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Jean-Baptiste Fressoz en 4 livres – Notre sélection

Jean-Baptiste Fressoz en 4 livres – Notre sélection

Né en 1977, Jean-Baptiste Fressoz est un historien français spécialisé dans l’histoire des sciences, des techniques et de l’environnement. Ancien élève de l’ENS Cachan, il complète sa formation par une thèse à l’EHESS et à l’Institut universitaire européen de Florence. Après avoir occupé un poste de maître de conférences à l’Imperial College London, il devient chargé de recherche au CNRS et membre du Centre de recherches historiques de l’EHESS.

Ses travaux de recherche se concentrent sur plusieurs domaines : l’histoire environnementale, l’Anthropocène, les savoirs climatiques et la transition énergétique. En parallèle de ses activités de recherche, il tient une chronique mensuelle dans Le Monde.

Son œuvre comprend plusieurs ouvrages majeurs, dont « L’apocalypse joyeuse » (2012) sur l’histoire du risque technologique, « L’événement Anthropocène » (2013) coécrit avec Christophe Bonneuil, et plus récemment « Sans transition – Une nouvelle histoire de l’énergie » (2024), qui reçoit le prix de l’écologie politique et le prix Ecolobs. Ses travaux, traduits en plusieurs langues, contribuent significativement à la compréhension des enjeux environnementaux contemporains.

Voici notre sélection de ses livres majeurs.


1. Sans transition – Une nouvelle histoire de l’énergie (2024)

Disponible sur Amazon Disponible à la Fnac

Dans « Sans transition », Jean-Baptiste Fressoz livre une analyse novatrice de l’histoire de l’énergie qui bouleverse les idées reçues sur les prétendues transitions énergétiques. L’historien des sciences démolit méthodiquement la vision traditionnelle selon laquelle une source d’énergie en remplacerait une autre au fil du temps – du bois au charbon, puis au pétrole et aujourd’hui vers les énergies renouvelables.

Les données historiques révèlent une réalité plus complexe : les différentes sources d’énergie ne se sont jamais substituées les unes aux autres mais se sont accumulées dans une relation symbiotique. L’extraction du charbon nécessitait d’immenses quantités de bois pour étayer les galeries – en 1900, l’Angleterre utilisait davantage de bois pour ses mines qu’elle n’en brûlait un siècle plus tôt. L’industrie pétrolière dépendait elle aussi massivement du bois pour ses derricks et ses tonneaux de transport, avant de reposer sur l’acier, dont la production requiert du charbon.

Cette intrication se poursuit aujourd’hui : la Chine produit la moitié des voitures électriques mondiales grâce à l’énergie du charbon. Le plus grand parc éolien au monde, inauguré en Norvège en 2023, alimente des plateformes pétrolières. Fressoz démontre que le concept même de « transition énergétique » n’émerge qu’au tournant des années 1970, porté d’abord par les promoteurs du nucléaire puis repris par les écologistes et les industriels.

L’historien décortique comment cette notion s’est imposée dans le débat public malgré son absence de fondement historique. Elle sert désormais à justifier la procrastination face au défi climatique en entretenant l’illusion qu’une solution technologique permettra de maintenir notre niveau de consommation. Or, souligne Fressoz, la décarbonation de secteurs entiers comme l’aviation, la sidérurgie ou la production de ciment reste techniquement impossible à l’horizon 2050.

Ce constat radical impose de repenser entièrement notre approche : il ne s’agit plus d’orchestrer une transition mais d’opérer une véritable « auto-amputation énergétique » en renonçant en quelques décennies aux trois quarts de notre consommation d’énergie fossile. Cette perspective implique des choix politiques sur la répartition des ressources et la transformation de nos modes de vie, bien loin des promesses technologiques qui nous bercent d’illusions.

Aux éditions SEUIL ; 416 pages.


2. Les révoltes du ciel – Une histoire du changement climatique XVe – XXe siècle (avec Fabien Locher, 2020)

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C’est parmi des archives tombées dans l’oubli à Météo France que Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher découvrent une circulaire ministérielle datant de 1821 qui ébranle leurs certitudes : le gouvernement français s’inquiétait déjà des changements climatiques à l’époque. Cette trouvaille les conduit à remonter le fil d’une histoire méconnue : celle d’une préoccupation constante des sociétés occidentales pour l’évolution du climat du XVe au XXe siècle.

L’histoire débute avec les premières explorations européennes. Dès ses voyages aux Caraïbes, Christophe Colomb note méticuleusement les conditions climatiques et théorise leur possible modification par l’action humaine. Les conquistadors qui le suivent développent une vision optimiste : le déboisement et la mise en culture des terres « sauvages » permettraient d’adoucir les climats tropicaux, légitimant ainsi la colonisation.

Au XVIIIe siècle, le naturaliste Buffon systématise cette pensée. Il conçoit une « utopie climatique » où l’humanité, par une action concertée sur les forêts, pourrait contrer le refroidissement général qu’il croit observer. Cette théorie s’accompagne d’une hiérarchisation des sociétés selon leur capacité à transformer leur environnement, plaçant les Européens au sommet.

La Révolution française marque un tournant décisif. Les révolutionnaires accusent l’Ancien Régime d’avoir dégradé le climat par sa mauvaise gestion des forêts. La question climatique devient éminemment politique : comment gérer les ressources forestières nouvellement nationalisées ? Comment contrôler les usages populaires de la nature ? L’enquête de 1821 s’inscrit dans ces débats, elle cherche à établir scientifiquement la réalité des changements observés.

Dans les colonies du XIXe siècle, le climat sert d’instrument de domination. Les administrateurs européens accusent les populations locales de dégrader leur environnement par des pratiques forestières inadaptées. La « mission civilisatrice » inclut désormais la restauration d’un climat prétendument détérioré par l’incurie des « indigènes ».

Paradoxalement, c’est au moment où l’industrialisation commence à réellement modifier l’environnement que cette préoccupation s’estompe. Les progrès techniques – chemins de fer, télégraphie, nouvelles énergies – créent l’illusion d’une société affranchie des contraintes climatiques. Cette parenthèse d’insouciance ne se referme qu’à partir des années 1970, quand ressurgit l’ancestrale inquiétude face aux « révoltes du ciel ».

Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher s’appuient sur un corpus de sources remarquablement diversifié : textes scientifiques, enquêtes administratives, récits de voyage, pièces de théâtre. Cette documentation permet de restituer la complexité des débats qui ont animé les sociétés européennes pendant cinq siècles.

Aux éditions POINTS ; 416 pages.


3. L’événement Anthropocène (avec Christophe Bonneuil, 2013)

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Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz proposent dans « L’événement Anthropocène » une nouvelle lecture de notre rapport à l’environnement. Leur démonstration s’articule en trois grandes parties qui remettent en cause le récit traditionnel d’une humanité longtemps aveugle aux dégâts écologiques.

La première partie définit l’Anthropocène comme une nouvelle ère géologique où l’humanité devient une force capable de modifier la Terre elle-même. Cette période débute symboliquement en 1784 avec le brevet de la machine à vapeur de James Watt, marquant l’accélération de l’industrialisation et l’augmentation exponentielle des émissions de gaz à effet de serre. Les auteurs soulignent que ce changement n’est pas une simple crise environnementale passagère mais une transformation irréversible qui s’étendra sur des millénaires.

La deuxième partie s’attaque au récit dominant qui présente l’histoire environnementale comme une progression de l’ignorance vers la conscience écologique. Les historiens démontrent qu’au contraire, dès le XVIIIe siècle, les sociétés européennes manifestaient des préoccupations environnementales sophistiquées. Ils documentent notamment les nombreuses oppositions aux pollutions industrielles et les débats sur l’épuisement des ressources.

La troisième partie propose sept grilles de lecture complémentaires pour comprendre l’Anthropocène. Le Thermocène se penche sur l’histoire politique du CO2, révélant que les sociétés n’ont jamais véritablement effectué de transition énergétique mais ont simplement additionné les différentes sources d’énergie. Le Thanatocène met en lumière le rôle décisif des guerres et du complexe militaro-industriel dans la destruction environnementale. Le Phagocène analyse l’émergence de la société de consommation, tandis que le Capitalocène souligne la responsabilité particulière des puissances occidentales – les États-Unis et le Royaume-Uni totalisant plus de 50 % des émissions de CO2 depuis 1900. L’Agnotocène dévoile les mécanismes qui ont permis de marginaliser les alertes environnementales, le Phronocène retrace l’histoire des réflexions critiques sur notre rapport à la nature, et le Polémocène recense les nombreuses résistances aux destructions environnementales.

Les auteurs concluent que l’entrée dans l’Anthropocène résulte de choix politiques et économiques délibérés, non d’une ignorance ou d’une évolution inéluctable. Cette « fin du monde au ralenti » nécessite selon eux une transformation radicale de nos systèmes économiques et politiques, les solutions technologiques seules ne pouvant suffire à répondre à l’ampleur du bouleversement.

Cette étude fondamentale marque un tournant dans l’historiographie environnementale. Sa force réside dans le refus de la narration simpliste d’une humanité aveugle qui aurait soudainement pris conscience de son impact sur l’environnement. Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz démontrent au contraire que les sociétés du XIXe siècle disposaient déjà d’une réflexion sophistiquée sur leur rapport à la nature. L’originalité de leur démarche tient à la création de concepts percutants pour analyser différentes dimensions de l’Anthropocène.

La thèse centrale du livre démolit l’idée reçue d’une transition énergétique historique : nous n’avons jamais vraiment abandonné une source d’énergie pour une autre, nous les avons simplement additionnées. Ainsi, la consommation mondiale de charbon n’a jamais été aussi élevée qu’en 2012 (le livre est publié en 2013), malgré l’essor du pétrole. Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz accordent une attention particulière aux responsabilités différenciées dans cette catastrophe écologique. Ils soulignent notamment qu’en 1973, l’empreinte britannique atteignait 377 % de la biocapacité de son territoire, quand un Américain moyen consomme aujourd’hui 32 fois plus de ressources qu’un Kenyan.

La dimension politique n’est jamais négligée : le passage au pétrole, par exemple, est analysé comme une stratégie délibérée des États-Unis pour contourner les mouvements ouvriers liés au charbon. Les auteurs montrent également comment les alertes environnementales ont été systématiquement marginalisées, non par ignorance mais par choix politique. Le livre se conclut sur une note sombre : nous ne traversons pas une simple crise environnementale temporaire, mais une révolution géologique irréversible d’origine humaine. Les changements enclenchés en quelques décennies auront des répercussions sur des dizaines de milliers d’années.

Aux éditions POINTS ; 336 pages.


4. L’apocalypse joyeuse – Une histoire du risque technologique (2012)

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Dans « L’apocalypse joyeuse », Jean-Baptiste Fressoz déconstruit une idée préconçue tenace : celle d’une société du XIXe siècle aveugle aux dangers du progrès technologique. Son étude minutieuse de la France et de la Grande-Bretagne, entre 1750 et 1850, révèle au contraire une conscience aigüe des risques liés à l’industrialisation naissante.

L’historien structure son analyse autour de trois axes majeurs. Le premier concerne le domaine médical, où il examine les controverses liées à l’inoculation de la petite vérole puis à la vaccination antivariolique. Ces débats du XVIIIe siècle illustrent déjà les tensions entre progrès scientifique et acceptation sociale des risques.

Le second axe s’intéresse au développement de la chimie industrielle au début du XIXe siècle. Fressoz met en lumière les conflits entre industriels et populations riveraines, ainsi que le rôle ambigu des autorités sanitaires. Les médecins hygiénistes, qui considéraient initialement l’environnement comme facteur déterminant de la santé, finissent par légitimer les pollutions industrielles en déplaçant l’origine des maladies vers des causes sociales.

Le troisième axe aborde les technologies emblématiques de la révolution industrielle : le gaz d’éclairage et les machines à vapeur. L’auteur démontre comment l’instauration de normes techniques a servi moins à garantir la sécurité qu’à normaliser les accidents, les rendant acceptables aux yeux de la société.

À travers ces trois études de cas, Fressoz dévoile les mécanismes de « désinhibition » mis en place par les élites politiques et industrielles. Les contestations n’ont pas manqué, mais elles ont été systématiquement neutralisées par divers dispositifs : normes techniques, procédures administratives, théories médicales révisées, calculs probabilistes du risque. Ces outils ont permis de créer un « savoir désinhibiteur » destiné à faire accepter la modernité technologique malgré ses dangers manifestes.

Fressoz conclut que la modernité technique ne fut pas aveugle mais sciemment aveuglée. Les sociétés du XIXe siècle n’ont pas modifié leur environnement par ignorance, mais en toute connaissance de cause, grâce à des stratégies élaborées de normalisation et de légitimation des risques. Cette thèse remet fondamentalement en question notre perception de la révolution industrielle et interroge notre propre rapport contemporain aux risques technologiques.

La force de l’ouvrage réside dans sa capacité à relier des univers historiographiques habituellement cloisonnés en un récit global et cohérent. Jean-Baptiste Fressoz démontre comment l’invention de la norme technique a porté en elle la victoire du nouveau complexe étatico-industriel. Les conclusions s’avèrent particulièrement pessimistes : la réflexivité et la prise de conscience écologique de notre époque ne seraient que les avatars les plus subtils des moyens déployés par le capitalisme industriel pour imposer sa domination. La « société du risque » théorisée par Ulrich Beck apparaît ainsi comme une illusion réconfortante masquant notre incapacité à remettre en question le modèle industriel.

« L’apocalypse joyeuse » soulève des questions majeures sur notre rapport actuel à la technologie et à l’environnement. En éclairant notre situation d’une façon originale, ce détour par l’histoire du XIXe siècle nous aide à nous défaire des illusions contemporaines – c’est sa plus grande force et son principal enseignement. La réception critique salue unanimement l’importance de cette contribution à l’histoire environnementale. Elle souligne la pertinence de l’analyse pour comprendre les enjeux actuels, notamment après des catastrophes industrielles comme l’incendie de Lubrizol qui révèlent la permanence des rapports de force entre industriels, riverains et autorités.

Aux éditions POINTS ; 384 pages.

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