Jean Giraudoux naît le 29 octobre 1882 à Bellac, dans une famille modeste. Excellent élève, il poursuit des études brillantes qui le mènent à l’École normale supérieure. Passionné par la culture allemande, il étudie à Munich et voyage à travers l’Europe. En 1910, il entame une carrière diplomatique.
La Première Guerre mondiale marque un tournant dans sa vie : mobilisé comme sergent, il est blessé deux fois et décoré. Après la guerre, il poursuit sa carrière au Quai d’Orsay tout en se consacrant à l’écriture. Ses premiers romans, notamment « Suzanne et le Pacifique » (1921) et « Siegfried et le Limousin » (1922), rencontrent le succès.
Sa rencontre avec Louis Jouvet en 1927 oriente sa carrière vers le théâtre. Il écrit alors ses pièces les plus célèbres : « Amphitryon 38 » (1929), « La guerre de Troie n’aura pas lieu » (1935), « Électre » (1937) et « Ondine » (1939). Son théâtre se caractérise par un mélange de poésie, de fantaisie et de réflexion sur les grands enjeux de son époque.
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Giraudoux devient Commissaire général à l’information. Pendant l’Occupation, sa position reste ambiguë. Il continue néanmoins à écrire, notamment « La Folle de Chaillot », qui sera jouée après sa mort.
Jean Giraudoux meurt le 31 janvier 1944 à Paris, laissant une œuvre marquée par l’élégance du style et une réflexion sur les relations franco-allemandes, la guerre et la paix. Son fils Jean-Pierre, engagé dans les Forces navales françaises libres dès 1940, perpétue son héritage.
Voici notre sélection de ses pièces de théâtre majeures.
1. Amphitryon 38 (1929)
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Résumé
Dans cette adaptation du mythe grec, Jupiter s’éprend d’Alcmène, une mortelle d’une fidélité exemplaire envers son époux Amphitryon. Pour la première fois de son existence divine, le maître de l’Olympe choisit de séduire une femme en empruntant une forme humaine : celle de son mari. Secondé par Mercure qui prend l’apparence de Sosie, le serviteur d’Amphitryon, Jupiter orchestre l’éloignement du général et parvient à ses fins. Mais son désir de reconnaissance publique se heurte à la résistance d’Alcmène, qui préfère la mort au déshonneur. L’intervention de Léda, une précédente conquête de Jupiter, permet à Alcmène d’échapper au dieu par la ruse. Jupiter, touché par cette humanité qui lui résiste, accepte finalement de renoncer à son projet, se contentant d’obtenir que son futur fils porte le nom d’Hercule.
Autour de la pièce
Créée en 1929 à la Comédie des Champs-Élysées dans une mise en scène de Louis Jouvet, « Amphitryon 38 » marque la deuxième grande réussite théâtrale de Jean Giraudoux. Le titre fait référence aux trente-sept versions précédentes de ce mythe, notamment celles de Plaute et Molière, dont Giraudoux prétend proposer l’ultime variation.
Cette tragédie aux accents comiques transcende ses illustres prédécesseurs en humanisant profondément ses personnages. La pièce désacralise la figure divine : Jupiter, d’ordinaire tout-puissant, se trouve confronté à une simple mortelle qui lui préfère résolument son époux. Le dieu découvre l’humilité et apprend à déchoir de sa divinité pour connaître les imperfections humaines. L’originalité de cette version réside dans la célébration de l’amour conjugal face à la gloire divine. Contrairement aux adaptations antérieures où les dieux dominent les mortels, Giraudoux inverse la dynamique traditionnelle. Alcmène incarne une résistance farouche aux privilèges divins, préférant la finitude de l’existence humaine à l’immortalité promise.
La modernité de l’œuvre transparaît également dans son traitement du consentement. Certains critiques contemporains y voient une réflexion sur l’abus de pouvoir, la manipulation et la résistance face à l’autorité. Le personnage d’Alcmène, loin d’être flatté par les attentions divines, affirme son libre arbitre et son attachement aux « féeries de la vie humaine ». La pièce alterne habilement entre moments de comédie pure – notamment dans les scènes où Mercure enseigne à Jupiter l’art de paraître humain – et passages plus profonds sur la condition mortelle. Les dialogues, empreints d’intelligence et d’ironie, mêlent registre soutenu et expressions contemporaines, créant une distance amusée avec le mythe originel.
Adaptée plusieurs fois, notamment par la BBC en 1957 qui y intègre sa première musique électronique commandée, « Amphitryon 38 » continue de séduire par sa réflexion sur l’humanité et sa célébration de la fidélité face aux tentations les plus divines.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 188 pages.
2. Intermezzo (1933)
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Résumé
Dans cette comédie créée en 1933, Jean Giraudoux met en scène une petite ville du Limousin où « toute la morale bourgeoise est cul par-dessus tête ». La cause de ce désordre ? Les rendez-vous nocturnes entre Isabelle, une jeune institutrice éprise d’absolu, et un mystérieux fantôme. Face à cette situation intolérable, un inspecteur d’académie arrive de Limoges, bien décidé à rétablir la normalité. S’engage alors une lutte entre deux visions du monde : d’un côté les forces de l’ordre et de la raison, incarnées par l’inspecteur, de l’autre la poésie et le mystère, représentés par Isabelle et son fantôme. Entre les deux se tient le Contrôleur des poids et mesures, amoureux d’Isabelle, qui tente de lui proposer une voie médiane où imagination et réalité peuvent coexister.
Autour de la pièce
« Intermezzo » est la quatrième pièce de Giraudoux, créée le 1er mars 1933 à la Comédie des Champs-Élysées dans une mise en scène de Louis Jouvet. Le dramaturge commence sa rédaction début 1931, mais peine à trouver la tonalité exacte qu’il souhaite donner à cette œuvre. La pièce n’est finalement proposée aux comédiens qu’en décembre 1932.
Cette création bénéficie d’une distribution prestigieuse : Valentine Tessier incarne Isabelle, Louis Jouvet le Contrôleur, tandis que les petites filles proviennent toutes de l’école de ballet de l’Opéra de Paris. Les décors et costumes, signés Léon Leyritz, surprennent par leur audace : le costume du droguiste, notamment, est décrit par le critique de Comoedia comme « un complet violet, étriqué à ravir, bordé, gancé et pourtant si prétentieux ». Francis Poulenc compose la musique de scène, une partition qui mêle humour et émotion.
La pièce déploie plusieurs niveaux de lecture. En surface, elle apparaît comme une comédie légère et fantaisiste. Mais derrière cette apparente légèreté se cache une réflexion sur l’opposition entre réalité et rêve, ordre établi et liberté. Giraudoux y critique notamment la rigidité du système éducatif à travers le personnage de l’Inspecteur, représentant d’une orthodoxie républicaine sclérosante.
Les personnages incarnent différentes visions du monde : Isabelle représente l’aspiration à l’absolu et la quête de vérité ; l’Inspecteur symbolise le rationalisme borné ; le Contrôleur propose une voie médiane, celle d’une vie qui sait conjuguer imagination et réalité. Quant au Droguiste, il joue le rôle d’un médiateur entre ces différentes forces, capable de comprendre et d’harmoniser les contraires.
Le titre même de la pièce revêt une signification particulière : « Intermezzo », terme italien signifiant « intermède », suggère une parenthèse enchantée, un moment suspendu entre deux états. Cette suspension se manifeste à plusieurs niveaux : entre la vie et la mort, entre la jeunesse et l’âge adulte, entre le rêve et la réalité.
La pièce connaît un succès durable, comme en témoignent ses nombreuses reprises au fil des décennies. Elle est notamment montée en 1955 au théâtre Marigny par Jean-Louis Barrault, avec Simone Valère dans le rôle d’Isabelle. Elle fait également l’objet d’une adaptation anglaise par Maurice Valency en 1950 sous le titre « The Enchanted ».
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 192 pages.
3. La guerre de Troie n’aura pas lieu (1935)
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Résumé
Dans les remparts de Troie, le commandant Hector, las des combats, apprend que son frère Pâris a enlevé la belle Hélène de Sparte. Conscient que cet acte risque de provoquer une guerre avec les Grecs, Hector mobilise les partisans de la paix, dont sa femme Andromaque et sa mère Hécube. Face à eux se dressent les bellicistes menés par le poète Démokos, qui voient en Hélène une occasion de gloire. Malgré l’accord trouvé entre Hector et le rusé Ulysse pour éviter le conflit, les manœuvres de Démokos font basculer la situation. Dans un moment de tension, Hector tue le poète qui, dans son dernier souffle, désigne mensongèrement Ajax comme son assassin. Les portes de la guerre s’ouvrent tandis qu’Hélène et Troïlus s’embrassent, scellant le destin tragique de Troie.
Autour de la pièce
Écrite entre l’automne 1934 et juin 1935, « La guerre de Troie n’aura pas lieu » surgit dans une Europe où montent les périls. Jean Giraudoux, deux fois blessé durant la Première Guerre mondiale et vétéran de la bataille des Dardanelles, transpose le mythe homérique pour dénoncer l’absurdité de la guerre qui s’annonce. La pièce résonne comme un avertissement face à la montée des dictatures et aux séquelles persistantes de la crise de 1929.
La création au Théâtre de l’Athénée le 21 novembre 1935, mise en scène par Louis Jouvet, marque les esprits. Le dramaturge hésite longtemps sur le titre, envisageant « Prélude des préludes » et « Préface à l’Iliade » avant de conserver son choix initial. La distribution prestigieuse réunit Renée Falconetti en Andromaque et Madeleine Ozeray en Hélène.
La pièce met en lumière deux camps irréconciliables : les pacifistes (Hector, Andromaque, Hécube, Cassandre) et les partisans de la guerre (Pâris, Priam, Démokos). L’œuvre ne désigne pas une cause unique au conflit mais dévoile un entrelacement complexe de motivations qui rendent la guerre inévitable malgré les efforts déployés pour l’empêcher.
Giraudoux y critique la diplomatie, les manipulations politiques et l’instrumentalisation du droit. Le cynisme des dirigeants s’incarne notamment dans la scène où l’expert juridique Busiris modifie ses arguments sous la menace. La défaite d’Hector ne découle pas d’une intervention divine mais de son impuissance face à « la bêtise des hommes et celle des éléments ».
Traduite en anglais en 1963 sous le titre « Tiger at the Gates », la pièce connaît un succès international. Elle reçoit le prix du New York Drama Critics’ Circle et une nomination aux Tony Awards en 1956. Des mises en scène marquantes jalonnent son histoire, notamment celles de Jean Vilar au Festival d’Avignon en 1962 et 1963. Elle inspire aussi d’autres artistes, comme Jean Baudrillard qui y fait référence dans son essai « La guerre du Golfe n’a pas eu lieu » (1991). De nombreuses adaptations télévisées voient le jour, en France (1980, avec Anny Duperey) comme à l’étranger, témoignant de la permanence de son message sur l’engrenage de la violence.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 187 pages.
4. Électre (1937)
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Résumé
Dans le royaume d’Argos, Électre, fille du roi Agamemnon assassiné à son retour de la guerre de Troie, voue une haine inexplicable à sa mère Clytemnestre. Le régent Égisthe, qui détient désormais le pouvoir, tente de la marier au jardinier du palais pour détourner sur une autre famille « tout ce qui risque de jeter quelque jour un lustre fâcheux sur la famille des Atrides ». Mais le retour inattendu d’Oreste, son frère exilé depuis vingt ans, va tout bouleverser. Électre, qui ignore encore les circonstances exactes de la mort de son père, se lance dans une quête effrénée de vérité. Les révélations sur l’adultère de Clytemnestre avec Égisthe et leur implication dans le meurtre d’Agamemnon vont précipiter la tragédie : Oreste, poussé par sa sœur, tue les coupables, condamnant ainsi Argos à tomber aux mains des Corinthiens.
Autour de la pièce
La pièce s’inscrit dans une tradition de réécritures du mythe d’Électre, après Eschyle, Sophocle et Euripide au Ve siècle avant notre ère. Giraudoux y apporte des modifications significatives : Électre ignore initialement le meurtre de son père et la pièce prend des allures d’enquête policière. « Je montre la lutte que livre une jeune fille pour la découverte d’un énorme crime », déclare l’auteur.
Le dramaturge introduit des personnages inédits qui enrichissent considérablement l’intrigue. Le mendiant, dont la nature divine reste ambiguë, tient le rôle du chœur antique tout en apportant des éclairages essentiels sur l’action. Les Euménides, trois fillettes qui grandissent à vue d’œil au fil des scènes, incarnent les déesses de la vengeance. Le couple bourgeois formé par le président et Agathe offre un contrepoint burlesque au couple tragique.
La pièce se structure selon une unité classique rigoureuse : l’action se déroule en moins de vingt-quatre heures, de la fin de l’après-midi à l’aube, dans la cour intérieure du palais d’Agamemnon. Entre les deux actes s’intercale le « Lamento du jardinier », moment de réflexion sur la nature de la tragédie.
La quête de la vérité constitue le thème central. Le prénom même d’Électre, qui signifie « la lumineuse » en grec, souligne cette dimension. La pièce met en tension deux conceptions antagonistes : l’exigence absolue de vérité portée par Électre et la nécessité politique de préserver la cité, défendue par Égisthe face à la menace corinthienne.
Créée au Théâtre de l’Athénée dans une mise en scène de Louis Jouvet, qui interprétait lui-même le rôle du mendiant, la pièce rencontre un succès public malgré un accueil critique mitigé. Elle entre au répertoire de la Comédie-Française en 1959 et demeure l’une des œuvres majeures du théâtre français du XXe siècle.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 192 pages.
5. Ondine (1939)
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Résumé
Le chevalier Hans, promis à la comtesse Bertha, s’égare un soir d’orage dans une forêt et trouve refuge chez des pêcheurs. Il y rencontre leur fille adoptive Ondine, une créature des eaux d’une beauté surnaturelle. Celle-ci déclare immédiatement son amour au chevalier et accepte, pour l’épouser, un terrible pacte proposé par le Roi des Ondins : si Hans la trahit, il devra mourir. À la cour, Ondine peine à s’adapter aux conventions tandis que la présence de Bertha menace son bonheur. Dans une tentative désespérée de sauver Hans, elle prétend l’avoir trompé avec le poète Bertram. Mais son sacrifice est vain : Hans finit par épouser Bertha. Lors du procès d’Ondine, la vérité éclate. Hans meurt et Ondine, ayant perdu la mémoire selon les termes du pacte, retourne au royaume des eaux.
Autour de la pièce
« Ondine » naît en 1939 de la rencontre entre Jean Giraudoux et Louis Jouvet, qui dirige alors le Théâtre de l’Athénée. Cette pièce en trois actes s’inspire librement d’un conte allemand de Friedrich de la Motte-Fouqué, « Undine » (1811). La première représentation, le 4 mai 1939, connaît un triomphe. Madeleine Ozeray incarne une Ondine bouleversante aux côtés de Louis Jouvet dans le rôle de Hans.
La pièce mêle avec brio le merveilleux et le quotidien. Les éléments surnaturels – voix mystérieuses, pactes magiques, créatures des eaux – cohabitent avec la trivialité des cuisines et l’hypocrisie de la cour. Cette tension constante entre deux mondes irréconciliables constitue le cœur dramatique de l’œuvre. L’humour de Giraudoux surgit précisément de cette confrontation : quand le chevalier déclame pompeusement son nom complet, le pêcheur Auguste répond simplement : « On m’appelle Auguste. »
L’œuvre questionne la possibilité d’une union entre l’absolu et l’humain. Ondine, créature parfaite qui commande aux éléments, incarne la pureté de la nature. Hans, malgré sa condition de chevalier errant, reste prisonnier de sa pesanteur terrestre. Leur amour impossible prend une dimension tragique que renforce le pacte fatal conclu avec le Roi des Ondins.
En 1954, Audrey Hepburn triomphe à Broadway dans une adaptation anglaise qui lui vaut un Tony Award. Vingt ans plus tard, Isabelle Adjani électrise la Comédie-Française dans une mise en scène de Raymond Rouleau. En 2004, Laetitia Casta reprend le rôle au théâtre Antoine sous la direction de Jacques Weber.
La musique d’Henri Sauguet et les décors de Pavel Tchelitchev participent à la magie de la création originale, qui réunit trente-trois comédiens pour quarante-six rôles. Les critiques saluent unanimement ce spectacle qui prouve, selon le journal Candide, que « Paris est toujours capable d’offrir au monde la fleur de l’art dramatique. »
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 155 pages.
6. La Folle de Chaillot (1945)
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Résumé
Dans le Paris des années 1940, une bande de financiers véreux projette d’exploiter des gisements pétroliers sous la capitale, peu importent les dégâts occasionnés. Ces spéculateurs, menés par un certain Président, tentent de contraindre le jeune Pierre à commettre un attentat contre l’ingénieur qui entrave leurs projets. Face à ce dilemme moral, Pierre tente de mettre fin à ses jours. Son geste désespéré alerte Aurélie, une aristocrate fantasque surnommée la « Folle de Chaillot », qui prend conscience de la corruption du monde. Cette clocharde élégante, chérie par les habitants du quartier, décide alors d’agir. Épaulée par trois autres « folles » excentriques et par le petit peuple de Paris, elle élabore un piège ingénieux : attirer les hommes d’affaires dans les souterrains de sa demeure, dont ils ne ressortiront jamais.
Autour de la pièce
Écrite en 1943 pendant l’Occupation allemande, « La Folle de Chaillot » constitue l’ultime pièce de Jean Giraudoux, représentée à titre posthume le 22 décembre 1945 au Théâtre de l’Athénée. Louis Jouvet, revenu d’Amérique pour l’occasion, assure la mise en scène et interprète le rôle du chiffonnier, tandis que Marguerite Moreno, qui a inspiré le personnage principal, incarne Aurélie.
Cette satire poétique en deux actes conjugue plusieurs dimensions : folklorique, ethnologique, écologique et politique. À travers le combat d’une aristocrate marginale contre des capitalistes prédateurs, Giraudoux livre une critique acerbe du productivisme et du consumérisme. Les spéculateurs, désignés uniquement par leur fonction (le Président, le Baron, le Prospecteur, le Coulissier), incarnent une masse déshumanisée qui menace d’uniformiser la société : « C’est un type unique de travailleur, le même visage, les mêmes vêtements, les mêmes gestes et paroles pour chaque travailleur. »
Face à cette force destructrice qui ne génère que « guerre », « misère » et « laideur », se dresse la fantaisie joyeuse d’Aurélie et de ses compagnons. La pièce oppose ainsi deux visions du monde : celle du grand capital, fondée sur le profit à tout prix, et celle d’une « pauvreté joyeuse » qui préserve sa liberté et son humanité. Les « folles », par leur excentricité même, incarnent les gardiennes du bon sens et de la résistance à l’oppression économique.
Le succès de « La Folle de Chaillot » ne s’est jamais démenti. De nombreuses actrices prestigieuses ont incarné Aurélie : Edwige Feuillère, Annie Ducaux, Madeleine Robinson, et plus récemment Anny Duperey. La pièce a connu diverses adaptations, notamment cinématographique avec Katharine Hepburn (1969), musicale (« Dear World », 1969) et chorégraphique (ballet de Rodion Chtchedrine, 1992).
Cette fable écologique avant l’heure résonne avec une actualité saisissante, anticipant les préoccupations environnementales contemporaines. Sa structure de conte moderne, où les méchants reçoivent leur juste châtiment et où l’amour triomphe, permet à Giraudoux d’aborder avec légèreté des thèmes graves, créant ainsi une œuvre à la fois divertissante et profondément engagée.
Aux éditions LE LIVRE DE POCHE ; 156 pages.