMARION ; 992 pages.
5. Les Confessions (autobiographie, 1764-1770)
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« Les Confessions », rédigées entre 1764 et 1770, constituent le premier grand projet autobiographique de la littérature moderne. Jean-Jacques Rousseau y relate ses cinquante-trois premières années, de sa naissance à Genève en 1712 jusqu’à son exil en 1765.
La mort de sa mère en couches le laisse aux soins de son père, un horloger passionné de lecture qui lui transmet très tôt le goût des lettres. Après une enfance genevoise marquée par la découverte de Plutarque et des romans d’aventures, il fuit sa ville natale à seize ans, entamant une existence d’errance qui le mène en Savoie.
Sa rencontre avec Madame de Warens, qu’il surnomme « Maman », bouleverse sa trajectoire. Cette aristocrate convertie au catholicisme devient sa protectrice, son mentor et plus tard son amante. Durant ces années formatrices aux Charmettes, Rousseau s’initie à la musique, aux mathématiques et à la philosophie. Son installation à Paris en 1742 marque un nouveau tournant : il côtoie les philosophes des Lumières, débute une relation avec Thérèse Levasseur et remporte en 1750 le prix de l’Académie de Dijon qui le propulse sur la scène intellectuelle.
Le texte se caractérise par une sincérité radicale qui rompt avec les conventions de son époque. Rousseau ne dissimule ni ses humiliations ni ses fautes, qu’il s’agisse du vol d’un ruban dont il accuse une servante innocente ou de l’abandon de ses cinq enfants aux Enfants-Trouvés. Cette volonté de transparence totale sert un projet philosophique : démontrer que la vérité d’un être réside dans l’exposition complète de sa nature, sans filtre moral ou social.
L’œuvre connaît un destin singulier. Interdite de lecture publique du vivant de l’auteur sous la pression de personnalités influentes comme Louise d’Épinay, elle ne paraît qu’après sa mort : la première partie en 1782, la seconde en 1789. Son impact sur la littérature européenne s’avère considérable. Goethe, Stendhal, Chateaubriand s’en inspirent directement pour leurs propres autobiographies.
La réception des « Confessions » déclenche d’intenses débats qui perdurent jusqu’à aujourd’hui. L’autopsie pratiquée après la mort de Rousseau révèle que plusieurs des maux physiques qu’il décrit minutieusement n’ont pas de base organique, nourrissant les interrogations sur la nature de ses troubles psychiques. Cette tension entre vérité objective et vérité subjective constitue l’un des principaux enjeux de l’œuvre.
Aux éditions FLAMMARION ; 430 pages.
6. Les Rêveries du promeneur solitaire (autobiographie, 1776-1778)
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En 1776, Jean-Jacques Rousseau, alors âgé de 64 ans, entame la rédaction de son dernier ouvrage à Paris. Persuadé d’être la cible d’une conspiration généralisée, il se sent désormais « seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que lui-même ». Après s’être longtemps débattu contre ses présumés persécuteurs, il renonce finalement à toute résistance et trouve dans cette capitulation une forme inattendue de paix intérieure. C’est dans cet état d’esprit qu’il entreprend une série de promenades solitaires dans Paris et ses environs, notamment à Ménilmontant et Charonne.
Ses errances donnent naissance à dix « promenades », chapitres où se mêlent méditations philosophiques et observations naturalistes. Un événement décisif survient le 24 octobre 1776 : lors d’une promenade près de Ménilmontant, un chien le renverse violemment. Cette chute provoque une perte de conscience que Rousseau interprète comme une expérience quasi mystique, un moment d’harmonie parfaite où il se sent libéré du carcan social. La rédaction s’interrompt brutalement pendant la dixième promenade : Rousseau meurt d’une attaque cérébrale en juillet 1778, laissant l’œuvre inachevée.
Ce testament littéraire marque une rupture avec les codes de son temps. Dans une société où l’individu n’existait qu’à travers son rang et sa fonction, Rousseau ose mettre en scène sa subjectivité sans fard. Il s’écarte délibérément des conventions du genre autobiographique : ni mémoires aristocratiques centrés sur les hauts faits, ni confessions religieuses guidées par la recherche du salut. Son texte suit les méandres de sa pensée, accordant autant d’importance à une observation botanique qu’à une réflexion métaphysique.
Les séjours sur l’île Saint-Pierre constituent l’un des moments clés de l’ouvrage. Dans ce havre isolé au milieu du lac de Bienne, Rousseau atteint un état de grâce qu’il décrit minutieusement : allongé dans sa barque, bercé par les vagues, il parvient à suspendre le cours de ses pensées pour goûter la pure sensation d’exister.
La publication posthume en 1782 exerce une influence déterminante sur la naissance du romantisme. En réhabilitant la rêverie, jusque-là méprisée comme une forme d’égarement mental, Rousseau légitime une nouvelle sensibilité. La nature n’y apparaît plus comme un simple décor mais comme le miroir des états d’âme, préfigurant ainsi la sensibilité romantique qui dominera le siècle suivant.
Aux éditions FLAMMARION ; 240 pages.
7. Discours sur les sciences et les arts (essai académique, 1749)
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En 1749, l’Académie de Dijon lance un concours invitant les penseurs à répondre à une question : « Le rétablissement des sciences et des arts a-t-il contribué à épurer les mœurs ? » Jean-Jacques Rousseau, alors relativement méconnu, découvre cette interrogation dans le Mercure de France lors d’une promenade vers Vincennes où il va rendre visite à son ami Diderot, emprisonné. De cette inspiration naît un essai qui, couronné par l’Académie en juillet 1750, propulse son auteur sur le devant de la scène philosophique à l’âge de 38 ans.
Dans ce discours structuré en deux parties, Rousseau soutient que les arts et les sciences, loin d’améliorer la moralité, ont contribué à sa corruption. Il oppose la vertu naturelle des peuples primitifs au raffinement artificiel des sociétés civilisées. Les sciences et les arts apparaissent comme des instruments de servitude qui, selon ses mots, « étendent des guirlandes de fleurs sur les chaînes de fer dont les hommes sont chargés ». À travers des exemples historiques comme Sparte et Athènes, il démontre que la simplicité des mœurs et le courage militaire s’effacent à mesure que progressent les connaissances et le luxe.
Le texte déclenche immédiatement une controverse majeure dans les cercles intellectuels européens. Des personnalités comme Stanislas Leszczynski, ancien roi de Pologne, ou l’abbé Raynal publient des réfutations auxquelles Rousseau répond méticuleusement. Cette polémique contribue à établir sa réputation de penseur original et provocateur. Le discours marque également une rupture avec les philosophes des Lumières, dont il partageait jusque-là les orientations.
L’importance historique de ce premier discours dépasse largement le cadre du concours qui l’a suscité. Il constitue l’acte fondateur de la critique rousseauiste de la civilisation, qui trouvera son prolongement dans le « Discours sur l’inégalité » et « Du contrat social ». Sa remise en cause radicale du progrès comme source de bonheur moral annonce les grands débats qui traverseront les siècles suivants sur les effets de la modernité.
La modernité du propos frappe encore aujourd’hui. Les interrogations sur le rapport entre progrès technique et progrès moral, sur l’aliénation de l’homme par ses propres créations, sur la nostalgie d’une authenticité perdue trouvent un écho particulier à notre époque. L’influence du texte s’est étendue bien au-delà de l’Europe : au Japon par exemple, sa traduction partielle dès 1880 par Nakae Chômin a alimenté les débats sur la modernisation du pays sous l’ère Meiji.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 96 pages.